samedi 29 août 2020

"La terre promise": les Khazars, la Républiques des Deux Nations et le Birobidjan


Depuis la destruction en l'an 70, par les Romains, du second temple de Jérusalem, les Juifs attendent le retour vers une "Terre promise" qui les réunira et leur permettra de vivre en sécurité. C'est le point de départ du projet d'un "Etat juif" que l'on peut certes critiquer (peut-on fusionner le religieux et le politique ?) mais dont la motivation s'impose comme une évidence.


Les vicissitudes du projet, on les connaît dans le malheur aujourd'hui et il faut bien reconnaître que, depuis des siècles, l'antisémitisme n'a pas régressé d'un poil.  Les tensions sont même exacerbées et il vaut mieux éviter d'aborder le sujet "Palestine". On est tout de suite prêts à s'assassiner.


Mais on oublie souvent aussi qu'Israël (Jérusalem étant inaccessible, faisant partie de l'Empire ottoman),  ne s'est pas toujours confondu avec la Palestine.


Il y a d'abord eu des projets plus ou moins farfelus : notamment celui du père du sionisme Teodor HERZL qui envisage, en 1903 à Bâle, l'implantation d'un État juif en Ouganda. Ou bien, celui carrément sinistre des nazis souhaitant chasser tous les Juifs d'Allemagne et les "expédier" à Madagascar (le coût du transport les fera renoncer mais c'eût peut-être été un moindre mal). Il y a eu aussi un bizarre projet japonais (1938) en Mandchourie et antérieurement, à la fin du 19 ème siècle, l'implantation de colonies agricoles en Argentine.


Mais il a surtout existé, dans l'Histoire, d'authentiques États juifs ou pays d'accueil. Ces États, on les a étrangement oubliés aujourd'hui. Ils sont pourtant porteurs de leçons. J'en retiens, ci-dessous, trois :


1/ l'Empire Khazar du VII éme au XI ème siècle. Une des grandes énigmes de l'Histoire, celle d'un peuple qui, pendant près de 5 siècles, s'est étendu de la mer Caspienne (en persan, on continue de désigner la Caspienne par le nom de mer des Khazars) à la mer Noire au pied des chaînes du Caucase. Un peuple installé au croisement des routes commerciales et des grandes zones spirituelles (Islam, Christianisme et Judaïsme). Et surtout, un peuple d'origine turco-mongole qui s'est converti, à la fin du 8 ème siècle, au judaïsme (même si celui-ci n'est pas favorable au prosélytisme). Un peuple qui, finalement, a créé le premier État juif au monde. Un État puissant qui disparut mystérieusement, probablement du fait de dissensions religieuses. La thèse (très controversée) a été développée (Artur KOESTLER : "La treizième tribu") selon la quelle tous les Juifs Ashkénazes (Juifs d'Europe Centrale) descendraient des Khazars convertis au judaïsme.


2/ l'Union Polono-Lituanienne ou la République des Deux Nations de 1569 à 1795. L'une des grandes puissances de l'Europe durant 3 siècles. Un territoire immense, l'un des plus grands États européens, s'étendant de la Baltique à la Mer Noire. Un pays archi-cosmopolite où on  parlait le latin, le polonais, le lituanien, le ruthène (biélorusse, ukrainien), le letton, l'arménien, le yiddish. Un État à l'époque plus démocratique que les autres puisqu'il était pourvu de l'une des premières constitutions au monde (avec un législation et un Parlement) et qu'il s'agissait d'une monarchie élective (des étrangers, notamment français, ont ainsi été élus "roi de Pologne). Surtout, la République des Deux Nations garantissait une complète liberté religieuse ce qui fait que les Juifs s'y sont massivement installés car ils pouvaient y pratiquer librement leur religion et y exercer une activité économique. L'Union Polono-Lituanienne n'a donc pas été un État juif mais elle est bien devenue le pays refuge, le pays d'élection des Juifs.


