Je suis bien sûr branchée, le plus possible, sur l'Ukraine. Contrairement à ce que l’on imagine peut-être ici, les
sentiments prédominants, là-bas, ne sont ni la peur ni l’angoisse, même si
l’avenir, à court terme, est complétement incertain et même si les premiers
cliquetis des armes se sont déjà fait entendre en Crimée.
On ne sait pas, bien sûr, ce qui va se passer avec la Russie mais on n'arrive pas à croire à la possibilité d'une guerre et on continue plutôt de vivre dans une immense allégresse, une grande
euphorie collective face à la béance d’un avenir qui semble, tout à coup,
s’ouvrir et devenir riche de mille possibilités, même les pires...
On vient de s’arracher, brutalement, à la morne banalité de
l’existence. Soudainement, les choses reprennent sens. Tout se recompose, on a
cessé de s’ennuyer. La vie retrouve une saveur
jusqu’alors refoulée. On se remet à parler à tout le monde, pas
seulement à ses voisins et sa famille mais à tous ceux que l’on rencontre au
hasard, dans la rue, les transports, les cafés. On se sent affranchis des
règles sociales et des codes de bonne conduite.
La Révolution, les guerres, ça fait sans doute partie des
expériences décisives dans une existence humaine. C’est sûr, en effet, qu’un
pays, un individu, ça ne se constitue pas dans la paix et la tranquillité mais
plutôt dans le conflit, l’affrontement, bref dans la guerre.
Il faut oser l’évoquer : il y a un plaisir fou à voir
sombrer l’ordre social ancien. Il y a un plaisir du combat, il y a un sombre plaisir
de la guerre.
Bien sûr, je ne vais pas appeler à la guerre d’autant que je
déteste les armées, les militaires et leur effrayante bêtise.
Mais c’est sûr que ce qui me manque en Europe de l’Ouest,
c’est le sens du tragique. Tout est plat, banal, utilitaire et surtout on a le sentiment que plus rien ne peut jamais arriver.
Pour moi, l’évocation de « la grande guerre patriotique », ça
demeure ainsi très important; j’ai aussi été très marquée par les récits
de la révolution iranienne et surtout par l’effondrement du système communiste.
La chute de l’U.R.S.S., ça a été un bonheur fou et c’est pour ça que je déteste
les livres nostalgiques aujourd’hui
publiés.
Ce qui m’effraie, en revanche, en l’Europe de l’Ouest, c’est
qu’il n’y a aucune ouverture possible. La Révolution, la guerre, c’est devenu
carrément impossible. C'est complétement sorti de la conscience européenne et on n'y a plus recours que de manière déguisée, honteuse, très loin à l'extérieur.
Il faut ainsi évoquer un bouleversement anthropologique
essentiel : le tabou essentiel, c’est devenu, maintenant, celui porté sur la
guerre et, dans une moindre mesure, sur la Révolution. C’est finalement très, très récent, rien du tout à l’échelle de l’histoire
humaine. Pourtant, il y a bien sûr la guerre criminelle mais il y a aussi la
guerre civilisatrice (Rome, Napoléon) et puis l’état de guerre, comme l’a dit
Hobbes, c’est la situation primaire de l’humanité que vient ensuite
contrecarrer l’ordre politique.
Le pacifisme est aujourd’hui vainqueur. Bien sûr qu’il faut
s’en réjouir mais l’humanité pacifiée, est-ce que ce n’est pas aussi l’humanité
domestiquée ?
Imagine-t-on, en effet, des manifestants rassemblés sur la
place de la Concorde, fussent-ils des centaines de milliers, renverser le
Président de la République ? Et pourtant, c’est bien aussi d’une
Révolution que rêvent la plupart des Français.
On vit dans un Etat démocratique, nous objectera-t-on !
Tout se règle dans le cadre d’un système électoral.
C'est vrai mais la pluralité n'est souvent que de façade et c'est l'unanimisme démocratique qui est sollicité. Parfois, on a l'impression de vivre en R.D.A..
C'est cette impuissance éprouvée qui fait que beaucoup de gens se tournent vers des partis extrémistes.
C'est vrai mais la pluralité n'est souvent que de façade et c'est l'unanimisme démocratique qui est sollicité. Parfois, on a l'impression de vivre en R.D.A..
C'est cette impuissance éprouvée qui fait que beaucoup de gens se tournent vers des partis extrémistes.
Parce qu'il faut bien le reconnaître : on porte tous en nous le rêve d'un grand soir révolutionnaire. On aimerait tous
voir, un jour, guillotinés en place publique, tous les représentants de l’ordre
bureaucratique qui oeuvrent aujourd’hui, insidieusement, à l'asservissement de
nos vies.
Paris, Kiev, même combat !
Tableaux d'Igor Podolczak, peintre ukrainien, né à Lviv en 1962
Sur la question de la guerre, je renvoie à Paulina Dalamayer : "Aime la guerre" et à Robert Redeker : "Le soldat impossible". Je ne partage pas, bien sûr, les idées de Robert Redeker mais son livre est très bien écrit et pose des questions dérangeantes.
2 commentaires:
Carmilla, vous m'apprenez beaucoup de choses! Et comme vos goûts artistiques sont originaux et variés!Merci mille fois.
Merci à vous aussi, Dominique, pour votre sympathique message qui me fait plaisir et me trouble à la fois.
Amicalement
Carmilla
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