C’est drôle : on m’annonce un très beau temps à Moscou, Kiev et Varsovie (25-26 °).
Alors ici, avec notre froid de canard (que j’apprécie cependant), mieux vaut s’adonner à la lecture ce week-end.
Donc, j’ai aimé et je recommande :
- Tzvetan Todorov : « Les ennemis intimes de la démocratie ». Le démarrage est déconcertant, avec une évocation de la controverse, au début du 5 ème siècle, entre Pélage et Saint Augustin. En bref, le débat entre ceux qui croient au progrès linéaire et à la force de la volonté humaine (Pélage) et ceux qui pensent que l’être humain est entravé par sa duplicité et son mystère propre (le péché originel de Saint Augustin). C’est une question qui se retrouve aujourd’hui : la démocratie n’est plus confrontée à des menaces extérieures : elle a des ennemis intimes (le messianisme, la tyrannie de l’individu, le néolibéralisme, le populisme, la xénophobie).
En un mot, la démocratie est victime de son hyper-puissance. Un bouquin lumineux (même si les analyses du libéralisme, celles d’un lecteur du Nouvel Obs, m’apparaissent bien convenues,) qui réinterprète l’actualité contemporaine (Balkans, Lybie, Irak, Afghanistan). L’auteur, qui a vécu toute sa jeunesse en Bulgarie, penche clairement pour Saint Augustin : on ne saurait extirper définitivement le mal.
- Lucien Jerphagnon : « Connais-toi toi-même…et fais ce que tu aimes ». Lucien Jerphagnon est décédé récemment. Il a accédé à une relative notoriété quand Michel Onfray a exprimé toute sa dette envers lui. En réalité, c’est vraiment un grand maître et c’est beaucoup plus puissant, beaucoup plus érudit et beaucoup plus subtil que du Michel Onfray. En plus, c’est facile à lire et c’est plein d’humour. Surtout, ça apprend une foule de choses à des gens qui, comme moi, ne connaissent à peu près rien à la pensée antique et médiévale.
- Simon Leys : « Le studio de l’inutilité ». Comme toujours, c’est drôle, aérien, féroce, inattendu et profond. La Chine, la mer, Barthes, Conrad, Orwell.
- Jean-Philippe Toussaint : « L’urgence et la patience ». La révélation de la lecture, la passion de l’écriture. Ce petit livre est un chef d’œuvre car il est une merveille d’épure, de concision, de simplicité sur ces deux questions essentielles. Il n’y a vraiment rien qui dépasse et on prend une grande leçon d’écriture.
- Michaël Ferrier : « Fukushima – Récit d’un désastre ». Un titre pareil, ça m’a d’abord effrayée parce que j’ai toujours peur d’un délire écologiste. Mais non ! C’est d’abord très bien écrit et l’auteur, qui connaît très bien le Japon et parle japonais, va d’abord à la rencontre des gens. C’est à la fois magnifique et très impressionnant. Le plus beau livre sur Fukushima à mes yeux.
- Philippe Pelletier : « La fascination du Japon ». A proportion de la fascination exercée, les idées reçues abondent sur le Japon : les Japonais copient tout et en mieux, le Japon est le paradis de la haute technologie, le Japon est le pays des robots et des mangas, le miracle économique japonais, les Japonais travaillent trop, la jeunesse japonaise est désespérée, la femme japonaise est soumise à son mari, le Japon est submergé par le sexe et la violence … Tous ces clichés, ces idées toutes faites, Philippe Pelletier les démonte habilement.
- Elisabeth Barillé : « Une légende russe ». De très loin, le meilleur livre récent évoquant la Russie. Ce qui m’a intéressée, c’est le croisement des deux cultures dans ce récit d’Elisabeth Barillé. La française d’abord (elle a eu pour guide Georges Bataille et Nietzsche), la russe en second (son grand-père a fui la Révolution d’Octobre). Il faut ajouter qu’Elisabeth Barillé est un auteur à la réputation un peu sulfureuse, ce qui est encore plus intéressant. Elle s’est donc rendue en Russie, pendant quelques semaines, il y a deux ans, en cherchant de plus à emprunter les pas de Lou Andréas Salomé et de R.M. Rilke. C’est très beau, très juste et on perçoit bien que l’auteur a une connaissance intime de la Russie.
- Velibor Colic : « Sarajevo omnibus » - Un portrait de la ville de Sarajevo en 1914 et des principaux protagonistes de l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand. Outre Gavrilo Princip, on rencontre plein de personnages extraordinaires : Ivo Andric, futur prix Nobel de littérature, « la main noire », organisation terroriste guidée par la Russie pour libérer les Serbes de l’Autriche-Hongrie. Un récit épatant qui ravira tous les amoureux des Balkans.
- Philippe Moreau- Sainz : « Mazurka ». J’ai trouvé l’idée de départ géniale : une jeune française en voyage touristique à Varsovie est victime d’une substitution d’identité avec attribution d’un passeport polonais. J’imagine fort bien ce que ça peut être parce que la Pologne, c’est quand même l’un des pays les plus mystérieux de l’Europe. Surtout, cette foutue langue terrifiante à la lecture et à l’écoute. Dommage que l’auteur n’aille pas jusqu’au bout dans l’exploration de ce thème et se perde dans des rêveries un peu vaseuses. C’est sans doute qu’il ne connaît pas assez la Pologne pour pouvoir aller plus loin. C’est peut-être le livre dont j’aurais du avoir l’idée.
- Sara Daniel : « Guerres intimes ». De l’Afghanistan à la Syrie, en passant par l’Irak, la Lybie, le Pakistan, le Yemen, les récits de Sara Daniel, grand reporter au Moyen-Orient et rédactrice au service étranger du « Nouvel Observateur ».
- Jean-Noël Brégeon : « 1812 – La paix et la guerre ». L’Europe a déjà existé. C’était en 1812 et c’était sans doute une réalité plus forte qu’aujourd’hui. Peu de Français savent par exemple que la ville de Hambourg, en lointaine Allemagne du Nord, était sous administration française. Je sais bien qu’en France, il est absolument indécent d’avouer qu’on s’intéresse à Napoléon mais, pour moi, il était avant tout l’incarnation de l’esprit de la Révolution. C’était aussi l’époque d’un bouillonnement culturel et politique extraordinaire avec des figures aussi remarquables que Hegel, Beethoven, Chateaubriand.
- Michael Lewis : « Boomerang ». Evidemment, c’est un livre d’économie mais j’en lis beaucoup. Le précédent bouquin de Michael Lewis, « Le casse du siècle », était probablement le meilleur consacré à la crise financière. Dans « Boomerang », on voyage en Europe : l’Islande, la Grèce, l’Espagne, l’Irlande, l’Allemagne. Ce n’est évidemment pas très flatteur ; c’est même féroce dans la dénonciation de nos hypocrisies mais j’ai trouvé que c’était très pertinent.
Images de la grande illustratrice française, Margot Macé.
Je vous recommande aussi un film bulgare formidable : « Avé » de Konstantin Bojanov
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