samedi 2 novembre 2013

« Ma mort partout, ma mort qui rêve »


 Enfin…, Novembre est arrivé, mon mois préféré; sa langoureuse mélancolie… On s’enfonce dans la nuit, le froid, la brume.

C’est aussi le mois des morts. Difficile de parler de ça aujourd’hui sans susciter des ricanements réprobateurs ou être taxée de kitsch.



Pour moi, les 1er et 2 novembre, c’est lié à des souvenirs très forts en Pologne et en Russie ; des cimetières en feu, illuminés par des milliers de bougies, et aussi ces étranges rites funéraires slaves : en Pologne, on photographie abondamment les enterrements et, comme pour les mariages, on en fait des albums ; en Russie, chez les orthodoxes, on transporte le mort, depuis son domicile jusqu’à l’église, dans un cercueil grand ouvert. Sans doute, là-bas, on vit dans une plus grande proximité avec la mort.


Mais d’une manière générale, on vit maintenant dans des sociétés où la mort est devenue pornographique. A l’inverse, le sexe est devenu légal, presque un impératif catégorique. C’est le grand bouleversement « religieux » de ces dernières décennies : la « libération » du désir a eu pour contrepartie l’occultation de la mort.



On le sait bien, on nous entretient dans le déni, l’occultation de la mort. On met à l’écart les vieux, les malades, on ne veut plus les voir, on les relègue et les enferme dans de sinistres hôpitaux et maisons de retraite où ils sont abandonnés à l’infamie et au sadisme médical. Quant aux cimetières, plus personne ne les fréquente et, du reste, ils devraient bientôt disparaître puisque la tendance est maintenant de se faire incinérer.

C’est la victoire de l’hygiénisme, l’élimination forcenée de la souillure.



Sauf qu’à force de tout vouloir récurer, lessiver et éponger, notre culture se trouve elle-même contaminée et devient une culture de mort, glacée, pétrifiée, entièrement fonctionnalisée. Le grand fantasme de la sécurité généralisée, de la programmation totale, de la prévisibilité absolue. On est dans l’âge du fonctionnaire décrit par Kafka : celui de « citoyens » pétochards, aujourd’hui « écolo-responsables », qui ne se définissent plus que par le statut qui leur est assigné, leur code de comportement et de pensée. La société bureaucratique, c’est évidemment la première expression de la culture de mort.



Nos nécropoles ne sont donc effectivement plus nos cimetières mais tous ces lieux inhumains de la « convivialité » urbaine et du pouvoir technocratique : les centres commerciaux, les aéroports, les parcs de loisir…, tous ces cercueils de verre qui me font complètement flipper.

Mais le triomphe absolu de la culture de mort, c’est sans doute l’informatique : avec  la constitution de cette immense mémoire artificielle, l’archivage complet, la cryogénisation, de nos vies et de notre savoir, on s’enterre complètement dans nos ordinateurs sous forme d’octets et de « cloud ».


Je suis sans doute très elliptique mais voilà où j’en suis de mes réflexions sur la mort. Mais, comme je suis classique en la matière, je tiens quand même à fêter dignement la Toussaint et le jour des morts. Je me fais donc très belle, ces jours là, pour aller dans les cimetières.  Disons, pour simplifier, que je m’habille en russe : talons, maquillage, jupe courte. Si j’en juge aux regards qui me sont décochés, c’est diversement apprécié.





Tableaux du peintre symboliste allemand Carlos SCHWABE  (1866-1926)

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