samedi 10 décembre 2022

"Femme, vie, liberté"- Vers une République Laïque

 

On l'a ici assez peu commenté mais, dans les rues de Téhéran, on a célébré la défaite de l'équipe iranienne de football contre celle des Etats-Unis dans un match de Coupe du Monde. La population iranienne redoutait qu'une victoire n'alimente la propagande du régime  avec ses absurdes slogans anti-américains. Et aussi parce que, contrairement à ce que l'on pense à l'Ouest, les Iraniens ne détestent nullement les USA. D'ailleurs, quand ils ont la possibilité de voyager, ils choisissent prioritairement les USA; on peut aussi rappeler qu'ils se sont massivement exilés en Californie (où ils ont, généralement, brillamment réussi).


De même, les Iraniens ne souhaitent plus aujourd'hui voir aboutir un accord, avec les occidentaux, sur le nucléaire. Cela aussi renforcerait le gouvernement des mollahs.


La tension monte maintenant sans cesse et l'impensable commence à être envisagé. L'impensable, c'est à dire la chute des religieux, honnis et détestés depuis presque toujours, peut-être même depuis leur prise du pouvoir en 1979.


Une démonstration saisissante: le grand jeu aujourd'hui, chez les jeunes, consiste à arracher dans la rue le turban d'un mollah. Cela va, ensuite, jusqu'à jouer au football avec ce turban. C'est évidemment très risqué (ça peut vous valoir au moins de la taule) mais on trouve sur les réseaux sociaux plein de vidéos de ces énormes "sacrilèges" .


Les Iraniens avaient inauguré ce que l'on avait appelé "la Révolution au nom de Dieu". Cette apparente revanche du spirituel sur le matériel avait été célébrée à peu près partout, notamment par des "intellectuels" occidentaux. Les conséquences à l'échelle mondiale de cette révolution iranienne ont été immenses. Elle a enclenché dans tous les pays musulmans, alors qu'ils semblaient se laïciser d'un bon pas, un renforcement de la pratique religieuse sous ses aspects les plus rigides et obsessionnels. 


Mais les Iraniens avaient-ils vraiment souhaité une révolution religieuse et une prise du pouvoir par les mollahs ? Rien n'est moins sûr. Il faut d'abord rappeler que cette prise du pouvoir par les religieux a été, à l'époque, une immense surprise. Personne ne s'y attendait, n'avait prévu cela. Le Shah, lui-même, redoutait les communistes et leur Parti Toudeh qui, même condamné à la clandestinité, demeurait puissant. C'était donc eux que sa police politique, la sinistre SAVAK, ciblait et persécutait. 


Mais les religieux, le Shah  s'en fichait bien et il les méprisait même carrément: des personnages incultes et ignorants, hostiles au progrès. L'Islam appartenait au passé, c'est ce que pensait à peu près tout le monde à l'époque, en particulier en Occident. Le Shah avait donc chassé Khomeiny au début des années 60 comme perturbateur réactionnaire, opposé à "la Révolution Blanche" et notamment à la réforme agraire et la représentation accrue des femmes. Khomeiny a alors vécu en Irak. Quand il a commencé à réapparaître presque 15 ans après, il était devenu quasi inconnu en Iran.


C'était "la grande civilisation" que voulait promouvoir le Shah, une civilisation qui trouvait ses racines non pas dans l'Islam mais dans la Perse antique, celle de l'Empire Achéménide de Cyrus et Darius (à partir de - 552 avant JC). Le calendrier iranien avait même été modifié. Il ne partait plus de l'Hégire (calendrier musulman) mais de la fondation de l'Empire achéménide. 


C'était sans doute mégalomane et, à l'époque, ça avait fait hurler les religieux (pour qui l'histoire de l'Iran commence simplement avec Mahomet). Au lendemain de la Révolution, ont d'ailleurs couru des rumeurs de destruction de Persépolis.


Mais aujourd'hui, l'histoire longue revient en force. Il n'est pas un Iranien qui ne soit fier du passé préislamique de la grande Perse. On porte même un intérêt accru à l'époque sassanide et zoroastrienne (224-651 après JC) dont subsistent, d'ailleurs, de nombreuse coutumes (en particulier celle du Nouvel An, du Now-Rouz à l'équinoxe du printemps).


