samedi 26 janvier 2019

La vie serait un jeu

On se déclare tous épris d'équité et de justice...

On dit qu'il faut que le travail paie davantage, on juge scandaleuses les rentes financières ou immobilières.

Mais pour ce qui concerne chacun de nous, on rêve tous, intérieurement, d'échapper aux dures lois de la vie économique, celles du travail et du mérite.

On n'éprouve ainsi aucun scrupule à rêver de devenir, un jour, gagnant du Loto ce qui est, pourtant, le comble de l'injustice car contraire à toutes les règles méritocratiques.


De cette aspiration à s'affranchir des contraintes de l'économie, témoignent, par exemple, les sommes importantes consacrées, chaque année, au jeu par les Français (source Ministère des Finances):

- Loto et autres jeux: 16 milliards d'euros
- Courses (PMU): 10 milliards
- Casinos: 13 milliards
- Jeux en ligne : 9 milliards.

Ça totalise donc 48 milliards et c'est bien sûr une activité qui pèse économiquement très lourd même si c'est, en grande partie, redistribué. C'est, par exemple,  plus que le Budget de la Défense (36 milliards) et près de cinq fois plus que le Budget de la Culture (10 milliards).


Si on se limite au seul Loto, on note qu'un peu plus de 17 millions de Français y joueraient régulièrement. Ils y consacreraient autant d'argent que pour l'achat de fruits et légumes, ou pour l'acquisition de meubles, ou pour l'ensemble du poste presse, livre et papeterie. Ça laisse rêveur...

Alors même qu'on est en période de crise, le chiffre d'affaires de la Française des Jeux progresse insolemment depuis 10 ans. C'est en fait une entreprise très rentable pour l’État car c'est un impôt qui ne dit pas son nom. Et le plus terrible, c'est que ce sont les catégories modestes (qui jouent le plus) qui s'en acquittent. C'est, en fait, un impôt sur les pauvres allégrement payé et dont personne ne s'offusque. Et puis, ça revient à cautionner un système parfaitement immoral où une grande masse de perdants enrichit quelques gros gagnants. C'est pire que le capitalisme le plus sauvage.




 Le jeu, ça n'est donc vraiment pas marginal dans une économie pourtant globalement dominée par l'échange marchand et la rationalité des prix.

Surtout qu'au-delà des jeux pour le peuple, ci-dessus évoqués, il existe les grandes activités spéculatives qui drainent des sommes beaucoup plus considérables: celles qui s'exercent sur le marché de l'Art et sur les marchés boursiers.

Les principes de fonctionnement de ces marchés sont cependant les mêmes que ceux des petits jeux: il y a les gagnants et il y a les perdants mais c'est une opposition frontale: le bonheur des uns fait le malheur des autres. Il n'existe pas, en effet, de marché où tout le monde serait gagnant ou bien tout le monde perdant. On est toujours gagnant ou perdant au détriment ou au profit d'un autre et c'est pourquoi, même quand un marché s'effondre, il n'y a pas que des perdants mais aussi de nombreux gagnants: la crise des subprimes ou le système Madoff n'ont pas appauvri tout le monde. Ce ne sont jamais les moutons qui gagnent mais les renards qui s'avancent à contre-courant.


Ces deux sphères, celles de l'Art et de la Bourse, sont aujourd'hui étrangement connectées, les chefs d'entreprise aimant s'afficher en esthètes et amateurs d'Art (Arnault, Pinault): c'est le capitalisme artiste accompagné de tous ses "requins, ses caniches et autres mystificateurs". La bulle dorée de l'art contemporain (Jeff Koons, Damien Hirst, Maurizion Cattelan, Murakami, Paul Mc Carthy) est issue de cette nouvelle ostentation.



Je ne veux pas porter de jugement négatif sur l'Art contemporain. Comme l'a bien exprimé l'écrivain Pierre Lamalattie ("L'Art des interstices"), c'est plutôt sympa et rigolo. Mais il est évident que sa valorisation est déconnectée de toute réalité, de tout critère tangible. Les caniches risquent donc fort de se retrouver, un jour, brutalement tondus. La liste des artistes cotés est continuellement mouvante et une œuvre de Jeff Koons par exemple, victime d'une éventuelle désaffection, peut, dans quelques années, n'avoir qu'une valeur à la ferraille.


