dimanche 20 janvier 2013

De la filiation - « Main basse sur les vivants »



Encore une fois,  je suis hérissée ! Toutes ces idées saugrenues qu’on agite en ce moment autour du droit à l’enfant et à l’adoption. Je trouve ça bizarre : le familialisme devient de plus en plus fort même si c’est dans un cadre restructuré, éventuellement unisexe ! Surtout, on semble pénétrés de cette idée que le modèle de l’accomplissement d’un individu, c’est la filiation.


Alors ça justement, c’est peut-être discriminant. Il y a plein de gens qui n’en ont rien à fiche de se reproduire symboliquement ou biologiquement;  j’en fais d’ailleurs partie. On peut aussi ne pas avoir, ne pas désirer, d’enfant, de famille, sans pour autant mener une vie  atrophiée et malheureuse. Cette ambition d’une trace, d’une transmission, je trouve ça très prétentieux, très petit-bourgeois.


On aime bien en fait le déterminisme : les origines, la descendance, il faudrait que ça nous constitue absolument. Sans doute, mais il y a aussi tous les conflits, toutes les luttes, autrement plus formateurs que l’on traverse dans une vie.


Et puis qu’est-ce que ça veut dire ce désir de filiation, cette volonté de transmettre à tout prix une parenté ? C’est aussi l’expression d’un étrange narcissisme, dévorant, dominateur. On le sait bien en effet : les enfants ne sont le plus souvent qu’une projection idéalisée, sublimée, de leurs parents. L’enfant compense les humiliations, les mortifications de l’adulte.


Je m’étonne d’ailleurs que presque personne n’ait rappelé que l’adoption n’est pas forcément si compliquée que ça et qu’un homosexuel peut aujourd’hui, en toute légalité, adopter quelqu’un. C’est la procédure de l’adoption simple; c’est très répandu dans certains pays européens, beaucoup moins, semble-t-il, en France (un cas célèbre : la fille adoptive de Sartre).


Si on y a peu recours en France, c’est sans doute parce que l’adoption simple ne modifie pas les liens de filiation et qu’elle repose sur un accord des deux parties. C’est en fait un contrat d’assistance réciproque (conclu éventuellement entre des adultes) et c’est ce que je trouve très bien : si on aime vraiment quelqu’un et si on veut lui porter soutien, on peut très simplement recourir à l’adoption simple.


Mais dans les revendications aujourd’hui exprimées du droit à l’adoption, il est clair qu’il ne s’agit que secondairement d’amour. La préoccupation première, c’est cette fichue filiation. J’avoue que je trouve ça exorbitant et forcément fantasmatique.


Le comble du délire, j’oserai même dire que c’est la procréation médicalement assistée (la PMA). Les hôpitaux français consacrent maintenant des sommes folles à ce truc et tout le monde semble trouver ça très bien, même si c’est évidemment au détriment de la prise en charge d’autres personnes, réellement malades.


Mais en fait, est-ce que la volonté de puissance de la science ne vient pas ici au-devant de nos tourments sociaux ? Qu’est-ce que c’est, en effet, que cet étrange désir d’une origine totalement maîtrisée à l’œuvre dans la science la plus pointue ?


On vient, avec la P.M.A., de confier à la science le soin de gérer notre sexualité. On va maintenant complètement à contre-courant du mouvement de libération sexuelle des années 60-70. La science est aujourd’hui chargée de réguler nos débordements.



Avec les techniques de P.M.A., on aboutit à une « origine débarrassée de la sexualité ». Ca procure sans doute une jouissance à beaucoup parce que ça recouvre beaucoup de fantasmes infantiles : « mes parents ne sont pas mes parents », « je ne suis pas né d’un acte sexuel ».


Surtout, ça aboutit à une "fabrique généralisée du même qui altère l'altérité, et à ce discours en impasse de la liberté individuelle qui suscite un « droit» à l'enfant, à la santé, à l'éternité... quel qu'en soit le prix".


Photographies de Polixeni PAPAPETROU, jeune photographe australienne qui illustre à merveille, me semble-t-il, les paradis vénéneux de l’enfance.

Je renvoie par ailleurs au livre de Monette Vacquin, déjà ancien mais qui n’a rien perdu de son actualité : « Main basse sur les vivants »

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"On va complètement à contre-courant du mouvement de libération sexuelle des années 60-70" Bien vu ;au milieu de ce déluge de bruits et de pancartes ,où est l'amour de l'enfant ? le choix des illus est extra ( encore une découverte !) acidulées et tendres
Merci Camilla . Lola.

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Lola,

Je n'ai pas, à vrai dire, d'opinion tranchée sur la question de l'adoption. J'ignore s'il est bien ou mal que des homosexuels adoptent un enfant.

Il me semble simplement que, dans les revendications exprimées, affleure moins le souci de dispenser de l'amour à un enfant (pour ça, la formule de l'adoption simple remplit parfaitement cet objectif) que d'établir, à toute force et à n'importe quel prix, une filiation.

C'est ce désir impérieux de filiation, d'ailleurs partagé par les homosexuels et les hétérosexuels,qui m'interroge. Ca semble la grande angoisse moderne et on est vraiment prêts à tout pour ça. Prêts même à confier à la science le soin de gérer notre sexualité. On est donc bien loin, en effet, de l'esprit de 68.

Carmilla