Si vous voulez irriter un Iranien, demandez lui si la langue persane est proche de l'arabe. C'est bien sûr une ânerie parce que le persan est une langue indo-européenne (assez facile  à apprendre pour un Français notamment) Mais il faut bien dire, aussi, que les Iraniens détestent, dans leur immense majorité, les Arabes. Ca remonte même à la défaite, en 637, de Ctésiphon (alors capitale de l'Empire) qui a consacré la victoire des musulmans sur les Sassanides.


Tous les Iraniens sont déchirés par leur histoire et ils continuent d'entretenir rancœur et amertume. Ca explique qu'ils aient choisi un courant minoritaire, beaucoup plus politique, de l'Islam: le chiisme. Et ça explique aussi beaucoup des tensions internationales actuelles au sein du Proche-Orient. Les Sunnites, on les a en horreur.


Ce long détour pour préciser que, dans les années 70, les Iraniens n'étaient nullement des fous de Dieu. Et d'ailleurs, les mosquées étaient plutôt vides. Le pays était déjà fortement occidentalisé (un processus entamé depuis la chute des Qadjars en 1925) et la condition féminine était sans doute la plus émancipée de tous les pays musulmans. Il était devenu presque rare de croiser des femmes voilées dans les rues de Téhéran.


Le rapport des Iraniens à la religion est compliqué, toujours teinté de méfiance. Ils se sont, à un moment, regroupés autour de Khomeiny parce qu'il était la seule figure d'opposition capable de rassembler les foules pour abattre la monarchie.


Mais c'était de liberté politique et de démocratie qu'ils rêvaient et certainement pas d'une dictature religieuse. C'est, en fait, sur un coup de force et en dépit des engagements initiaux de Khomeiny, que les mollahs ont conquis le pouvoir. Ce pouvoir, ils l'ont ensuite conservé par l'exercice de la terreur et d'une répression impitoyable. 


On pensait néanmoins qu'ils allaient s'écrouler tant ils s'étaient rapidement fait détester. Mais la longue guerre contre l'Irak (jusqu'en 1989) leur a permis d'accroître leur emprise sur la société, en développant notamment un culte délirant des martyrs.


Mais il n'y a jamais eu d'adhésion véritable à la République Islamique. Les Iraniens ont toujours "fait semblant" de se conformer aux obligations édictées pour pouvoir continuer à vivre le moins mal possible. Dans l'espace public, on essayait de passer inaperçus, mais chez soi, en privé, on menait une vie complétement "destroy", agrémentée de fêtes démentes entre amis, sonorisées à fond et à l'occasion des quelles circulaient alcool et drogue. 


Les religieux, on continuait de les mépriser. J'ai toujours été surprise par la violence des attaques verbales qui leur étaient portées. On dit que l'Islam ne tolère pas le blasphème. C'est vrai pour le Prophète mais ça ne vaut pas pour ses "médiateurs", ses érudits supposés, les mollahs. On leur prête toutes les "qualités": bêtes, sales, méchants, opportunistes, cyniques, corrompus, fornicateurs. La haine vécue peut être résumé avec l'histoire de ce chauffeur de taxi qui dit à un mollah: "Regarde bien les platanes qui bordent cette avenue. C'est là que vous vous balancerez bientôt une corde au cou".


Aujourd'hui la marmite est prête à exploser et les mollahs peuvent commencer à compter leurs abattis. La priorité, c'est de se débarrasser des religieux. De mettre en place une République laïque. Et les Iraniens sont tout à fait prêts à cette nouvelle Révolution car, contrairement à ce que l'on imagine souvent en Occident, les mentalités sont résolument modernes en Iran.


Ce serait un nouveau séisme géopolitique. D'abord avec un bouleversement des alliances économiques et stratégiques (ça ne plaira guère à la Russie et à la Chine). Ce sera peut-être ensuite l'amorce d'une déclin de l'Islam dans sa dimension politique. Un joli démenti aux prophètes d'une France bientôt musulmane.


Des images qui évoquent d'abord le grand écrivain iranien, souvent comparé à Poe et Kafka, Sadegh Hedayat (1903-1951), auteur d'un livre merveilleux "La chouette aveugle". Hedayat détestait les religieux et il a écrit un livre féroce à leur sujet : "Hâdji Aghâ". Un modèle d'impertinence ravageuse à lire urgemment aujourd'hui. Hedayat s'est suicidé à Paris. Sa tombe (6ème image) se trouve au Père Lachaise, tout près de celle de Marcel Proust. La 5ème image est celle de sa maison à Téhéran. 

