samedi 25 janvier 2025

La Babylone de l'Europe

 

C'est à Anvers.... On dit ça comme si ce serait ailleurs, c'est-à-dire nulle part.



Et c'est vrai que, parmi ses proches voisins, il n'est, en France, guère de pays plus méconnu que la Belgique. On entretient même à son égard une arrogance un peu stupide nourrie de blagues que je trouve, personnellement, sinistres.


Heureusement, c'est en train de changer. Peut-être grâce au succès, dans les médias français, de célèbres animateurs: Charline Vanhoenacker, Stéphane de Groodt, Alex Vizorek. Sans oublier les extraordinaires acteurs, Yolande Moreau, Benoît Poelvoorde et François Damiens. Ils donnent une véritable leçon: l'humour ne doit pas reposer sur l'arrogance, la dépréciation de l'autre, mais sur sa propre modestie. L'humour français s'exerce ainsi aux dépens des autres (je suis seul intelligent parmi une masse d'imbéciles). L'humour belge considère qu'on est tous des imbéciles.



Mais moi-même, je ne connaissais pas grand chose à la Belgique. Ca m'a donc réjouie quand on m'a invitée pour un cycle de conférences en Belgique et Hollande sur les grandes perspectives européennes.


Evidemment, je ne crois pas que j'ai rencontré grand succès là-bas. Comme souvent, un grand silence a suivi mon intervention alors que tous les autres étaient bombardés de réflexions et questions. Je ne sais pas si j'étais ennuyeuse ou incompréhensible. Parler de finance, c'est souvent frustrant.

Mais moi, j'étais, malgré tout, très contente d'être à Anvers. Parce que, pour toute personne qui s'intéresse un peu à l'économie, c'est une ville mythique. C'est tout de même dans cette ville qu'a pris naissance, au début du 16ème siècle, le Capitalisme.

Anvers a alors supplanté Venise comme centre du monde. En tant que cité portuaire, elle a commencé à développer un commerce actif avec les Indes tandis que "la Sérénissime" demeurait enfermée dans le bassin méditerranéen.


En population en Europe, Anvers se situait juste derrière Paris mais elle était beaucoup plus riche. D'une opulence sans précédent mais pas ostentatoire.


Et le monde entier affluait alors à Anvers: marins et aventuriers, négociants, banquiers, artistes et même criminels. C'est pourquoi, on la dénommait "la Babylone de l'Europe".


Et cette incroyable prospérité, la ville d'Anvers la devait à la création des premières véritables banques dans le monde. Et la création d'établissements bancaires, ça correspondait à un fantastique bouleversement des mentalités. Ca a permis de s'extirper de cette vieille haine médiévale, chrétienne et musulmane, envers l'usure, le prêt rémunéré. Cette haine qui a fait le lit de l'antisémitisme. 


On continue de détester les banques et les banquiers mais c'est avec leur concours que les hommes ont cessé d'être soumis à Dieu ou à un Seigneur.  Leurs rapports sont devenus de créanciers à débiteurs. C'est ce qui a donné lieu à la naissance du Capitalisme, une Révolution pas seulement économique mais, surtout, mentale, culturelle.


Mais l'Histoire de l'économie, ça n'était pas ma seule préoccupation. Il y avait aussi la découverte de la Belgique contemporaine.


Dans cette recherche, je ne suis, tout d'abord, pas allée bien loin. D'abord en raison de la langue. Contrairement à ce que j'attendais, le bilinguisme m'est apparu bien peu développé. Moi qui ai toujours été habituée à vivre dans une salade de langues, j'ai trouvé ça bizarre et peut-être dommage, voire inquiétant. Est-ce que ça veut dire qu'on ne s'aime pas ? Ca n'a toutefois pas empêché que, partout, j'ai été très bien reçue, avec sympathie et cordialité. Mais on me présentait comme une Parisienne (ce qui était un peu bizarre pour moi).


Me sont également revenus en mémoire des propos d'Amélie Nothomb tenus à la télévision française, il y a quelques années.


Elle affirmait que si beaucoup de Français croient que la Belgique, c'est un peu une province de la France, c'est, en fait, une opinion totalement fausse. Qu'il y a même un océan entre la France et la Belgique, tellement les deux pays sont différents.


Et ce sont les états d'esprit qui, à ses yeux, divergent radicalement.


La France, c'est évidemment le pays de la séduction. Tout Français, toute Française est en situation, permanente, de séduction.

Les Belges, quant à eux, ne pensent pas du tout à la séduction et, d'ailleurs, ils séduisent fort peu.



