dimanche 14 avril 2013
La vie formelle
Voilà ! Je poursuis imperturbablement mon blog à la cadence presque inflexible d’un post hebdomadaire publié le week-end. Peu importent les vicissitudes et même la finalité. Il devient presque sa propre fin.
Contrairement à ce qu’on peut, peut-être, imaginer, ma vie est très organisée, très découpée, avec des temps, très stricts, consacrés à chaque chose : le travail, le sport, la lecture, l’amour… L’improvisation, je ne connais pas trop mais c’est comme ça que je suis d’une persévérance absolue et que j’ai l’impression d’avancer.
En fait, je n’aime pas être soumise aux contingences, aux anicroches de la vie quotidienne. Je déteste les problèmes matériels et c’est pour ça que j’aime bien vivre avec de grands principes, de grandes règles qui me donnent le sentiment de les surmonter.
Mon modèle en la matière, c’est Emmanuel Kant. Je ne vais pas dire que je suis une spécialiste de sa pensée, je n’ai pas dû en comprendre plus de deux ou trois idées. Simplement, je me suis pas mal intéressée à sa vie même si celle-ci n’a à peu près aucun intérêt. D’abord, parce qu’il vivait à Könisgsberg, devenu Kaliningrad, en Union Soviétique, après la guerre.
De la ville qu’a connue Emmanuel Kant, il ne subsiste aujourd’hui pratiquement rien. En revanche, la campagne avoisinante, celle de l’ancienne Prusse Orientale, est toujours là et c’est une région magnifique répartie aujourd’hui entre la Pologne, la Russie et la Lituanie : une multitude de lacs, des forêts profondes de pins, de bouleaux, de bruyère, une mer grise qui se confond avec le brouillard, de longues plages de sable fin rythmées par des dunes, des manoirs mystérieux, des maisons en bois souvent peintes de bleu. J’ai eu la chance de passer plusieurs vacances là-bas, c’est vraiment très singulier et je crois que ça permet de mieux comprendre Kant.
De la vie de Kant, disons qu’il a voulu l’organiser selon les seules lois de la raison de telle sorte qu’il puisse la maîtriser complètement et qu’il ne lui arrive finalement jamais rien. Les passions, les émotions, les sentiments, les accidents de la vie, ça ne devait pas influencer sa conduite. Il s’agissait de vivre dans la seule abstraction des principes édictés et c’est comme ça qu’il estimait toucher à l’universalité de la condition humaine. Ca se traduisait en fait chez Kant par une conduite obsessionnelle, confinant à l’absurde et au ridicule, avec un emploi du temps d’une régularité d’horloge et une vie quotidienne incroyablement répétitive. Mais cette organisation parfaite, ça faisait aussi la grandeur de sa vie.
Evidemment, ce n’est pas à une vie comme ça que j’aspire. Mais j’ai toujours été fascinée par cette exorbitante volonté de puissance et de maîtrise de soi. C’est tout le contraire de l’esprit de notre époque où l’on exhorte à s’abandonner à ses sentiments et émotions.
La pulsion, l’affect, ce serait notre vérité profonde, pense-t-on aujourd’hui. Sans doute mais il faut aussi savoir ne pas vivre sous leur dépendance. La maîtrise, l’abstraction, c’est quand même plutôt ça qui signe notre liberté.
J’avoue que j’attache du prix au formalisme des relations humaines au risque de passer pour totalement insincère et indécryptable. La civilité, l’égalité d’humeur, je trouve ça très important et c’est notamment l’une des raisons pour les quelles j’aime tant le Japon. La spontanéité, l’émotion, ce n’est vraiment pas mon truc. Mais c’est sans doute aussi ce qui rend la relation très difficile avec moi ; je dois être réfrigérante : qu’est-ce que je pense vraiment ?
Sans doute ! Mais je suis convaincue que la plus grande beauté de la vie, ce n’est pas son immédiateté, c’est son abstraction, son formalisme.
Tableaux du peintre futuriste italien Gerardo Dottori inspirés par le thème célèbre de la spirale de Fibonnaci et de la mathématisation du monde.
Sur la vie de Kant, il existe un très bon livre d’un philosophe russe : Arsenij GULYGA : « Immanuel Kant – sa vie et sa pensée ». Ca a été traduit en France dans les années 80 et ça doit pouvoir encore se trouver.
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