Si vous souhaitez enfin vous imprégner de l'"esprit" d'une vie de famille iranienne, reportez vous à un autre chef-d'œuvre de la littérature persane: "Mon oncle Napoléon" d'Iraj Pezeshkzsad.

Plusieurs films donnent aussi un aperçu non conventionnel de l'Iran contemporain : "Les chats persans" de Bahman Ghobadi; "La loi de Téhéran" de Saed Roustayi; "Les nuits de Mashad" de Ali Abbasi.


14 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Félicitation pour votre analyse de la situation en Iran.

Nous pouvons affirmer que l’année 2022 fut celle des bouleversements.

Guerre en Ukraine

Révolution en Iran, (J’espère que ça va fonctionner)

Contestation en Chine

Massacres en Afrique

C’est ainsi lorsque les populations en ont assez. Ils font semblant de suivre les dirigeants : et ces dirigeants font semblants de croire à ce qu’ils voient. Ils se font une fausse idée de la réalité. Ça donne des régimes pourris qui gonflent les muscles mais qui chancellent.

Est-ce que c’est réellement parti pour la gloire en Iran?

Après toutes ces années, j’ai du mal à y croire.

Je présume que si vous avez écrit ce texte, c’est que vous avez eu des bonnes nouvelles de l’Iran.

C’est vrai qu’on entend moins parler des islamistes.

Que la politique extérieur de l’Iran risque de muter vers d’autre horizons diplomatiques. Ça ne doit pas jubiler ni à Moscou et encore moins à Pékin.

On dirait qu’on va atteindre le point d’ébullition, il y a des bulles qui commencent à remonter à la surface du chaudron, c’est le temps d’augmenter le feu.

Nous pouvons raisonnablement espérer.

Faisons attention, tout n’est pas encore joué.

Il me semble que mon thé a meilleur goût ce matin, par moins 15 degrés sous un soleil éclatant et une magnifique lumière.

Passez une excellente journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Concernant l'Iran, je sais seulement que la contestation ne faiblit pas et s'étend même à des couches plus larges de la population. Le mouvement épouse des cycles de 40 jours correspondant aux dates de commémoration du deuil en Iran (celui en l'occurrence la mort de Masha Amini). Cette régularité des poussées révolutionnaires est très importante pour les Iraniens. Elle avait été adoptée en 1978.

La grande faiblesse de la contestation, c'est qu'il n'existe aucun leader d'opposition en mesure de la structurer. Et puis, on ne peut pas dire que les pays occidentaux affichent leur appui aux manifestants. Enfin, la répression est vraiment très féroce. Les mollahs n'hésitent pas à tuer et à pendre massivement. Ils le font d'autant plus facilement qu'ils ont fermé le pays. On n'a plus que des liaisons téléphoniques plutôt risquées.

Mais ce dont je suis sûre, c'est que les gens en ont tellement marre des religieux et les détestent tellement, qu'un jour, c'est certain, les mollahs devront vite décamper pour ne pas finir comme "décorations" des platanes qui bordent les avenues. Un symbole pour moi incroyable : la maison natale de Khomeiny a récemment été incendiée. C'était absolument inconcevable, il y a seulement quelques années.

Un jour, il y aura donc bien une nouvelle Révolution en Iran. Mais personne ne peut en prédire la date exacte.

Bien à vous,

Carmilla

Julie a dit…

Bien que souvent je n'ai rien à rajouter, j'apprécie beaucoup vos analyses. Vous rendez l'actualité digeste... Merci Camilla, bon dimanche.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Votre message sympathique est encourageant.

Disons que j'essaie d'abord de parler de ce que je ne connais pas trop mal: en l'occurrence l'Iran et l'Europe Centrale où j'ai vécu et que j'essaie de visiter régulièrement.

Mais je crois que j'ai encore beaucoup de marges de progrès pour être plus claire et attrayante. Je pense quand même que je suis souvent ennuyeuse.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla

Vous ennuyeuse? Je ne pense pas. On sent chez vous une progression constante. J’aime bien vous lire parce que vous savez remettre les choses en perspectives.

