samedi 14 août 2021

Folle de sport

 

Les Jeux de Tokyo, je n'ai pas pu beaucoup les regarder compte tenu du décalage horaire. J'ai quand même essayé  pour la course à pied, plus précisément la course de fond, le seul sport que je comprenne vraiment. Ça a ravivé tous mes souvenirs d'adolescente, d'étudiante et des débuts de ma vie professionnelle, cette époque où j'espérais devenir une championne. J'ai vraiment été une folle de sport.

Mes espoirs sont maintenant enterrés, d'abord parce qu'il m'a toujours manqué un petit quelque chose : à peu près 2 ou 3 minutes sur 10 kms, 15 minutes sur marathon. C'est peu et c'est énorme, ça ne fait de vous qu'une bonne régionale. Surtout, j'ai aujourd'hui un genou récalcitrant et la compétition, c'est donc terminé. Ça me met en rage parce que j'ai l'impression d'avoir encore tout mon potentiel.


 J'ai bien conscience que mes ambitions d'autrefois peuvent apparaître complétement stupides à la plupart. A quoi ça rime de cavaler comme une idiote pendant des heures et surtout de faire de la compétition ? D'autant qu'on n'y gagne pas un clou. Et puis, normalement, une fille, ça fait plutôt du piano et de la danse.

Mais c'est justement parce que ça m'est apparu transgressif que je me suis lancée là-dedans. Certes, énormément de Françaises pratiquent aujourd'hui le jogging; j'ai même l'impression qu'elles sont maintenant bien plus nombreuses que les hommes et surtout que partout ailleurs dans le monde. Je trouve ça très bien, c'est vraiment le signe d'une énorme évolution des mentalités même si c'est, sans doute, largement lié à des préoccupations esthétiques : la préservation de la ligne. En Russie, pays qui se prétend sportif, des joggeuses ou des cyclistes, vous n'en croiserez quasiment pas. Je n'oserais jamais y courir dans les rues d'une ville de province comme je le fais tranquillement en France. Mais des médaillées d'or en athlétisme, la Russie en produit des pelletées, ce qui n'est pas le cas de la France. C'est la différence entre sport d'élite et sport de masse.

En fait, la compétition, c'est autre chose. Ça suppose sans doute d'abord une certaine mentalité, certaines dispositions psychologiques. Il faut probablement avoir quelque chose à prouver moins aux autres qu'à soi-même. Pouvoir se dire qu'on n'est pas si nul(le) que ça. 

Et pas si nulle, ça se rapporte aussi bien au mental qu'au physique. 

Le mental parce qu'il faut tout de même être ultra persévérant pour parvenir à aligner imperturbablement, pendant des années et quelle que soit la météo, 100 à 130 kilomètres d'entraînement hebdomadaire.

Le physique parce qu'il faut s'imposer un régime alimentaire draconien ( le poids étant un facteur clé de la performance) et aussi parce qu'on en bave tout de même durant les épreuves (même si ça n'est pas le calvaire qu'on se plaît à imaginer parce qu'en fait, on "déroule" la plupart du temps en se contentant d'accélérer à la fin).


 Mais malgré tout, la souffrance et son dépassement dans le sport, ça n'a jamais été mon truc, je n'ai jamais ainsi vécu les choses. Comme s'il fallait se punir, expier quelque chose. C'est de jouissance qu'il s'agit plutôt pour moi, celle de se sentir complétement libre, délivrée de la pesanteur d'un corps.

Et puis, je ne pense pas tellement non plus que ce soit le besoin de reconnaissance qui m'ait poussé à faire de la course à pied. De la confiance en moi, j'en ai peut-être même eu trop. Et puis j'avais des côtés précieux et éthérés qui finissaient par m'irriter moi-même. C'est alors plutôt pour ça que j'ai cherché à casser l'image de la fille intello et prétentieuse que je pouvais donner. Je ne voulais pas qu'on me réduise à ça.

Parce que la course à pied, ce n'est pas le tennis ou même la natation. C'est quand même plutôt populaire. Mais ça m'a justement permis de connaître plein de gens et d'autres milieux. Évidemment, je ne peux pas dire qu'on avait toujours des conversations de haut niveau. En fait, les propos échangés entre coureurs à pied tournent, pour l'essentiel, autour de 3 ou 4 sujets : le programme d'entraînement, le régime alimentaire, les temps et les résultats, le programme des compétitions, les chaussures. 

