La grande entreprise de maternage et d’infantilisation de la
société française se poursuit. En novembre prochain, le Parlement devrait
examiner un texte sanctionnant les clients des prostituées. Ca vient de jeunes
et d’élus de gauche mais ça recueille une approbation quasi-unanime.
L’abolition de la prostitution, c’est bien sûr d’abord une
revendication du féminisme victimaire pour qui les femmes sont d’abord de
pauvres créatures, perpétuellement abusées, violées, trompées.
C’est aussi dans l’air général du temps, dans le prolongement de
l’idéologie du mariage pour tous où il s’agit de contenir la sexualité dans les
strictes limites du couple et du mariage bourgeois.
Sauf que vouloir abolir la prostitution, c’est comme vouloir
abolir le désir. Les professeurs de vertu sont les plus torturés : punir,
ça apaise ses propres impulsions scélérates. On voudrait dissimuler sous un
glacis domestiqué, tétanisé, notre essentielle crapulerie.
D’ailleurs, dans la prostitution, il n’est pas sûr que les femmes
soient toujours assujetties puisque certaines ont le courage de déclarer choisir
librement ce métier.
Et puis surtout, qui sont les hommes qui fréquentent aujourd’hui des
prostituées ? Certainement pas de grands libertins ou d’impitoyables
prédateurs mais plus simplement des pauvres types. Des moches, des nuls, des
miséreux, tous ceux dont aucune femme « normale » ne veut. Même DSK
est un paumé qui a, tout de même, la lucidité d’entrapercevoir qu’il est un
imposteur.
La prostitution, en fait, ça n’est pas tellement, comme on le
pense généralement, l’asservissement des femmes mais c’est plutôt l’expression
et la conséquence de la misère virile.
Marcela Iacub a bien montré que la grande contribution de
Nafissatou Dallo à la pensée
philosophique a été d’évacuer le problème éthique à propos de la prostitution.
Quelle femme, en effet, même la plus sinistre militante, même la plus affreuse
bigote, n’accepterait pas une rémunération de sa prestation sexuelle en échange
de quelques centaines de milliers de dollars ?
Marcela Iacub en déduit que le problème est en fait purement
économique, celui d’un juste prix qui lèverait toutes les réserves et
permettrait d’accroître considérablement les échanges tarifés et de libérer du
chômage et de la pauvreté des milliers de femmes.
Ca rejoindrait le projet d’une mercantilisation et d’une
monétisation généralisées des émotions déjà énoncé dans l’un des livres les
plus singuliers de la pensée française : « La monnaie vivante »
de Pierre Klossowski, le frère aîné de Balthus. Ce n’est pas la misère qui
pousserait les gens à se vendre mais tout au contraire leur richesse.
Pourquoi pas, mais pour moi, qui ne suis qu’une impitoyable
économiste, ça ne saurait être qu’une belle utopie.
Ce qui est sûr, c’est que la prostitution, qu’on soit pour ou
contre, ça nous fascine tous parce qu’on sent bien qu’elle est porteuse d’une
paradoxale liberté.
Il me semble en fait que la condamnation généralisée de la
prostitution, c’est la condamnation d’une sexualité nomade de la femme.
L’errance, c’est ça le scandale. Il faut à tout prix que la sexualité féminine,
ça passe par l’amour, le couple, la procréation.
Multiplier les rencontres amoureuses, pour le simple plaisir, pour
le fun, c’est inadmissible. C’est la complète subversion de l’ordre social. On
ne peut pas tolérer qu’une femme ait de multiples amants / amantes, déteste la
mièvrerie et la langueur sentimentales, soit indifférente à l’entretien d’une
famille, veuille vivre d’inconnu, d’aventures, de découvertes.
On voudrait croire que la sécurité, c’est la préoccupation
première des femmes. En réalité, c’est l’esprit de conquête, la puissance
exercée, qui les fascine.
La Révolution, c’est quand on parviendra à dissocier l’amour et le
désir, à larguer les amarres avec le sentiment. Il est indispensable de relire
à cet égard l’un des plus beaux livres de la littérature française :
« Juliette ou les prospérités du vice » du Marquis de Sade.
Tableaux de Franz Von Bayros (1866-1924) peintre autrichien
scandaleux souvent comparé à Félicien Rops.
Sur le thème de la prostitution, du plaisir gratuit que l’on peut
y éprouver, on se rapportera évidemment au film de François Ozon :
« Jeune et jolie ».
C’est un bon film mais, sur le même sujet, j’ai préféré :
« Elles » de Malgorzata Szumowska.
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