De la République des Deux Nations, tout le monde se fiche aujourd'hui. Elle est complétement oubliée même si elle n'est pas si ancienne que ça: elle était encore contemporaine de Louis XVI. Pourtant sa disparition en 1795, partagée entre la Russie, l'Autriche et la Prusse, a sans doute été un grand malheur pour l'Europe. Elle a en effet initié l'antisémitisme d’État avec des mesures restrictives et de ségrégation prises à l'encontre des populations juives.


Quand les Russes se sont en effet emparés des territoires polonais, ils ont tout à coup découvert, au début du 19 ème siècle, une importante population juive qu'ils ne connaissaient pas (les Juifs étaient alors très peu nombreux en Russie). Ils ont alors tout de suite imposé des restrictions sévères et Catherine la Grande a alors décidé que les Juifs qui ne se convertiraient pas au christianisme ne pourraient vivre que dans leur territoire d'origine. Pas question pour un Juif, jusqu'à la Révolution bolchévique, de s'installer à Moscou ou Saint-Pétersbourg; Pas question non plus de fréquenter les écoles russes, ni d'exercer nombre de professions, ni de posséder des terres. Cet antisémitisme d’État, initié par les Russes, a durablement façonné les mentalités européennes.


- le Birobidjan depuis 1934. A l'exception d'Israël, c'est aujourd'hui le seul territoire administrativement juif avec le yiddish comme langue officielle. Situé en Extrême-Orient Russe, cet "oblast" a été créé par Staline pour "traiter" le problème des Juifs de Pologne, Ukraine, Biélorussie situés à l'Ouest de l'URSS. Bien peu de Juifs se sont en fait installés au Birobidjan : au grand maximum, 50 000 à la fin des années 1940. Aujourd'hui, ils seraient au nombre de 2 000 (sur une population totale d'environ 150 000 habitants). L'échec du projet se comprend aisément : difficile de trouver un territoire plus isolé, au climat plus hostile, aux terres plus improductives et à ce point dépourvu d'infrastructures. Comme pays de cocagne, il y a vraiment mieux. Encore un bel exemple du cynisme russe.

Images de Joann SFAR.. Grand auteur de bandes dessinées né en 1971. J'aime bien le côté magique et merveilleux qu'il fait ressortir de la culture juive. On évoque trop peu cet aspect.

Sur les Khazars, on pourra se reporter au livre d'Artur Koestler: "la treizième tribu" ainsi qu'à un numéro de la revue Autrement (mars 2005) : "L'Empire Khazar". Personnellement, c'est en Iran que j'ai entendu parler des Khazars.

Sur la République des Deux Nations, il faut lire l'extraordinaire bouquin d'Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018 : "Les livres de Jakob". Ce livre restitue parfaitement les mentalités du pays au 18 ème siècle et son extraordinaire cosmopolitisme.

Sur le Birobidjan, je ne connais rien de notable.

7 commentaires:

Nuages a dit…

Sur le Birobidjan, il y a notamment le passionnant roman de Marek Halter : "L'inconnue de Birobidjan".

https://www.babelio.com/livres/Halter-Linconnue-de-Birobidjan/333895/critiques

Carmilla Le Golem a dit…

Grand merci pour cette référence, Nuages !

Avez-vous lu vous-même ce livre ?

Bien à vous

Carmilla

Nuages a dit…

Oui, je l'ai lu tout récemment, et je l'ai trouvé très bon.

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla !

Le terre promise...