Et finalement, pour Amélie Nothomb, passer d'un pays à l'autre, ça donne l'impression de passer d'un théâtre séduisant mais stressant (la France) à un monde infiniment paisible et reposant (la Belgique).


Je repensais à ça et, en observant la foule, la manière dont elle était habillée, les monuments, les commerces, leur architecture sobre, je me disais qu'elle avait peut-être en effet raison. La modestie, le souci de ne pas attirer l'attention, semblent animer les Belges. Pas de clinquant, pas d'esbrouffe, rien que de la simplicité. 



Mais c'est sans doute aussi plus compliqué que ça. On pourrait en conclure que les Belges sont terre à terre, totalement prosaïques. Mais il suffit de se reporter à leur extraordinaire création artistique. Il ne faut pas oublier que la Belgique a été le pays où le Symbolisme et l'Art Nouveau ont été portés à leurs sommets.


D'abord en peinture  avec Félicien Rops, Fernand Khnopff, James Ensor. Des toiles d'une sensualité sombre et vénéneuse qui témoignent d'une véritable culture de l'angoisse et de la mort. Une culture dont sont, à contrario, dépourvus les Français.  

Et en architecture, la Maison Horta, à Bruxelles, est un chef d'œuvre indépassable, absolu.


Et ça s'est prolongé au 20ème siècle avec des peintres profondément troublants comme Paul Delvaux, Léon Spilliaert et René Magritte. Et il ne faut évidemment pas oublier l'Art révolutionnaire et populaire de la bande dessinée.


Et finalement, je me suis dit que, probablement en effet, la séduction, ce n'est pas un problème belge!

Mais, en Belgique, on entretient, en revanche, une plus grande proximité avec l'horreur, le tragique de la vie mais aussi son esthétique tourmentée.

C'est peut-être pour ça qu'en Belgique, on est plus conviviaux et on aime davantage faire la fête qu'en France.


Mes petites photos réalisées par un temps généralement très sombre et froid. Je signale que la dernière image est celle de la gare ferroviaire d'Anvers, très impressionnante et, sans doute, l'une des plus belles en Europe. 

Voici les bouquins qui m'ont accompagnée:

- Michael PYE: "La Babylone de l'Europe". Un livre récent, très complet, sur Anvers au XVIème siècle. Son auteur est un historien britannique.

- Bart Van LOO: "Les téméraires - Quand la Bourgogne défiait l'Europe". Une fresque fascinante sur les Burgondes et ses grands Ducs, dont on ignore à peu près tout en France mais qui ont pourtant façonné l'Histoire de l'Europe.

- Jeroen OLYSLAEGERS: "La femme sauvage". Un grand livre traduit, l'an dernier, du néerlandais belge. Il est intéressant de le confronter à "L'œuvre au noir" de Marguerite Yourcenar qui se passe à la même époque (16ème siècle).



7 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Ça paraît que vous avez changé d’appareil photo, même dans le brouillard vos photos sont plus claires, surtout les photos de nuit comme par exemple la 19ième, ça donne le goût de se promener dans les rues interminablement. Qui plus est, c’est juste la bonne perspective, de votre part c’est une belle composition. Vous étiez au bon endroit au bon moment. C’est quoi ce grand clocher qui s’élève au-dessus des toits ? Vraiment impressionnant !

J’aime bien la photo 8, c’est tout à fait vous, on dirait qu’un vampire va longer les murs et vous entraîner dans une aventure palpitante. Atmosphère qui ressemble à votre voyage précédent. Vous allez devenir une spécialiste du brouillard, ce qui s’accorde parfaitement avec la nuit, et l’esprit vampirique.

La photo 16 est particulièrement réussi, ça annonce la nuit et tous ces mystères avec le désir d’habiter cette rue, de pénétrer à l’intérieur de ces habitations qui ont l’air confortables, afin de se soustraire à l’humidité.

La femme sauvage de Jeroen Olyslaegers me semble une lecture intéressante, ça m’intrigue, puisque j’aime bien Marguerite Yourcenar. C’était une excellente écrivaine, très minutieuse dans son écriture.

Déjà deux voyages pour commencer l’année, ça promet.
Il y a des fois que les souhaits se réalisent.

Bonne fin de journée Carmilla.

Richard St-Laurent

Nuages a dit…

En voyant certaines de photos, on dirait que vous avez pu redresser les perspectives des bâtiments. Vous avez acquis un logiciel pour cela ?

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vos propos sont encourageants. Il faut dire que j'ai eu un temps très sombre et souvent très brumeux, peu propice à la photographie.