C'est évidemment restreint mais j'ai surtout  apprécié les relations interpersonnelles dans le milieu de l'athlétisme. A la différence, peut-être, d'autres sports, personne ne se déteste, ne se méprise, il n'y a pas de rivalités. Peut-être parce qu'il n'y a quasiment pas d'argent en jeu et que les hiérarchies y sont incontestables. Si l'on est battu, c'est tout simplement parce que l'on n'a pas le même niveau et dans ce contexte, il n'y a ni vainqueur, ni vaincu.

Et puis la course à pied me fascine aussi pour des raisons plus personnelles, plus intimes.

D'abord parce que ça correspond à mon esthétique du corps. J'ai toujours été habitée par un idéal de minceur et de légèreté. Le surpoids, la graisse, ça me révulse. J'assimile ça à un relâchement, à un manque de volonté personnelle. Je veux dominer mon corps et non qu'il me domine. C'est ce qui me fait carburer, c'est mon fantasme de toute-puissance. 


 Et puis, la pratique intensive du sport et, spécialement, de la course à pied, c'est un extraordinaire moyen de conjurer l'angoisse de la mort. Chaque marathonien est ainsi convaincu qu'il est en bien meilleure santé que le reste de la population, qu'il est quasiment indestructible. Être immortel, c'est le fantasme profond du sportif et du coureur à pied. Pour ça, on n'hésite pas à torturer son corps.

Tableaux (à l'exception d'une photo du stade Panathenaïque) de Joseph SIMA (1891-1971), peintre d'origine tchèque. Rien à voir avec le sport bien sûr mais il faut reconnaître que celui-ci n'a guère inspiré les artistes.

De bons livres sur la course à pied, il n'y en a pas beaucoup. Généralement, on présente les sportifs comme des héros, des modèles édifiants, ce qui n'est pas très intéressant.

Voici ma liste qui s'écarte de ces leçons de morale : 

- Jean Echenoz : "Courir". Une biographie romancée consacrée au coureur tchèque Emil Zatopek.

- Jean-Louis Ezine: "Les taiseux". L'un des piliers du "Masque et la Plume", sur France Inter, fut un coureur à pied de niveau honorable.

-Haruki Murakami : "Autoportrait de l'auteur en coureur de fond". A rebours de nombre d'écrivains américains (Fitzgerald, Bukowski, Ellis etc...) Murakami affirme qu'un écrivain, un artiste, "n'a pas besoin d'une vie déréglée pour pouvoir créer". A méditer.

J'espère vous avoir convaincu de faire un peu de sport. Mais attention, ne vous dépêchez pas d'aller courir comme un dératé dès dimanche prochain. Ça risque de vous dégoûter et même d'être nocif. Courir, cela s'apprend et réclame de la méthode et de la patience. Si j'avais un seul conseil à donner, ce serait cette recommandation paradoxale : pour parvenir à courir vite, il faut s'entraîner lentement et très régulièrement.


