samedi 21 janvier 2023

Tribulations européennes

 

J'ai pu lire l'entretien entre Michel Onfray et Michel Houllebecq (Revue Franc-Tireur) qui a soulevé tant de polémiques. 

Evidemment, c'est un peu consternant. De la part d'écrivains qui produisent des textes tout de même d'une certaine tenue, on est surpris que leur conversation ne dépasse pas le niveau de propos de bistrot, franchouillards et xénophobes. C'est tellement peu subtil que j'ose espérer qu'il y a, dans leurs propos, une large part de provocation.

"Tout fout le camp", proclament ces deux vieillard grincheux. Tout fout le camp, mais ça ne à sert rien, non plus, de chercher à défendre la civilisation occidentale, de toute façon submergée par l'immigration musulmane. C'est le refrain bien connu du déclinisme que reprennent aujourd'hui, avec une délectation morbide, tant d'Européens.


Qu'importe si cette antienne du "ça va mal" est sans cesse infirmée par les faits. Les pleurnichards du "c'était mieux avant" ne voudront jamais reconnaître qu'ils n'ont jamais été aussi riches, aussi éduqués et aussi bien soignés. Que la vie matérielle n'a jamais, en fait, été aussi facile. C'est l'affaiblissement intellectuel et la rumination complaisante du nihilisme.


Le message principal aujourd'hui diffusé, c'est se laisser entraîner sur la pente de l'inaction : un boulot le plus peinard possible (dans le quel, affirme-t-on, on s'épanouirait davantage), un art de vivre surtout préoccupé de recettes de cuisine, le repli sur soi, une vie modeste et frugale débarrassée des affres du marché et de la mondialisation. Une société immobile et vertueuse dans la quelle on se contenterait de ses seules ressources, d'une production locale.


C'est le grand retour des nationalismes étriqués. Houellebecq et Onfray se proclament résolument anti-européens. Leur premier argument : l'Europe, c'est une grande machine à éradiquer les particularités propres à chaque pays, toutes ces petites spécificités qui en font les charmes. Faire un Tour d'Europe, comme autrefois, n'a plus grand intérêt. Tout est pareil, tout se ressemble. Berlin, c'est comme Vienne qui est comme Paris: on y retrouve les mêmes commerces et les mêmes attractions grégaires du tourisme de masse: des musées où tout le monde se bouscule et s'ennuie, des parcs de loisirs débilitants, des "hauts lieux" qu'il faut aborder en troupeaux compacts et agressifs.


L'Europe entièrement banalisée ? Ca n'est pas du tout mon point de vue. J'admets volontiers qu'on y trouve effectivement partout les mêmes enseignes, les mêmes H&M, Auchan, Leroy-Merlin, et les mêmes grands centres commerciaux déprimants qui enlaidissent les abords des villes et désertifient leur centre.


Mais pour le reste, pour l'essentiel en fait, je ne suis pas du tout d'accord. A chaque fois que je voyage en Europe, je suis, au contraire, émerveillée par son extrême diversité culturelle. Dans quelque pays que j'aille, je dois effectuer un important recadrage de mes perceptions et habitudes. Même la Belgique ou la Suisse sont, pour un Français, profondément dépaysantes. 


Les différences vont d'ailleurs bien au-delà de la cuisine. Ce sont aussi les rythmes de la journée (heures de lever, de coucher, de travail, de repas), toutes les règles de politesse (les Français ignorent qu'ils choquent souvent en voulant faire la bise, en omettant de se déchausser quand ils rentrent dans un appartement ou en n'aidant pas une femme à passer son manteau). Et puis, en beaucoup plus compliqué, il y a les relations entre hommes et femmes, leurs règles de cohabitation et de séduction. Là, les différences entre pays sont presque abyssales. Ca va de la distinction, séparation (pays germaniques) à une relative complicité (France).


Ce sont également, me semble-t-il, les romans nationaux de chaque pays qui sont complétement différents. Les Français ont tendance à croire que tout le monde est au courant des péripéties du règne de Louis XIV ou de la Révolution française. Pas du tout: le seul homme d'Etat universellement connu c'est Napoléon qui est, d'ailleurs, curieusement, davantage apprécié en Europe qu'en France.


