Les problèmes d’argent, je ne veux pas en entendre parler. Je dépense d’abord, je vois après :
Je rêve du Japon, je prends un billet d’avion pour Tokyo.
Des fringues ou des pompes me plaisent, j’achète.
A la Fnac, tout ce qui m’intéresse, livres, CD, tablette, remplit tout
de suite mon sac.
Je trouve des ormeaux ou des légines chez Daguerre, j’organise tout de
suite un festin avec les copines.
Je déteste l’esprit d’économie, les comptables, les avares.
Je consulte le moins possible mon compte en banque, je ne fais pas de
budget prévisionnel, je me veux au-dessus de ça. J’achète des actions et après,
je me désintéresse de l’évolution de leur cours. Je regarde seulement de temps
en temps où ça en est. J’ignore où j’en suis avec le fisc, je sais tout juste
que c’est beaucoup.
Ca peut, peut-être, sembler bizarre pour quelqu’un qui, comme moi,
travaille dans le domaine de la finance. Mais je pense justement que les bons
financiers sont des gens qui entretiennent une certaine distance avec l’argent.
Ce qui est sûr, c’est qu’on ne devient pas riche en économisant sou à sou. Il
faut plutôt, paradoxalement, savoir dépenser et accepter de perdre.
C’est vrai aussi que ma belle attitude détachée, c’est facilité par le
fait que, de l’argent, je dois l’avouer, j’en ai suffisamment pour ne pas avoir
à y penser. Ce n’est pas que je sois riche, simplement, j’ai des besoins très
circonscrits.
En écrivant cela, je sais bien que je peux apparaître scandaleuse, voire
insultante. C’est difficile dans un pays comme la France où la rancoeur et la
jalousie sociales sont extrêmes. Dans ma vie sociale et professionnelle, je
suis très vigilante là-dessus, je la joue, le plus possible, profil bas. Je me
présente comme une obscure technocrate. Comme ça, j’ai encore une double vie.
C’est sûr que ma situation relativement privilégiée peut apparaître
injuste parce que je n’ai sûrement pas travaillé plus que les autres pour en
arriver là. Mais ça ne l’est peut-être pas complétement non plus parce que je
ne suis pas entièrement « substituable » : mon boulot, peu de
gens peuvent l’exercer et puis, je ne
suis jamais à l’abri d’un crash qui me vaudrait plongée dans l’indignité.
Mais au total, c’est quand même vrai que je peux m’interroger sur la
légitimité de ma situation matérielle. Parfois, j’éprouve un sentiment
d’imposture ou de culpabilité mais on ne peut pas non plus vivre avec ça.
Valeria Bruni-Tedeschi a admirablement exprimé ça dans ses films et, surtout,
elle l’a transfiguré en adoptant un humour ravageur, en renvoyant dos à dos les
riches et les envieux.
L’argent, c’est sûr, corrompt. Pas seulement celui qui en possède mais
aussi ceux qui n'en ont pas, les pauvres, et finalement ca contamine l’ensemble des relations interindividuelles. Sans cesse, on vous évalue, vous
jauge en fonction de votre supposée fortune. Chez beaucoup, c’est même une
obsession et l’argent va jusqu’à structurer nos relations amoureuses. C’est
d’autant plus fort que c’est occulté mais on est bien rentrés dans l’âge du
cynisme affectif avec, pour ingrédients, la jalousie et la mise à l’écart des
déshérités.
On déteste tous, bien sûr, les riches mais ils nous fascinent et on
méprise aussi les pauvres.
D’ailleurs, le vrai problème n’est pas de manquer d’argent. Ce qui est
jugé intolérable, c’est que d’autres en aient. L’égalitarisme, la vertu, ce
n’est souvent que l’envers de la haine.
A cause de l’argent, il est donc bien difficile d’établir une relation
d’égalité, désintéressée, avec quelqu’un. Trop souvent, soufflent les mauvaises
passions de la jalousie. C’est l’une des rançons de l’esprit démocratique
poussé à l’extrême.
Images du peintre expressionniste-abstrait américain Richard Diebenkorn
(1922-1993)
Sur l’argent, je conseille deux livres :
-
Jean-Claude
Carrière : « L’argent – sa vie, sa mort »
-
Niall
Ferguson : « L’irrésistible ascension de l’argent »
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