Encore une fois, je suis hérissée ! Toutes ces idées saugrenues qu’on agite en ce moment autour
du droit à l’enfant et à l’adoption. Je trouve ça bizarre : le
familialisme devient de plus en plus fort même si c’est dans un cadre
restructuré, éventuellement unisexe ! Surtout, on semble pénétrés de cette
idée que le modèle de l’accomplissement d’un individu, c’est la filiation.
Alors ça
justement, c’est peut-être discriminant. Il y a plein de gens qui n’en ont rien
à fiche de se reproduire symboliquement ou biologiquement; j’en fais d’ailleurs partie. On peut aussi ne
pas avoir, ne pas désirer, d’enfant, de famille, sans pour autant mener une vie
atrophiée et malheureuse. Cette ambition
d’une trace, d’une transmission, je trouve ça très prétentieux, très
petit-bourgeois.
On aime bien
en fait le déterminisme : les origines, la descendance, il faudrait que ça
nous constitue absolument. Sans doute, mais il y a aussi tous les conflits,
toutes les luttes, autrement plus formateurs que l’on traverse dans une vie.
Et puis
qu’est-ce que ça veut dire ce désir de filiation, cette volonté de transmettre
à tout prix une parenté ? C’est aussi l’expression d’un étrange
narcissisme, dévorant, dominateur. On le sait bien en effet : les enfants
ne sont le plus souvent qu’une projection idéalisée, sublimée, de leurs
parents. L’enfant compense les humiliations, les mortifications de l’adulte.
Je m’étonne
d’ailleurs que presque personne n’ait rappelé que l’adoption n’est pas
forcément si compliquée que ça et qu’un homosexuel peut aujourd’hui, en toute
légalité, adopter quelqu’un. C’est la procédure de l’adoption simple; c’est
très répandu dans certains pays européens, beaucoup moins, semble-t-il, en
France (un cas célèbre : la fille adoptive de Sartre).
Si on y a peu
recours en France, c’est sans doute parce que l’adoption simple ne modifie pas
les liens de filiation et qu’elle repose sur un accord des deux parties. C’est
en fait un contrat d’assistance réciproque (conclu éventuellement entre des
adultes) et c’est ce que je trouve très bien : si on aime vraiment
quelqu’un et si on veut lui porter soutien, on peut très simplement recourir à
l’adoption simple.
Mais dans les
revendications aujourd’hui exprimées du droit à l’adoption, il est clair qu’il
ne s’agit que secondairement d’amour. La préoccupation première, c’est cette
fichue filiation. J’avoue que je trouve ça exorbitant et forcément
fantasmatique.
Le comble du délire, j’oserai même
dire que c’est la procréation médicalement assistée (la PMA ). Les hôpitaux français
consacrent maintenant des sommes folles à ce truc et tout le monde semble
trouver ça très bien, même si c’est évidemment au détriment de la prise en
charge d’autres personnes, réellement malades.
Mais en fait, est-ce que la volonté de
puissance de la science ne vient pas ici au-devant de nos tourments
sociaux ? Qu’est-ce que c’est, en effet, que cet étrange désir d’une
origine totalement maîtrisée à l’œuvre dans la science la plus pointue ?
On vient, avec la P.M.A., de confier à
la science le soin de gérer notre sexualité. On va maintenant complètement à
contre-courant du mouvement de libération sexuelle des années 60-70. La science
est aujourd’hui chargée de réguler nos débordements.
Avec les techniques de P.M.A., on aboutit
à une « origine débarrassée de la sexualité ». Ca procure sans doute
une jouissance à beaucoup parce que ça recouvre beaucoup de fantasmes
infantiles : « mes parents ne sont pas mes parents », « je
ne suis pas né d’un acte sexuel ».
Surtout, ça aboutit à une "fabrique
généralisée du même qui altère l'altérité, et à ce discours en impasse de la liberté individuelle qui suscite
un « droit» à l'enfant, à la santé, à l'éternité... quel qu'en soit le prix".
Photographies de Polixeni PAPAPETROU,
jeune photographe australienne qui illustre à merveille, me semble-t-il, les
paradis vénéneux de l’enfance.
Je renvoie par ailleurs au livre de Monette Vacquin,
déjà ancien mais qui n’a rien perdu de son actualité : « Main basse
sur les vivants »
2 commentaires:
"On va complètement à contre-courant du mouvement de libération sexuelle des années 60-70" Bien vu ;au milieu de ce déluge de bruits et de pancartes ,où est l'amour de l'enfant ? le choix des illus est extra ( encore une découverte !) acidulées et tendres
Merci Camilla . Lola.
Bonjour Lola,
Je n'ai pas, à vrai dire, d'opinion tranchée sur la question de l'adoption. J'ignore s'il est bien ou mal que des homosexuels adoptent un enfant.
Il me semble simplement que, dans les revendications exprimées, affleure moins le souci de dispenser de l'amour à un enfant (pour ça, la formule de l'adoption simple remplit parfaitement cet objectif) que d'établir, à toute force et à n'importe quel prix, une filiation.
C'est ce désir impérieux de filiation, d'ailleurs partagé par les homosexuels et les hétérosexuels,qui m'interroge. Ca semble la grande angoisse moderne et on est vraiment prêts à tout pour ça. Prêts même à confier à la science le soin de gérer notre sexualité. On est donc bien loin, en effet, de l'esprit de 68.
Carmilla
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