samedi 12 août 2023

Eloge de l'imprévu

 

J'ai déjà évoqué nombre de mes défauts.

Je dois y ajouter, aujourd'hui, un rapport compliqué, presque obsessionnel, au temps. Avec une hantise: celle du temps perdu.


L'accessoire le plus indispensable pour moi, c'est une montre. Je la consulte sans cesse. Etre en retard, ça me met dans tous mes états.

Et puis, tout contretemps me fiche presque en rage. Le simple métro qui me file sous le nez me contrarie profondément. A l'inverse, en attraper un à l'issue d'une course folle me met en joie.

Et que dire du retard d'un train, d'un avion? Ca suffit à gâcher ma journée. 

Et je ne parle pas des "indélicats" qui osent être en retard à un rendez-vous avec moi. Ca m'a permis d'éliminer rapidement nombre d'amants potentiels.


Sur le rapport au temps, je ne suis donc vraiment pas cool. Avec moi, on est priés d'être à l'heure sous peine de remarque acerbe. Et chacune de mes journées est cadencée par un strict emploi du temps pour le travail comme pour les loisirs.


Je justifie ça en arguant que, sans cette discipline, je ne m'en sortirais pas. Mais quelquefois, quand même, j'essaie de me raisonner. Est-ce que je ne devrais pas essayer de décrocher de cette obsession  ?

En cherchant à éliminer les temps morts, à combattre les retards potentiels, tu ne fais, me dis-je, qu'être dans l'air du temps, que reproduire les injonctions d'une société productiviste qui voudrait que tout soit fluide et sans anicroches.


Tout devrait, maintenant, être planifié, prévisible, dans le déroulement de nos journées. Ce qu'il faut éliminer à tout prix, c'est l'incident, l'accident, qui vient tout remettre en cause. Et l'incident, l'accident, on a vite fait de les attribuer à une erreur, une défaillance humaines. Les catastrophes, elles seraient imputables à des gens qui ont mal fait leur boulot et non au hasard ou à la malchance. On cherche donc des "responsables" que l'on s'empresse de clouer au pilori.


Bref, on a le fantasme d'une société régie par une mécanique imperturbable, sans accrocs ni cahots. 

Ca procure, bien sûr, un sentiment de sécurité et de stabilité mais ça peut aussi être perçu comme une réalité morne et ennuyeuse. C'est, en tous cas, un véritable rêve entrepreneurial. Tout doit être anticipé et planifié. C'est devenu, la règle de fonctionnement du capitalisme occidental. J'en sais quelque chose moi qui passe une grande partie de mes journées à élaborer des simulations financières sur 1 an, sur 5 ans, sur 10 ans. 


Le capitalisme, on a tendance à considérer que c'est un système "sauvage" et désordonné. C'est l'exact contraire: c'est la planification généralisée de toute l'activité humaine, encadrée par une foule de procédures. Ce qu'il faut à tout prix éliminer, c'est la perte de temps, l'inefficacité.


C'est même ce qui m'avait le plus étonnée, venant de l'Est. Contrairement à ce qu'on imagine, la discipline et la bureaucratie étaient, là-bas, beaucoup moins développées qu'à l'Ouest. C'était plutôt l'esprit "russe" et soviétique qui régnait là-bas et qui subsiste encore aujourd'hui: le j'menfoutisme, l'allergie aux réglementations, le goût de la pagaille et de la débrouillardise.


L'ordre et la discipline, c'est, plutôt, l'apanage du capitalisme avec une obsession de l'emploi du temps et de la planification.


Et puis, on est maintenant aidés en cela par les nouvelles technologies. Dès qu'on projette un voyage, on commence par consulter la météo prévisionnelle sur 15 jours. Et puis, on recherche le billet de transport au meilleur rapport facilité-prix. Ensuite, on détermine une série d'étapes et on s'empresse d'effectuer les réservations nécessaires (hôtels et restaurants choisis en fonction des avis des internautes). Une fois sur place, on s'abandonne à son GPS qui nous évite toute errance inutile. Et enfin, on demeure joignable, à tout instant et en tout lieu, grâce à son smartphone. On ne cesse de contacter ses proches sur WhatsApp et on se dépêche de diffuser ses photos sur Instagram. Et bientôt, avec l'I.A. (l'intelligence artificielle), la boucle sera bouclée: plus aucun risque de dérive, de dérapage. La garantie d'un voyage réussi, sans ratés.


