L'intelligence artificielle, on nous bassine avec ça dans les médias, surtout depuis l'apparition de Chat GPT.
On joue d'abord à se faire peur en évoquant la naissance d'une superintelligence, surpassant celle de l'homme. Tellement puissante qu'elle en viendrait à conquérir son autonomie, prendre le pouvoir et faire de nous ses esclaves ou ses jouets.
L'I.A. signerait la fin de l'humanité et on n'aurait pas d'autre choix que de s'adapter rapidement en se branchant sur les infrastructures informatiques et en numérisant son existence. Au moins, on se débarrasserait de tous les inconvénients d'une vie biologique (toutes ces maladies et de tous ces chagrins qui nous affligent) et on vivrait tous ensemble de manière harmonieuse (plus de guerres ni de conflits). Utopie minable qui repose simplement sur notre esprit grégaire, notre besoin de trouver la protection et l'assurance de moyens technologiques.
Et il est vrai qu'on met rapidement les doigts dans l'engrenage en s'adonnant à des solutions apparemment facilitatrices, celles des prothèses électroniques.
Par rapport à tous ces bidules, j'ai toujours eu une position réservée, voire négative. On pourra même dire que je suis complétement ringarde.
D'abord, c'est à peine si j'utilise une calculatrice. Je préfère tout faire de tête. Je tiens ça de ma mère qui était une véritable machine en la matière et ne cessait de nous entraîner, ma sœur et moi.
Je n'ai pas non plus d'agenda. Ca fait le désespoir des secrétariats mais moi, ça me permet de bien me positionner dans le temps. Et c'est idem pour mes dossiers, je les classe, dans ma tête, suivant leur chronologie. Et avec mon entourage, mes amis, c'est pareil: je ne note nulle part leurs adresses ou dates de fêtes et anniversaires.
L'informatique, j'essaie de m'en passer. Et pourtant, je travaille dans la Finance et on dispose, en ce domaine, d'une foultitude de logiciels et applications capables de vous cracher instantanément un diagnostic et des solutions, d'orienter vos décisions. Mais c'est à peine si je regarde ça, je préfère lire moi-même les documents papier. De même, en Bourse, j'interviens en toute subjectivité. Les avis des ordinateurs, je m'en fiche. Les suivre, c'est même le meilleur moyen de perdre son argent.
On pourra dire que je suis détachée. Pas vraiment parce que j'ai, en revanche, j'ai un rapport maniaque, presque obsessionnel, au Temps. Mes bijoux favoris, ce sont mes montres que je consulte sans cesse. Ma vie quotidienne, je lui donne un emploi du Temps strict. Pas question de m'attarder, de perdre mon temps.
Quant au GPS, je l'utilise le moins possible. Je n'y recours qu'in fine après m'être orientée, préalablement, par rapport à une géographie globale. Et d'ailleurs, j'adore les Atlas et toutes les cartes anciennes et actuelles. J'y trouve un véritable plaisir, presque corporel, d'exploration de l'espace.
Je ne crois pas être dotée de facultés particulières. Je ne suis originale aujourd'hui que parce que presque tout le monde a renoncé à se mouvoir dans les chiffres et à se repérer dans l'espace. On s'en remet à des "trucs" censés faire mieux que nous mais on perd quelque chose de notre rapport au monde, de notre faculté primordiale à se repérer dans le Temps et dans l'Espace. Ne plus savoir calculer, ne plus savoir lire une carte, je trouve ça effrayant.
On n'a jamais été aussi nuls en mathématiques simples et en géographie, les deux disciplines qui ont pourtant façonné l'Esprit de la Renaissance. C'est un rapport vivant, affectif, émotionnel, au monde, aux chiffres, aux paysages, à la géographie des lieux que l'on a perdu. On en est réduits à essayer d'attester pitoyablement de son existence en faisant des selfies. On croit reproduire le monde mais c'est la machine électronique qui nous reproduit, tous pareils, tous contents, tous satisfaits de nous-mêmes.
Evidemment, avec Chat GPT et autres I.A., on atteint, encore, un nouveau palier. On va jusqu'à raconter qu'on n'aura bientôt plus besoin de journalistes pour alimenter la presse ni d'écrivains pour produire des romans à succès. Quant à la musique, on arrive déjà à produire quelques "tubes" issus d'un mixage des "fonds sonores" les plus populaires.
Est-ce grave ? Non, si l'on considère que l'intelligence artificielle ne débitera jamais que des choses (idées, créations) communes et banales, qu'elle sera toujours incapable de faire œuvre d'Art (pas de Proust ou de Boulez avec l'I.A.). Oui, si l'on perçoit bien que la normalisation complète de nos vies, la domestication du troupeau humain, est en route à marches forcées.