9 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!
Jamais, vous ne vous êtes autant dévoilée sur votre blog qu’aujourd’hui. Depuis le temps que je vous lis, vous ne cessez de repousser le secret de votre pudeur jusqu’à vous croire au-dessus de la mêlée. Je parle ici de pudeur entière, de celle qui enveloppe autant l’esprit que le corps. Il ne faut pas se spécialiser seulement dans une partie de la vie. Autrement nous risquons d’en manquer un bout. Vos multiples intérêts pour une multitudes de sujets, votre soif de connaissances alimenté par vos nombreuses lectures, vos voyages qui se distancent du tourisme classique, s’accorde avec cette passion du dépassement que vous retrouvez dans la course à pied sur longue distance. Voilà, d’après ce que je comprends, comment vous meublez votre univers. Ce qui ne manque pas d’intérêts, cette façon de construire et d’entretenir sa vie, d’une manière exorbitante. Comment ne pas affirmer, que cela tient plus de la passion que de la folie? Parce que cette passion englobe la folie et pousse au paroxysme. Le dépassement de soi, des capacités physiques et mentales, offre un terrain de jeu séduisant. Comment résister à l’appelle des sirènes lorsqu’une telle offre se présente dans son existence? Comment (renchaussez) ce petit quelque chose qui manque toujours? Voilà des sujets qui ne manquent pas d’intérêts. Et puis, ce corps qui refuse d’aller plus loin, de franchir une mystérieuse transgression, qui vous emporterait vers des sommets, qui soudain se délite sous le couvert d’une blessure, dans l’étreinte mortelle entre l’esprit et le corps, qui fait la sourde oreille aux ordres de l’esprit. Et suite à ce refus du corps, l’esprit qui rage dans son coin. Comment ne pas perdre la mesure de son sens commun? Qui possède le gros bon sens, l’esprit ou le corps? Voilà un magnifique champ d’intérêt pour Freud et ses disciples. Jusqu’où peut-on pousser un humain dans le domaine du dépassement? Je pense ici, à tous ces paresseux intelligents qui cheminèrent dans l’ombre jusqu’au centenaire. Vous m’objecterez que ce genre de vie longue s’étira dans la platitude. Rien de moins sûr. Pourtant ces hommes exceptionnels allaient bûcher chaque hiver à plus de 80 ans! À les côtoyer, je sentais la fraîcheur de leur esprit, la limpidité de leurs raisonnements, leurs logiques implacables, souvent plus vivace que des humains moins âgés. Ce qui impliquait; vivre longtemps. Maîtres de leur évolutions à leur façon, ils s’interrogeaient peu sur la fin, la conclusion, ou la mort, ce qui importaient pour eux, relevait d’un bon feu de camp, d’une thé bien fort, d’une pipé de tabac, et d’un verre de gin avant le souper. Leur existence intense les éloigna de l’angoisse. Ils me manquent! Les murs, ils les évitaient. Pourquoi trouvez sa manière de vivre dans la confrontation avec ce mûr dont les olympiens parlent tant? Ce qui transporte à l’ambition et surtout de s’y soumettre, d’en devenir l’esclave, de ne reculer devant aucun sacrifice afin d’atteindre l’apothéose. Mais que faire après le jour de gloire avec sa médaille d’or au cou ou encore la coupe Stanley porté à bout de bras et faisant le tour de la patinoire? Vos espoirs dorment ailleurs, pourtant d’autre chemins s’offrirent à vous. Nous pouvons regretter certaines périodes de notre vie en croyant que nous avons raté un but; et pourtant nous sentons dans votre présence une ferveur dans la poursuite de d’autres buts. Là, où réellement la vie, que dire, la course vous fit découvrir d’autres buts, peut-être moins glorieux, moins brillants, plus discrets, si non, plus importants.

Merci pour votre texte. Je ne manquerai pas d’y revenir, parce qu’il ne se résume pas seulement à la course.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Richard a dit…