On a du mal à percevoir  qu'on ne raconte pas la Grande Histoire de la même manière dans tous les pays. Les héros ne sont pas les mêmes. Ce sont (je simplifie outrageusement): Frédéric II et Bismarck en Allemagne, les Habsbourg (Marie-Thérèse et François-Joseph) en Autriche, la Reine Christine et Charles XII en Suède, les Jagellons et la République des Deux Nations en Pologne, Guillaume d'Orange aux Pays-Bas. Un traumatisme commun à tous ces pays: la guerre de 30 ans, terrible, atroce, qui les a ravagés au 17ème siècle et les a définitivement bouleversés. La guerre de 30 ans, difficile d'évoquer ça en France sans passer, tout de suite, pour une vieille barbe. 

Autant d'événements et de personnalités peu connus en France mais qui continuent de façonner les mentalités chez nos voisins.

L'Europe est donc incroyablement diverse. Mais il y a tout de même un substrat commun : l'esprit démocratique. Ca peut être illustré par les cafés, cette institution dont l'omniprésence constituerait une caractéristique culturelle de l'Europe (il n'y en a pas à Moscou). Un café viennois est certes bien différent d'un café berlinois ou parisien. Mais ils sont tous des lieux de rencontres, de rendez-vous, d'échanges et de discussion. C'est finalement là, dans ces lieux modestes mais conviviaux, que s'entretient l'esprit démocratique.


Il y a donc bien une unité européenne façonnée par une culture commune: l'architecture, les Arts, la littérature, la musique, la peinture, l'esprit des Lumières.

Mais le grand paradoxe est qu'on ne cesse partout, aujourd'hui, de rechigner et de se moquer. Tout le monde va ricaner et vous couvrir de quolibets si vous essayez, au cours d'une réunion, de défendre Bruxelles. On évoque alors Emmanuel Todd, voire Onfray et Houellebecq (même s'ils commencent à sentir le soufre), on dénonce une dictature insidieuse, on proclame vouloir faire sécession. C'est le temps des nationalismes et populismes doucereux: on sera tellement mieux entre nous seuls à l'abri de l'ultra-libéralisme qui sévit en Europe.


On ne raconte en particulier que des horreurs sur les institutions européennes (le Conseil Européen et la Commission Européenne dont on connaît d'ailleurs rarement les différences).  Ca ne servirait qu'à entretenir une armée de fonctionnaires grassement payés (les "eurocrates") qui passeraient leur temps à légiférer sur tout et sur n'importe quoi (du format des prises électriques à la certification des fromages). 

  

Avec eux, tout devient non seulement absurde (c'est la "cancanie" de Musil ou "Le château" de Kafka) mais incompréhensible et d'une lenteur désespérante.  L'Europe, ce serait l'inaction et l'impuissance garanties pour le seul bénéfice d'une bureaucratie.


 Cette inertie, elle résulterait, en partie de l'impossibilité d'exprimer une voix commune, une voix unique, chaque pays (les "petits" en particulier) tirant à hue et à dia pour faire valoir sa spécificité en usant de son droit de veto. C'est comme ça qu'on n'a toujours pas de gestion budgétaire et financière unique, de politique étrangère et de défense communes. Chacun fait sa cuisine dans son coin (en profitant néanmoins impunément des largesses de la Banque Centrale Européenne) et ce grand bazar donne l'impression que l'Europe est, sans cesse, au bord de l'implosion.     

           

Tout cela est, à la fois, complétement vrai et complétement faux.

On peut affirmer, en fait, que les institutions européennes fonctionnent relativement bien mais nous ne nous en rendons pas compte. Et puis, nous sommes devenus cyniques et préférons jouer, à bon compte, les "brillants esprits". 


On peut d'abord remarquer, mais c'est anecdotique, que les effectifs d'"eurocrates" ne sont pas si pléthoriques que ça : 28 000 environ, soit bien moins que les 52 000 agents de la Mairie de Paris.

Après, il faut bien reconnaître que l'Union Européenne est obnubilée par les règlements et les procédures. Mais c'est la condition essentielle du bon fonctionnement d'un marché unique de 27 états membres. Il faut qu'il y ait des règles respectées par tous, c'est la seule manière de mettre tout le onde sur un pied d'égalité et de ne défavoriser personne.