Mais il y a heureusement quelques points majeurs d'achoppement qui rendront sans doute impossible la victoire de l'ordinateur sur l'homme et le triomphe du totalitarisme. J'en vois au moins deux :
- On croit d'abord que l'I.A. est capable de répliquer l'intelligence humaine. Comme si on avait un cerveau simplement mécanique ou électronique se limitant à quelques processus simples, à quelques effets de logique. Mais d'abord, personne ne connaît les finalités (bénéfiques ? maléfiques ?) de l'intelligence humaine. Et ensuite, on a une vision beaucoup trop abstraite, désincarnée, de la pensée.
On reproduit simplement, en fait, le vieux schéma, remontant à Aristote, de la supériorité de l'esprit en évacuant complétement le fait que l'intelligence humaine s'articule étroitement avec un corps. Un corps animé de passions, d'affects, qui se combattent sans cesse et entrent même souvent en contradiction avec notre pensée.
C'est en fait la vision de Spinoza. Le cerveau et le corps (la pensée et la chair) sont dans le même bain et ils ne cessent de s'y bagarrer ou de s'y associer. C'est ce qui fait la beauté de la vie, ces intensités de joie ou de souffrance qui la rythment.
A un circuit électronique, il manquera donc toujours un corps et c'est pourquoi l'I.A. ne parviendra jamais à répliquer la pensée et la chair associée de l'existence humaine.
- Le second point, c'est que l'I.A. sera toujours dépourvue d'humour et de bon sens. L'humour, ça ne prête pas trop à conséquence dommageable, on peut donc, à l'extrême limite, s'en passer.
Mais le bon sens, c'est nettement plus fâcheux. Parce que, confrontée à une situation en dehors des schémas établis, qui sort de l'ordinaire (un imprévu, une nouveauté), l'I.A. est capable de faire n'importe quoi, de nous exposer même aux plus grands dangers. L'I.A. peut se montrer d'une redoutable bêtise. Elle qui est incapable de rigoler peut, en revanche, faire rigoler (sous réserve qu'on ait soi-même conservé un peu de lucidité).
Et le bon sens, on peut être sûr que l'I.A. n'en possédera jamais. C'est l'une des facultés humaines les plus mystérieuses parce qu'on ne sait vraiment ni la définir, ni l'analyser. Mais elle est pourtant une réalité humaine incontournable et universellement partagée (Descartes en avait fait le pilier de sa philosophie). Disons qu'on a tous cette étrange capacité à analyser instantanément le réel, à rapporter l'accident à un tout, à avoir un sens commun, un même univers.
L'intelligence artificielle ne sera donc jamais intelligente. On n'a donc pas à la redouter. Simplement, il ne faut pas se laisser impressionner, subjuguer, par elle. C'est à nous de faire confiance à notre libre arbitre, à notre capacité à prendre les décision conformes à nos intérêts et objectifs.
Et il ne faut même pas avoir peur des destructions massives d'emploi que devrait générer l'intelligence artificielle. Et cela jusque dans le secteur tertiaire et y compris chez les cadres. C'est trop long à développer mais la "destruction créatrice", théorisée par Joseph Schumpeter, on ne peut que constater que ça fonctionne plutôt bien depuis plus de deux siècles. J'oserais même dire que l'avenir économique est plutôt prometteur.
C'est simplement à nous de ne pas nous laisser bouffer par cette (in)intelligence artificielle. On y succombe surtout par inertie. Je me permets donc de vous donner quelques conseils: essayez de vous passer, de temps en temps, de votre ordinateur ou de votre smart. Débranchez-vous, déconnectez-vous. Remettez- vous à lire des romans, apprenez à calculer de tête, essayez de faire travailler au maximum votre mémoire, consultez des cartes routières ou de géographie, essayez de faire des photos plutôt que des selfies.
Tableaux de Piet MONDRIAN (1872-1944). Il est aujourd'hui considéré comme le peintre "décisif": celui qui a appréhendé la rationalité mathématique et la géométrisation du monde. Plusieurs expositions majeures (à Bordeaux et à Amsterdam) lui ont été récemment consacrées.
Je recommande:
- Gaspard KOENIG: "La fin de l'individu - Voyage d'un philosophe au pays de l'intelligence artificielle".
