samedi 9 février 2019

L'Europe au crépuscule



On rentre dans une période pré-électorale.
Je m'intéresse d'abord aux élections présidentielles en Ukraine (1er tour, le dernier dimanche de mars) mais je suis également les élections européennes (fin mai).
Mais c'est à vrai dire consternant, inquiétant: difficile d'imaginer scrutins plus dissemblables, aux enjeux et préoccupations aussi éloignés.


En Ukraine du moins, c'est clair! Il y a pléthore de candidats, une vingtaine, mais l'immense majorité se réclame d'une vague tendance centre-droite. Ce qui est sûr, c'est que les pro-Russes ont été balayés. Quant à l'extrême-droite, contrairement à la propagande intéressée du Kremlin, son poids demeure faible, bien inférieur à celui de la France, Hollande, Autriche.


Tous les sondages donnent la revenante Ioulia Timochenko gagnante. Je lui suis plutôt moi-même favorable, elle est un mélange détonnant d'affectivité et de dureté. Ce qui est sûr, c'est que Poutine ne sera pas content si elle est élue et rien que pour ça, elle recueillera beaucoup de voix.

Trois thèmes principaux, étroitement liés, dominent la campagne: comment mettre dehors la Russie et s'en affranchir, comment intégrer l'Europe, comment faire décoller l'économie.




Avec la Russie, personne n'envisage une conciliation et des relations pacifiées. Ça s'appuie sur un constat: la Russie n'a aucune intention pacifique, aucun projet constructif avec l'Ukraine. Elle ne cherche qu'à conduire une politique de destruction et de déstabilisation.

Il en va d'ailleurs de même des relations de la Russie avec l'Europe. La Russie ne rêve que de sa dislocation et elle ne veut surtout pas d'un partenaire européen fort et uni. C'est d'ailleurs pourquoi  elle ne cherche à traiter qu'avec des nations ou des partis isolés pour mieux les circonvenir (la Grèce, la Hongrie, l'Italie, les partis d'extrême-droite européens).



J'ai l'impression qu'on n'a pas bien conscience de ça en Europe de l'Ouest. Le projet russe, c'est l'"Union Eurasienne" qui est tout le contraire d'une démocratie libérale: c'est la réalisation du Bolchevisme national  en extrayant et en combinant tout ce qui est utile du fascisme et du stalinisme. Tout ça, c'est développé avec force par l'idéologue du Kremlin, Alexandre Douguine (dans son bouquin "The foundations of Geopolitics") et ça alimente le travail de sape des démocraties européennes conduit par la Russie.

Dans ce contexte, il est effectivement vain d'envisager un accord, une entente, avec la Russie. Sur ce point, je suis d'accord avec les Ukrainiens. Mais ensuite, comment se débarrasser et s'affranchir des Russes ? Le souhait général est bien sûr de rejoindre l'OTAN mais la frilosité affichée de l'Occident en la matière (par peur de déplaire à Poutine) risque de conduire à des solutions militaires individuelles évidemment hasardeuses.

La seconde revendication forte des Ukrainiens, c'est leur adhésion à l'Europe. Selon un sondage, 80 % des Ukrainiens y seraient favorables (contre seulement seulement 8 % de Russes). Là encore, la réaction occidentale est a priori négative: on ne va tout de même pas s'encombrer de ces pouilleux et de ces misérables. On en a déjà bien assez avec les Roumains et les Bulgares sans compter tous ces pays insignifiants qu'on mélange tous et qu'on ne sait pas situer (la Lettonie, la Slovénie, la Slovaquie, l'Estonie etc...) et tous les braillards qui font du dumping social et nous envoient de la viande pourrie (la Pologne, la République Tchèque, la Hongrie). Inutile de rappeler que l'Ukraine a été l'un des foyers de la culture européenne, c'est totalement méconnu. Il est certes compréhensible que l'on n'accorde pas une adhésion immédiate à l'Ukraine mais un grand pas pourrait être effectué si on lui accordait, du moins, le statut de postulant.