Et s'il y a des tiraillements entre pays, on sait très bien que la Pologne ou la Hongrie ne vont jamais quitter l'Europe: d'abord parce que leur population ne le souhaite pas et, surtout, parce qu'elles y auraient trop à perdre. Et puis, chaque pays ne disposant que d'une voix, l'Union protège les petits en tempérant la puissance des plus grands. 


Et finalement, même si elle est lente et peu efficace, l'Europe arrive tout de même, cahin-caha, à se montrer unie et à affirmer son poids politique. Sa grande force (qui est peut-être aussi sa faiblesse): l'art, le grand Art, des compromis entre tous les pays qui la composent afin que personne n'ait le sentiment d'être lésé. L'Europe, c'est tout l'opposé d'une politique autoritaire gouvernée par des nationalistes. Et tant pis si l'Europe semble parfois une vraie "chiffe molle" qui répugne par dessus tout aux conflits et à la guerre.


Au total, c'est vrai que ça ne fait pas beaucoup rêver cette Europe tiède des compromis, cette Europe bureaucratique. Mais comme le dit bien le philosophe allemand Peter Sloterdijk : "J'ai toujours été convaincu que la non-popularité du projet européen et cette absence relative d'enthousiasme constituaient justement sa force. Quand les enthousiastes prennent le dessus, on assiste à des mobilisations inconfortables. L'enthousiasme collectif, c'est toujours ou bien une révolution violente, ou bien la mobilisation pour une guerre".


Tableaux de Sam SZAFRAN (qui vient de faire l'objet d'une exposition à l'Orangerie), Yves KLEIN, Andrea BENETTI, Jacques TRUPHEMUS, Niki de SAINT-PHALLE, Neo RAUCH, Martial RAYSSE, Vincent Van GOGH, Fernand LEGER, Maria von WEREFKIN, Anton RADERSCHEIDT, Otto DIX

A lire :

- Caroline de GRUYTER: "Monde d'hier, monde de demain". Une comparaison stimulante entre l'empire des Habsbourg et l'Union européenne. Ce n'est pas un bouquin d'histoire mais le livre d'une journaliste néerlandaise. Un livre certes subjectif (constitué de rencontres et impressions), mais qui ouvre d'autant plus à l'analyse et à la réflexion. Il m'a incitée à rédiger ce post.

- Hans-Magnus ENZENSBERGER: "Le doux monstre de Bruxelles ou l'Europe sous tutelle". C'est à peine si on a parlé, en France, de la mort (24 novembre 2022) de ce très grand écrivain allemand. Cet essai polémique n'est sans doute pas son plus inspiré et son plus pertinent. Une critique au vitriol de la bureaucratie bruxelloise dans la lignée de Musil, Karl Kraus, Kafka.

- Robert MENASSE: "La capitale" (paru en 2017). La capitale, c'est Bruxelles et les institutions européennes, décrites sous un mode loufoque et déjanté (et non comme un monstre froid). De multiples péripéties burlesques. Par un grand écrivain autrichien que j'aime beaucoup ("Don Juan de la Manche", "En finir avec les nationalismes").

- On peut enfin trouver une série française récente "Parlement" sur France TV. Je n'en ai vu qu'un épisode. C'est incontestablement drôle et réussi mais rien de tel pour alimenter tous les préjugés anti-bruxellois.


11 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Merci pour votre texte sur l’Europe

Une seule question ce matin, une vraie question européenne.

Qu’est-ce qu’ils attendent les allemands pour livrer leur Léopard?

Merci

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Qu'est-ce qu'ils attendent ?

Je crois qu'ils sont surtout lâches, ils ont peur des remontrances de Poutine.

C'est vrai qu'Allemands (et avant, les Prussiens) et Russes ont toujours entretenu des relations complexes, avec une fascination réciproque pour la puissance et l'autorité. De multiples connivences et réseaux se sont instaurés au cours des siècles.

On évoque aussi une culpabilité de l'Allemagne envers la Russie à la suite de la 2nde guerre mondiale. Mais il me semble que l'Allemagne nazie a largement autant ravagé l'Ukraine que la Russie. S'ils cherchent une occasion de rachat, ce n'est certainement pas en ménageant un agresseur.