Tant qu’à cette absence de leaders en Iran, pourquoi les iraniens ne feraient-ils pas autrement? Réduire à zéro le pouvoir des religieux actuellement en place, et après instituer un régime vraiment démocratique.

D’autre part comment imaginer qu’un leader émergerait au milieu de cette période trouble? Il serait immédiatement pris à parti, au pire visé directement, voir assassiné. Ce n’est pas d’un nouveau martyr que les iraniens ont besoin, c’est une femme ou un homme capable d’assumer cette lourde tâche, quelqu’un de très pragmatique, mais qui posséderait une vision de l’avenir. Dites-moi, c’est quoi l’avenir de l’Iran? Vous-mêmes comment la voyez-vous?

Il doit bien y avoir quelqu’un, quelque part, qui émergera au moment propice. Selon vos dires, il semblerait qu’on ne manque pas de personnes qualifiées en Iran.

Et pourquoi pas, une victoire totale de l’Ukraine et un renouveau total en Iran. Cela pourrait être intéressant au niveau de la géopolitique mondiale!

C’est ce que je souhaite.

Du moins, cela fait parti de mes rêves.

Bonne fin de nuit Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Disons que j'essaie avant tout, dans mon blog, d'exprimer des points de vue un peu différents. A quoi bon rédiger un post si c'est pour reprendre les opinions en vigueur ?

Sinon, je n'ai pas grande prétention et je sais bien, en particulier, que je n'ai aucun talent littéraire. Je serais bien incapable d'écrire un roman, une histoire. Je suis trop emportée par ma manie de tout théoriser. Je crois que c'est la conséquence d'une éducation à la française qui vous forme d'abord à l'abstraction. Après, on a du mal à s'exprimer personnellement.

S'agissant de l'Iran, les seules figures de l'opposition qui se détachent sont celles de Maryam Radjavi, dirigeante de l'organisation des Moudjahiddines du Peuple Iranien. Et puis, il y a le fils du dernier Shah, Reza Pahlavi. Maryam Radjavi est une personnalité plutôt bizarre, voire inquiétante. Le fils du Shah semble plutôt quelqu'un de bien. Ces deux personnalités ont des partisans dans les communautés iraniennes disséminées à l'étranger mais je doute de leur capacité à prendre le pouvoir en Iran.

Je suis convaincue que les Iraniens souhaitent aujourd'hui l'instauration d'une République Laïque débarrassée des mollahs et de tous ces gens qui interviennent dans la vie personnelle. Qu'on ne leur dise plus comment s'habiller et se comporter, ce qu'ils peuvent manger et boire, ce qu'ils peuvent voir et entendre.

Il existe effectivement beaucoup de personnalités compétentes capables de piloter ce nouvel Etat démocratique.

Mais avant d'arriver à cela, il faudra affronter de terribles soubresauts parce que les mollahs vont vendre chèrement leur peau. Se retirer est pour eux inconcevable car il vivent grassement du système qu'ils ont mis en place.

Les mettre dehors, ça risque d'être aussi difficile et sanglant que de bouter les Russes d'Ukraine.

Mais si ça se produit effectivement, ce sera un événement majeur pour la démocratie dans le monde.

Une Révolution en Iran et une victoire de l'Ukraine, ça conduirait, en effet, à envisager différemment l'avenir.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla

Il appert, que je suis un incorrigible rêveur. Sans doute que vous l’avez déjà remarqué. Je dirais que je suis comme Martin Luther King. J’ai parmi tous mes rêves, un rêve simple. C’est que tout le monde rentre à la maison au soir venu, avec un repas sur la table, un confort douillet, une sécurité assurée, dans un endroit où la liberté et la démocratie font la loi. C’est si simple dit comme cela, mais si difficile à atteindre dans certaines parties du monde. En tant que rêveur, je sais qu’il faut rêver beaucoup pour parvenir à transformer quelques uns de nos rêves en réalité. Pourtant, je sais qu’il faut persister. En dépit de tout ce qui se produit dans le monde, je rêve que nous pourrions réaliser beaucoup dans ce sens. La seule solution, ne pas baisser les bras, ne pas renoncer à nous idéaux, tenir le cap, quoi qu’il en coûte. En tant qu’humain, nous sommes tous responsables. Même le bouseux qui bûche dans le fond de sa forêt. C’est ainsi que l’incorrigible rêveur imagine un monde meilleur. Un jour ou l’autre, nous pourrions être dans les mêmes états que les Ukrainiens ou les Iraniens. Ça, il ne faut jamais l’oublier.

