La plupart des gens semblent « coller » sans difficultés à leur statut professionnel, social. Ils y trouvent leur définition et ils endossent sans rechigner, voire avec jubilation, le costume qu’on leur tend.
Sans doute, celui-ci correspond-t-il à leurs attentes, leurs rêves de jeunesse.
Mais il y en a également d’autres, et j’en fais partie, pour qui ça n’est pas si évident que ça.
Ca exige en effet un énorme effort d’adaptation.
Un jour, on quitte le monde étudiant et on se met à vivre sous le regard des autres. Finie, alors, notre relative liberté de comportement. Notre identité profonde est obligée de se conformer, qu’on le veuille ou non, au moule qui nous est imposé. Ce n’est pas seulement une apparence vestimentaire, c’est aussi une attitude générale, un mode de pensée et surtout l’intériorisation de barrières sociales d’autant plus fortes qu’elles sont niées.
Une identité sociale, ça s’acquiert en fait au prix de l’élimination de multiples autres possibilités.
C’est pour ça qu’en ce qui me concerne, je me suis toujours demandé : « qu’est-ce que je fais là ? ». Je me sens toujours un peu à côté, à distance, observatrice. Je doute de ce que je suis devenue moi-même. Mon rêve le plus fréquent : je suis obligée de repasser tous mes examens et concours et, bien sûr, j’échoue lamentablement.
Je suis certes maintenant quelqu’un de plutôt privilégié mais pour moi, ça s’est fait par une succession de hasards incroyables et ça n’est surtout pas le fruit de mes mérites ou de ma volonté. J’ai juste un petit talent financier mais pour le reste, c’est vraiment le grand survol même si je sais faire illusion. Je n’ai jamais cru en mon destin et je me suis plutôt toujours baladée en touriste mais avec efficacité : ça ou autre chose…, « warum nicht » ? Ma seule préoccupation, ça a été, en fait, ma survie économique.
Plutôt que d’habiter, aujourd’hui, près du Parc Monceau à Paris, je pourrais ainsi, tout aussi bien, vivre maintenant dans la banlieue d’une quelconque ville ukrainienne ou bien à Téhéran, près de la place Vanak, voire à l’extrême Est de la Slovaquie, l’un des endroits les plus glauques d’Europe. Je ferais sûrement du business, du trafic, de l’import-export ou bien je tiendrais une boîte de nuit (sauf à Téhéran évidemment). Ca aurait été plus logique et, là-bas, je ne serais d’ailleurs peut-être pas plus malheureuse.
On voudrait croire que notre destin est programmé, tout tracé, et qu’on est prédestinés à faire certaines choses. On n’admet pas en fait que notre vie puisse être régie par le hasard et c’est pour ça qu’on adopte tout de suite le premier masque qui nous est offert.
En fait, dans la vie sociale, on est tous déguisés, tous imposteurs. Les plus malins, les plus opportunistes, les plus chanceux parviennent à émerger.
Ce qui est important, c’est d’avoir bien conscience de ça. Ca permet d’éviter de se prendre trop au sérieux. Ca permet aussi de trouver détachement et légèreté.
Savoir qu’on incarne une individualité possible parmi des milliers d’autres, qu’on porte un masque temporaire, c’est finalement émancipateur. L’avenir est ouvert. On peut se réincarner, se métamorphoser. Que ferai-je, où serai-je dans un an, dans 10 ans ? Le plus intéressant, c’est peut-être d’envisager quelque chose qui va à l’encontre de ce que l’on croit être sa nature profonde : poète / mathématicienne; sainte / débauchée; cul-de-plomb; aventurière/; hétérosexuelle / lesbienne.
Un mélange pictural : Milen Marinov (Bulgarie); Alex Alemany (Espagne); Arunas Rutkus (Lituanie) ; Misha Gordin (Russie) ; Agaphya Belaya (Russie) ; Natalya Makovetzkaya (Ukraine) ; Alexandra Nedzvetskaya (Russie).
Sur le sentiment d’imposture, je recommande le bouquin formidable de Louis Althusser : « L’avenir dure longtemps ». J’ai l’impression que c’est le seul bon livre qu’il ait écrit. Le reste de sa pensée, c’est aussi une imposture.
2 commentaires:
Merci de m'avoir signalé de livre de J. Maarten Troost, "La vie sexuelle des cannibales". Bien sûr, il fait un peu double emploi avec "Paradis (avant liquidation)" de Julien Blanc-Gras, mais je le lis avec le même plaisir et le même intérêt. Le style, l'esprit et l'humour du livre de Troost sont très proches de ceux de l'ouvrage de Blanc-Gras.
Oui, Nuages ! mais on peut dire que le livre de Troost est encore plus ravageur.
C'est d'un esprit très anglo-saxon dont l'humour féroce rappelle fortement Erci Newby.
J'avoue qu'après avoir lu Troost, on n'a vraiment pas envie d'aller sur les îles Kirabati.
Ca n'est pas le cas après la lecture de Julien Blanc-Gras.
Carmilla
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