La transgression visite la toute-puissance,
ou bien,
La toute-puissance s’échoue sur la plage de la transgression?
L’expression de la transgression revient souvent dans vos propos et vous ne cachez pas cette soif de toute-puissance qui vous obnubile, que vous transposez à votre corps comme à votre esprit. J’ignore si vous transgressez souvent, mais le désir vous assaille. Cette manière de conjurer la mort par la torture de son corps, ce désir infini d’immortalité afin de se prolonger dans l’avenir, dans ce cas, l’immortalité deviendrait la plus grande transgression. D’autre part vous affichez cette trop grande confiance tout en vous qualifiant d’hypocondriaque, pour émerger au sommet dans votre toute-puissance. Ce qui fait que pour la nullité vous pouvez repasser. Le mystère côtoie l’humilité le tout alimenté par un esprit de compétition hors de l’ordinaire. L’état de votre santé vous angoisse. Exercice difficile lorsque vous unissez la perfection à l’immortalité le tout assaisonné d’esprit de compétition sans limite. Si vous vous livrez à ce genre d’exercice dans la course, je présume que vous le faite pour le restant de votre vie. Alors, de quoi sont fait vos rêves? Surtout les rêves nocturnes, involontaires où la toutes-puissance se perd dans une autre dimension qui échappe à la réalité et à la logique? Surtout ne vous sentez pas obligée de répondre. Cette part de mystère fait le charme de votre blog. Cela titille la curiosité et l’imagination. Bien des humains aimeraient être immortels, mais la nature a fait les choses autrement, elle nous a privée d’immortalité, sans doute pour notre plus grand bien. Les autorités religieuses dans leurs discours usés passaient leur temps à nous parler d’immortalité. De là, à en faire jusqu’à l’écœurement, une maladie, qui touchait à la folie avec ces lieux mythiques de paradis et d’enfer, sans oublier le bien et le mal, la récompense et la punition, il suffisait d’un petit pas, soit pour se soumettre, soit pour se révolter. Il ne faut pas être angoissé pour choisir la révolte seul choix logique. Toutes les courses finissent un jour ou l’autre, même le soleil connaîtra sa fin dans 5 milliards d’années selon les propos d’Hubert Reeves astrophysicien de son état dans son autobiographie intitulée : Je n’aurai pas le temps. Déjà que remplir sa vie tient souvent d’une mission impossible, alors pourquoi exigerait-on de remplir le cosmos ou l’éternité? À la lumière de cette constatation la compétition semble bien futile. Les modes passent et les humains trépassent, rien de triste dans ce domaine. À la fin du XIXe, les plus belles femmes c’étaient les rondes, époque où les filiformes de nos revues de mode auraient auraient été considérées comme des malades. Nous pouvons nous interroger à quoi s’accrocheront nos critères de beautés dans le futur? Avec toutes nos standardisations, que deviendront nos modes compétitifs? Notre toute-puissance s’échouera-t-elle sur les récifs de la transgression? Parce que transgresser, c’est tricher. Ne sommes-nous pas en train de transgresser dans le domaine de l’environnement? Pour faire suite à la biographie de Reeves que j’évoquais. Joindre à cette lecture un autre ouvrage du même auteur qui s’intitule : Mal de Terre. Reeves en scientifique qu’il est fait le tour de la question, ouvrage purement scientifique, chiffres à l’appuie, pas de sentiment, pas de dogme, seulement des graphiques parsemés de commentaires et d’hypothèses, sans redondances aucune sur l’état de notre planète. Une riche réflexion difficile à transgresser!

Bonne fin de nuit Carmilla et merci pour votre texte.
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je doutais, à vrai-dire, que ce post puisse vraiment intéresser.

Aujourd'hui, tout le monde fait plus ou moins du sport mais la compétition demeure mal vue.

Pourtant, mon goût pour la course de fond correspond bien à quelque chose de profond en moi même si ça n'est pas non plus essentiel. Je suis aussi autre chose qu'une sportive.

Si j'y réfléchis bien, je pense que mon acharnement dans ce domaine, depuis que je suis toute jeune, correspond d'abord à une tentative de conjurer l'angoisse de la mort.

Après, c'est le goût de la compétition et je pense qu'en effet, j'ai tendance à instaurer avec les autres un rapport de compétition. Mais je ne crois pas que ce soit pour les rabaisser. Je veux plutôt que ce soit positif, une stimulation, une émulation réciproques, qu'on se pousse mutuellement. Mais je comprends aussi que ça puisse apparaître insupportable.

Et puis, il y a, dans une pratique sportive, le goût d'être et de vivre différemment. D'ailleurs, l'émergence de la course de fond et des épreuves d'endurance remonte aux Etats-Unis des années 70 où elle est apparue comme une espèce de contre-culture. Et il est vrai, qu'être coureur à pied, c'est une mentalité particulière. C'est simplement en ce sens que j'employais le terme de transgression.

C'est vrai que ça repose sur une discipline pas seulement athlétique mais aussi mentale. Pourtant, je suis très réservée en ce qui concerne les thérapies douces et spiritualistes. Le Yoga, la gymnastique, la relaxation, je déteste même, en fait, ça m'apparaît fumeux et inefficace.

La course à pied, ça ne s'appuie, en principe, que sur la médecine, avec pour seule préoccupation d'améliorer son endurance et ses capacités cardio-vasculaires. Tout se résume à des affaires de cardiologie.

Mais c'est vrai que, sur ce point, ça rencontre la volonté humaine de toute-puissance et les fantasmes de la science avec le désir fou de conquérir l'immortalité. Mais vouloir l'immortalité, c'est aussi aimer la vie.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Mais vouloir l'immortalité, c'est aussi aimer la vie.

