Il y a un paradoxe: dans nos sociétés, on est soumis à une injonction collective, très forte, de transparence, authenticité, vérité; mais il faut bien reconnaître qu'on ne s'y conforme pas trop et qu'on a, même, de plus en plus, tendance à mentir.
- son statut professionnel; on bidonne d'abord son CV: on a fait d'obscures études dans de grandes écoles inconnues de gestion / management / coaching; on a des masters à bac + 10; ensuite, on se présente comme quelqu'un d'important dans sa boîte, un rouage essentiel à fortes responsabilités.
- sa rémunération; là, ça dépend de l'interlocuteur. Tantôt, on se déclare quasi-smicard, c'est une honte, un scandale tellement on nous exploite. Tantôt, on déclare émarger à plus de 10 000 euros mensuels. De toute manière, l'argent, on est au-dessus de ça.
- son implication au travail; on est forcément des héros sans lesquels tout s'écroulerait. On se donne totalement à son boulot, on se tue complètement. La preuve: on balance des mails à 4 heures du matin, le dimanche. On est respectés, adorés, appréciés par ses chefs, ses collègues.
Evidemment, sur tout ça, il y a souvent un abîme entre ce qu'on déclare et la réalité.
Le pire, c'est, bien sûr, dans la séduction amoureuse. Soi-même, on est quelqu'un d'extraordinaire. On n'a que des qualités; surtout on est des purs ! Rien de vicieux, de méchant en nous. Sur son passé amoureux, on est très prudents. On ne va, bien sûr, pas raconter qu'on est prude ou cynique, qu'on a multiplié les amants ou alors qu'on est quasiment vierge. On se tient donc dans un juste milieu et on raconte qu'on a été, jusqu'alors, malheureuse, insatisfaite. On ne va tout de même pas dire qu'on ne s'est jamais fait sodomiser et qu'on n'aime pas la fellation ou alors, au contraire, qu'on s'est fait, effroyablement, culbuter et qu'on en a vu de toutes les couleurs et qu'alors on cherche simplement, aujourd'hui, à échapper à l'ennui de la vie et qu'à ce titre, à peu près n'importe quel chien coiffé peut faire l'affaire.
La vie sociale, relationnelle, amoureuse, n'est, comme ça, qu'un empilement de mensonges, petits et grands. Il faut avoir le courage de le reconnaître. En ce qui me concerne, rien ne m'insupporte plus que les gens qui prétendent ne jamais mentir.
Du reste, le mensonge n'est pas, absolument, condamnable. On construit sa personnalité dans l'opposition, c'est à dire en apprenant à mentir. Un enfant qui ne dirait que la vérité n'aurait tout simplement aucune individualité. Les gens les plus intelligents sont les plus grands menteurs. La transparence est réductrice, destructrice. Mentir, c'est aussi une démarche créatrice, celle d'un rebelle qui refuse les codes imposés.
Mais ce qui est effrayant, aujourd'hui, c'est qu'on ne ment plus pour séduire ou s'affirmer mais, simplement, pour se conformer à tous les idéaux sociaux. On ment par conservatisme et non par esprit de subversion. On est broyés, écrasés, par les codes de bonne moralité et de réussite sociale. Notre ambition, c'est le conformisme: devenir personnalité médiatique, cadre d'entreprise, prof, écolo-responsable, alter-mondialiste, contre "la Finance" et l'Hyper-Capitalisme, exemplaire, vertueux, plein de compassion affichée, dégoulinant de bonté. Rien que des foutaises, quoi... mais pour lesquelles on est prêts à toutes les servilités et mensonges !
Tableaux d'un jeune peintre polonais : Henryk LASKOWSKI. Il est, fortement, inspiré par Magritte. C'est pour ça que je l'ai choisi. Magritte, c'est, en effet, le grand peintre de l'apparence, du mensonge et de l'ambiguïté. Mais tout le monde connaît, maintenant, ses tableaux par cœur.
Sur le thème du mensonge, je renvoie, par ailleurs, à un film bulgare: "Avé" de Konstantin BOJANOV (sélection Cannes 2011) dont le slogan est: "Plus elle ment, plus on l'aime"; et, aussi, au livre d'Emmanuel Carrère "L'adversaire" consacré à Jean-Claude Romand. Mais surtout, bien sûr, le plus grand livre consacré au mensonge amoureux, social, est "La recherche du temps perdu" de Marcel Proust. Sur cette question, il faut lire l'extraordinaire bouquin de Gilles Deleuze: "Proust et les signes".
Et à propos de cinéma, je vous conseille: "Sous-sol" d'Ulrich SEIDL et "Asphalte" de Samuel Benchetrit.
Je me suis enfin réjouie de l'attribution du Prix Nobel de la Paix au "Dialogue" tunisien et du prix Nobel de littérature à Svetlana Alexievitch. Si vous ne la connaissez pas, je vous conseille de lire son article publié dans le Monde du 14 mars 2014: www.lemonde.fr/idees/article/2014/03/14/poutine-et-les-bas-instincts_4383478_3232.html
9 commentaires:
Sur ce même sujet, je conseillerais de visionner le DVD de "L'invention du mensonge" (The Invention of Lying), bêtement affublé, parfois, d'un autre titre, plus racoleur ("Mytho-Man"), de et avec Ricky Gervais. C'est peut-être un film "grand public" mais il est très bon dans ses deux premiers tiers (après, il devient un peu trop une comédie romantique à l'américaine).
L'histoire se déroule dans un monde en apparence semblable au nôtre, mais où tout le monde dit absolument la vérité, même la plus cruelle ou la plus cynique, jusqu'au jour où un homme, placé dans une situation critique, profère le premier mensonge...
L'hypocrisie est l'ommage du vice à la vertu !
Jean - François de Larouchfoucault
Autant j'apprécie beaucoup les Pays-Bas que beaucoup trouvent immoral du point de vue moeurs...
Je suis incapable de mentir pour seduire/marketing affectif!
On joue pas avec les sentiments des gens ... C'est de la haute malhonnêteté!
Thierry
Bonjour Nuages,
Je ne connais pas ce film mais il semble vraiment intéressant. Impossible de dire tout le temps la vérité sauf à briser, rapidement, tous les liens sociaux. Difficile de dire à une femme qu'elle a vieilli ou grossi par exemple.
Carmilla
Merci Thierry pour votre commentaire.
Je comprends votre horreur du mensonge mais, quand même, est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'en dépit de toutes nos déclarations vertueuses, on ment de plus en plus?
Carmilla
Oui en politique c'est évident!
Merci Anonyme pour votre message.
Vous avez évidemment raison mais c'est vrai que je n'ai pas développé cet aspect du mensonge politique dans mon post.
Ce sera probablement dans un futur post.
Merci
Carmilla
L'homme est entièrement coupable à l'instant où il ment ; par conséquent, malgré toutes les conditions empiriques de l'action, la raison était pleinement libre, cet acte doit être attribué entièrement à sa négligence.
KANT
Merci Kogan,
Vous avez raison de rappeler l'impératif kantien.
Mais il faut bien reconnaître qu'avec les contraintes du paraître, beaucoup se retrouvent piégés dans le jeu social au point qu'ils en viennent à mentir "de bonne foi". Ils croient eux-mêmes à leurs mensonges qui deviennent plus forts que la réalité.
Carmilla
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