De l'aventure, il n'y en a plus. Tout est maintenant ultra-planifié. 

Mais est-ce que ce n'est pas un cauchemar cette vie dans la quelle tout est prévu et se déroule comme prévu ? 


Je me souviens pourtant que quand j'étais adolescente, j'adorais disparaître pendant la période des vacances. Un billet d'avion et hop! on n'entendait plus parler de moi pendant quelques semaines. Au retour, je racontais à ma mère, avec une totale mauvaise foi, que je n'avais pas eu la possibilité ni d'écrire, ni de téléphoner. Avec le recul, je me dis qu'elle était vraiment tolérante et je frémis moi-même de ma complète inconscience. 



Mais je considère toujours avec nostalgie ces périodes de ma vie durant les quelles j'ai pu sortir des carcans de la planification. Et j'en viens à me demander si on ne devrait pas tous chercher à échapper à la "sur-prévisibilité" de nos vies quotidiennes.


Est-ce qu'il n'y a pas urgence à ça ? Parce qu'il faut bien reconnaître que si l'on éprouve souvent un sentiment d'ennui, c'est d'abord parce que tout se passe comme prévu et que notre vie est réglée comme du papier à musique: aucune étincelle joyeuse ne peut bien sûr émerger de cet océan de grisaille.


Je ne raffole pas de Jean d'Ormesson mais il a écrit " "Tout le bonheur du monde est dans l'inattendu".

Je trouve ça très juste. Le bonheur, la joie, c'est tout de même bien ce coup de "flash" inattendu qui, tout à coup, illumine notre existence: un échange de regards, une rencontre, une conversation, une silhouette, une lumière, un objet. Tout ce qui, soudainement, nous bouleverse et nous remue les tripes. La rencontre avec quelque chose qui nous percute littéralement.


Et cette chose, c'est le Réel et la vie. Le Réel, c'est, en effet, ce qui vous tape brutalement. C'est l'aléa, l'imprévu, ce contre quoi l'on se cogne souvent avec violence. Le Réel, c'est brutal, ça vous sonne, vous assomme. Ca peut même être mortel et c'est pourquoi on cherche s'en cesse à l'encadrer et à s'en détourner. Mais le Réel, il arrive parfois à se débarrasser de tous ces oripeaux dont on l'habille et le masque. Il fait alors irruption et le Réel, c'est alors l'émotion et la Lumière, bref la Poésie.


Il faut savoir mettre un peu d'aventure dans sa vie et, pour cela, d'abord en accepter les accidents. Ne plus râler quand on subit un retard mais y voir plutôt l'opportunité de faire ou voir autre chose. Une contrariété, c'est, en fait, une chance parce que ça vous redonne, paradoxalement, du temps.

Je déteste attendre mais attendre, ça n'est pas forcément vide de sens. Ca permet de réfléchir et de se projeter dans le futur. Et le futur, c'est la vie.


Dans cette nouvelle démarche, il faut d'abord cesser de faire une confiance aveugle à nos prothèses technologiques.  Apprendre à voyager ou visiter  une ville sans smartphone et sans GPS. Se balader "à l'instinct", en empruntant des chemins détournés. Mieux vaut ne pas demander son chemin. Parce que l'important, c'est justement de se perdre. Et se perdre, c'est s'ouvrir à l'aventure. Une aventure qui est simplement "au coin de la rue". Et au coin de la rue et de l'aventure, il y a souvent qui vous attendent: la grâce et la poésie.


Il faut également savoir perdre son temps parce que le temps perdu, c'est aussi du temps gagné.  Et d'ailleurs, pour Marcel Proust, le temps perdu, ça n'est pas seulement le temps passé, c'est aussi le temps que l'on perd à ne rien faire, à porter attention au monde qui nous entoure de façon distraite. Et c'est cette distraction même qui nous permet d'accéder à autre chose, à une émotion pure. Etre distrait, c'est, en fait, ce qui nous permet d'échapper à la banalité d'une vie trop rangée.


L'imprévu, c'est ce qui permet de briser la coquille bétonnée censée nous protéger. 

Vous vous plaignez peut-être de vivre seul et sans amis. Mais c'est probablement parce que vous n'aimez pas l'imprévu et préférez tourner en rond dans vos habitudes et manies. L'imprévu, c'est ce qui nous apprend à nous comporter différemment.