Bonjour Carmilla!

Petite phrase très simple, en conclusion de votre commentaire, à la fois si simple, mais lourde de sens.

Comment désirer si fort, ce qu’on n’atteindra jamais?

Ce désir d’immortalité, dépasse largement, le simple fait, de vouloir vivre éternellement. Peut-on affirmer que ce sentiment puisse se résumer à une vie sans fin?

Dire, que vous doutiez que votre texte suscite peu d’intérêt. Il dépasse largement l’effort physique, la mécanique du corps, l’entraînement, parce qu’il touche l’ensemble de l’humain, son esprit, sa manière de penser, d’envisager et de comprendre son existence, de cheminer entre le hasard et son désir. Rien de banal dans cette activité humaine. Votre texte exige que nous le lisions lentement et à plusieurs reprises. Dès la lecture de votre titre : Folle de sport, je savais qu’un vaste espace s’ouvrait devant nous, que la réflexion ne pouvait qu’être riche et nous transporter bien au-delà de la simple activité de courir. Dans la recherche de sens, vous ne cessez de creuser. Nous voulons donnez du sens à ce non-sens, celui de naître pour mourir. Nous aimons la vie, plus ou moins avec intensité, selon les individus; et pour certains, nous l’aimons jusqu’au point de refuser la mort. Et, plus nous évoluons, plus nous recherchons ce sens, qui ressemble souvent à une fuite en avant.

Il appert que le mot transgression revêt toute son importance. Rien d’innocent dans cette expression qui touche autant la révolte que le mensonge, d’autre part nous pouvons transgresser une loi, et si nous transgressons une loi injuste, cela ne tient plus du délit , mais de la révolte. L’expression négative prend une tournure positive. Vous vous servez ici du mot transgression comme de la contestation d’une mode. Jadis personne ne courait, puis ceux qui ont commencé à courir transgressèrent la manière de faire des efforts. Ce verbe transgresser m’enchante, je lui trouve une ferveur qui n’est pas dépourvue de beauté. Certes, personnellement, il évoque la liberté, le choix, la décision, en toute connaissance de cause. Transgresser n’est pas un petit mot entre les pages poussiéreuses d’un dictionnaire, parce qu’il incite à la tentation. N’oublions pas sa séduction qui invite à l’action, au plaisir du dépassement, à la remise en question, à l’innovation, qui porte aussi le sens de la trahison. Encore une fois, paradoxe des paradoxes, qui nous amène à ouvrir les pages des dictionnaires afin d’augmenter sa compréhension personnelle face à cet outil, la langue, qui nous sert non seulement à décrire ce que nous voyons, mais à le disséquer pour le comprendre.

En quelques mots Carmilla, j’ai eu beaucoup beaucoup de plaisir à vous lire cette semaine.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour vos propos sympathiques et pleins de compréhension.

On s'interroge tous en effet sur la façon dont on envisage de vivre.

A cet égard, s'impose souvent, quand on est adolescent, la figure de l'artiste, révolté et marginal, sombrant souvent dans les paradis artificiels. Ma chance, ça a peut être été de n'avoir aucun talent artistique, en aucune matière. Ca m'a peut-être évité de succomber à certaines dérives et tentations.

Néanmoins, on a tous plus ou moins envie de créer quelque chose même si c'est sans ambition particulière. C'est dans ce contexte que je me suis effectivement posé cette question de Murakami : "A-t-on vraiment besoin d'une vie déréglée pour créer ?".

Je n'ai pas trouvé de réponse définitive à cette question mais c'est sûr que j'ai plutôt une vie disciplinée et organisée, avec un emploi du temps très strict. Ce n'est peut-être pas par goût naturel mais j'ai l'impression que, sans ça, je n'arriverais pas à faire face à mon travail et à avoir tout de même certains loisirs (sport, lecture, cinéma).

Dans ce cadre, la course à pied, ça me convient tout à fait parce que ça réclame, avant tout, une grande discipline personnelle. Et je pense que ses adeptes, très nombreux dans le monde depuis une quarantaine d'années, sont porteurs d'une véritable révolution des mœurs même s'ils ne sont souvent pas des intellectuels.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Ma chance, ça a peut être été de n'avoir aucun talent artistique, en aucune matière. Ça m'a peut-être évité de succomber à certaines dérives et tentations.