Étrange destin entre : Le coeur ne cède pas, l’histoire des Sioux, et deux autres romans d’Yves Thériault : Kesten, un court roman, où un éleveur de bétail de l’ouest canadien, ne peut s’empêcher d’acheter un étalon noir dans le but de le dompter. C’est toujours la célèbre confrontation entre l’humain et l’animal, à qui aura le dessus. Je ne vous révélera pas la conclusion, si non que le tout se termine très mal. C’est le genre de roman coup de poing que Thériault peut vous s’asséner.

L’autre roman, Agoak l’héritage d’Agaguk, tout aussi violent, sans compromis, soulignant la mince ligne entre cette civilisation moderne et le retour à la vie primitive des Esquimaux. Un employé de banque redevient un être primitif après avoir assassiné deux américains qui ont violé sa femme. Et, Thériault ne nous épargne absolument rien.

Je ne vous recommande pas ces deux romans de Thériault, parce qu’ils datent. Sans doute introuvable en France.

Reste, qu’au fil des lectures, que se soit : Le coeur ne cède jamais, ou encore l’Histoire des Sioux, ou les romans de Thériault, j’y vois comme une chaîne qui nous tient tous ensemble, à laquelle nous ne pouvons pas échapper, ce qui réfère à vos textes sur la violence et la pulsion de mort Carmilla, où nous sommes tous harnachés autour d’une même nature, qui n’est pas toujours plaisante.

Arriverons-nous un jour, à dépasser cette violence, ou bien, sommes-nous condamnés à la vivre jusqu’à la fin de l’aventure humaine?

Je dirais, que c’est une belle question. Une question incontournable, primordiale, et fondamentale.

Que cela ne nous empêche pas de rêver!

Bonne fin de nuit

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Le problème, c'est que vos rêves ne sont guère d'actualité. Et à supposer même que l'on atteigne un état de paix entre peuples et nations, cela risquerait fort de n'être que provisoire. Freud pensait que la civilisation imposait de telles contraintes à nos impulsions que la guerre devenait, à un moment, inévitable. Il ne croyait pas à la possibilité d'une paix perpétuelle.

Moi, la question que je me pose sans cesse, c'est de savoir comment je me comporterais si je vivais dans un pays en guerre, l'Ukraine en l'occurrence. Depuis le confort de nos douillets appartements, il est facile de s'imaginer en héros. Mais cela n'est pas sûr du tout.

Cette question, je crois qu'on se la pose tous mais on ne peut trouver la réponse que si l'on est confronté à la réalité d'une guerre. Que dois-je faire, que puis-je faire, de quoi je suis capable, ce sont les questions que je n'arrête pas de me poser. Et cela passe avant le rêve d'une hypothétique vie tranquille.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla

Oui, je sais que mes rêves ne sont pas d’actualité. Cependant, je ne décroche pas, en fait, je n’ai jamais décroché. Je persiste et je signe.

Pour l’heure, l’important c’est de se dépasser. On ferait sans doute comme tous ces Ukrainiens, on chercherait, de l’eau, de la nourriture, et surtout de se mettre à l’abri des bombardements, en un mot, essayer de sauver sa peau. Porter aide à nos voisins. Le courage n’est pas seulement sur les champs de batailles, mais aussi au coeur des civils. C’est sans doute plus important qu’on ne le croit.

Nous ignorons ce que nous pouvons faire, ce qu’on ferait, on pourrait même s’étonner nous-mêmes. C’est peut-être même, le meilleur côté de l’humain.

Hier, il y a eu un accident de la circulation à Montréal. Une jeune fille âgée de sept ans a été reversée par une automobile alors qu’elle se rendait à l’école. Elle est décédée. Aujourd’hui, nous apprenions qu’elle était ukrainienne tout juste arrivée au pays. Étrange destin, fuir un pays en guerre pour sauver sa vie, et mourir dans une rue de Montréal. Franchement, le destin ne fait pas dans la dentelle.

Même pas besoin d’être en guerre, cela arrive partout, nous pouvons tous être confrontés à l’ultime dans la minute qui vient. Se retrouver devant une situation désespérante et être poussé à l’action, tout en ignorant la meilleure solution. Lorsqu’on est au coeur de l’action, on ne pense pas à l’héroïsme, on essais de faire pour le mieux.