Ce jeu teinté d'hypocrisie peut toutefois se révéler un calcul à courte portée qui risque de discréditer, encore plus, la politique étrangère de l'Allemagne au sein de l'Union Européenne. L'Allemagne et la France (dans une moindre mesure) irritent de plus en plus.

Mais les choses sont susceptibles d'évoluer rapidement. Les Polonais ont en effet affirmé leur intention de se passer de l'accord de l'Allemagne et de livrer directement leurs chars à l'Ukraine. Tels que je connais les Polonais, ils se feront un plaisir de donner une leçon de courage à l'Allemagne. Que pourront d'ailleurs faire les Allemands ? Ils ne vont pas oser prendre de mesures de rétorsion. Pour éviter l'humiliation, il est donc préférable qu'ils donnent leur accord.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Je redoutais ce genre de situation malheureuse où il y aurait un pays qui tournerait le dos la à crèche. Jusqu’ici, les membres de l’Union Européenne et L’OTAN s’étaient assez bien entendus. Il y en a encore en Europe qui croient qu’on peut en arriver à une entente avec cet agresseur. Visiblement ils n’ont rien compris!

Je partage l’analyse du Général Michel Yakovleff lors que son entrevu avec Xavier Tytelman. Pour gagner cette guerre, donnons à l’Ukraine les outils nécessaires. Il y a 1,000 Léopards qui dorment dans les garages présentement en Europe. Ils seraient beaucoup plus utiles sur les champs de bataille.

On en revient aussi à une période d’entraînement sur ce genre de blindé. Cela va prendre un peu de temps. Et voilà que l’Allemagne niaise. Elle pense à son économie et à son petit confort. Elle craint peut-être de perdre ses ventes en Russie.

J’aime bien Yakovleff parce qu’il a une bonne vision de la situation, ça paraît qu’il a travaillé pour l’OTAN, s’ajoute une excellente formation, il ne se cache pas la réalité et n’essaie pas de faire de l’esbroufe, il n’a rien à faire de la galerie. Comme il le soulignait lors de cette entrevue avec Tytelman : Se serait cruel d’abandonner les Ukrainiens maintenant, juste pour une question de matériel. J’ai aimé lorsqu’il a dit : plus rapidement qu’on terminera cette guerre, plus on sauvera de vies. Bien sûr avec une victoire de l’Ukraine, une victoire claire, nette, et sans équivoque avec ses frontières reconnues internationalement.

La possibilité de victoire est a portée de main des Ukrainiens. Nous n’avons pas parcouru tout ce chemin pour que cela se termine par un mauvais compromis en queue de cochon. Se serait beaucoup de sacrifices jetés à la poubelle. Lorsqu’on s’engage dans une telle action, on va jusqu’au bout.

Pour ceux qui n’auraient pas vu l’entrevue de Tytelman avec le Général Yakovleff :
https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=Tytelman#fpstate=ive&vld=cid:512ce1bb,vid:-lNRa0o5cyU

Ayons confiance, ce n’est pas le temps de l’angoisse!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

S'agissant de l'entretien avec le général Yakovleff, vous pouvez vous reporter à ma réponse à Nuages (dernier commentaire du post :"Projet pour une nouvelle République des 6 nations").

Quant à l'Europe, le soutien à l'Ukraine est moins inconditionnel qu'on ne l'imagine. On veut bien exprimer un vote en sa faveur mais de là à s'engager concrètement, à fournir une aide militaire et financière, il y a une très grande marge...

Ce sont surtout les pays baltes et scandinaves et la Pologne qui soutiennent l'Ukraine (et aussi la Grande-Bretagne, mais elle ne fait plus partie de l'Europe). Ailleurs, c'est nettement plus mesuré (Allemagne, Italie, Autriche, Croatie, Bulgarie, Hongrie, Roumanie, Slovaquie). Quant à la France, elle semble évoluer positivement.

Mais au total, hormis dans les premiers pays cités, je crois que personne, en Europe, n'est disposé à sacrifier une petite partie de son confort pour l'Ukraine. Et on souhaite surtout que les affaires reprennent et que le pétrole et le gaz redeviennent bon marché.