Quant aux marchés des actions, il suffit de noter que les capitalisations boursières nationales sont souvent égales au Produit Intérieur Brut (PIB) du pays concerné et parfois même très sensiblement supérieures (Etats-Unis avec plus de 150 %). Ça laisse donc augurer une belle dégringolade.  

On se rend compte au total que les chances de gagner, lorsqu'on s'adonne au jeu ou à la spéculation et que l'on n'est pas un expert, sont vraiment faibles. Le plus probable, c'est qu'on va se faire plumer.


Pourquoi s'y adonne-t-on malgré tout ? L'attrait irrésistible du jeu illustre sans doute l'infinie capacité humaine à s'illusionner et à nier le principe de réalité.
 
Peut-être aussi que si on joue, ce n'est  pas tellement pour gagner: on n'y croit quand même pas trop.

C'est d'abord pour entretenir une petite lueur dans la grisaille de sa vie quotidienne avec cette illusion que tout n'est peut-être pas définitivement figé, que notre vie propre peut encore basculer.

Freud indique enfin une deuxième piste: on joue non pas pour gagner mais pour perdre. Il suffit de relire Dostoïevsky. On joue pour éprouver son effondrement personnel, pour voir s'ouvrir le gouffre de sa déchéance et de sa mort. On joue finalement pour apprendre à maîtriser l'angoisse de sa mort.

Et c'est alors que le monde se trouve tout à coup paré d'une étrange beauté. 

"Tout est plus beau quand j'ai perdu, la mer, les arbres, les nuages comme si je ne devais jamais les revoir. Quand j'ai gagné, je ne regarde rien" (Jacques Dutronc à la fin du film "Tricheurs" de Barbet Schroeder).

Oeuvres de: Zao Wou Ki; Basilica Palladiana (Vicenze); Adam Martinakis; Marina Altares; Jeff Koons; Marc Ange; Sou Fujimoto; Andy Goldsworthy; Fondation Vasarely.

12 commentaires:

Richard a dit…

Bonsoir madame Carmilla.
Félicitation pour votre texte, c'est à mon tour de vous féliciter, vous l'avez déjà fait à mon endroit.
La vie serait un jeu ?
Pas serait, elle est un jeu, qui dépasse les gains et les pertes, nos grisailles quotidiennes, nos rêves les plus fous, nos désirs les plus exacerbés, surtout lorsque vous prenez des risques qui ne vous rapporteront rien matériellement en explorant des univers inconnus, en donnant du temps, en portant aide et réconfort. Nulle attente, là vous plongez, et si cela réussit, vous vous sentirez drôlement bien. Je n'ai jamais pris un billet de loto de ma vie et je ne le ferai pas. Mathématiquement vous avez plus de chance dans votre existence d'être touché par la foudre que par un billet gagnant. Une fois qu'un être a compris cela, il a compris beaucoup de choses. Il peut passer à une autre phase de sa vie. Il n'aura pas besoin de perdre pour se rendre compte de la mer, du ciel et des nuages. Aujourd'hui, je suis allé marcher dans des pistes après la rude semaine que nous avons tous passé ici au Québec. Au-dessus de ma tête, un ciel à la Turner avec des percées de soleil spectaculaires entre les gros nuages gris. Il ne m'en fallait pas plus pour être en plénitude. Oui la vie est un jeu, lorsque tu passes de -24 degrés à +5 degrés en moins d'une trentaines d'heures. Il nous aura fallu dégager des toitures de leur épaisse couche de neige, creuser des tranchés dans la glace à l'aide de haches pour évacuer l'eau, surveiller les fuites d'eau dans les caves, alors qu'il est tombé 30mm de pluie au cours de la journée de jeudi. Vendredi matin lorsque je me suis réveillé pour savourer mon thé, je me suis senti particulièrement bien en admirant la rivière qui n'avait pas débâclée. J'étais fier de ce que nous avions accompli, le voilà le véritable jeu de la vie. Il n'y a rien de plus réconfortant et de satisfaisant que de se sortir d'affaire, de trouver des solutions, que d'inventer, d'innover et de prendre des décisions. J'aime ce grand jeu de la vie. Un poète japonais a écrit : J'aime ce monde dans lequel on naît pour mourir. Pendant que je creusais, déblayais, taillais à grands coups de haches, je me suis souvenu d'une lecture que je venais de commencer et que je poursuis lentement tellement elle est savoureuse : A conserver précieusement de Ludmila Oulitskaïa. Se sont des textes divers qui tiennent à la fois du récit, de l'essai, où elle décrit la vie des gens qui l'ont entouré tout au long de sa vie, qui pourrait se résumer en ceci : Comment se sentir humain et en plénitude sous le régime soviétique. Tous ces personnages qui ont existé avaient quelque chose en commun ; ils trouvaient du merveilleux dans leur vie quotidienne en écrivant, peignant, sculptant. Ne fermons pas les yeux. Le destin se regarde en pleine face tant que nous sommes vivants, mais pour ce faire il ne faut pas refuser la conscience.