C'est seulement quand ces deux questions essentielles, la relation à la Russie et à l'Europe, auront trouvé une solution que l'Ukraine pourra espérer voir son économie démarrer. La difficulté actuelle, c'est que l'avenir est aujourd'hui trop incertain et qu'en conséquence, personne (notamment le capital étranger) n'investit en Ukraine. C'est étonnant: toutes les grandes marques et toutes les grandes entreprises ont déserté le pays. Pourtant l'Ukraine a de grands atouts: une agriculture forte et une population éduquée, notamment.



Malheureusement, je me dis souvent que tout cela n'est qu'un rêve. L'Europe de l'Ouest n'en a strictement rien à fiche de l'Ukraine et préférera toujours la politique du statu-quo par peur (de la Russie) et inertie.

Surtout, l'Europe n'a plus de projet elle-même et vit maintenant dans le fantasme de son éclatement, incapable de contenir les dérives populistes qui la minent. C'est le repli généralisé sur soi-même, ses haines et ses peurs.



La France elle-même, dont le Président était fer-de-lance de l'Europe, est en train de fabriquer un effrayant populisme dont Donald Trump serait le modèle.

Je pense en effet que de même que Barack Obama (trop éduqué, trop distingué, trop policé et Noir..) a produit, par réaction, Trump, Emmanuel Macron (trop jeune, trop brillant, trop diplômé) a produit les Gilets Jaunes. Par un étrange et pervers retournement, on en vient à juger Emmanuel Macron arrogant et méprisant alors même que ce sont ses détracteurs qui m'apparaissent d'un incroyable mépris et arrogance.

Un jeune à qui tout réussit, on ne peut que le haïr. On préfère les vieux qui trainent des casseroles et qui ont subi des échecs (Mitterrand, Chirac), on s'en sent plus proches.


Quoi qu'il en soit, on prend plaisir en France à se moquer de Trump et des Américains (comme ils doivent être bêtes pour avoir choisi un pareil Président !).

Mais personne ne semble s'être rendu compte que la pensée Trump, le Trumpisme, vient de conquérir la France.

On en retrouve tous les ingrédients: l'inculture, la vulgarité, la dénonciation des élites et des diplômes, la violence pas seulement physique mais surtout verbale, le recours frénétique aux réseaux sociaux, les procès faits aux journalistes, l'intolérance, le complotisme, le sexisme.

Rien de réjouissant, l'ambiance, l'atmosphère deviennent, à vrai dire, irrespirables. C'est le triomphe du ressentiment et des passions tristes. Dans ce contexte, l'Europe devient un projet beaucoup trop grand pour les esprits devenus petits des Français et elle va sans doute passer à la trappe et poursuivre sa déliquescence.



Images de: Helen FRANKENTHALER (Star Gazing), Raymond JONSON (The Night Chicago), Geneviève ASSE (ouverture de la nuit), Roy LICHTENSTEIN, Augusto GIACOMMETI (Sternenhimmel), Peter DOIG (Milky Way), Henri Michaux (le prince de la nuit), Winslow HOMER (nuit d'été).

15 commentaires:

KOGAN a dit…

Pauvre France en effet et pauvre Europe...

Mais notre président n’en réussit pas moins à marabouter les foules joyeusement et à rendre touchant son personnage d'habile conférencier cherchant la rédemption, et en même temps, de façon intelligente, à protéger notre pays des populistes aux prochaines élections européennes, alors que l'Europe semble partir à vau-l’eau, condamnée à la débilité et au déclin...

Chacun dans ce pays est déshumanisé, accro à son portable, hypnotisé par la toile qui détruit tout lien social et qui ne fait que propager la gangrène de la haine...on ne voit que çà.

Quand j’ai grandi, on ne passait pas son temps à s’accuser de tout et de rien et surtout pas de racisme....il fallait étudier puis travailler.

Il n’est pas interdit d’éprouver une certaine lassitude de notre époque en ce début d'année survoltée multidirectionnelle...et que, pendant ce temps, les chinois et les russes avancent économiquement à grands pas et surtout l'Asie.

J'adhère sur le fait qu'une bonne partie de "vieux" en France roulent sur les jantes, laissant libre cours à leurs ruminations les plus rances...véritable barrage à l'évolution, et ils mourront avec, fatalement, en les emportant dans leurs tombes.