Mais il est vrai qu'il y a une évolution technique très rapide des appareils photographiques qui sont maintenant bourrés d'électronique (même si beaucoup d'innovations ne servent pas à grand chose, en fait). Autrefois, un appareil mécanique pouvait durer très longtemps. Aujourd'hui, un appareil de plus de 5 ans est dépassé. Autre revers de la médaille: un novice est aujourd'hui incapable, sans une bonne formation, d'utiliser un appareil sophistiqué. Ca explique, en partie, que de moins en moins de gens utilisent un appareil photo et se contentent de leur smartphone.

Sinon, mon appareil est allemand et ce qui me plaît, c'est qu'il restitue une ambiance chromatique européenne avec des dominantes rouge et bleu. C'était la couleur des films Agfa.

On dit en effet que les Européens voient plutôt en bleu et rouge, tandis que les Américains voient en jaune (couleur des films Kodak issus de la Californie) et les Japonais en vert (couleur des films Fuji). Mais cela est évidemment discutable. Et j'imagine que les Canadiens, compte tenu de leur climat, voient plutôt, eux aussi, en bleu et rouge.

Le grand clocher, c'est celui de la Cathédrale d'Anvers, un des chefs d'œuvre de l'Art gothique achevé au 16ème siècle après 150 ans de travaux. Ses dimensions sont comparables à celles de Notre-Dame de Paris. Sa flèche est effectivement impressionnante et compte parmi les plus hautes avec plus de 130 mètres.

Quant à Olyslaegers, si vous aimez Yourcenar, vous aimerez forcément "La femme sauvage". L'écriture est toutefois moins sophistiquée. Mais le livre a quand même été recensé parmi les meilleurs ouvrages de l'année 2024.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

On m'a effectivement fourni, avec l'achat de mon appareil, des logiciels DxO, prétextant qu'ils étaient les plus adaptés à Leica.

DxO, on dit que c'est le plus sérieux concurrent de Photoshop mais je ne suis pas compétente pour juger.

J'ai donc acquis DxO Photo Lab et DxO View Point. Ce dernier permet justement de corriger les perspectives et de maîtriser la géométrie.

Je suis tout à fait novice et j'avoue que j'aurais bien besoin d'un prof pour maîtriser ces logiciels. Néanmoins, on arrive souvent, avec DxO View Point, à des résultats impressionnants.

Je vous conseille de vous rendre sur leur site. Je suis sûre que ça vous intéressera. Vous pouvez essayer chaque logiciel pendant 1 mois sans rien payer.

Si vous vous décidez, il faut savoir que ce n'est pas très cher et, surtout, qu'à la différence de Photoshop qui impose un abonnement annuel, le paiement est une fois pour toutes.

Ca m'intéresserait de recueillir votre avis,

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

DxO, Lightroom, etc... ont surtout pour avantage de traiter les Raw. Comme les Jpeg Fuji sont très bons, je me suis cantonné aux Jpeg depuis longtemps, et je les optimise un peu en utilisant une version déjà ancienne (livrée avec mon scanner-film) de Photoshop Elements, qui permet aussi de redresser les perspectives, et qui me convient fort bien.

Je sais bien que les logiciels de développement des Raw sont irremplaçables pour déboucher les ombres et traiter les zones trop claires, mais pour mon usage, et pour mes exigences, optimiser mes Jpeg avec Photoshop Elements me suffit amplement. C'est le Photoshop "tout court", la version pro, qui impose un abonnement, mais les versions light, amplement suffisantes, sont pérennes une fois qu'on les a acquises.

Nuages a dit…

Cette image-ci, par exemple, a été redressée avec Photoshop Elements. Je connais bien la procédure, c'est devenu une routine.

https://nuages9.blogspot.com/2025/01/un-soir-sur-la-basilique-1.html

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

A vrai dire, je m'interroge toujours sur la nécessité de faire du Raw. J'ai peur de consacrer des nuits entières au traitement des fichiers pour pas grand chose.

Et puis, j'avoue que je rame plutôt avec ces logiciels qui sont vraiment complexes et réclament un bon apprentissage. Mes quelques essais m'ont parfois déçue avec l'impression que je faisais moins bien que le JPEG.

Quant au redressement des perspectives, ça marche très bien mais à condition qu'on ait cadré large. Sinon, ça déborde du cadre. Néanmoins, c'est un outil très intéressant parce que dès que l'on fait de la photo en ville, on a des problèmes vite importants de perspective.

Quant à vos photos de la basilique d'Avioth, les flèches sont bien verticales mais on ne devine pas que ça a été rééquilibré.

Merci pour votre avis éclairé,

Carmilla