- Benjamin LABATUT: "Maniac". Un des grands bouquins de cet automne, celui d'un Chilien (mais qui écrit en anglais). Les vies extraordinaires de quelques grands mathématiciens et physiciens qui, au 20ème siècle, ont conçu le premier ordinateur (le MANIAC) et la théorie des jeux. Un livre que vous ne lâcherez pas, j'en prends l'engagement.
- Brigitte LEAL: "Mondrian". Un "beau livre" à offrir pour les Fêtes de fin d'année. Y est retracée la vie de ce héros de la modernité (qui a inspiré, notamment, Saint-Laurent). Ce qui est peu connu, c'est qu'avant de révolutionner la peinture, il a eu une période classique et figurative qu'il n'est pas inintéressant de redécouvrir. Et puis Mondrian, c'est une formation aux Pays-Bas, puis la découverte de Paris et enfin de New-York (où il a trouvé refuge pendant la 2nde Guerre). Un personnage très complexe qui s'intéressait à tout, en fait: la peinture, l'architecture, la danse, le théâtre, las mathématiques, la géométrie et aussi à...l'anthroposophie.
12 commentaires:
Bonsoir Carmilla
Merci pour votre texte juste et pertinent. Vos arguments m’enchantent. En négociation vous devez être redoutable.
Nous sommes en train de créer une nouvelle classe d’esclaves genre soumission volontaire. Sans son téléphone portable, l’humain est nu. Je réfère au dernier ouvrage de Raphaël Enthoven intitulé : L’esprit artificiel dont je vous ai déjà parlé. Il parle bien d’esprit artificiel et non pas d’intelligence artificielle. L’intelligence c’est un concept très difficile à définir, parce que c’est multiple, personne sur terre n’a la même intelligence, le même genre de manière de penser, ce qui fait notre originalité. L’état d’esprit m’intéresse beaucoup plus que l’intelligence. Objectivement nous sommes incapables de la calibrer, de la définir, et surtout, cette fameuse intelligence est incapable de d’improviser. Nous l’avons constaté avec la venue des voitures sans conducteur, nous pensions que cette intelligence éviterait les accidents, résultat, ces véhicules automatisés ont provoqué des désastres. Cette intelligence est non seulement incapable de reconnaître une erreur, elle est aussi incapable d’expliquer cette erreur, parce qu’elle est parfaite, on en sait quelque chose, nos ordinateurs ne se trompent jamais, mais justement ils se plantent, tombent en panne, ignore nos directives, nous envoie sur des fausses pistes. Ils sont incapables de nous dire pourquoi ça ne fonctionne pas, ou ce qui ne fonctionnent plus. Le plus bel exemple c’est le Boeing 737 Max. Il aura fallu deux accidents mortels avant que les compagnies les clouent au sol. Ou encore, cette jeune femme qui suivait scrupuleusement son GPS, c’était toujours tout doit, son GPS ne lui a pas indiqué que cette route se terminait, qu’il aurait fallu tourner à gauche ou à droite, résultat elle est entrée directement dans le bois. Le pire, c’est que nous perdons notre sens critique et nos capacités analytiques. Enfin, nous nous sentons fautifs lorsqu’on n’arrive pas à faire fonctionner correctement ces technologies, nous nous sentons fautifs face à la machine, peut-être que nous devrions réviser nos échelles de valeurs. Nous entrons ainsi dans une nouvelle psychologie, celle de croire que nous sommes moins bons que la machine. Nous sommes tellement obnubilés par la perfection qu’on en devient idiot. Excusez-moi, je ne puis pas le dire autrement. J’aimais bien mon métier de pilote de brousse dans le nord, justement parce qu’on était toujours en train d’improviser pour prendre des décisions. C’était très valorisant. Il ne faudrait surtout pas oublier que nos technologies se sont des outils et que nous sommes les maîtres de nos outils. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.
Bonne fin de nuit Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
Je ne pense pas être redoutable en négociation. Je crois simplement que les chiffres me parlent, qu'ils sont pour moi vivants. Et si j'ai cette capacité, c'est principalement, je pense, parce que j'ai toujours fait l'effort de faire du calcul mental en me passant de toute machine.
Mais aujourd'hui, j'ai l'impression que presque tout le monde est perdu avec les chiffres, qu'1 million, ça n'a pas plus de signification qu'1 milliard. J'entendais ainsi, à l'occasion de la réouverture de Notre-Dame à Paris, des gens déclarer qu'avec l'argent de cette reconstruction, on aurait pu aussi venir en aide aux plus pauvres. Je n'ai pu m'empêcher de préciser qu'à l'échelle de l'économie française, les travaux de Notre-Dame, ça n'avait presque rien coûté (800 M€). Si on s'en était dispensés, on aurait pu allouer juste un peu plus de 10 € supplémentaires, sur une seule année, à chaque Français. Pas de quoi réduire la pauvreté donc. C'est même très largement surestimé si on prend en compte les effets induits.