Le rêve et l’espérance, ne sont jamais très éloignés l’un de l’autre. Est-ce que si nous cessons de rêver, nous cessons d’espérer? L’espérance est une grande chose, qui souvent, est alimentée par nos rêves, volontaires ou involontaires.

Une hypothétique vie tranquille? À quoi rêvent les ukrainiens présentement, terrés dans leurs caves? Ils doivent rêver d’une vie tranquille, même transit de froid et d’humidité au coeur d’un cauchemar.

Nous les regardons, nous les écoutons, et ce qui nous fait le plus de mal, c’est notre impuissance.

Bonne fin de nuit Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Non, les Ukrainiens ne rêvent pas aujourd'hui d'une vie tranquille. C'est complétement sorti de leurs préoccupations. Leur souci, c'est d'abord de mettre dehors les Russes, d'obtenir de leur part des réparations et de punir les criminels. C'est à ces seules conditions qu'ils pourront, ensuite, penser à un peu de tranquillité.

Oui, si j'étais en Ukraine, je pense aussi que j'essaierais de survivre et d'aider ceux qui m'entourent. Je suis également à peu près sûre que je ne collaborerais pas avec l'ennemi. Mais au-delà ? Je me vois fort mal combattre même si ça devient de plus en plus abstrait avec les drones et l'artillerie commandée par GPS. J'ai quand même l'impression que je ne servirais pas à grand chose.

Cette jeune Ukrainienne renversée par une voiture à Montréal n'est hélas pas un cas unique. De quoi méditer sur le Hasard et le Destin. Mais le Destin n'est-il pas l'illusion des faibles ?

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla

Le Destin, c’est pour nous tous, les forts comme les faibles. Personne n’y échappe. Ne sommes-nous pas tous mortels? Je visionnais hier une vidéo de Marie-Ève Bédard, reporter de Radio-Canada. Au bout du micro, une vieille femme qui disait, que il fallait résister, en attendant des jours meilleurs, en un mot en sortir vivante. Si ce n’est pas l’espérance, je me demande qu’est-ce que c’est? Il doit en être ainsi du soldat Ukrainien le cul dans le boue en attendant la prochaine attaque. Qu’est-que qui anime tous ces humains, la grande-mère, mais aussi le jeune combattant dans la tranché?

Certes, on nous seringue les missiles, les bombardement GPS, les drones, mais nous oublions ceux qui se terrent, attendent, en attendant de passer à l’action. Qui regardent leurs mitrailleuses en espérant qu’elles ne s’enrayent pas. L’angoisse à la puissance dix. 95% d’attente, pour 5% d’horreur totale en si peu de temps! Pendant 95% du temps, à quoi pense ces combattants? Et, ils ont tout le temps de penser! C’est vraiment très bien raconté dans : Le Styx de Lothar Günther Buchheim. Ce qui m’a été confirmé par d’anciens combattants. Si vous voulez lire quelque chose d’aussi fort : qu’à l’ouest rien de nouveau, vous êtes à la bonne adresse.

Combatte? Il y a bien des manières de combattent. La femme qui conduit son ambulance pour aller chercher des blessés, pour porter secours, à mes yeux c’est une combattante. Autant pour ceux qui vont distribuer des vivres à ceux qui n’ont pas eu, ou n’ont pas voulu fuir. Il y a bien des manières d’apporter non seulement l’aide, mais aussi de combattre. Et que dire des chirurgiens qui opèrent dans les conditions précaires.

Sans oublier, pour ceux que j’ai beaucoup d’admiration, les maquisards, les résistants, derrières les lignes ennemis, qui risquent leur peau quotidiennement, dont personne ne sait rien, et qui ne peuvent espérer aucune aide, aucune reconnaissance, et qui pourtant font leur travail en recueillant des informations.

Mais le Destin n'est-il pas l'illusion des faibles ?

J’aimerais bien que vous m’explicitez cette interrogation.

Les Ukrainiens sont-ils forts ou faibles?

Sommes-nous faibles lorsque la réussite n’est pas au rendez-vous? Ou bien, sommes nous forts, lorsque nous avons beaucoup de chances?

Peut-être que tout cela nous échappe entre le rêve et l’espérance?

Qui sait?