L'imprévu, c'est ce qui permet d'accéder à une nouvelle disponibilité envers le monde et envers les autres. L'imprévu, c'est probablement ce qui vous permettra de faire la rencontre décisive qui bouleversera votre vie. Celui ou celle que vous n'attendiez pas, que vous n'attendiez plus.



Images de Salvador DALI, Franciszek STAROWIEYSKY (affiche du film culte: "Le sanatorium sous la clepsydre"), Horloge du Palais de la Cité, Horloges de ARMAN de la Gare Saint-Lazare, René MAGRITTE, Masaru SCHICHINOHE, le photographe Tim WALKER avec Edie Campbell, Henry Siddens MOWBRAY, Thomas ART BENTON,

Ma description du Réel comme ce sur quoi on se cogne inexorablement, ou ce ce qui vous frappe brutalement, est bien sûr empruntée, en les déformant, aux analyses de J. Lacan et de Clément Rosset.

Mes lectures :

- William BOYD: "Le romantique". Voilà un bouquin épatant, plein d'aventures et de voyages et particulièrement distrayant. J'ai particulièrement aimé la description de cette Europe romantique du 19 ème siècle.

- Ferdinand Von SCHIRACH: "Café et cigarettes". Un grand avocat pénaliste mais aussi le petit-fils de "Baldur", chef des Jeunesses hitlériennes. Un bon écrivain allemand qui a surtout relaté, avec une grande sobriété, ces crimes affreux, incompréhensibles, qui brisent, tout à coup, le cours réglé de nos existences. Dans ce livre, il se met en scène et, au détour de rencontres et de voyages, propose une réflexion sur le monde qui nous entoure et notre façon de l'habiter.

Et enfin, il y a toute la littérature des écrivains-voyageurs. Mais ça, j'en ai déjà beaucoup parlé. Je rappelle simplement mes auteurs préférés: Ella Maillart, Anne-Marie Schwarzenbach, Nicolas Bouvier, Eric Newby, Bruce Chatwin, Paul Theroux, Ryszard Kapuscinski.

18 commentaires:

Julie a dit…

"L'imprévu, c'est probablement ce qui vous permettra de faire la rencontre décisive qui bouleversera votre vie. Celui ou celle que vous n'attendiez pas, que vous n'attendiez plus."
Bonjour Carmilla, merci pour cette belle phrase que je ferais bien mienne.
Votre post me parle en tous points ; dans une autre vie j'aurais pu vous déclarer ma flamme. Sourire.
Paresseuse fin de semaine, amicalement Julie.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

On cherche trop à contrôler sa vie. Sans doute par crainte de l'inconnu, du hasard et, peut-être, par manque de confiance en soi. On choisit donc la sécurité, ce que l'on connaît déjà.

Mais il est vrai que les plus belles choses qui vous arrivent dans la vie, ce sont celles qui vous tombent dessus tout à coup, celles que l'on n'avait absolument pas prévues.

Des personnes, des rencontres, aux quelles on ne s'attendait pas du tout, qui ne relèvent pas de votre entourage habituel. Après, c'est vrai qu'il faut un certaine audace et être capable de s'abandonner à l'aventure.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Hors du temps!
Bonjour Carmilla