Bonsoir Carmilla

S’interroger, c’est cela, vous venez de le résumer en deux phrases, le choix, plus ou moins volontaire, selon les circonstances, de ce que nous allons devenir. C’est peut-être une chance d’avoir un talent particulier, cela peut être aussi votre fin. La création peut tuer son créateur. L’intelligence et le talent ne renferme aucune promesse de succès. Ils se résument en des possibilités. Face à cette espèce de nébulosité, nous nous devons de nous interroger, pas seulement lorsque ça galère, mais aussi lorsque ça va bien. C’est un exercice salutaire.

Murakami pose la bonne question en créateur qu’il est. Cela se sent dans son écriture que j’apprécie. Nous n’avons pas besoin d’une vie déréglée pour créer. Certes, on nous présente toujours cette image déjantée, du poète maudit, qui est en train de se noyer dans l’absinthe, toujours amplifiée par des légendes plus ou moins véridiques. Nous pouvons nous inspirer d’un créateur, mais seulement l’imiter devient une mauvaise copie. Pourquoi? Parce que nous sommes tous autant que nous sommes uniques et que nous avons la malheureuse tendance à l’oublier. C’est à nous qu’il revient de tailler sa vie, en quelque sorte, de la sculpter.

N’est-ce pas une belle création déjà pour soi-même. Oubliez la notoriété qui n’est que la reconnaissance après beaucoup de travail, et j’ajouterais de discipline. L’inspiration qui fouette l’imaginaire nous pousse vers toutes sortes de réalisations. Je n’ai aucune expérience des paradis artificiels, mais il y a une chose que je sais, c’est que je n’en éprouve aucun besoin. Suis-je passé à côté de quelque chose? Je n’en sais rien. Je n’ai pas vécu ces expériences. Par contre, il faut que je dompte continuellement mon inspiration qui s’empare de moi dès que j’ouvre les yeux le matin, parce que ça déborde continuellement. Je crois qu’elle vient même me visiter dans mes rêves. Voilà, c’est ma réponse toute personnelle à la question de Murakami.

J’évoquerais dans ce processus évolutif de la création quelques noms de créateurs. Vous connaissez mon admiration pour l’illustrateur et peintre Norman Rockwell . Pendant 48 ans, il aura été illustrateur pour le célèbre magazine américain  en page couverture: The Saturday Evening Post. Il a eu un grande renommé à l’époque, mais au prix d’une discipline d’acier. Il n’a jamais cessé de perfectionner son art, et lorsqu’il n’était pas satisfait de son travail. Il sifflait ses chiens et allait marcher dans les montagnes du Vermont.

Friedrich Nietzsche évoquait qu’il devait marcher cinq heures par jour afin de pouvoir écrire. Nous n’en sommes peut-être pas à la course à pied, mais le processus y ressemble étrangement.

Victor-Lévy Beaulieu écrivait de 4 heures du matin, jusqu’à 9 heures de l’avant-midi, sept jours sur sept. Après, il allait s’occuper de ses animaux.
Tous ces créateurs avaient institués leur propre discipline. Il semblerait Carmilla que vous n’êtes pas en reste. Je salue cette force de caractère, qui vous habite et qui vous permet de faire beaucoup.

Merci pour votre commentaire chaleureux.
Et bonne nuit pour ce qui en reste.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La marche était, en effet, essentielle à des penseurs comme Nietzsche et Rousseau. C'était même de la marche à haute dose.

J'aimerais peut-être faire un jour le chemin de Compostelle mais j'avoue que je ne raffole pas des grandes randonnées. Je trouve ça trop lent et lancinant et puis l'efficacité sportive n'est quand même pas très grande.

Je ne pense pas avoir une grande force de caractère car la vie professionnelle me contraint de toute manière. Si je veux sortir un peu de mon boulot, je suis obligée d'avoir une certaine discipline. Et je sais que je pourrais dériver assez facilement. Les gens qui boivent, se droguent, prennent des somnifères pour tenir dans leur travail sont très nombreux. Le sport, c'est peut-être ma manière de m'en sortir.