Aujourd’hui,les clivages politiques et idéologiques sont tels qu’il n’y a plus de conversation possible, mais ne nous laissons pas gagner par l’atonie de l’époque ... espérons et prions.

Bien à vous
Jeff

Richard a dit…

Y a-t-il encore de la boue dans les rues de Varsovie ou de Lemberg ?

Bonjour madame Carmilla.
C'est une réflexion qui m'est venue depuis que je suis plongé dans ces lectures de Oulitskaïa, Tokarczuk, et surtout de Singer, où il est toujours questions de pauvreté, de misère, et de saleté. Vendredi dernier , j'ai reçu Terres de Sang de Timothy Snyder exemplaire qui aura mis un mois exactement à franchir l'Atlantique sans oublier le Lac Saint-Pierre entre Montréal et Québec ou des cargos sont demeurés plusieurs jours immobilisés dans la banquise qu'on a défait à coup de brises-glaces. Il y a longtemps que la voie fluviale du St-Laurent n'a pas été bloquée par les glaces.
J'ai alors changé ma question:
Y a-t-il encore du sang dans les rues de Varsovie ou de Lemberg ? Par extension sur toutes ces terres entre Berlin et Moscou
Vous êtes née en Galicie, vous en êtes fier, à juste titre, on le sent dans votre écriture, et si vous êtes vivante aujourd'hui, je puis présumer que c'est parce que certains de vos ancêtres ont échappé à ces massacres. Je ne connais pas votre passé. J'ignore tout de votre parcours. Je puis comprendre votre pudeur. Cela vous appartient. À la lecture de Snyder, je puis comprendre votre texte sur le crépuscule de l'Europe, votre conviction et adhésion à ce mouvement politique de l'Union Européenne qui pourrait être une garantie d'une paix (toujours relative), parce que vous êtes consciente de l'histoire, de la politique, et de l'économie, que tout s'imbrique et que rien n'est innocent. En quelque sorte, en réponse à ma suggestion vous avez revêtue la perfectibilité et surtout l'affranchissement de géopolitique. Vous ne fermez pas les yeux sur ces 14 millions de victimes qui ont été liquidées entre l'Allemagne et La Russie entre 1933 et 1945. Vous sentez que la pédale d'embrayage glisse en Europe, j'en suis conscient. L’Europe se déchire partout, pour l'heure ce ne sont que des groupuscules, de dilettantismes contestataires de fin de semaine ; lorsqu'il y aura 2.5 millions de manifestants dans Paris, que la France sera paralysée ; vous saurez que des limites auront été franchies. Ce qui vaut pour tous les autres membres de l'Union Européenne. Je me souviens d'une soirée où j'avais entraîné un groupe d'amis et mon fils au cinéma pour visionner le film : Amen de Costa-Gavras. Lorsque nous sommes sortis du cinéma, le silence régnait dans nos rangs, soudain, une voix s'est élevée et m'a demandé ; Est-ce que cela peut encore arriver ?
J'ai répondu oui. C'est pour cela qu'il faut s'occuper de la politique. Je n'avais pas d'autre réponse...

