Comme je m'appelle Carmilla, certains, parmi vous, m'écrivent pour me demander si je suis lesbienne.
Ben non ! Je ne crois pas. Mais ça ne veut pas dire, non plus, que je ne suis pas émue par certaines femmes. Il y a tout de même l'élégance, le raffinement qui peuvent vous chavirer. Et puis, je ne répugne pas à certaines aventures érotiques passagères.
Avec ma copine Daria, par exemple, on a une relation sensuelle non dite; on aime bien s'embrasser, se caresser et même, quelquefois, dormir ensemble. On accorde aussi une attention maniaque à la façon dont l'autre s'habille, se maquille, se parfume et on la réprimande si on juge qu'elle n'est pas à la hauteur. On se critique sans cesse jusqu'à la couleur de notre vernis à ongles. On est peut-être des bisexuelles chics, comme on dit aujourd'hui et comme c'est à la mode, mais on ne pense même pas à ça. C'est, aussi, en partie, culturel parce qu'il est vrai que les filles russes et ukrainiennes sont habituées à une forte intimité. Bref, tous ces petits jeux, ça nous amuse, nous apaise, on y trouve une espèce de bonheur, mais on ne pourrait pas non plus vivre ça dans la routine.
La sensualité de la relation avec une femme, j'aime donc bien pourvu que ça ne s'englue pas. Mais vivre une relation d'amour avec une femme, ça non ! Je pense même que c'est étouffant, enfermant, insupportable de mièvrerie surtout quand c'est vécu en opposition avec le monde viril.
Le problème, c'est qu'on nous enferme dans une alternative: hétérosexuel, homosexuel. On devrait avoir des choix d'objets exclusifs, on devrait aimer les hommes ou les femmes. Mais on sait bien qu'au plus profond de nous, ça ne se passe pas aussi simplement que ça: il y a quand même une plasticité de la vie psychique et puis on évolue ! Freud avait bien distingué la bisexualité comme comportement (j'ai des expériences aussi bien avec des hommes que des femmes) de la bisexualité psychique qui serait le fondement intérieur, inconscient, de tout être humain: tout ce dont je rêve mais ne réalise pas forcément. Il y a ensuite une fluidité de la vie sexuelle avec toutes ses évolutions, régressions, fixations.
En fait, je crois que ce que je n'aime pas du tout, c'est le désir enfermé dans les dimensions aujourd'hui obligatoires de l'amour et du choix d'objet. C'est le triomphe du modèle du couple (hétéro ou homo), censé procurer plénitude et accomplissement.
On vit maintenant dans un véritable terrorisme vis-à-vis de l'autre. On a des exigences terribles vis-à-vis de lui. Il faudrait qu'il nous aime absolument, sans failles et avec une honnêteté totale. C'est sans doute l'achèvement de la modernité et de l'égalité entre les sexes mais j'avoue que les couples "heureux" me font peur. Sous leur félicité, se cache souvent une impitoyable férocité.
Quelquefois, je me dis que certaines de mes compatriotes ukrainiennes sont pleines de sagesse: pourquoi exiger du type avec qui l'on est qu'il nous aime ? C'est ridicule et presque prétentieux. L'essentiel, c'est qu'il nous permette de survivre économiquement et qu'il nous foute, à peu près, la paix.
Moi, c'est sûr, dans les relations de couple, je ne me sens vraiment pas à la hauteur: trop peu fiable, trop changeante, trop lunatique, je ne peux que décevoir. Et ce qui est vrai, c'est que je suis, surtout, une incorrigible séductrice.
Et la séduction, ça ne colle pas trop avec les exigences du couple moderne. Séduire, ce n'est pas seulement chercher à conquérir un individu, c'est surtout m'engager, moi-même, dans une expérience de déstabilisation propre.
Pour séduire en effet, il faut être prêt à tout. Il faut de l'audace, il faut sortir de soi-même. Séduire, c'est d'abord me remettre en cause moi-même, c'est m'ouvrir au bouleversement. Peu m'importe à vrai dire mon partenaire d'occasion, homme ou femme, beau ou laid. C'est l'aventure dans la quelle m'entraîne une rencontre qui m'intéresse.
Séduire, c'est être curieux. C'est accepter de perdre provisoirement mon identité, accepter éventuellement ma chute, mon humiliation à défaut de ma victoire. C'est pour çà que j'affectionne tous ces trucs compliqués qu'adorent, paraît-il, beaucoup de nanas: la bisexualité, le mysticisme, le sacré, le péché, le sacrifice, le masochisme.
Le plaisir de s'éveiller pleine de honte, un matin blême ! C'est ça qui est excitant !
Tableaux de Stefan ZECHOWSKI (1912-1984), peintre polonais.
Il est à peu près tombé dans l'oubli aujourd'hui mais ce qui est intéressant c'est qu'il était, paraît-il, très célèbre en Pologne dans les années 50/60. Son oeuvre était alors en contraste immense avec la rigueur et l'austérité des temps staliniens.
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