Ca explique qu'au final, les pays occidentaux rechignent et trouvent de mauvais prétextes pour ne pas fournir à l'Ukraine les armes dont elle a besoin. Ils se disent: "à quoi bon ? est-ce bien nécessaire ?" Même si le retard apporté aux demandes ukrainiennes se traduit par des dizaine de milliers de morts supplémentaires.

Je ne suis pas sûre, au total que l'on souhaite vraiment une victoire de l'Ukraine. Je crains qu'on ne s'engage dans une longue guerre de positions qui fera les affaires des Russes. Dans deux ans, dans trois ans, les belligérants n'auront peut-être pas bougé. C'est ce que les Russes souhaitent, ils se disent qu'avec le temps, on finira par considérer que les territoires occupés leur sont acquis. C'est malheureusement ce qui se produira si on ne fournit pas d'armes offensives.

Mais à vrai dire, je n'ai plus d'opinion. Chaque jour, j'entends une foultitude de choses et, à chaque fois, tout et son contraire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Pas trop confuse?

Non.

Pour reprendre une expression très populaire par les temps qui courent : vous êtes fumeuse comme un missile.

À chaque découverte et explication en science, nos croyances reculent, ce qui est dérangeant, pour ne pas dire déstabilisant. Nous ressentons comme une perte de nos illusions. Découvrir un nouveau mode de fonctionnement fait reculer nos valeurs anciennes, râpent nos conforts intellectuels, nous poussent à des douloureuses remises en questions. C’est exactement ce à quoi se livre le neurologue Lionel Naccache.

Non seulement le réel ne s’imprime pas dans notre cerveau, mais il y subit une transformation, nous pourrions même affirmer une manipulation. Où situer la conscience dans cette situation? Cette conscience que nous voudrions : volontarisme. C’est quoi cette conscience? C’est peut-être plus que l’éveil? Et si on y ajoute le domaine de l’intuition?

À cette question toute simple : Est-ce que vous avez exactement vu ce que vous venez de voir? Nous n’étions incapables de voir plus loin, alors on a inventée le radar, incapable de discerner l’infiniment petit on en est arrivé au microscope, et aujourd’hui nous en sommes arrivés au scanner. On en arrive même à mesurer le temps d’échanges d’informations entre les neurones en millième de seconde. Et, nous savons tous, que ça ne va pas d’arrêté là! Ce qui sera peut-être déstabilisant pour notre conscience.

« La continuité intrinsèque de la scène visuelle et celle de la scène visuelle perçue ne sont pas équivalentes. »
Lionel Naccache
Apologie de la discrétion
Page 32

Donc entre les deux états, il y a un décalage et qu’est-ce qui se passe entre ces deux décalages?

Ce qui dégage une certaine importance autant dans le monde de l’instruction, de l’apprentissage à l’école, que la formation des pilotes, voir de d’autres métiers. Avant de traiter bêtement quelqu’un de paresseux, on pourrait peut-être s’intéresser au fonctionnement de son cerveau?

Merci pour votre court commentaire lourd de sens.

C’est toujours un plaisir

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Fumeuse comme un missile. Je ne crois pas que l'on utilise cette expression en France. Quoi qu'il en soit, elle est joliment imagée. Et puis, il en faudrait infiniment plus pour me vexer.

Cela dit, il est vrai qu'il est difficile de s'exprimer clairement. On se rend compte parfois que l'on a été compris d'une manière complétement différente de notre intention. Faut-il pour autant se corriger ? Je me dis parfois que chaque message recèle une part d'ambiguïté. Et puis, à vouloir être trop simple, on devient vite réducteur, simpliste.

Sinon, je souscris bien sûr à vos propos (qui sont, je le maintiens, du Kant modernisé). Le cerveau n'est pas une simple photocopieuse du réel. Un réel vis-à-vis du quel nous n'avons pas une relation passive mais active. La multitude de nos sensations et perceptions est réorganisée au travers des grandes synthèses cognitives. La scène visuelle et la scène mentale ne sont pas du tout les mêmes.