Merci madame Carmilla et des textes semblables j'en prendrais encore !
Bonne nuit !
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'ai même entendu qu'on avait, statistiquement, deux fois plus de chances d'être foudroyé deux fois dans sa vie au cours d'un orage que de gagner au Loto.

S'adonner aux Jeux de hasard est effectivement irrationnel.

Néanmoins beaucoup de gens cèdent à la tentation. C'est une manière de rêver un peu et de refuser un destin trop programmé.

De même, on sait tous qu'on a, statistiquement, 100 % de chances de mourir mais personne ne parvient à y croire complétement.

J'ai du mal à vous parler de la splendeur du climat parisien. Ce n'est que pluie, grisaille et douceur. J'ai beaucoup la nostalgie de la neige mais c'est impossible d'en parler à des Français. Ils l'ont en abomination. Trois flocons et c'est la panique et la paralysie générales.

Je connais bien ce livre d'Oulitskaïa. C'est excellent, plein de lucidité. Sans doute l'une des meilleures introductions à son oeuvre.

Bien à vous,

Carmilla

KOGAN a dit…

Bonjour Carmilla

48 Milliards aux jeux contre 10 à la culture, cette "philosophie" oscille entre l'anamnèse et l'amnésie du théâtre de la vie pour ceux qui cherchent le vertige transcendantal par l'argent facile, et qui ne fait que perdre le sens de l'orientation, mais remplit les caisses de l'état.

Seul l'effort et le travail paient ou font perdre aussi ...mais maître renard s'en sortira tout le temps.

Capitaine Renard allait de compagnie
Avec son ami Bouc des plus haut encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L’autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits.
Là chacun d’eux se désaltère.
Après qu’abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, compère ?
Ce n’est pas tout de boire, il faut sortir d’ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi :
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
Je grimperai premièrement ;
Puis sur tes cornes m’élevant,
A l’aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,
Après quoi je t’en tirerai.
– Par ma barbe, dit l’autre, il est bon ; et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n’aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l’avoue.
Le Renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l’exhorter à patience.
Si le ciel t’eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n’aurais pas, à la légère,
Descendu dans ce puits. Or, adieu, j’en suis hors.
Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts :
Car pour moi, j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin.

Jean De La Fontaine


Bon Dimanche
Bien à vous.
Jeff

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

On peut effectivement déplorer que l'on consacre davantage d'argent au Loto qu'à l'achat de livres ou même de produits de nécessité mais peut-on juger ? Le jeu n'est-il pas lui-même indispensable à la vie, n'est-il pas son carburant ?

J'avoue que je n'ai pas beaucoup lu La Fontaine. Il fait partie de ces classiques que l'on remise au placard. Mais votre texte donne vraiment envie de s'y replonger.

Bien à vous,

Carmilla

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla,

merci pour ce billet.
Je découvre que le chiffre d'affaires du jeu en France est presque deux fois supérieur au budget des 85 établissements universitaires français...
C'est dingue...
Tout à fait d'accord sur la dimension mortifère ou suicidaire du jeu.
Je me souviens d'un proche qui a perdu son fils dans un accident tragique et qui n'a cessé de jouer en ligne sur les marchés par actions, au point de perdre toute la fortune familiale et de pouvoir alors continuer sa route, presque libéré. Enfin, je ne sais pas si c'est le terme adéquat.
C'est peut-être la fonction paradoxale du fric : on en veut et on le déteste en ce qu'il peut nous rendre cons et envieux.
Bonne journée à vous.
Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Effectivement Alban,

Si on se reporte au PLF 2019, on constate que l'Enseignement Supérieur, c'est 28 milliards, l'Education Nationale, 51 milliards, l'hospitalisation publique et privée (hors PLF) 82 milliards. Et n'oublions pas le déficit prévisionnel supérieur à 400 milliards, ce qui représente tout de même 25 % du budget de l'Etat(400 milliards): c'est beaucoup moins glorieux et plus juste que les 3 % du PIB que l'on claironne sans cesse.