Richard a dit…

Cet affranchissement que vous avez évoqué pour l'Ukraine, elle vaut aussi pour toute l'Europe. Je vais en revenir à une question d'énergie. Combien les Russes vous vendent de mètres cubes de gaz naturel pour vous chauffer l'hiver ? S'affranchir, c'est conquérir et entretenir son autonomie énergétique. Vous avez besoin de ce gaz et les Russes ont besoin de le vendre. Pas besoin d'élaborer longtemps sur ce sujet.
Comment intégrer l'Europe ? Pour l'Ukraine là ça se complique. J'ai mes doutes face à l'OTAN. Enlevez-vous de l'esprit que c'est une organisation puissante qui viendra à votre secours si les choses tournent mal, surtout pas avec le Président Américain actuel. D'autre part je doute du sérieux des examens d'entrés pour devenir membre de l'Union Européenne.
Tant qu'à l'économie, faut commercer, vendre et acheter pendant un bout de temps avant de devenir des financiers. J'aimerais bien visiter ces régions entre l'Allemagne et la Russie, surtout les campagnes pour me faire une idée de leur niveau de vie.
Est-ce que la Russie a des intentions envers de l'Ukraine comme avec l'Europe ? Même si on passait le cerveau de Poutine au scanner, je ne suis pas sûr qu'on aurait des révélations pertinentes. Sa relation avec les Chinois ne m'apparaît pas solide. Là aussi il existe un climat de méfiance.
Mais en dépit de toutes ces considérations les retours de la terre de sang sont toujours possibles. Est-ce dans la nature de cette partie du monde, de ces peuples qui se sont massacrés au cours des siècles ? Qui vont peut-être remettre cela ? Mais au fait, le conflit qu'il y a eu entre les Ukrainiens et les Russes semblent au point mort. Y a-t-il eu une entente secrète ? Y aurait-il une certaine ressemblance avec ce traité de non-agression entre les Allemands et les Russes de 1939 ?
Nous ne pouvons passer sous silence le manque flagrant de leaders forts dans l'Union Européenne. Le Président Macron est occupé avec ses problèmes intérieurs, donc il a moins de temps à consacrer à la politique extérieure. Je l'avais écrit l'été dernier autant pour Macron que pour Trudeau se sera une année d'examen, pour eux l'année 2018 n'aura pas été facile, nous les canadiens nous n'avons pas été en reste nous avons eu de graves problèmes diplomatiques avec l'Arabie Saoudite et la Chine. Nous aurons des élections fédérales en octobre prochain, c'est là que Trudeau va passer son examen.
Ce qui m'apparaît étrange, c'est que les politiciens ont de la difficulté à se transformer en homme d'état, ils demeurent dans le fond de leurs tripes des politiciens, quoi que cela ne pourrait pas empêcher ni Macron, ni Trudeau de devenir des hommes d'états.

Richard a dit…

Pour l'heure, les populistes ne sont pas plus forts que les états, eux aussi éprouvent des difficultés avec leurs leaders. Ce qui se passe présentement en France est bien différent de ce qui se passe aux USA. Ces manifestations sont bien différentes. Ceux qui ont élu Trump sont dans la légalité. Cela demeure un vieux contention qui date de la Guerre de Sécession, le sud contre le nord, les états pauvres contre les états riches, les vaincus face à une classe politiques qui manie bien le verbe. D'une certaine manière cela dépasse Obama et Trump. En France, c'est autre chose. C'est un rejet de la classe politique qui a dominé depuis de Gaulle par le fait même une attaque contre la République et ses institutions, ce qui n'est pas le cas aux USA. À moins d'un coup de force majeur on ne démettra pas le président actuel. Tant qu'à Macron, il pourrait bien prendre la porte du côté jardin. Ce qui ne serait pas une solution, même pas une mauvaise conclusion. Macron parti vous allez le remplacer par qui ? Le moindre que je puisse dire, c'est que ça ne se bouscule pas au portillon. Par conte votre président à deux faiblesses, la première c'est la faiblesse de son opposition, ce qui n'enrichit pas le débat, deuxièmement, c'est dommage de le dire ainsi, il ne sait pas s'entourer, je ne parle pas ici de son Premier Ministre, mais des deux de piques de fond de cours, cette espèce de petite garde rapprochée mortifère, qui ne manque pas de se transformer en boulet.
Madame Carmilla, j'ai aimé votre texte, je pense que vous avez fait le tours de questions cruciales sur cette Europe qui tourne en rond, qui se cherche, doute d'elle-même, devant des vagues d'incertitudes aux futurs incertains. Par chance, que présentement, nous ne sommes pas pris avec des types comme Hitler et Staline.
Étrangement, Loulia Timochenko me semble une bonne option. Je ne la connais pas, mais juste le fait qu'on l'a déjà condamné à la prison, cela me l'a rend sympathique parce qu'elle dérange.
Mais dites-moi Carmilla : Est-ce que les Ukrainiens ont confiance en eux-Mêmes ? Je les connais un peu. Ils partagent des trais que je retrouve chez les Québécois, un mélange d'arrogance et de manque de confiance en soi ?
Merci pour votre texte, ce fut un plaisir de vous lire, le tout, par un ciel clair par -20 degrés, les brises-glaces vont encore avoir du travail sur la voie maritime du St-Laurent.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Jeff,

Je souscris largement à vos analyses.