Le monde est donc ma représentation, voire ma création. C'est la grandeur de la condition humaine mais aussi sa limite. Dans la connaissance du monde, on n'ira jamais au delà des grandes facultés humaines et des processus du cerveau qui façonnent nos perceptions et notre pensée. A la question "que puis-je savoir ?", on peut donc répondre : certainement pas tout et, en tous cas, rien de ce qui est au-delà des schèmes de notre pensée.

En espérant avoir été moins fumeuse,

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

(Dans la connaissance du monde, on n'ira jamais au delà des grandes facultés humaines et des processus du cerveau qui façonnent nos perceptions et notre pensée.)

Depuis longtemps je pensais de cette manière, mais après réflexion, je doute. Les humains ont rudement évolués depuis deux siècles, et cela s’est accéléré au cours des 30 dernières années.

Le cerveau possède une grande plasticité, il peut se régénérer dans certaines circonstances, transférer des donnés dans un autre secteur, et même éveiller une partie qui ne servait pas. De là à penser qu’il est limité dans le domaine de la connaissance et de l’apprentissage, et que notre vision du monde se limiterait à notre environnement, il faudrait peut-être réviser nos visions. Deux exemples, la théorie de l’évolution par Darwin, et la théorie de la relativité. Comment des humains sont venus à imaginer, puis penser de telle chose, et nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Nous commençons à peine à explorer la banlieue de notre planète. La lune c’est juste chez le voisin. Voilà maintenant qu’on veut se rendre sur Mars, ce qui est un tout autre défi, et c’est pour cette raison que ça prend du temps pour commencer ce voyage. Il faut penser des manières de faire qui n’ont rien à voir avec notre environnement terrestre. Autrement dit, il faut penser autrement. Surtout question d’énergie et de propulsion, sans oublier la longueur du voyage. Et puis, il faut revenir...

Ce (penser autrement), exige une versatilité du cerveau. L’humain reste un être dévoré par la curiosité surtout lorsqu’il est face à un problème qui semble impossible à résoudre. Il a cette faculté de voir les choses autrement.

Interlude : Ce matin, ce n’est pas une corneille qui se régale de gras de lard, c’est deux corneilles. Elles sont très drôles. Incapables de manger dans le plat en même temps, elles alternent. Le gras de lard par -19 degrés ce matin, c’est un excellent carburant!

Pourquoi on n’améliorait pas notre cerveau? Loin de moi de penser avaler des substances, mais de penser autrement, posséder une plus large vision du monde. Améliorer nos manières d’enseigner. On parle souvent de réformer l’instruction, mais on ne sait pas par où commencer. Il faudra peut-être réviser nos notions de cancres et de génies trop simplistes.

Je ne suis pas très connaissant en ce qui concerne Kant. J’aimerais bien savoir ce que c’est du (Kant moderne). Pourriez-vous SVP me donner des exemples. Je ne connais pas cette vision du monde. Je n’ai jamais étudié en philosophie.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Kant, je connais un peu parce qu'il vivait à Koenigsberg (actuelle Kaliningrad aujourd'hui en Russie). Curieusement, ce qui m'avait fascinée en lui, c'est sa vie en apparence d'une absolue banalité mais qui épousait ses grands principes rationnels.

Mais je ne vais pas vous conseiller de lire Kant, c'est quand même très indigeste. Ce qui est important, c'est l'influence de Kant sur la pensée contemporaine.

Disons qu'aujourd'hui (en simplifiant énormément), il existe deux grandes analyses des sociétés :

- une analyse matérialiste ou marxiste suivant la quelle les infrastructures (c'est à dire le système économique et les rapports de production) déterminent les superstructures. Ces superstructures (l'Art, la religion, les institutions) sont, dans le système capitaliste, des instruments d'oppression du prolétariat par la bourgeoisie.

