dimanche 13 mai 2012
L'idole
Etre une femme jeune et belle, ce n’est pas aussi simple qu’on l’imagine.
Ca n’a rien à voir, en tous cas, avec l’expérience neutre et atone d’un mec, fût-il très beau. La beauté, la séduction, un homme ne peut pas savoir ce que c’est. La fulgurance d’une belle fille, c’est incomparable.
Certes, c’est exaltant de sentir tous ces regards qui se posent sur vous, vous déshabillent, vous auscultent. Des dizaines de types, chaque jour, vous pèsent, vous évaluent, vous catégorisent et, dans les avis exprimés, l’odieux le dispute évidemment au superlatif
Et la sollicitation est permanente, ça vient de tous, les vieux comme les jeunes, les horribles comme les beaux, les coincés comme les libidineux. Des toutous guettant tous, éperdument, une approbation.
C’est sûr que ce sont des moments de triomphe. Chaque femme le sait : il y a un plaisir fou à être regardée. C’est là que se mesure la puissance féminine et je crois que, pour une femme, le drame, la dépression, c’est quand ce regard se dérobe.
J’ai même tendance à penser que, comparée à celle des femmes, la vie des mecs est triste et misérable tout simplement parce que ce ne sont pas eux qui choisissent et décident et qu’ils ne parviennent à séduire qu’au prix d’une effrayante compétition économique et professionnelle. Mais c’est vrai que je dois être influencée par mes origines : ce n’est pas pour rien que je viens de la ville de Sacher Masoch et Bruno Schulz.
Qui a dit que les femmes étaient d’éternelles assujetties ? La complète égalité des sexes, c’est le grand fantasme contemporain mais on sait bien qu’il n’y a que les féministes qui y croient. L’égalité, c’est pour ceux qui n’aiment pas le rêve, le désir mais ce qui est sûr, c’est que la relation passionnelle et érotique n’a rien d’égalitaire : ce sont des rapports de pouvoir et même de force et c’est ça qui fait le sel de la vie.
Et là, pas d’angélisme : il n’y a aucune sincérité dans l’amour, dans la passion; il n’y a que des crapules et des salopards. Simplement, ces crapules et ces salopards sont ou bien magnifiques ou bien lamentables. Mais dans ces jeux retors, les femmes ne sont certainement pas les plus innocentes et les plus candides.
La femme triomphante, l’idole, il faudrait donc avoir quelquefois l’honnêteté d’en parler. Ca nous changerait des soupes misérabilistes et victimaires qu’on nous sert quotidiennement.
C’est vrai cependant que la gloire de la femme n’est pas anodine. Ca se paie d’une fragilité existentielle :
- c’est d’abord le dédoublement psychologique dans le quel vit une femme, surtout si elle est belle. La psychologie d’une femme, ça n’a rien à voir avec celle d’un mec qui est toute simple. Un mec, il est ce qu’il est, il se voit sous la forme d’une identité immédiate, il coïncide bêtement avec son corps. Une femme, elle, elle se voit bien sûr elle-même mais elle se voit en même temps vue par les autres. « Elle se regarde en train d’être regardée », elle est construite par les autres. « Il y a en soi un (une) autre que soi qui juge et jauge le soi », et il faut éviter le plus petit dérapage par rapport à l’identité qu’on veut donner.
Ca impose une tension, un contrôle continuels. C’est vidant, épuisant. Et puis, il y a un autre dédoublement : c’est cette image d’un corps parfait, idéal, véhiculé par les media, auquel on veut à tout prix se conformer. On veut être d’une beauté éternelle, marmoréenne. C’est l’aliénation complète ; ça vous aspire complètement, c’est bouffant, destructeur. Ca repose finalement sur une véritable haine de soi-même, de son corps vivant.
- c’est aussi l’hostilité et même la haine suscitée par la beauté d’une femme. Ca aussi, on en parle très peu parce que ça ne suscite guère la compassion mais c’est une réalité à affronter. C’est un autre aspect du monde de la compétition dans lequel on vit et, dans ce contexte, on peut dire que c’est aussi violent que la lutte des classes. C’est vrai que la beauté, la jeunesse, ce sont des injustices et des scandales absolus.
Et l’apparition de la beauté, ça suscite forcément la souffrance, celle des hommes, bien sûr, mais aussi celle des femmes. La beauté est une incitation au crime; on a envie d’humilier, assassiner une jolie fille et ça explique beaucoup de comportements, beaucoup de conflits, pas seulement individuels mais aussi politiques (pourquoi déteste-t-on l’Occident, si ce n’est pour des motifs venant des tréfonds de nous-mêmes ?).
Enfin voilà ! Tout ça pour vous dire que la symétrie des désirs, du vécu, de l’homme et de la femme, je n’y crois pas une seconde. Le destin, les frontières, ça existe malgré tout.
Tableaux de Elzbieta Mozyro, jeune peintre polonaise.
J’ai écrit ce post après la lecture, enthousiaste, du dernier livre de Nancy Huston : « Reflets dans un œil d’homme ». Attention, ce n’est pas un compte rendu de ce bouquin. Ce sont les simples prolongements que j’y ai trouvés et je tiraille sans doute la pensée de Nancy Huston.
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