A force de se reposer sur des machines, on perd, en effet, toute intelligence. On n'est d'ailleurs pas simplement perdus avec les chiffres. On n'a plus, non plus, de repères dans le temps et dans l'espace. On ne sait plus ce que l'on faisait il y a 1mois, 1 an, 10 ans. On n'est plus capables de se promener sans GPS. Je pense, ainsi, aux anciens routards qui, dans les années 60-70, allaient jusqu'en Inde. Ils se débrouillaient très bien alors qu'ils n'avaient que des cartes rudimentaires.
Et le problème, en effet, c'est que ces machines électroniques sont dépourvues de "bon sens" et que confrontées à une situation "hors des clous", elles prennent des décisions absurdes. L'homme, en revanche, sait, en effet, toute de suite s'adapter et improviser.
Et puis, l'intelligence humaine, elle est bien reliée à un corps, une sensibilité, une affectivité. Et ça nous permet de pondérer, corriger, nos choix. Mais des "machines sensibles", je crois qu'on est vraiment très loin de ça.
Bien à vous,
Carmilla
La technologie nous allège beaucoup physiquement : elle nous permet d'aller beaucoup plus vite et nous enrichit matériellement. Mais elle nous appauvrit beaucoup sur un plan, d'un point de vue humain, croit Philippe Giraud, qui exerce son métier depuis une quarantaine d'années comme sculpteur de pierre.
Lorsque la France se lève.
Il appert, qu’il y a un lien entre nos technologies et la restauration de Notre-Dame de Paris. Des artisans possédant des savoirs ancestraux se sont levés pour reconstruire ce bâtiment avec leurs savoirs, leurs manières de faire, leurs énergies, et leurs convictions. D’après les photos que j’ai pu contempler, ils ont accompli un travail remarquable soulignant sans vantardise, que l’humain, c’est beaucoup, c’est cela, surtout dans la possibilité de choisir, de concevoir, de réparer, des restaurer. Monsieur Philippe Giraud a raison lorsqu’il affirme que nos technologies nous permettent d’aller plus vite, mais qu’elle nous appauvrit sur un plan, d’un point de vue humain. Nous ne sommes pas seulement un corps, nous sommes multitudes, par notre cerveau, par nos manières multiples de penser, par notre discernement, par nos sentiments, et souvent pas nos improvisations. Avec les nouvelles technologies, qui demeurent une phase d’évolution, nous progressons, mais cette progression nous nous devons de la soigner, d’en prendre soin, et de la guider. Que dire, de la chérir. On dirait, sous l’avalanche des mauvaises nouvelles, que nous perdons le goût des grandes réalisations. Cette réussite est un baume sur nos petits quotidiens ténébreux. Il faut regarder les visages des premiers visiteurs choyés par l’étonnement, la surprise, qui se transforment en reconnaissance pour aboutir en plénitude. Leurs yeux brillaient de contemplations et de satisfactions. Ils se sentaient de parties prises de la réussite. Réussir, c’est un puissant stimulant, je n’en connais pas de meilleur, c’est la plus belle récompense. Ces milliers d’artisans me rappelle les cultivateurs dans mon coin de pays, qui, lorsque que survenait un malheur, qu’une grange-étable était la proie des flammes, ou qu’une maison était rasée au sol, on s’unissait pour reconstruire. C’était la grande corvée, des moments magnifiques où nous avons beaucoup ri.
