Aux yeux de l’opinion populaire, les puissants, tous ceux qui exercent un pouvoir politique et administratif, sont forcément des gens qui ont une vie très agréable, faite de multiples distractions. Le moteur premier des élites, ce serait l’appétit de jouissance, financière et sexuelle. Le meilleur exemple, ce serait évidemment DSK.
Je crois que c’est une image qu’il faut très largement corriger. C’est ce qu’a fait un film récent : « l’exercice de l’Etat » de Pierre Schoeller. En fait, on ne rigole vraiment pas dans les sphères du pouvoir.
Pour ma part, je dois l’avouer, c’est un monde que je connais un peu. J’ai en effet fait ce que l’on appelle une grande école. Je ne raconte pas ça pour me vanter d’autant que j’y ai accédé avec un immense coup de chance et comme un « alien » puisque je n’avais pas du tout la formation et la préparation pour ça. Je me demande toujours comment ça a été possible, tellement j’étais à côté de la plaque.
Ce qui est sûr, c’est que lorsque j’ai fait connaissance des collègues que j’allais côtoyer pendant plus de deux ans dans une lointaine école en province, j’étais totalement désespérée. Qu’est-ce qu’on allait pouvoir se dire ? Tous Français de France, blancs, moyenne bourgeoisie, binoclards, boutonneux. Les filles, toutes des « mochetés » habillées comme des bonnes sœurs. Tous mal à l’aise avec leur corps, leur apparence. Tous respirant la souffrance d’une morne adolescence.
Cela étant, tous parfaitement polis, gentils, maîtrisés : éduqués à mort, comme le disait Fritz Zorn.
Et puis indéniablement compétents et des bourreaux de travail, contrairement à l’image que l’on diffuse souvent de la fonction publique (Zoe Shepard ou Corinne Maier). J’étais surtout impressionnée par leur incroyable culture juridique dont j’étais pour ma part dépourvue. Au point que tout, même la vie quotidienne, était appréhendé à travers la grille du droit, des grands principes, des procédures, du licite et de l’illicite. Ca aboutissait à une vision de la vie d’un terrible conformisme, neutre, de juste milieu. Ca déteignait même sur leur vie personnelle, relationnelle et affective. D’ailleurs, je crois bien que je n’ai couché avec personne durant cette période.
Les stages dans les ministères ou les préfectures, ça a été encore pire pour moi. Moi qui ai toujours détesté l’administration, j’étais servie. Comme tout était gris et morne et les journées infinies à décortiquer des procédures dont je ne percevais pas la finalité ! Les fonctionnaires éaient encore plus sinistres, caricaturaux, serviles et obséquieux. J’avais l’impression que tout le monde était déguisé.
Enfin, tout ça c’est mon passé et c’est révolu depuis quelque temps mais c’est pour dire que, dans les sphères du pouvoir et chez les élites, contrairement à ce qu’on s’imagine, on ne s’éclate vraiment pas. La fantaisie, l’audace, la rébellion, la débauche, on ne connaît pas et ça n’existe pas. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir la tête des politiques et des hauts fonctionnaires : il n’y a pas plus normal qu’eux. Des Strauss-Kahn il n’en existe qu’un nombre infinitésimal et d’ailleurs il faut rappeler que DSK n’a pas réussi à intégrer les grandes écoles.
C’est très austère, rigide, abstrait, désincarné. On joue à se punir : on a une vie épuisante et sinistre, pleine de contraintes, consacrées pour l’essentiel, à faire et défaire des textes. On tire orgueil à pratiquer des horaires démentiels et à n’avoir plus de vie personnelle, à se consacrer entièrement au service de l’Etat. Dans cette volonté d’expiation, il y a quelque chose d’effrayant et de dérisoire parce que ça repose évidemment sur une perte totale du sens de l’efficacité.
Les élites, ce sont, pour l’immense majorité, des personnes névrosées et obsessionnelles mais sûrement pas des jouisseurs transgressifs. L’esprit d’ascèse, c’est leur mode de fonctionnement. La satisfaction, le plaisir, ils sont trouvés dans l’obéissance et la conformité.
Alors, si ce n’est pas la jouissance qu’est-ce qui conduit beaucoup de gens à rechercher l’exercice du pouvoir ?
En fait, on ne recherche ni son accomplissement personnel ni à opprimer les autres; quant au service public, on n’en a évidemment rien à fiche. Il s’agit plutôt d’une espèce de demande d’amour et de quête narcissique éperdue. Dans l’exercice du pouvoir, on prolonge en effet son adolescence et on continue d’occuper la position de l’enfant chéri vis-à-vis de ses parents, celui qui quête sans cesse leur assentiment et reconnaissance. Surtout ne jamais déplaire, être parfaitement obéissant et conforme à ce que l’on croit être leur désir. Adopter, reproduire leurs avis, opinions. Etre irréprochable et pour cela intérioriser les vertus de la punition et du renoncement. Dans son désir de reconnaissance, l’homme politique vit ainsi dans une effroyable dépendance, celle de l’esclave vis-à-vis de celui qu’il croit être son maître. Pas étonnant que fleurisse la démagogie.
Images tirées du film prophétique « Metropolis » de Fritz Lang, qui ressort, en ce moment, en salle ainsi que de photographies de Karl Lagerfeld pour le magazine Vogue allemand.
Puisqu’on est dans le cinéma, je signale à tous les fans de David Lynch (dont je fais partie) la sortie de son CD : « Crazy Clown Time ». On s’y retrouve et on est comblés.
Toujours dans le cinéma, allez voir, de toute urgence : « Sleeping beauty » de Julia Leigh. Ca vous changera des détestables films populos-démagos français qui cartonnent en ce moment (« Polisse », « Intouchables », « Mon pire cauchemar ») et ça vous donnera quelques clés de compréhension de la personnalité de Carmilla Le Golem. J’en reparlerai probablement.
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