« La plénitude des temps, songe-t-il, qu'est-ce que c'est ? Est-ce le temps qui m'accomplit, ou moi qui accomplis le temps ? Suis-je celui qui consomme ou qui est consommé? Et peut-on faire quelque chose pour l'arrêter ?
Morten Pedersen Falck
Tiré de : Les prophètes du fjord de l'Éternité
Page 502 de l'auteur Kim Leine

La terre promise contient une promesse, ce qui ne signifie pas un cadeau. Les Juifs en rêvèrent en Égypte, puis dans leurs errances, souvent au hasard des événements, il se retrouvèrent sur ce bout de terre aride à l'Est de la Méditerrané pour quelques siècles. Puis ils furent condamnés encore une fois de plus à l'errance. Une dure migration de deux millénaires sans jamais baisser les bras ou renier leurs origines, leur culture, leur croyance, sans trahison, sans compromis. Leur dieu devait les aimer pour les soumettre à de telles épreuves !

Ils semblaient avoir trouvés une terre de tolérance dans Les Deux Nations, non sans mal, il faut lire Tokarczuk à ce chapitre, comme partout ailleurs, ils finirent par se faire haïr. Les Juifs au fil de l'histoire devinrent les coupables de tous les maux. Après le grand désastre de 1945, il fallait trouver une solution, tellement la honte recouvrait toutes les nations. Si on y regarde de près, toutes les promesses de terres promises ressemblaient à un bon débarras à faible coup pas très éloigné du mépris.

Suite logique, le choix assumé de ce bout de terre qui porterait le nom d'Israël. Ils allaient encore en payer le prix en souffrances et en sang versé, mais ils ne baissèrent pas les bras. Pour l'une des rares fois ils assumèrent souverainement leur identité et leur futur.

Une histoire très humaine qui se compare à ce personnage principal Morten Pedersen Falck qui erra dans sa vie comme sur les banquises du Groenland, tiraillé entre la colonisation danoise et les Groenlandais natifs de ce pays. Mais comme nous l'affirmons souvent : tous ceux qui errent ne sont pas perdus, parce que nous errons nous aussi dans nos existence !

Merci Carmilla pour votre texte et bonne nuit !
Richard St-Laurent

Nuages a dit…

Je ne sais pas s'il passe à Paris, mais je viens de voir un très bon film ukrainien, réalisé par un Tatar de Crimée : "Evge" ("En terre de Crimée").

https://www.lalibre.be/culture/cinema/evge-road-movie-en-deuil-de-la-crimee-5f44f7987b50a677fb1eede7

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On peut effectivement mettre en parallèle l'histoire du peuple juif et celle des "prophètes" évoqués par Kim Leine.

Est-ce le Temps qui nous accomplit ou Nous qui accomplissons le Temps ? C'est effectivement la grande question. Celle-ci est aujourd'hui complétement évacuée par la modernité qui choisit plutôt l'insignifiance. Mais il est vrai qu'au total, nous sommes tous des âmes errantes parce que la Vérité se dérobe sans cesse et que le Doute est omniprésent, que l'on soit croyant ou athée.

S'agissant de la République des Deux Nations, bien sûr que les relations entre les Juifs et les Chrétiens n'avaient rien de cordial et que les deux communautés se considéraient avec une grande méfiance. L'antisémitisme existait, c'est vrai, mais ce qui est important, c'est que, de même que dans l'ancienne Autriche-Hongrie, il ne s'agissait pas d'un antisémitisme d'Etat. Tout a changé quand les Juifs sont tombés sous la coupe russe et qu'ils ont été assignés à résidence, en quelque sorte parqués avec une stricte limitation de leurs droits.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Non ! "Evge" n'est pas encore distribué en France. Je ne sais pas d'ailleurs s'il le sera tant l'opinion germanopratine est majoritairement pro-russe. Les spectateurs potentiels sont vraiment limités.

Je reconnais aussi que je ne vais plus guère au cinéma depuis le Covid : programmation, éloignement de mes salles favorites (je limite mes déplacements en métro). Mais surtout, j'avoue que je n'ai pas trop envie de voir un film sur la Crimée parce que je sais que je n'y retournerai probablement jamais.

Il est à noter que les Tatars de Crimée sont peut-être des descendants des Khazars.

Bien à vous,

Carmilla