Cette solidarité humaine existe encore, ce qui explique peut-être que nous existons, et que si on ne se détruit pas, nous existerons encore pendant longtemps. La tâche n’est pas terminée, en fait, elle ne se terminera jamais. Nous serons toujours devant des problèmes à résoudre, des défis à relever, des craintes à repousser et des doutes salutaires. S’il n’y avait pas de difficulté, il y aurait longtemps que nous aurions cessé d’exister. Je reconnais que c’est un constat déstabilisant, mais c’est peut-être là que se trouve une certaine part de vérité. Ce qui fait, que nous avons besoin de tout le monde, autant des travailleurs manuels, que des intellectuels, personne n’est inutile sur cette terre, chacun a sa place, ou devrait avoir sa place, mais d’autre part nous avons la fâcheuse tendance à gaspiller notre potentiel humain. Il y a de quoi s’interroger sur nos formations, nos capacités, nos manières d’éduquer, et surtout sur l’instruction afin de faire des réformes, non pas de manière autoritaire, mais d’une façon intelligente et bienveillante. Encourager, rassurer, promouvoir, donner confiance, afin de progresser, et que dire se donner le meilleur monde possible, je crois qu’on peut y arriver. Sans arrogance, sans colère, votre Président Emmanuel Macron a fixé la tâche à cinq ans, et vous y êtes arrivés. Au départ après l’incendie, il a dit qu’on pouvait reconstruire, je dois reconnaître que ces affirmations avaient semé le doute dans beaucoup d’esprits. Il n’y avait pas beaucoup de monde qui y croyait. Les résultats ont fait taire les sceptiques. Il y a quelqu’un qui a dit : qu’à l’impossible nul n’est tenu, j’ajouterais que sans l’impossible, nous ne sommes rien! Lorsque la France se lève, elle peut faire des grandes choses, vous venez de nous en donner la démonstration. Si vous pouvez en faire autant au niveau politique, pense que se serais bien.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
Je ne suis évidemment pas contre les technologies.
Par exemple, il n'y a a encore pas si longtemps, la comptabilité était tenue manuellement dans les entreprise et les banques. Je ne sais même pas comment c'était possible, c'était une perte de temps phénoménale avec des erreurs inévitables.
Mais l'informatisation a eu aussi des inconvénients majeurs. Elle a permis la spéculation financière à grande échelle et sans véritable fondement économique. En Bourse, la cotation des titres se faisait ainsi autrefois "à la criée". C'était peut-être archaïque mais ça reflétait bien les valeurs réelles. Aujourd'hui, ce sont les ordinateurs qui prennent les décisions en "jouant" sur des écarts ponctuels avec de grands volumes. C'est ce qu'on appelle la technique du "barattage". Mais on est d'une part complétement déconnectés des valeurs économiques réelles et, d'autre part, cela donne lieu à des mouvements moutonniers (tout le monde se met à vendre ou à acheter). Et enfin les banques détournent une part très importante de leurs ressources à cette spéculation électronique: au lieu de prêter à des entreprises ou des particuliers, elles "s'amusent" avec leurs ordinateurs. Le progrès techniques est, en l'occurrence, préjudiciable à l'économie.
Quant à Notre-Dame de Paris, c'est évidemment spectaculaire. Ce qui m'impressionne, c'est maintenant sa blancheur et sa luminosité, surtout à l'intérieur. J'ai l'impression de ne pas la reconnaître. Elle est peut-être devenue trop propre et trop claire. Il paraît que, jusqu'au milieu des années 60, Notre-Dame était, comme la plupart des bâtiments parisiens (les cartes postales de l'époque en attestent), noire comme du charbon (du fait de la pollution des siècles).
On peut se réjouir de cette nouvelle esthétique. On peut aussi s'interroger. On peut d'abord rappeler qu'autrefois, les cathédrales étaient peintes de couleurs vives. Le souci d'authenticité aurait donc du conduire à peindre Notre-Dame. Mais je crois que tout le monde aurait hurlé.
Je me demande donc si Notre-Dame n'a pas perdu de son mystère. Mais il faut que je la visite (il faut attendre pour pouvoir le faire).
Certes la technologie a beaucoup aidé pour sa reconstruction mais c'est évidemment un grand exploit. Ce qui m'étonne surtout, c'est qu'on a pu trouver les artisans qualifiés nécessaires (des gens capables, par exemple, de découper des troncs d'arbres à la hache ou de reconstituer des vitraux).
Dernier point: les Parisiens sont très attachés à Notre-Dame de Paris (en partie grâce à Victor Hugo). Mais à une petite dizaine de kilomètres, il existe aussi la Basilique de Saint-Denis qui n'est pas moins belle, qui est tout aussi chargée d'histoire et qui est antérieure à Notre-Dame. Ca peut même apparaître incroyable, mais peu de Parisiens la visitent. Depuis plusieurs décennies, on cherche à reconstruire l'une de ses flèches. Mais le projet est sans cesse reporté parce qu'on n'arrive pas à trouver les financements. C'est vraiment bizarre.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Votre commentaire me rappelle des souvenirs. Je me souviens d’une femme qui travaillait comme préposée au grand livre à la caisse populaire locale. Elle passait ses journées à recopier les états de comptes dans des énormes volumes. Elle s’est consacrée à ce travail pendant des décennies. Elle avait débuté dans une banque, puis elle est passée à la caisse populaire. Un jour que nous discutions, je lui ai demandé comment avait-elle fait pour se consacrer à ce genre de travail ? Elle m’a répondu simplement qu’elle ne connaissait pas autre chose, qu’elle se sentait bien dans ce travail. Vous avez raison, il y avait des erreurs de calcules, ainsi que des erreurs de copies. Une foule de personnes travaillaient dans les institutions financières à cette époque, tout se transigeait en temps réel, nous touchions l’argent physiquement. Nous avions un autre rapport à l’argent qu’on ne retrouve plus aujourd’hui, parce qu’avec les nouvelles technologies, je n’ai pas l’impression de dépenser. J’avoue que c’est un sentiment très bizarre. Ce n’est pas que je suis dépensier, à cette époque lorsque tu sortais ton porte-monnaie pour payer, tu avais l’impression d’acheter.