- une analyse "idéaliste", beaucoup plus complexe, suivant la quelle la réalité sociale relève de mécanismes profonds dont nous n'avons pas une conscience explicite. On peut donner l'exemple du langage: nous parlons tous mais nous sommes incapables d'expliquer les mécanismes du langage. Et cela va au-delà: les membres d'une société ne sont pas conscients des règles, des principes, qui régissent leur vie sociale. On est incapables de préciser les raisons de tel rite, telle coutume. Pourtant, toutes les manifestations de notre vie sociale ont une logique, une rationalité, profondes. Cette logique, elle est celle du fonctionnement de l'esprit humain, c'est-à-dire du cerveau. La culture humaine, son fonctionnement général, est un produit de la pensée et de ses mécanismes. Pour comprendre ce que nous appelons la réalité, il faut passer à un autre niveau, celui des structures générales de la pensée: la réalité vraie, ça n'est jamais la simple apparence, la perception immédiate (c'est ce qu'on appelle, d'un terme pédant, l'analyse "transcendantale", au-delà de l'expérience). Parmi les mécanismes fondamentaux de la pensé humaine, il y a la classification, la distinction de tous les objets suivant des couples d'oppositions: froid/chaud, humide/sec, masculin/féminin, cru/cuit, etc... C'est une logique binaire qui est, aujourd'hui, celle de l'informatique et des ordinateurs (0/1).

Voilà ce que je peux dire, de manière outrageusement simplifiée, de Kant aujourd'hui. Comprendre les mécanismes du cerveau, ça nous aidera aussi à comprendre le fonctionnement général des sociétés humaines.

En espérant n'apparaître ni trop prétentieuse, ni trop obscure,

Carmilla

Anonyme a dit…

Bonsoir Carmilla,
je suis assez d'accord avec vous sur le diagnostic de la diversité culturelle européenne et le caractère indépassable de sa civilisation, quels que soient ceux qui y entrent ou en sortent. L'immigration musulmane ne doit pas être considérée comme un problème à long terme selon moi, car elle se sécularisera ou disparaîtra. Ce discours décliniste est absurde et j'ai été surpris par cette conversation assez improbable. Je ne fustige pas pour autant les deux penseurs car ils sont utiles au débat contradictoire.
Si vous le permettez, il faut être un peu plus nuancée s'agissant du fonctionnement de l'Union.
Tout d'abord, l'égalité des Etats membres (et la protection des plus petits) n'est plus vraiment assurée par les procédures de décision en vigueur depuis le Traité de Lisbonne. L'unanimité n'est plus requise que dans un nombre marginal de domaines au Conseil (ministres) : droit civil, fiscalité, coopération judiciaire, etc. Dans les autres domaines régaliens, les décisions de Conseil européen (Chefs d'Etat et de Gouvernement) sont réputées adoptées par consensus plutôt que soumises au vote personnel, ce qui permet de ne rien dire en n'étant pas d'accord, ou alors relèvent de l'exigence de l'unanimité des suffrages exprimés, et non des membres, ce qui leur permet de s'abstenir sans entraver la décision (ce qui, d'après mes informations, a été le cas à propos de la Hongrie s'agissant des sanctions ''russes'').
Pour l'essentiel, les décisions sont prises au Conseil à la majorité où, il est vrai, chaque Etat dispose d'une voix (Luxembourg 1 - France 1). Mais surtout une deuxième majorité est requise : la décision doit emporter 65% de la population européenne soit 290 millions d'habitants environ (l'Allemagne pèse donc 266 fois Malte) et une minorité de 35% peut bloquer le processus (157 millions). Il en résulte qu'il faut toujours l'accord de trois grands Etats, et que ces mêmes trois grands Etats, peuvent bloquer les 24 autres (par exemple : All, Fr, It). C'est principalement ce que les Tchèques, les Polonais et les Hongrois ne supportent pas, surtout dans la mise en oeuvre du Green Deal for Europe auxquels ils sont opposés (mais ils n'ont pas la minorité de blocage, eux!).
Ensuite, les agents européens sont un peu plus nombreux. Vos chiffres se rapportent aux fonctionnaires, mais l'Union recourent aujourd'hui majoritairement aux emplois contractuels de longue durée. Ils sont plus de 33000 pour la seule Commission et bénéficient tous du statut de la fonction publique internationale avec ses privilèges et immunités. C'est aussi sans compter sur les centaines de milliers d'agents publics nationaux qui agissent en tant qu'autorités administratives décentralisées pour la mise en oeuvre des grandes politiques de l'Union en application des traités et non de leurs droits nationaux (concurrence, agriculture, commerce extérieur, douanes). En réalité, l'administration européenne est peu nombreuse car c'est une administration de conception (A' et A) et non une administration d'exécution. Je pense qu'il faut la comparer aux corps des administrations centrales des Etats, eux-mêmes peu nombreux.
Enfin, les deux auteurs m'apparaissent davantage anti-maastrichtien, ou anti-fédéralistes, qu'anti européens.
Il existe d'autres Europe (le Conseil de l'Europe par exemple), où le modèle de coopération souveraine fonctionne bien. Les britanniques y sont d'ailleurs restés.
Espérant également ne pas avoir été trop obscur.
Très sincèrement.
Alban Plessys