Ce qui m'irrite le plus, c'est la tendance générale à imputer aux autres la responsabilité de ses malheurs. Ça va de pair avec une universelle jalousie: si quelqu'un est un peu plus riche que moi, c'est de sa faute mais je n'en suis sûrement pas responsable.

De plus en plus, je me mets à croire au mérite. C'est finalement plus démocratique que l'égalitarisme forcené et je pense que tout le monde a quand même sa chance dans un pays comme la France.

Avec les réseaux sociaux, on est en effet en train de construire une drôle de société, faite de violence, d'arrogance et d'intolérance et certainement pas de dialogue et de compréhension.

Bien à vous,

Carmilla

KOGAN a dit…

Merci CARMILLA

Le mérite cela va de soi, j'y suis attaché bien avant vous , et avant de naître :-).
Fils de militaire "de surcroît" et bien élevé également,(un peu trop à la dure peut-être) cela participa à mon courage de faire ma vie sans Solliciter avec insistance quoi que ce soit, comme on peut le voir en ce moment.

Je ne cherche plus à comprendre cette société à la dérive certaine et inquiétante.
Bon courage à nos enfants.

Bien à vous.
Jeff



Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

De la boue à Varsovie ou à Lemberg ?

Les temps ont bien changé. La Pologne a enregistré une croissance impressionnante depuis la chute du communisme et est même devenue l'un des "tigres" de l'Europe. Elle est maintenant tout près d'avoir rattrapé le niveau de vie européen.

L'Ukraine, c'est beaucoup plus compliqué, elle est l'un des pays les plus pauvres d'Europe (la faute à l'absence d'Etat de droit et à la guerre). Les Ukrainiens vivent cependant beaucoup mieux que du temps du communisme (eau, électricité, hôpitaux, nourriture, communications, hygiène, c'est maintenant disponible alors que rien ne marchait autrefois). Une ville comme Kiev présente même tout à fait bien, comme une grande capitale européenne, avec une multitude lieux de loisirs. La campagne demeure en revanche tout à fait primitive (avec une foule d'animaux divers et variés, y compris des vaches, qui se promènent librement dans les rues). Quant aux routes, leur état est, globalement, catastrophique. Il est préférable d'avoir un véhicule tout terrain pour circuler tellement les nids-de-poule sont nombreux et importants.

Du sang dans les rues ? On créée de plus en plus de lieux de mémoire, surtout en Pologne, un peu en Ukraine et presque pas en Russie. La conscience de l'épouvante de la période des années 30-40 demeure cependant très forte dans l'ensemble de la population. J'avoue que j'ai toujours un peu de mal, même si je sais que j'ai tort, quand j'entends parler les Français de la 2nde guerre mondiale et porter des jugements catégoriques sur les Polonais et les Ukrainiens.

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

L'avenir de l'Europe, c'est vrai, n'est pas assuré avec le développement des tentations sécessionnistes et populistes. Le départ de la Grande-Bretagne est un exemple terrible.

J'ai cependant du mal à croire à un retour des guerres en Europe. Les replis nationalistes vont s'accentuer mais j'espère que ce ne sera que temporaire. Les pays concernés se rendront vite compte que l'isolement leur est nocif.

Pour l'Ukraine, c'est différent. Il n'y a eu aucun accord avec la Russie. Il ne saurait d'ailleurs y en avoir puisque les projets politiques de l'Ukraine et de la Russie sont diamétralement opposés (la dépendance énergétique n'est pas un lien absolu). La tension s'accroît sans cesse et l'option militaire est de plus en plus forte. Une reconquête de l'Ukraine, dès qu'elle se sentira assez forte, est tout à fait probable. C'est jouable car l'armée russe, quoi qu'on en dise, n'est pas si forte que ça.