L’autre souvenir, c’est l’équarrissage à la hache. Équarrir des billots pour en faire une poutre. Au Moyen-Âge, le moulin à scie n’existait pas, alors lorsqu’on voulait une pièce de bois pour construire, il fallait l’équarrir à la hache. Équarrisseur c’est un métier et un art, il faut développer la mesure des coups, ni trop, ni pas assez, apprendre à travailler avec une hache qui était conçue que pour ce travail. On n’équarrit pas avec une hache de bûcheron. Dans ma vieille grange la charpente est constituée de poutres taillées à la hache. Cette grange est toujours debout. Lorsque je fabriquais mes auges avec des troncs de pruche pour faire boire mes bovins, il me fallait équarrir les troncs. J’ai remarqué que lorsque que je le faisais à la hache, ces auges étaient plus durables qu’avec la scie mécanique. J’adorais ce travail, premièrement je me rendais en forêt pour choisir une pruche la plus droite possible, puis je l’abattais, l’ébranchais, et je la chaînais derrière mon tracteur pour la remorquer entre le hangar et la grange. Après commençait le plaisir du travail, la bonne odeur du bois frais, la lenteur de coups de haches, les vérifications incessantes des mesures, de l’attention continuelle qu’on portait à la tâche. C’était une activité très plaisante. J’imagine ces équarrisseurs qui travaillaient sur du chêne fraîchement coupé sur le chantier de Notre-Dame ! J’aurais aimé cela équarrir un billot de chêne !
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
On m'a parlé de la "vie" de ceux que l'on appelait les "employés de banque". C'étaient des gens qui, jusqu'aux années 60 (ce n'est pas si ancien que ça), passaient leur temps à faire des additions, des soustractions, des pourcentages... C'était épouvantable d'autant que les journées étaient parfois longues. Si, le soir, on constatait une erreur il fallait tout pointer et reprendre. Comment on pouvait se sentir, mentalement, à l'issue de pareilles semaines de labeur ? Et pourtant, comme vous le précisez, il y avait des gens à qui cela convenait et qui aimaient même leur travail.
C'est vrai qu'on s'achemine vers une généralisation de la monnaie électronique (c'est la fin des pièces et billets de banque) et que le rapport à l'argent devient abstrait, dématérialisé. Néanmoins, pour des raisons trop longues à développer, l'intérêt économique d'un pays est la "bancarisation" générale des transactions: les pays les plus riches sont aussi ceux qui ont les plus grandes banques. Ou bien qu'est-ce qui freine le développement économique du continent africain ? En particulier l'absence de réseau bancaire développé.
S'agissant de l'équarrissage à la hache des troncs d'arbres, j'ai vu, il y a quelques jours, un reportage à la télévision d'un artisan de Notre-Dame qui en faisait, avec fierté, la démonstration. J'ai alors pensé que vous maîtrisiez peut-être, vous aussi, la technique de la hache. Vous auriez peut-être dû poser votre candidature comme artisan de Notre-Dame.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Pour les hangars et les granges, je me débrouille, pour les cathédrales je n’oserais pas, je laisse cette tâche aux véritables artisans. Comme dans tous métiers, il faut en faire beaucoup et souvent. Pas question de gaspiller un beau billot de chêne, ce bois rare et précieux. Je me contente de regarder pousser mes chênes blancs que j’ai semé il y a quarante ans ! Je les partais en pot, puis je les transplantais deux années plus tard. Je ne suis pas très bon avec les fleurs, mais avec les arbres je suis dans mon domaine. Les chiffres vous parlent, moi se sont les arbres qui me parlent, ils me sont une source d’inspiration inépuisable.