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Oui, effectivement...mais le format d'un post et son caractère nécessairement critique impliquent des simplifications.

Je voulais surtout souligner que, malgré tout et en dépit de leur lenteur, les institutions européennes ne fonctionnent pas si mal. Quant à ses effectifs, ils sont beaucoup moins pléthoriques qu'on ne l'affirme.

Mon principal regret, c'est qu'il n'y ait pas de politique économique commune et de grand budget européen.

Ce qui m'inquiète également, c'est que la prétention trop affichée de Macron et de Scholz de "piloter" l'Europe irrite de plus en plus. Surtout depuis la guerre de la Russie contre l'Ukraine pour la quelle on les juge trop "pétochards" et serviles.

Je vois ainsi (mais ce n'est que on petit point de vue) se dessiner un bloc d'opposition plus à l'Est, regroupant la Pologne, la Tchéquie, les pays baltes et scandinaves et même la Hollande. Mais je ne crois pas non plus que ça constitue une menace pour l'unité européenne, c'est plutôt un déplacement de son centre de gravité.

Je vous invite vivement, en tous cas, à lire le livre de Caroline de Gruyter. C'est vraiment original et stimulant, pas du tout barbant. Comparer l'Europe d'aujourd'hui et l'ancienne Autriche-Hongrie des Habsbourg, ça se révèle très pertinent.

Quant à Houellebecq et Onfray, je suis surtout étonnée par le décalage entre leurs propos publics et leur oeuvre. Mais je ne conteste pas par ailleurs leur puissance créatrice (surtout Houellebecq, Onfray, je suis plus dubitative). C'est pourquoi, je pense qu'ils aiment bien provoquer.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Merci pour votre point de vu très pertinent. J’ai bien apprécié. Ce que je voulais et espérait c’était votre pensée personnelle sur Kant. Mais, vous avez largement dépassé cela en quelques phrases et vous avez écrit :

« Cette logique, elle est celle du fonctionnement de l'esprit humain, c'est-à-dire du cerveau. »

Je suis toujours ébahi que dans le domaine des idées, les routes finissent toujours par se croiser.

En fait de compte, Naccache se livre à cette activité comme neurologue, l’étude du cerveau et son fonctionnement.

J’ai retenu cette citation, qu’on dira peut-être hors sujet dans son ouvrage :

« En premier lieu, le (pourquoi des pourquoi) semble hors d’atteinte pour les simples physiciens du mental que nous nous efforçons d’être. Il s’envole au-delà de nos crânes vers les nuées de la métaphysique. Il est classique d’associer ce pourquoi à la magnifique formule lapidaire de Leibniz:(Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?)(Principe de la nature et de la grâce fondé en raison (Leibniz, 1714).

Lionel Naccache
Apologie de la discrétion
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Ce qui peut ressembler à une plaisanterie ironique sur les bords d’une moquerie, mais si on y pense rien, une fois le sourire passé, on s’aperçoit que c’est véritablement, une question fondamentale, une question de vie ou de mort. Être ou ne pas être.

Si on y regarde bien, lors qu’hier j’évoquais l’espace, force est de constater qu’il n’y a rien sur les autres planètes de notre système qui nous ressemble. Même pas la moindre petite amorce de vie. Si bien, que la vie sur terre ressemble à un accident.

Et, nous voilà des êtres, dotés de cerveaux que nous tentons de comprendre. Je trouve que c’est rudement stimulant.

N’est-ce pas fabuleux ce que nous vivons présentement, et nous en sommes les témoins privilégier.

Merci Carmilla et bonne nuit

Richard St-Laurent