Quant à être créative, je n'en ai tout simplement pas la capacité. Mais essayer de comprendre un peu le le monde dans le quel je vis suffit à me satisfaire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla.

Ne sous-estimez pas votre force de caractère, il en faut pour se lever aux aurores, vous imposez un régime alimentaire drastique, surtout s’y tenir, faire de la course, s’ajoute le travail, les voyages, et cet appétit insatiable de connaissances. Ça vous occupe et ça meuble votre existence. Comme tous les coureurs, vous êtes seul face au défit, mais vous restez humaine et les humains des fois, ils ont besoin de cette petite tape d’encouragement sur l’épaule, un sourire, un clin d’œil, et c’est particulièrement vrai pour ceux qui pratiquent la course, du fait que tout dépend d’eux. Il en est de même dans la vie quotidienne, dans le travail, des fois une parole d’encouragement ou encore d’appréciation est très appréciée.

Ce qui m’intéresse chez un être humain, c’est son endurance, sa capacité à surmonter l’obstacle, à se rendre au bout de sa destination, à compléter le travail, à compléter sa mission. J’ai de l’admiration pour ceux qui complètent un marathon, mais j’en ai beaucoup plus pour Sarah Maquis qui a traversé à pied l’Australie à quelques reprises, où encore Mylène Paquette qui a traversé L’Atlantique à la rame. Ou bien Cheryl Strayed qui a parcouru plus de 1,700 kilomètres sur la Pacifique Trail sans préparation. Répondre à un rêve, c’est se répondre à soi-même. Cheryl Strayed était en train de sombrer à vingt-six ans, lorsqu’elle a entrepris son voyage à pied. Elle s’est rendue au bout de son épuisement, mais elle s’est retrouvée.

Là on touche l’ultime pour arriver au sublime. C’est tout l’humain qui est mis et souvent remis en question. Comme vous le dites Carmilla, c’est de la marche à haute dose. C’est plus que de l’efficacité sportive. Je dirais que c’est simplement la vie. Je suis bien placé pour en parler, puisque je suis né sur une ferme laitière, où l’endurance était sollicité quotidiennement.

Compostelle? Pourquoi Compostelle? Pourquoi pas Paris Rome à pied, ou Montréal Kuujjuaq en ski de fond? Ce ne sont pas les endroits sur terre qui manquent.

Peut-être que l’important, c’est peut-être de réaliser ses désirs, les gens qui se droguent, boivent, et prennent des somnifères au travail n’ont peut-être pas fait le bon choix. Et pour réaliser ses désirs, il faut avoir du courage. Prendre le risque de connaître l’incertitude, le doute, la peur, la précarité, voir même la pauvreté. En fait, faire le choix entre l’insécurité et le confort. L’insécurité c’est l’inconfort, la sécurité c’est la routine. Mais l’insécurité que nous vivons nous en révélera beaucoup plus sur nous-mêmes, que tous les conforts et routines de l’existence.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il ne faut pas surestimer les choses. Se lever tôt, ce n'est qu'une habitude, qu'un rythme, ça ne me réclame pas d'effort.

Courir, c'est, pour moi, une distraction, un plaisir, pas un défi. Là encore, ça n'est pas éprouvant pour moi. Et même courir un marathon, ça n'est pas grand chose si vous êtes bien entrainé. Ca n'a rien de surhumain et ceux qui se vantent d'en avoir fait un me font généralement bien rigoler. D'ailleurs, ce qui compte, ce n'est pas d'avoir fait un marathon mais c'est le temps que l'on a mis pour le parcourir. Si l'on adopte ce critère, il y a beaucoup moins de raisons de se vanter pour la plupart des participants.

Je ne suis pas sensible à l'idéologie du dépassement de soi-même et de ses limites. J'essaie seulement de composer avec les contraintes que je subis. Je n'ai rien d'une héroïne, je ne suis ni un modèle, ni un exemple. Je cherche simplement à me sentir bien physiquement et à avoir des loisirs.

Compostelle ? Les chemins traversent des villes merveilleuses mais j'avoue que je doute de ma capacité à supporter des conditions spartiates et sans trop pouvoir lire pendant plusieurs semaines.

Bien à vous,

Carmilla