La Bêtise, elle vient soudainement de refaire surface dans les grandes arènes politiques avec des personnages tels que Trump, Elon Musk, Vladimir Poutine mais aussi des seconds couteaux comme Javier Millei, Bolsonaro, Orban, Fico, Nawrocki. D'effrayants et indiscutables crétins dont on ne sait pas bien analyser le comportement.
Le plus troublant, c'est qu'il ne s'agit pas d'une bêtise brute. En chacun de ces personnages, coexiste tout de même une lueur d'intelligence, même si c'est sous une forme madrée et rusée. On ne peut donc pas les caractériser en blanc ou en noir.
Mais le plus significatif, c'est peut-être qu'ils ne craignent pas d'afficher, en toute décontraction, leur bêtise. Et même, plus c'est gros, énorme, mieux c'est. On ne cherche plus à dissimuler ses insuffisances en se raccrochant aux opinions communes, c'est le temps de la bêtise décomplexée, exprimée avec ostentation.
Pour comprendre cette bêtise des temps nouveaux, l'écrivain Gustave Flaubert se révèle, probablement, d'un grand secours. A la fin de sa vie, il a curieusement délaissé le roman classique pour rédiger, en s'attelant à de la sociologie, une énorme charge contre la Bêtise. Ca a donné lieu à cet étrange bouquin "Bouvard et Pécuchet" et au "Dictionnaire des idées reçues" (tous deux inachevés).
"Bouvard et Pécuchet", c'est une grande farce sur la bêtise humaine qui met en scène deux vieux garçons (l'un veuf, l'autre célibataire). Deux compères qui se lancent dans une entreprise gargantuesque: accéder à un savoir encyclopédique, aborder tous les domaines de la connaissance (la science, l'agriculture, la religion, l'archéologie, l'éducation, la littérature etc...).
La bêtise, c'est d'abord, pense-t-on généralement, l'ignorance, l'inculture et les préjugés.
Mais Flaubert formule une autre analyse. La bêtise moderne, c'est, plutôt, prétendre tout savoir sur tout.
Cela signifie que la bêtise relève moins d'une insuffisance intellectuelle et des âneries que l'on débite que de la manière dont on exprime les choses. La bêtise relève, en fait, d'une attitude générale, d'une arrogance, d'une fatuité affichées. Une attitude toujours insultante qui est celle de celui qui croit avoir réponse à tout. C'est en quoi l'idiot est aussi un connard.
Et cette bêtise arrogante, on en est tous porteurs à des degrés divers. Elle est générale et donc incurable. Et Flaubert va encore plus loin parce qu'il estime que cette grande bêtise, elle a donné naissance à la bourgeoisie. Mais une bourgeoisie qui ne se définit pas par une appartenance de classe (sa richesse économique) mais par une manière de penser, de "penser bassement". Et penser bassement, c'est être sûr de soi et de ses idées.
Cette folle assurance, elle caractérise bien, en effet, nos contemporains et notamment trois de nos maîtres du monde.
- c'est d'abord la bêtise puérile de Donald Trump. Son narcissisme infantile est sidérant. Il est bien un enfant-roi, un sale gosse qui adore être flatté, louangé. Un petit pervers polymorphe qui change sans cesse d'objet d'amour dans une indifférence absolue. D'où sa versatilité, son manque total de compassion, son incapacité à aimer les autres sauf ses flatteurs. Les femmes, ses collaborateurs, les autres dirigeants du monde, ne sont que des jouets qui concourent à sa distraction. Il s'en toque soudainement puis les délaisse. Il est incapable d'amour ou d'amitié. La souffrance des autres, il y est totalement indifférent.
Et puis, toujours dans son rôle de sale gosse, il aime bien semer sa merde un peu partout et il se délecte de l'embarras produit. Il est le "vilain" que l'on n'ose gronder. Il n'y a pas de refoulement, pas d'interdit chez lui. Mais c'est probablement aussi pour cette raison qu'on l'aime et qu'il a été élu à 2 reprises: parce qu'il est "comme nous", qu'il exprime bien ce qui constitue notre inconscient, l'inavouable qui est en nous. Nous aussi, on est des salopards, mais des salopards maîtrisés (simplement parce que notre éducation réprime nos pulsions destructrices).
- aux côtés de Trump, il y a évidemment son ami/ennemi, Elon Musk. Musk est fascinant parce qu'en lui, la bêtise côtoie le génie. Mais sa bêtise est plutôt celle du connard. Musk est même, avant tout, un connard. Il est la démonstration vivante que l'intelligence n'a jamais empêché d'être con. "Il est provocateur, instable, amoureux de lui-même, incapable de filtrer ses pensées, dominateur avec ses employés". Bref, la connarditude banale, l'habituelle violence relationnelle, de celui qui a du pouvoir.
Mais il ne se limite quand même pas au "banal". Musk diffère profondément de Trump en ce sens qu'il a un côté "héros romantique". Il croit en son destin, il veut à tout prix sauver la Terre, y compris en transplantant sa population sur Mars. C'est peut-être délirant mais son souci premier est, tout de même bien, de créer, d'inventer, d'innover. Ce qui est complétement étranger à Trump qui ne pense qu'à déstabiliser, détruire et fiche la pagaille. Trump est un roi fou tandis que Musk est peut-être un "prophète-inventeur" ou un grand excentrique.
