vendredi 28 octobre 2011
Exhaussement
Toute cette semaine, j’ai vécu dans une espèce d’exacerbation sensuelle. J’ai retrouvé mes émotions d’antan, leur épuisante tension, leur brûlure abjecte et lumineuse.
Il faut dire que j’ai mixé la lecture du dernier livre de Marie Darrieussecq, « Clèves », avec le film « l’Apollonide » de Bertrand Bonello. L’un prolonge l’autre, tout en en étant l’envers : la glauque obscénité de l’adolescente et puis l’éclatante splendeur de la prostituée. Du trash au sublime, le parcours de la féminité.
Marie Darrieussecq, j’avais mis ça un peu de côté ces derniers temps. C’était trop intello années 90.
Et puis là, j’ai été scotchée par « Clèves ». C’est l’exact contrepoint de « La Princesse de... » qui, elle aussi mais à sa manière, ne pensait qu’à ça.
Ca…, cette effrayante irruption du corps. Ca surgit quand on a 12/13 ans. Ce corps qui, tout à coup, s’impose, devient encombrant et que l’on ne parvient pas à décrypter. Cet envahissement massif, irrépressible, des rêveries coupables. Ca devient une obsession constante : on est dévorée par l’envie, on rêve de le faire, de baiser, de se faire baiser. C’est d’autant plus torturant que dans la vie quotidienne, tout se passe comme si de rien n’était, comme si ça n’existait pas. Pour comprendre ça, on n’a, comme points d’accroche, que la sombre vulgarité ambiante.
On est prête à tout pour passer à l’acte, pour savoir ce que c’est. Ce que c’est vraiment, ce qu’est le bouillonnement de la vie. On cherche des mots pour nommer tout ça mais on n’a qu’un vocabulaire limité et le langage est de toute manière impuissant. Et puis on a honte de soi, de son corps, on est moche, on n’a pas de seins, on fuit de partout, de bave, de sueur, de menstrues. On vit dans l’humiliation.
C’est répugnant et fascinant à la fois. Et les autres, les garçons, les filles de votre entourage, ne se privent pas de vous confirmer qu’effectivement vous n’êtes qu’une grognasse. Les jeunes sont vraiment des crapules, d’une incroyable cruauté.
De ce point de vue, quand j’étais adolescente et n’en déplaise aux contempteurs de la pédophilie, j’étais comme l’héroïne de Marie Darrieussecq. Je ne couchais qu’avec des vieux et des vieilles, ne serait-ce que pour échapper au crétinisme jeune.
Ensuite, le film « l’Apollonide » de Bertrand Bonello. C’est vraiment une splendeur. Sur la prostitution, on n’a que des positions tranchées, la condamnation morale ou le militantisme permissif. Ce qui est sûr, c’est qu’on est tous, hommes et femmes, fascinés par les prostituées parce qu’on sait bien qu’elles ont une connaissance de la vie incomparable, de sa duplicité essentielle, de ses aspects sordides et magnifiques.
Moi, bien sûr, les prostituées me font rêver. Comme il est agréable, après une pipe d’opium, de faire l’amour dans une baignoire emplie de champagne ou sous le regard d’une panthère noire ou avec un masque blanc et un corset compliqué. Comme il est agréable également, oserais-je le dire, quand on est une belle femme inaccessible, d’être maltraitée par des types abjects avec qui vous n’avez rien en commun.
On rêve tous aussi d’avoir une multitude de partenaires parce que chaque rencontre est une découverte. Quoi de plus triste que de ne connaître qu’un seul homme, qu’une seule femme dans sa vie ? C’est un énorme appauvrissement intellectuel, affectif.
Il y a quelque chose d’exaltant dans la vie des prostituées : c’est cette force qui les habite, les transfigure, les arrache à leur simple condition sexuelle. La prostituée incarne en effet la pulsation même de la vie où l’horreur se transforme sans cesse en beauté et inversement.
On croit que la beauté, ça existe en soi et que c’est intimement lié au Bien. Mais on sait bien en fait que la Beauté, c’est un mouvement, une aspiration, c’est ce qui vous permet de dépasser votre condition humaine limitée.
C’est le retournement de l’horreur et de l’abjection et c’est pour ça qu’il y a tant de magnificence dans les endroits les plus sordides, les bordels et tous les lieux de détresse et d’enfermement.
Mais c’est pour ça aussi que la Beauté est forcément vénéneuse.
Tableaux de Jan Lebenstein (1930-1999), l’un des peintres polonais les plus reconnus internationalement. Il a vécu quelque temps dans le quartier Saint Paul à Paris.
Je signale aussi qu’il faut absolument acheter le CD de la musique du film « l’Apollonide ». Ca se commande ici : www.dissidenz.com/
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