Cependant, en ce qui concerne le jeu, le choses ne sont pas si simples. Je simplifie bien sûr dans mon post.

Si les Français jouent bien pour environ 16 milliards au Loto, une partie de ces sommes est tout de même redistribuée aux heureux gagnants (même si c'est inique). Et puis il y a les frais de gestion. Au total, la Française des Jeux reverse un peu plus de 3 milliards au Budget de l’État. Je ne sais pas ce qu'il en est des autres activités (PMU, casinos ...), ça dépasse le cadre de mon blog.

Vous soulignez bien, par ailleurs, le paradoxe de l'argent: en avoir est libérateur mais ne plus en avoir peut aussi l'être, tout autant et d'une autre manière. Le jeu a effectivement une dimension mortifère.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla.
Tel que promis ; retour sur la lecture du livre de Thierry Lefèvre : Sortir de l'impasse. J'ai lu le livre en entier, relu certains chapitres, me suis particulièrement intéressé au chapitre technique. Je suis arrivé à ce bout de texte, particulièrement déstabilisant et instructif.
L'humain est-il naturel ?
« La nature est représentée par des processus géologique, physiques, chimiques, biologiques et écologiques qui ont lieu sur la planète, qui régulent son fonctionnement et assurent la vie et l'évolution. La matière vivante et la matière abiotique suivent des cycles de vie en circuit fermé puisque, sur la planète de même qu'en chimie (rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme). Mais ce qui caractérise la nature, c'est que les éléments qui la composent sont, par définition, adaptés à leur milieu, biodégradables et/ou intégrés aux différents processus terrestres. La nature, en fait, s'adapte à ses propres changements, à sa propre évolution. Et si l'on considère l'histoire de la planète dans sa globalité, la vie s'y épanouit et se diversifie avec le temps. D'un certain point de vue, la nature s'adapte également aux transformations anthropiques. Mais bien que la civilisation actuelle obéisse évidemment aux principes de la chimie et de la physique force est de constater qu'elle suit par contre des lois écologiques différentes du reste de la nature: elle épuise progressivement les ressources, pollue et détruit les habitats. Cette différence est due à un impact de grande ampleur et rapide, qui bouleverse (l'équilibre) de la planète, allant jusqu'à réduire la richesse biologique terrestre.
Or, l'être humain est le fruit de l'évolution et à ce titre il fait de facto partie de la nature. Alors, cet impact écologique majeur, inextinguible, celui dû à une espèce qui est issue de la nature, peut-il être considéré comme (normal), comme naturel ? Devant l'ambivalence qui existe, d'une part, la confrontation être humain/nature, son (insoutenabilité) et d'autre part, le fait qu’Homo Sapiens est une espèce vivante de la planète Terre au même titre que toutes les autres, il apparaît légitime de se demander, si finalement, l'être humain est (naturel). Certain indices s'ils ne répondent pas tout à fait à la question, montrent tout au moins que l'être humain lui même ne se considère pas tout à fait comme faisant partie de la nature ; le fait de confronter la nature, ce sentiment de supériorité du genre humain qui règne au sein de notre civilisation, le fait d'utiliser des termes comme matériaux (synthétiques), (d'intelligence artificielle), tous ces indices laissent supposer que ni notre technologie ni l'être humain lui-même ne sont considérés comme faisant partie de la nature. » Thierry Lefèvre, Sortir de l'impasse, page -206-207-
Bonne fin de journée
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Toujours à propos de Thierry Lefèvre.

Ce texte que je viens de vous envoyer est loin d'être banal.
Il y a de quoi se poser de sérieuses questions avant de bricoler pour réparer la nature.