S'agissant de la France, c'est vrai ! Il n'existe aucun autre homme politique de la dimension d'Emmanuel Macron. C'est le grand vide. Les leaders de l'opposition sont des personnages médiocres ou inquiétants. Ce qui est intéressant, c'est que Macron fait l'objet d'un rejet épidermique, passionnel, dans une certaine catégorie de la population. Rien n'est rationnel dans le mouvement d'opposition en cours (dont on ne sait, d'ailleurs, mesurer l'importance exacte).

Les Ukrainiens ont-ils enfin confiance en eux ? Bien sûr que non. Le pays est trop récent et ne peut s'appuyer sur une histoire glorieuse (il existe à peine une littérature ukrainienne). Il est en outre divisé (les gens de l'Est et de l'Ouest ne s'aiment pas beaucoup). Il existe enfin beaucoup d'Ukrainiens qui ne parlent pas l'ukrainien.

Bien à vous

Carmilla

Richard a dit…

Merci madame Carmilla pour vos commentaires.
Cela complète, pour l'instant, ma lecture de Terres de sang de Timothy Snyder dont je viens de terminer la lecture, auteur dont je ne me priverai pas de lire tous ce qui a été publié en Français.
Comment ne pas avoir de compassion pour tous ces humaines qui sont morts pour rien ?
Comment et pourquoi peut-on mettre des enfants au monde après tous ces événements malheureux ?
Pourquoi vivre dans de telles circonstances ?
Hier, à l'épicerie, j'ai regardé les gens d'une manière différente. Je regardais un homme que je ne connaissais pas et je pensais, que dans d'autres circonstance, il aurait pu me mettre une balle dans la nuque. Et cette femme toute simple, elle aurait pu être violer à plusieurs reprises avant d'être assassiner. Pire, j'aurais pu être dans les mêmes circonstances l'agresseur si j'étais né en Ukraine en 1920.
Qu'est-ce que vous avez ressenti lorsque vous avez terminé la lecture de Terres de sang ?
Enfin, nous commençons à lire des ouvrages plus logiques et véridiques sur ce qui s'est déroulé dans ces terres de sang. C'est une grande analyse, où j'ai apprécié la rigueur de Snyder et surtout cette réflexion sur les chiffres. Ils sont tellement astronomiques qu'ils se transforment en abstractions. Il pose cette question simple : Que signifie 14 millions de morts pour le lecteur qui s'intéresse à ces questions ? Un exemple, j'ai trois pommes dans ma poche, je sais par expérience quotidienne ce qu'indique le chiffre trois, et je sais la nature d'une pomme, mais si on évoque devant moi 14 millions de pommes, j'aurai une autre représentation dans mon esprit. La nature de ma représentation se transformera, j'utiliserai d'autre représentations comme les minots, ou les tonnes et quoi d'autre encore. Tout devient fictif, abstrait, intemporel, c'est alors que dans sa conclusion Snyder évoque, que ces 14 millions de morts avaient des noms, des sentiments, des plaisirs comme des craintes, que c'était des humains à part entière, et que nous devions nous en souvenirs comme des individus, non pas comme des statistiques.
« Les victimes ont laissé derrière elles des gens en deuils. Les tueurs des chiffres. Rejoindre un grand nombre après la mort, c'est être promis à se dissoudre dans le flot de l'anonymat. »
Timothy Snyder
Terres de sang
Page -658-
« Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l'extérieur sous forme de destin. »
Carl Gustav Jung

Bonne fin de journée Dame Carmilla
Sous une bordée de 20cm par -5 degrés
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On peut dire que vous êtes un lecteur rapide parce que "Terres de sang", ça fait tout de même, dans son édition originale, 632 pages.

Il est vrai qu'il s'agit d'un livre exceptionnel qui impute les massacres de masse aussi bien au régime soviétique qu'aux nazis. C'est sur ce point qu'il a fait scandale. C'est à rapprocher du roman de David Grossman: "Vie et destin".