- et je terminerai avec un 3ème connard, Vladimir Poutine. Lui, il est relativement policé au point que Trump et Steve Vitkoff l'ont qualifié de quelqu'un de "très gentil". Il est bien différent de Trump et de Musk, en ce sens que sa grande bêtise, sa grande connerie, c'est son obstination butée. Voilà déjà 3 ans et demi qu'il conduit une guerre dévastatrice contre l'Ukraine avec des résultats insignifiants. "Tout ça, toutes ces centaines de milliers de morts, pour ça". Et personne n'a jamais perçu clairement quels étaient les objectifs et les motifs de cette guerre. Cette histoire de Nazis ukrainiens soutenus par l'Otan, même les Russes n'y croient pas tellement c'est énorme et grossier mais ils continuent de faire comme si... On est dans l'absurdité-cruauté totale.
Mais Poutine est incapable de faire machine arrière, ce serait laisser penser aux Russes qu'ils ont eu tort de faire confiance en ses compétences. Une fois qu'on a choisi un camp, un récit, c'est trop tard. On ne plus rien faire, le coût politique d'un revirement serait exorbitant. Alors, on essaie de croire soi-même à la connerie qu'on vient de faire.
Et puis, il est prisonnier d'un biais cognitif classique: celui de l'aversion à la perte. Le désagrément de perdre 100 euros est infiniment plus grand que la satisfaction de gagner la même somme. Alors, on s'obstine contre toute rationalité, on espère se récupérer, on se refuse à arrêter les frais malgré les signes de l'impasse militaire.
Et plus on refuse de perdre, plus on continue... et de plus en plus fort (c'est ce qui explique les énormes bombardements incessants). Même si on sait que ça ne sert pas à grand chose, on s'obstine dans une course folle en avant dans l'espoir insensé de récupérer l'investissement initial.
C'est cela la grande bêtise de Poutine. Trump était prêt à lui faire un cadeau insensé, inespéré il y a quelques mois: le déclarer vainqueur et réintégrer la Russie dans le concert des Nations. Mais Poutine est aujourd'hui incapable de calcul lucide. Il préfère s'empêtrer dans une mécanique désastreuse. On ne change pas une machine qui ne marche pas et, pire, on la pousse à fond. Mais souvent alors, on perd et on perd toujours plus.
Images de Jérôme Bosch, Roland Topor, Film "La planète sauvage", Miss Tic
Je recommande :
- Gustave Flaubert : "Bouvard et Pécuchet" et "Dictionnaire des idées reçues"
- "Sciences Humaines Août-Septembre 2025": "Psychologie de la connerie". La diffusion de cette excellente revue, lancée en 2018, est trop confidentielle. Je la recommande particulièrement et notamment ce hors-série qui m'a incitée à rédiger ce post.
- Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R.Sunstein: "Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter"
- quant à l'analyse psychologique de Trump, son infantilisme grotesque, je renvoie à un article du psychanalyste Michel Schneider que l'on trouve facilement sur Internet.
1 commentaire:
Bonjour Carmilla.
N’oublions pas que nous sommes tous sujet à la bêtise. Cette bêtise est humaine, surtout lorsqu’il s’agit de faire souffrir autrui. Quoi, qu’il est difficile de la supporter lorsqu’elle s’affiche au grand jour et encore pire lorsque c’est un ami qui sombre dans cet état.
Présentement nous vivons dans le summum de la bêtise, et ça ne semble pas s’atténuer. Comment ne pas songer à l’entêtement du Cousin de Moscou, qui ressemble à l’entêtement de Hitler ? Surtout sans oublier tous ceux qui les ont élus démocratiquement comme si nous avions contaminé la démocratie, au point de ne plus être capable de se regarder dans un miroir.
Tous les noms que vous avez cités, pour la majeure partie, ont été élus. Clairement, des gens ont votés pour eux.
Ce n’est pas tout de gagner une élection, après il faut assumer son vote, alors comment expliquer et assumer ce vote ? En un mot : qui est imputable ? Celui qui a été élu même si c’est un incompétent, ou bien, ceux qui ont voté pour lui ? Comment dois-je comprendre et justifier ces gens qui ont voté pour un incompétent doublé d’un imbécile ?
Lorsque j’évoque ce genre de réflexion, les gens me tournent le dos en étalant un silence coupable, ils n’osent pas relever le gant, parce qu’ils prennent conscience nous que sommes tous responsables. Ils le savent, et celui ou celle qui sait, est responsable de ses actes, entre autres, celui d’avoir voté.
Nous pouvons nous rappeler, tous ces millions d’allemands qui avaient voté pour Hitler. Est-ce que les allemands avaient commis une bêtise ?
Je sais, on préfère passer à un autre sujet, tout en se préparant à réécrire la même histoire. Répétition d’orchestre ! Préférant se vautrer dans les frasques et les bêtises d’Epstein, qui est beaucoup plus qu’un scandale sexuel, parce que cela cache une immense histoire d’espionnage avec des moyens colossaux. Nous préférons le spectacle, au lieu de nous interroger sur nos bêtises, et nos aveuglements.
Un seul mot me vient à l’esprit…la désolation.
Bonne fin de journée
Richard st-Laurent
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