Avons-nous créé un monde artificiel en complète opposition avec ce monde autonome et naturel ?

Pouvons-nous inverser intelligemment ces processus ?

Sommes-nous déjà trop nombreux ?

Quel sera notre destin entre le statu quo et la panique généralisée ?

Avons-nous dénaturé l'humain au point de le rendre artificiel comme nos technologies ?

Allons-nous être obligé de tirer à courte paille ?

Voilà des questions passionnantes.

Je voudrais bien vivre un ou deux siècles de plus juste pour être un témoin de cette évolution et d'autre fois je pense que je devrais mourir rapidement, cela m'éviterait des désagréments.

J'en n'ai pas terminé avec cet auteur

Richard St-Laurent

Richard a dit…

A propos de Ludmila Oulitskaïa
Et de : À conserver précieusement.
J'ai terminé cette lecture hier soir, satisfait de toutes les découvertes que j'y ai faite. Je commence a comprendre un peu mieux cette femme et surtout l'écrivain, son cheminement, et surtout son arrivée tardive dans l'écriture.
Il y a un texte qui m'a particulièrement passionné qui s'intitule : La loi de conservation. Ce qui n'a pas été sans me rappeler mon enfance.
Elle écrit :
«  La matière coupée de l'esprit est devenue une masse de chair vorace qui se multiplie et se dévore elle-même.
L'esprit séparé de la matière s'envole si loin que la pauvre intelligence humaine a du mal à suivre.
Le monde antique aimait la matière. Le Moyen Âge la considérait avec suspicion. Et nous, les matérialistes du XXe siècle, nous en sommes les profanateurs. Les matérialistes n'aiment plus la matière.
Or elle est magnifique et d'une grande noblesse, sous toutes ses formes que se soit celle du sable de rivière qui s'écoule d'une paume à l'autre avec un doux bruissement, ou celle de l'eau, de la terre, de l'air et du feu.
Elle est tout aussi magnifique et tout aussi noble dans ses incarnations créées par la main de l'homme, dans le pain, le vin, la vaisselle, les vêtements, l'habitat humain.
La matière mérite d'être aimée, respectée, et admirée. Elle mérite qu'on la traite avec précaution, Et même avec gratitude. Et si nous ne voulons pas le comprendre, si nous ne changeons par nos façons de la traiter, le monde va se transformer en une décharge publique extrêmement déprimante. »
Ludmila Oulitskaïa
A conserver précieusement
Page -124-125-
Comment ne pas rattacher ce texte avec l'ouvrage de Thierry Lefèvre ? Depuis une année je surfe sur une vague intéressante et je ne veux surtout pas qu'elle s'effondre sous moi. Mes lectures et mes rencontres se croisent, et les découvertes se succèdent rapidement pour ma plus grande joie. Ce texte de Oulitskaïa : La loi de la conservation, c'est une leçon de vie, dans un pays, La Russie, qui n'avait rien à faire avec l'écologie, quoi que nous Canadiens nous ne sommes pas en reste, champion brûleur d'énergie, et grands consommateurs qui remplissent les sites d'enfouissement. Ceci est le propre des pays vastes, qui disposent d'énormément d'espaces et d'immenses ressources naturelles. Par contre au cœur de ces pays, il y a des gens modestes, qui trouvent les moyens de tirer leur épingle du jeu et de parvenir à une certaine plénitude.
Merci et bonne nuit madame Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Sur l'opposition nature-culture, bien que je ne sois pas une grande spécialiste, je demeure sensible à la position très claire de la Philosophie des Lumières et notamment de Jean-Jacques Rousseau (Discours sur l'origine de l'inégalité): ce qui signe l'humanité, c'est la perfectibilité et c'est en s'affranchissant de la nature que l'homme exprime sa condition et conquiert sa liberté. Il y a donc bien une coupure radicale entre l'Homme et la Nature et cela sous-tend une vision de l'Histoire qui est progressiste.

Cette analyse est prolongée par le grand anthropologue Clade Lévi-Strauss à la fin des "Structures Elémentaires de la Parenté": ce qui caractérise la culture humaine, c'est l'échange: des femmes (la prohibition de l'inceste), des mots (le langage), des biens (l'économie).