Le chapitre qui m' a le plus impressionnée a été celui consacré à la grande famine en Ukraine au cours de laquelle des familles entières s'entredévoraient.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour madame Carmilla
Je suis loin de me considérer comme un lecteur rapide. L'apprentissage de l'orthographe, de l'écriture et de la grammaire n'auront pas été faciles, qui plus est j'ai détesté l'école. Défaut que j'ai compensé par ma ténacité, ma volonté, et l'art de l’auto-didactisme. La lutte et le combat je connais. Lorsqu'un ouvrage me passionne, vous pouvez être sûr que j'y plonge avec toute ma passion. Ce qui fut le cas avec Snyder.
Pour l'heure, je suis passé à Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque : Le Peuple Rieur, Hommage à mes amis Innus. C'est un autre univers, celui du peuple Montagnais, qui habite le nord-est du Québec. Serge Bouchard c'est un anthropologue qui s'est intéressé aux nations indiennes, même avant la venue des Européens, c'est aussi un excellent écrivain, et un grand communicateur que je connais personnellement, un homme de radio, mais aussi de voyages, de découvertes, qui a sa manière, essaie de comprendre ce monde. Marie-Christine Lévesque c'est sa femme, sa muse et sa complice. Et quelle complicité, il faut les voir !
Si vous parvenez à mettre la main sur ce récit de Serge Bouchard : Le peuple rieur, je ne doute pas que cela va piquer votre curiosité. C'est un ouvrage de trois cents pages, avec de magnifique photos en noir et blanc.
C'est vrai que la famine provoqué par Staline envers les peuple Ukrainien les a poussé vers le cannibalisme. Ce livre c'est un vrai catalogue d'horreurs, les autres chapitres ne sont pas en restes. Il y a de quoi perdre l'appétit explicitement. Autre sujet qui m'a impressionné, c'est comment Hitler et Staline laminaient les têtes dirigeantes des pays qu'ils occupaient en liquidant les élites. Le cas de Katyn est loin d'être unique.
Historiquement, j'ai trouvé ce livre fascinant.
Nous devrions tous le lire et surtout après la lecture de la dernière page, y réfléchir.
Toujours sur une petite neige, près du point de congélation.
Un jour je ne manquerai pas de vous écrire un texte sur l'hiver et la neige.
Bonne fin de journée et merci.
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Petite erreur, ce n'est pas David Grossman qui a écrit (Vie et Destin) mais Vassili Grossman.
David Grossman c'est l'auteur israélien qui a écrit un livre que j'ai bien aimé : Une femme fuyant l'annonce.
J'avoue qu'il m'arrive moi-même de faire la même erreur.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Oui Richard,

C'est bien sûr Vassili Grossman.

"Terres de sang" est effectivement un chef d’œuvre dont la lecture est indispensable.
Ce qui est terrible, c'est que tous les événements évoqués sont ignorés en Russie tellement l'Histoire continue d'y être occultée sous une forme mensongère.

J'ai eu la chance de faire des études assez poussées mais je n'aimais pas l'école et l'université. Je crois que j'ai réussi parce que je voulais être tranquille.

Mais je suis convaincue que l'essentiel de ce que j'ai appris, c'est après mes études que je l'ai acquis.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

A propos, avez-vous vu le film "Donbass" de Sergueï Loznitsa ? Je l'ai trouvé très fort, impressionnant, mais souvent manichéen, évidemment. Les sécessionnistes pro-russes ne sont vraiment pas montrés à leur avantage !

Carmilla Le Golem a dit…

Oui Nuages, bien sûr.

J'ai trouvé que c'était un très bon film.

Il n'épargne pas non plus la partie ukrainienne.

Les séparatistes ne sont pas montrés à leur avantage, c'est vrai ! mais c'est quand même assez modéré. Je vous assure qu'il y a beaucoup, parmi eux, d'effroyables bandits et criminels. On n'en parle pas du tout et il n'y a pas de journalistes qui s'y rendent mais je vous assure que vivre là-bas, en ce moment, ce n'est pas le Paradis.

Le silence entretenu par les médias sur le Donbass m'apparaît significatif. On ne veut pas irriter Moscou.

Quant au film de Loznitsa, il n'a eu aucun succès en France et les critiques ont été majoritairement négatives. Ça aussi, c'est significatif.

Bien à vous,

Carmilla