dimanche 8 janvier 2012
La rumeur du monde
Finie la période des Fêtes. On pouvait retrouver un peu d’intimité, se soustraire à la pression de l’actualité et de l’extérieur. Mais ça y est, on a tout de suite retrouvé la rumeur du monde; elle a repris, agressive, tonitruante, intrusive. Un déluge, à flots continus, d’informations hétéroclites, de toutes sortes et de tous lieux : la crise financière, les révolutions arabes, la Russie, le blocage du détroit d’Ormuz, le PSG….
On croit souvent qu’on construit son individualité tout seul et seulement juste un peu avec les autres. On est finalement convaincus qu’on a une authentique personnalité qu’on a façonnée soi-même, par son regard critique et sa perspicacité intellectuelle. De notre originalité, de notre idiosyncrasie, on ne doute pas un instant. Mais on oublie qu’on vit dans un monde construit par les autres et que ce sont les autres qui, en réalité, nous façonnent.
Face à l’information, on est submergés, hébétés, mais il nous est interdit d’être passifs. On n’a pas le droit d’être insensibles aux « grands événements ». Pire, il est obligatoire de compatir, de souffrir avec le reste du monde.
La société de l’information, en fait, c’est moins cool et ludique qu’on ne l’imagine. C’est surtout une société de l’injonction. On requiert notre adhésion, on est sommés de prendre part, de s’engager, d’avoir un avis, une opinion.
Et il faut reconnaître qu’on se plie très bien à cette contrainte comme si ça suffisait à évacuer notre mauvaise conscience.
Ce qui m’étonne, c’est que ça ne pose pas de problème à la plupart des gens de s’exprimer, d’avoir un avis. Ca me donne personnellement le vertige, qu’on puisse ainsi se prononcer, de manière définitive et instantanée, sur les sujets les plus techniques et les plus divers : le rachat par la BCE des dettes souveraines (on est pour), la T.V.A. sociale (on est contre), l’abaissement des taux directeurs (on est pour), l’énergie nucléaire (on est contre), la création d’un Etat palestinien (on est pour), la Russie, la Hongrie, l’Iran (on est contre)…
C’est bien sûr dérisoire mais c’est comme ça qu’on construit, pour l’essentiel, son identité sociale. C’est sans doute réconfortant. On a l’impression, d’être des citoyens du monde éclairés, engagés, responsables.
On participe simplement en fait au grand bruissement médiatique, à la grande logique d’aplatissement de la pensée, à son indifférence absolue. Pour que plus rien de nouveau, de subversif ne surgisse.
Le totalitarisme, ça consistait autrefois à réserver la parole à quelques uns, quelques personnes autorisées qui servaient de relais au pouvoir politique. Aujourd’hui, le totalitarisme, ça consiste à solliciter l’expression de tous, à susciter la multiplication infinie des avis. Avec la prolifération des opinions, plus rien n’a d’importance, tout devient équivalent, tout s’effondre dans l’insignifiance. C’est la meilleure garantie que rien ne changera jamais.
C’est pour ça qu’on veut nous faire vivre dans l’émotion, l’immédiateté, le zapping. Pour que l’on soit de bons citoyens, bien sûr au courant de tout mais totalement inoffensifs.
Alors, comment peut-on échapper à cette grande banalisation de la pensée ?
Moi aussi, autrefois, j’avais tendance à être péremptoire et à avoir des avis sur tout. Ce n’est pas trop difficile si on a une grille de lecture un peu simple, marxisto-freudienne par exemple. Là, on trie facilement les bons et les mauvais.
Aujourd’hui, j’ai de moins en moins d’avis, d’opinions. Je suis sans doute très peu brillante en société, tout simplement parce que je ne sais pas, je ne sais plus rien. Je ne suis plus capable de prendre parti. Je refuse de participer au jeu des certitudes.
Il faut peut-être parvenir à échapper à l’émotion, à l’événement, aux sommations du pour et du contre. Essayer de déceler, dans la multiplicité du vécu, ce qui trouve une cohérence générale et fait sens pour moi.
Images de Jun Kumaori, jeune artiste japonais
Ce post m’a été inspiré par Nancy Huston
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2 commentaires:
Bonjour Carmilla.
Tout d'abord merci de ton passage sur mon blog et de ton commentaire.
J'ai beaucoup aimé ton dernier poste, qui est le cheminement d'une de mes réflexions dernières depuis que j'ai choisis d'une certaine manière de m'extraire du monde, sans être trop penché sur moi non plus, mais en cherchant une forme d'équilibre, dans cette façon d'écouter, et de voir le monde et ce qu'il donne à vouloir être regarder sous les feux de l'actualité.
Je ne peut que mettre un lien de ton blog au mien, sachant que je reviendrai te lire, tant tes pas sont intéressants et pour encore, émouvants à lire.
Merci Carmilla.
A bientôt de te lire ici et encore vers chez moi.
Armance.
Grand merci Armance.
Continue surtout de développer ton propre blog. C'est aussi un moyen de trouver un équilibre.
Amicalement
Carmilla
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