Bonne fin de nuit Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vous m'étonnez un peu ! Je vous croyais athée et rationaliste et vous affichez ici un vieux fond de religiosité.

Parce que croire au Destin, au "c'était écrit", à un ordre prédéterminé, ça relève tout de même bien d'une conception antique de la religion. Et les religions se sont justement construites pour abolir le Hasard.

Parce que le Hasard, c'est la chose la plus difficile à admettre pour l'esprit humain. La plus insupportable et la plus angoissante, parce que le monde est livré à une injustice totale. On ne plus compter que sur soi-même et ses décisions propres, sans guide véritable. Et il n'y a aucune récompense à attendre. Ca n'est vraiment pas gai.

Vous pouvez vous reporter à un petit post que j'ai rédigé, le 6 août 2011, à ce sujet: "Comment supporter le Hasard ". Il est déjà bien vieux mais, si je devais le remanier, je ne le corrigerais pas beaucoup.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla

Nous en conviendrons tous, il n’y a qu’un seul destin auquel nous sommes tous soumis : la mort!

J’aurais pu remplacer le mot Destin par le mot mort, mais je trouvais cela un peu banal, alors j’ai utilisé le mot destin.

Autant les Ukrainiens que les Iraniens, ils se retrouvent devant leur destin : mortel. Cela ne signifie pas que nous sommes immortels, nous qui nous vautrons dans nos grands conforts.

Qu’est-ce qui a produit les événements qui ont lieu présentement en Iran? La mort, d’une jeune femme début vingtaine. La mort ou le destin? À vous de choisir. Il n’y a rien de très religieux dans ce domaine. C’est peut-être un hasard de naître, mais la mort n’a rien d’un hasard. Elle demeure une certitude, le seul destin!

C’est ainsi que les religions ont évoqué la vie éternelle. Il n’y a qu’un pas entre la vie éternelle et l’immortalité. Je dirais même que c’est synonyme. Pourtant les humains y croient, à cette vie éternelle, à cette immortalité, comme s’ils étaient hors du destin. Les églises sont peut-être vides, mais le coeur des fidèles palpitent à ce pouvoir d’échapper à son destin, la mort! Ce qui tient de la superstition. Nous avons à constater lors des campagnes électorales comment se comportent les électeurs.

Pour revenir dans mes souvenirs, qu’est-ce que nous faisions dans le nord à piloter nos vieux appareils? En bout le liste, l’on faisait reculer la mort, liste de vérifications, procédures, revérifications, et pourtant l’impensable, se produisait, alors il fallait improviser. Reculer la mort, c’est faire reculer le hasard, et faire reculer le hasard c’est faire reculer la mort. Autrement dans le métier tu n’avais aucun avenir. Il n’y a pas un travail aussi rationnel que pilote de brousse. C’était un travail de tous les instants.

Je me demande si, les vampires féminins (immortelles), ne sont pas en quelque sorte de la religion?

Serais-ce un vieux fond religieux?

Je reconnais que votre commentaire est grisant, renversant, passionnant, et je ne suis pas le seul en cause. Ne pas oublier que les religions sont des inventions humaines, une manière d’échapper à son destin. Je dirais que c’est une mauvaise manière. L’immortalité très peu pour moi. Je me contente de mon destin de mortel! Je suis assez avancé en âge pour cela. Je dirais comme les Sioux : Oui, c’est une belle journée, une belle journée pour mourir, mais je suis encore vivant, alors on va vivre!

Bonne fin de nuit Carmilla

Et merci de vos commentaires.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La Mort constitue, en effet, notre incontournable Destin commun, celui auquel personne ne pourra se soustraire.

Et si on invente la vie éternelle, c'est, d'une certaine manière, pour compenser les injustices des hasards de la vie. Et la mort, c'est en ce sens ce qui rend tolérable la vie; on n'en peut plus, parfois, de cette affliction permanente.

Mais l'immortalité, ça n'est sans doute pas drôle non plus. Il n'y a plus rien à désirer puisque tout se réalisera un jour. A quoi bon, dès lors, se démener, chercher à forcer sa destinée ? L'immortalité, c'est reporter, différer sans cesse, son désir.

Quant à l'immortalité des vampires, c'est peut-être un peu différent. Ils font davantage partie de ces morts qui hantent sans cesse les vivants.

Bien à vous,

Carmilla