J’ai eu le plaisir de constater, que pour la restauration de Notre-Dame, qu’on a utilisé un vieux savoir, celui de monter la toiture avec du bois vert. C’est une expression ici qui signifie, bois frais. Je me souviens qu’on montait des structures de grange avec des bois qui venaient d’être coupés. Après la pose, ces bois séchaient, ce qui provoquait un rétrécissement des fibres comme un genre de contraction, et augmentait ainsi la solidité de la charpente. C’est un vieux savoir qui remonte à la nuit des temps. Je me demande aussi comment ils ont soulevé ces poutres qui devaient être très lourdes. Notre-Dame fait quand même une certaine hauteur ! Après il ne restait plus qu’à assembler et cheviller.
Qui connaît aujourd’hui un véritable charpentier, un forgeron, un étameur, un tailleur de pierres, ou même un employé de bureau qui travaillait dans une banque ? Se sont aujourd’hui, des personnages rares, et qui pourtant ont déjà existé. Je me souviens autant dans les banques, que dans les commerces à l’époque, il fallait balancer la caisse après la fermeture. Et tant que ça ne balançait pas, il fallait recommencer. Me connaissant, je n’aurais pas eu cette patience. Je me souviens très bien de madame Frenette, c’est à elle que je pensais hier dans mon commentaire. C’était une femme exceptionnelle, toujours bien mise, généreuse avec son sourire désarmant, le genre d’employer d’une discrétion sans faille, un pilier sur lequel vous pouviez vous reposer qui constituait la solidité d’une institution. Je pense aussi à mon ami Gérard qui a été employé à la caisse Populaire pendant une trentaine d’années, ce fut son premier et son unique emploie, un monstre de stabilité, quelle différence, moi qui changeais d’employeur à tous les deux ans, et qui souvent n’avait même pas d’adresse, qui se nourrissait d’instabilités. Tout cela fait partie de la diversité humaine, et cette diversité est essentielle au fonctionnement de nos sociétés. Nous avons l’intérêt de nous en souvenir.
Richard St-Laurent
Tant qu’a à disparition de l’argent sous forme de pièces ou de billets, je n’en suis pas si sûr. Je conserve toujours des billets sur moi, en cas que la technologie tomerait en panne, et elle tombe souvent, du moins trop à mon avis. Il suffit juste d’une simple panne d’électricité et plus de possibilité de transaction. Ce système, comme tous les systèmes, est vulnérable, pourtant nous pensons le contraire. C’est que nous n’avons jamais été mis à l’épreuve. Pour preuve, dans les perquisitions de police, qu’est-ce que l’on retrouve chez un trafiquant ? Des substances illégales, des armes, et de l’argent liquide. Souvenons-nous du vieil adage populaire : L’argent n’a pas d’odeur. Payer comptant ne laisse pas de trace. Je connais des gens qui travaillent en usine, et qui n’ont même pas de compte bancaire, qui changent leur chèque de paye pour de l’argent liquide dans un commerce à chaque semaine. Ils sont plus nombreux qu’on ne le pense. Ce n’est, non seulement, un sujet économique, mais avant tout un sujet politique, se sont les gouvernements de chaque pays qui émettent leur monnaie, qui devient un gage de confiance. Parce que la monnaie et les manières de payer, nous indique le degré de confiance que nous pouvons avoir envers une devise. Le débat entre le virtuelle et le réel se poursuit, nous pourrions avoir des discussions interminables sur ce sujet tellement qu’il est pertinent. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, les trafiquants ont besoin de confiance en ce moyen d’échange et de stabilité politique pour effectuer leurs transactions. Et, ils ne sont pas les seuls.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
Dans le reportage que j'avais vu à la télévision, on avait montré un homme, plutôt jeune et pas spécialement athlétique voire mince, qui partait du tronc d'un grand chêne. Et à coups de hache, sans même frapper très fort (il expliquait qu'il fallait trouver une "ligne"), il façonnait assez rapidement une poutre qui allait devenir un élément de la charpente de Notre-Dame. Ca m'avait vraiment fascinée d'autant qu'à la suite de l'incendie, on semblait, initialement, avoir renoncé à une charpente en bois. On aurait pu au moins utiliser des techniques industrielles, mais non... Il est admirable que l'on ait voulu une charpente absolument identique et qu'à cette fin, on ait repris les techniques du Moyen-Age.
Il existe, en effet, des métiers humbles et très exigeants, dans les quels, contre toute attente, beaucoup de gens trouvent grandeur et estime d'eux-mêmes. Tout dépend de l'attitude que l'on a envers le travail. On le considère de plus en plus aujourd'hui comme une servitude et on privilégie ce que l'on appelle sa vie personnelle. Pourquoi pas ? Mais j'ai l'impression que la vie "personnelle", elle est souvent plus nulle que la vie professionnelle. On n'est pas tous de grands artistes ou chercheurs.