Depuis que je suis hors du temps ma plénitude a bien meilleur goût. J’ai toujours aimé avoir du temps pour moi. Avoir tout mon temps c’est précieux, je dirais que c’est toute ma richesse. Le temps de penser. Le temps d’écrire. Le temps d’apprécier ma solitude. Le temps de savourer ma liberté. Le temps de lire. Le temps de rien, le temps du parfaitement rien. Depuis que j’ai quitté l’aviation, je n’ai plus de montre. Je me considère hors du temps. Je me lève quand je me lève. Je me couche lorsque j’ai sommeil. Je mange lorsque j’ai faim. Il est conseillé de me prendre comme je suis, ou quand je passe, ou bien, lorsque je passerai. Lorsque je discute avec une personne je prends mon temps, parce que parler c’est tisser du temps et c’est tisser aussi des liens. Le temps présent pour moi, je ne le calcul pas, je le vis, je le savoure. Je ne coure pas derrière mon temps, et si tu coures après ton temps, c’est parce qu’il ne t’appartiens plus. Ce qui ressemble à de l’esclavage. Je ne suis pas un rapide, je suis un endurant. Je peux marcher longtemps sans calculer le temps, vous avez pu le constater Carmilla dans mes commentaires précédents, pour découvrir Paris, il faut marcher et prendre son temps. Pourtant, il n’en n’a pas toujours été ainsi. En aviation, le temps est important. Lorsque tu décollais, le sablier se mettait en marche, tu avais une certaine quantité de carburant, ce qui te permettais de franchir une telle distance. Ce qui devenait difficile, c’était dans les périodes très occupées. Nous travaillions sept jours sur sept, tant que les conditions météorologiques étaient propices au vol. Notre existence se résumait à voler, manger et dormir. Je n’avais plus de temps pour faire autre chose. Souvent on rentait à la nuit tombée. Si je terminais un peu plus tôt dans la journée, le soir après le souper, je libérais ma chienne, et nous partions tout les deux dans la montagne derrière la base d’hydravion à Schefferville. J’allais m’asseoir sur une roche ma chienne à mes pieds. Je dominais le pays, les lacs, la base, la ville, c’était un temps très précieux. Je pouvais contempler mon Otter stationné à la bouée. Je m’évadais des longues heures assis dans mon avion. Alors, lorsque j’avais des moments de libre à moi, je les savourais. Ne me demandez jamais de courir en voyage. J’ai raté mon train pas de problème, il va y en avoir un suivant, si non, cela ira à demain. Ce qui explique mes longs voyages, où le temps ne comptait plus. Lorsque j’ai fais mon voyage dans l’ouest du pays, je pouvais m’arrêter quelques jours ou bien une semaine dans un village comme je l’ai fais à Gravelbourg en Saskatchewan ou encore à Dawson City au Yukon. Voilà l’essence d’un vrai voyage pour moi. Visiter l’ouest canadien, il faut avoir du temps, prendre son temps, ne jamais être pressé. Ce fut 93 jours de grande plénitude! C’était plus que du bonheur. Lorsque je volais dans le nord, je partait en mai et je revenais souvent en novembre. Les gens me demandent souvent : Richard tu ne t’ennuies jamais? Je leur répondais : que la vie est trop courte pour s’ennuyer et trop longue pour courir après le temps. Le temps ne se rattrape jamais, et gagner du temps demeure une opération futile. On ne gagne pas du temps, on le dépense. Ce qui explique, qu’il est précieux. Ce qui explique aussi que je voyage seul. Je le sais, personne n’est capable de voyager avec moi, pas plus que de partager ma vie. Et, ça je le sais depuis longtemps, je pense même que je le sais depuis toujours!

Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

En effet, il faudrait pouvoir échapper, comme vous, à la programmation et à l'emprise du temps sur son existence.

Mais est-ce encore possible aujourd'hui ? Je crois qu'Internet a ainsi bouleversé les conditions de travail avec l'abolition des frontières public/privé. On n'a désormais plus guère de temps vraiment à soi et on doit toujours être disponible. Pas question de s'évader et de déconnecter.

Pour ce qui me concerne, je reçois une bonne centaine de mails quotidiens, nuit et jour et tout au long de la semaine. Je ne réponds pas bien sûr à tous mais il faut quand même que je sois au courant. Etre en retard, manquer de réactivité, ça vous condamne tout de suite.

"Décrocher", c'est donc quasi-impossible. On ne peut pas batifoler, s'évader. D'où la nécessité d'un emploi du temps rigoureux pour pouvoir s'accorder quelques périodes à soi.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Hors du temps – 2 -

Le moindre que je puisse dire Carmilla, c’est que vous menez une rude existence. J’espère que vous évitez de regarder votre montre lorsque vous faites l’amour.