Je ne souscris donc pas à l'idée d'une harmonisation de l'homme et des lois de la Nature. Je crois profondément au Progrès (même si la pensée générale est décliniste) et à la nécessité pour l'homme d'assumer son destin).

Je partage par ailleurs votre intérêt pour Oulitskaïa mais je ne l'approuve pas sur tous les points. Ce qui est vrai toutefois: les Russes n'en ont à peu près rien à fiche de l'écologie: le réchauffement climatique, c'est plutôt tant mieux pour eux; quant à la pollution, ils ont suffisamment d'espace pour s'en préoccuper. Je trouve ça reposant quand je vais en Russie.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Merci Carmilla!
Voilà qui est intéressant. Je souhaite que dans un prochain texte sur votre blog, vous élaboriez sur le perfectibilité et l'affranchissement. En vous lisant aujourd'hui, je suis demeuré sur ma faim. J'avoue, même avec certaines réticences, que ces thèmes de perfectibilités et d'affranchissements m'intéressent au plus haut point. Je soupçonne qu'il y a une piste avec des hypothèses intéressantes. Jusqu'où devons aller dans cette perfectibilité de l'être humain ? Qu'est-ce qui va être permis ou défendu ? Devrons-nous restreindre ou bien ouvrir à fond les portes des écluses ? Prenons un exemple simple : Toutes les techniques sont perfectibles, jusqu'à un certain point, arrive un moment où elles ne peuvent plus être perfectionnées, alors il faut changer de techniques pour des techniques plus performantes. J'ose ici joindre ce qui touchent les techniques, mais aussi les humains.
J'avoue que je connais mal Lévis-Strauss. C'est une caractéristique singulière que celle de l'échange chez les humains, cette capacité de coopérer, d'échanger, et de progresser ainsi, mais si nous continuons dans notre processus de perfectibilité, en arriverons-nous à nous libérer même de l'échange ? Yuval Noah Harari en parle dans son dernier ouvrage : 21 leçons. Je n'aime pas le titre de son livre, par contre j'aime son propos déstabilisant lorsqu'il évoque que nos manières de penser et de concevoir pourrait être complètement inutile face à nos nouvelles technologies, voir à nos nouvelles progressions.
L'homo Sapiens a-t-il déjà été en harmonie avec la nature ? D'une manière ou d'une autre il faudra assumé notre destin, que ça nous plaise ou non. Par contre le progrès est sujet à débat et je ne veux surtout pas l'éviter, surtout après ce que je viens de lire sur la géoingénierie.
Nous pouvons aimer un auteur, mais nous ne sommes pas obligé d'accepter toutes ses réflexions. Par contre, je me suis vivement reconnu dans plusieurs pages et chapitres de Oulitskaïa. À conserver précieusement, ce livre porte bien son titre.
C'est quoi cette histoire de tempête sur la France qui s'est dégonflée comme une baudruche ? Pour vous consoler, par un matin de -20 degrés, sous un vent du Nord-Ouest à 25 nœuds, en attendant un redoux qui devrait se pointer en début de semaine prochaine.
Merci et toutes mes salutations distinguées.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Que je consacre un post à la perfectibilité et l'affranchissement ! Oh la, la !

Déjà que mon blog n'est sans doute pas très drôle... si je me mets à parler de sujets aussi sérieux (pour les quels je n'ai d'ailleurs qu'une compétence très, très limitée), je vais faire fuir à peu près tous mes lecteurs.

Je n'exprimais que quelques convictions. Je suis très Philosophie des Lumières. Je crois vraiment au progrès, à la capacité de l'homme à dominer la nature, à la rationalité du monde.

Ce sont des messages qui sont, hélas, en passe d'être occultés aujourd'hui avec le délire écologiste. Je suis tout à fait opposée à l'idée d'une harmonie de l'homme avec la nature. C'est revenir plusieurs siècles en arrière. Je crois plutôt en la Raison émancipatrice.

Quant à la météo en France, on a droit, chaque année, à quelques grandes séances comiques lorsque les températures avoisinent 0°. C'est l'équivalent d'un mois d'octobre en Russie ou, je suppose, au Québec mais, ici, c'est la panique totale relayée continuellement par les médias. En revanche, quand il fait 35° à l'ombre en été, chacun se croit obligé de déclarer qu'il fait un temps agréable.

Bien à vous,

Carmilla