Dans l'un des domaines que je connais le mieux, celui de la comptabilité, je confirme, en effet, que l'immense majorité des gens qui y évoluent en retirent une grande satisfaction. Ca peut sembler paradoxal parce que ce n'est, en effet, pas très drôle. Mais il faut sans cesse se remuer les méninges et on a l'impression de maîtriser un système. On en retire un sentiment de pouvoir et de puissance. Mais on peut aussi sombrer dans le n'importe quoi.
Sur la disparition des espèces, j'ai écrit à ce sujet l'an dernier (18 novembre 2023). Il est vrai que les banquiers et les gouvernants souhaitent une généralisation complète de la monnaie électronique. Mais à contre-courant des projets de "ma chapelle", je milite pour le maintien d'une fraction des paiements "en liquide". Il en va des libertés individuelles parce que, quoi qu'on en dise, on a tous, absolument tous (même nous, bons citoyens), quelque chose à cacher. Avez-vous simplement envie, par exemple, que votre banquier sache que vous êtes gros fumeur et gros buveur ou bien que vous vous rendez régulièrement dans un Centre Anti Cancéreux ? Difficile, dans ces conditions, de négocier un emprunt.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Mathieu Collette est fondateur Des Forges de Montréal, c’est lui qui a conçu les soixante haches à tailler qu’on a utilisé pour équarrir les troncs de chênes. J’ignorais qu’il y avait encore un forgeron taillandier à Montréal parce que c’est un métier très rare aujourd’hui. Anciennement au Québec, il y avait un forgeron dans chaque village, c’était avant l’époque des automobiles, leurs tâches principales étaient de ferrer les chevaux, mais c’était aussi des touche-à-tout, ils pouvaient en autre fabriquer des outils. J’ai vu ces haches, vraiment l’outil devient lui-même une œuvre d’art. Même le Québec a participé à la reconstruction de Notre-Dame ! On est allé chercher des compétences au niveau international. J’espère qu’un jour, il y aura un auteur qui écrira l’histoire de cette reconstruction, je pense qu’il y aurait beaucoup à dire. De comment on trouve un artisan, jusqu’à la résolution de problèmes, qui comme toutes les constructions ne manque pas de surgir. D’un désastre a surgi la solidarité, la générosité, le courage, la curiosité, ce qu’il y a de meilleur chez l’humain. Nous parlons souvent de nos désastres, mais nous ne sommes pas très bavards sur nos réussites, comme si la réussite n’était pas assez spectaculaire. Que vaut l’industrie du spectacle face à cette réalisation ? Il y a des fois que l’on touche au temps long, à la patience, à l’endurance, à la ténacité afin de développer ses habilités. Il y a des personnes modestes dont nous ne savons rien et qui soudainement avec cette reconstruction sont apparus au grand jour. Lorsque j’écoute s’exprimer ces artisans, je réalise à chaque fois, que leur quotidien forme un tout, que leur travail n'est pas séparé de leur existence privée. Il n’y a pas le travail d’un côté, et la vie de l’autre côté. Leur vie est entière, elle forme un tout, contrairement à des travailleurs qui détestent leur métier ou leur travail, parce qu’ils sont sans passions. Pour former ce tout de la vie, il faut porter une attention particulière à nos sentiments face à l’existence, afin que la vie personnelle ne soit pas défavorisée face à la vie professionnelle, mais ça peut être tout aussi bien le contraire. Pas besoin d’être des gens reconnus comme des grands artistes ou bien des grands chercheurs, l’important c’est de vivre, de se sentir bien, lorsqu’on saute en bas du lit à son réveil, avec deux ou trois idées en tête, quelques espérances, que tout peut arriver autant le meilleur que le pire. Alors, pourquoi vivre une vie à moitié ?
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard pour cette intéressante information.
Notre-Dame a effectivement bénéficié de multiples contributions internationales. Il faut en effet souhaiter qu'un ouvrage documenté recense, bientôt, tous ces apports ainsi que les techniques employées.
Ce qui est également intéressant, c'est que la conduite du projet a été assurée par un militaire, un général (Georgelin) paraît-il très autoritaire (mais c'était probablement nécessaire pour tenir les délais). Il est mort accidentellement, il y a 1 an, en se promenant dans la montagne (mais les grands arbitrages avaient été faits). Sans lui, on n'en serait qu'au début des travaux parce que chaque opération suscite une multitude de polémiques.
Bien à vous,
Carmilla
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