samedi 10 mai 2014

De la distinction





















J'ai vraiment bien aimé le film "Pas son genre" de Lucas Belvaux, tiré du livre éponyme de Philippe Villain.

C'est l'histoire de la rencontre, dans la ville d'Arras, d'un jeune prof de philo, bobo parisien, et d'une fille simple, une coiffeuse.


Enfin..., de rencontre, il n'y en a pas vraiment parce que les barrières sociales et culturelles y font obstacle. Seule la jeune fille croit à cette possibilité et à celle de l'amour mais le jeune homme, lui, est lucide.

On peut éprouver de la sympathie pour quelqu'un qui n'est pas du même milieu social mais on ne peut pas vraiment échanger, communiquer avec lui. Il y a d'ailleurs toujours une asymétrie dans ce type de relation et une séparation profonde de la personne éduquée et de la personne modeste : comme le soulignait Tolstoï, la personne modeste ne perçoit que peu de différences; l'intellectuel, en revanche, voit un abîme.


C'est terrible, c'est d'un effrayant cynisme mais il faut bien reconnaître que c'est comme ça et pas seulement dans la société française. Moi-même, je reconnais que je n'échappe pas à ça. C'est une question qui me taraude beaucoup mais rien à faire, je ne peux pas en sortir.

Je vis dans un milieu très circonscrit et quand j'en sors, je suis souvent empruntée, larguée, mal à l'aise et je ne sais que dire. A mon travail, je l'avoue, je n'échange rien de personnel avec mes collaborateurs. Je peux concevoir d'avoir une relation érotique avec quelqu'un d'inculte mais certainement pas une relation amoureuse.

















On dit que c'est la version moderne et new-age de la lutte des classes qui aurait maintenant principalement investi le champ symbolique. Tout reposerait désormais sur des stratégies de différenciation/distinction à travers les quelles se joue le pouvoir et la maîtrise des signes.


Sans doute..., c'est une idée qui est devenue à la mode; c'est du Bourdieu et son marxisme à la Jdanov. Bourdieu, ça m'a à vrai dire toujours cassé les pieds et je n'ai jamais trop compris son succès, en France. C'est d'abord écrit avec un style de plomb, presque ridicule.Et puis, ça ressasse à l'infini une seule idée : les relations symboliques reproduisent les rapports de production et modèlent les rapports de domination (je parodie évidemment).



Peut-être, sauf que dans le jeu des signes, il n'y a de toute manière jamais aucune authenticité. Le prolétaire n'est pas plus proche de la "vraie vie" que le bourgeois. Je ne deviendrai pas plus authentique, moins aliénée, quand je me mettrai à rouler en Renault, m'habillerai H&M, lirai Anna Gavalda, verrai les films de Jennifer Aniston et partirai en vacances à La Baule. Rien de plus ennuyeux, de toute manière, que les gens que l'on décrypte instantanément, toutes ces filles dont la profession de foi moderne est d'être "nature", sincères, spontanées.


Vouloir, comme aujourd'hui, abolir à tout prix les distinctions, c'est initier une nouvelle terreur, celle de la transparence et de l'indifférenciation; c'est chercher à éradiquer le désir. La vie est faite, de toute manière, de rivalité, compétition. Derrière la revendication égalitaire, on le sait particulièrement bien en France, on est malgré tout, chacun, convaincus de sa différence et de sa supériorité. On porte tous en soi des fantasmes aristocratiques et on est tous d'une odieuse arrogance, même sous des abords simples et avenants.


L'autre n'est pas mon semblable, il est un importun, un rival à éliminer.

C'est la leçon cruelle de la vie mais c'est ça aussi qui en fait le moteur. C'est la volonté de puissance en chacun de nous : je ne cherche pas seulement à me situer dans une honnête moyenne, à être comme la plupart des autres, je veux être mieux que les autres, sans contestation possible et sans rivaux.


"L'homme n'est pas méchant, il est méprisant" dit Jacques Lacan.

Je ne veux pas être belle, je veux être la plus belle et pour ça, chaque femme est prête à exterminer, comme la comtesse Bathory, toutes ses rivales.


Images de la "Sécession viennoise" que, vous l'avez sans doute remarqué, j'affectionne particulièrement.

On reconnaîtra : Gottlieb KEMPF, Hans KRISTIANSEN, Josef Maria AUCHENTALLER, Josef HOFFMANN, Ludwig HOHLWEIN, Carl Otto CZESCHKA.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

"pas son genre" que je ne connais pas,me fait penser à "la dentellière" de pascal Laîné;isabelle Huppert interpréta remarquablement Pomme,l'héroïne,au cinéma .Lola

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Lola,

Cela semble très proche en effet...à près de 40 ans d'intervalle.

J'ai lu que c'est l'un des premiers films d'Isabelle Huppert qui l'a révélée. Je ne sais pas si on peut trouver ce film; ce serait sûrement intéressant de comparer.

Quant à Pascal Laîné, il a été, je l'ai découvert aussi, Prix Goncourt mais il semble avoir disparu depuis longtemps de la mémoire littéraire.

Finalement, on n'innove peut-être pas tant que ça.

Amicalement

Carmilla

Anonyme a dit…

carmilla,votre commentaire m'a incitée à consulter wikipédia et j'ai découvert que Pascal Lainé avait écrit de nombreux autres livres et même qu'il était toujours vivant....J'avais vu "la dentellière" sur le net et j'avais apprécié I.Huppert ,jeune et superbe;le livre ne m'a pas laissé de souvenir;je vais aller à la médiathèque,afin de le lire!!
C'est un sujet"classique" ,mais qui mérite une approche plus fine;
il y a des milieux,des pays où les jeunes filles ne peuvent épouser qu'un prétendant de leur "caste"(c'est un peu différent)Et ,il est vrai qu'"épouser" n'est pas "aimer" !!
lola

Carmilla Le Golem a dit…

En effet, Lola, on peut trouver "La dentellière" sur le net.

D'après les quelques images que j'ai pu voir, Isabelle Huppert a bien changé mais on reconnaît, effectivement, bien son jeu.

Pascal Lainé, je n'ai évidemment pas d'avis mais j'ai lu, il y a 2 ans, le livre de Philippe Villain et il est réellement intéressant. Je le recommande.

Sinon, c'est sûr que c'est une question qu'il faut fortement nuancer mais il y a néanmoins, dans toute société, des barrières que nos convictions les plus démocratiques ne parviennent pas à franchir.

Carmilla