Pourquoi, j’ai choisi le vol de brousse? C’est justement parce qu’il y avait l’inattendu dont parle Omesson. Parce qu’on se retrouvait toujours devant des problèmes qui surgissaient et qu’il fallait résoudre impérativement, souvent avec des moyens rudimentaires. On avait beau planifier nos vols, essayer de tout prévoir, mais il y avait toujours un événements qui venaient brouiller nos prévisions et nos plans. Tu partais pour une journée et te devais renter le soir venu, et finalement tu revenais au bout d’une semaine! Ce qui m’est arrivé souvent. Nous les pilotes, nous avions un plaisir fou à regarder les touristes, les amateurs de pêche, et une race d’humains tout à fait particulière : les chasseurs. S’il fallait subir deux ou trois jours de mauvaises conditions météorologiques qui nous clouaient au sol, l’anarchie s’installait sur la base. Les entrepôts débordaient. Les bagages de toutes sortes s’accumulaient sur les quais sous des grandes bâches pour les protéger de la pluie ou de la neige mouillée. Nous avions les chasseurs dans les jambes, qui essayaient de nous soudoyer. Ces gens-là ne comprenaient pas le nord, n’avaient aucune notion de météorologie parce que s’il y a un endroit plein de surprises, c’est bien le ciel. Ils s’imaginaient qu’on pouvait tout faire comme dans le sud. Ici, il n’y avait pas de papier à musique. Souvent les événements ne se déroulaient pas comme nous les avions prévus, ce qui nous obligeaient à faire autrement. Je baignais là-dedans comme un poisson dans l’eau, ce qui n’était pas le cas de tous les pilotes. Plusieurs ne tenaient pas le coup et retournaient en ville pour s’engager dans les grandes compagnies, le vol de ligne où c’était plus facile, mais aussi sans aventure. Ce que je raconte ici, n’était qu’un aspect du vol de brousse. Il y avait les pannes mécaniques, les atterrissages forcés, les contre-temps, sans oublier les relations orageuses que nous avions avec nos patrons, l’incertitude de perdre son emploi, les conditions de travail difficiles, les longues heures de vols, les journées interminables.

Mais en contre-partie, nous vivions intensément, nous allions dans des endroits où personne n’aillait, voir le soleil se lever en vol c’était toujours un grand spectacle, on survolait des paysages fabuleux, des rivières majestueuses, des montagnes dangereuses, des milliers de lacs, le tout ponctués de rencontres de personnages hors de l’ordinaire, des biologistes, des géologues, des ingénieurs, des foreurs, des médecins, des explorateurs, des aventuriers, des poètes, des philosophes, des écrivains, et des indiens vieux sages, jamais pressés qui avaient tout leur temps et qui étaient parfaitement adoptés à ce genre de territoire.

Il n’y a pas un matin où je m’installais dans mon cockpit, en me disant :  «  Richard, profites bien de ta journée, cela pourrait être ta dernière journée sur terre. » Je démarrais le moteur et je n’y pensais plus, pour me retrouver quelques minutes plus tard à 5,000 pieds en me disant tout en souriant : « Ouais, c’est cela la vraie vie! »

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne crois pas m'être plainte, je ne pense pas du tout être malheureuse. Mais, comme beaucoup de gens sans doute, je n'ai pas une vie complétement normale.

On tend à promouvoir aujourd'hui un rapport indifférent au travail: on attend que passent les 35 heures hebdomadaires dues à notre employeur. Et après, ce serait la vie véritable.

On peut aussi avoir un autre point de vue. Il y a l'adrénaline qui peut nous faire carburer dans notre travail, cette adrénaline qui peut nous conduire à nous surpasser, à faire des choses difficiles, éreintantes. Et puis, il y a ce sentiment de faire des choses importantes qui pourront changer le cours de la vie de beaucoup de gens. Enfin, le monde du travail est, souvent aussi, l'occasion de côtoyer des gens exceptionnels. Des gens infiniment moins conformistes qu'on ne l'imagine.

Cela peut sembler bien loin du vol de brousse. Mais peut-être pas tant que ça. C'est surtout le refus de la banalité, d'une existence rangée, qui est le moteur de la vie de nombreuses personnes. Tout plutôt que la vie d'un "homme sans qualités".

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Hors du temps
Je déplore tous ces gens qui masquent une partie de leur temps, qui attendent que leurs 35 heures au travail passe, pour vivre véritablement. Ce n’est pas une perte de temps, mais une perte de vie. La vie, l’existence, cela fait un tout et à mes yeux, il en a toujours été ainsi. Trouver sa vocation, faire un métier utile, cela vous valorise. Ce régime de vie à 35 heures semaines, je n’ai jamais connu.

Je me dis, que si tous les êtres humains exerçaient un métier qui les passionneraient, je pense que le monde serait meilleur, plus agréable à vivre, moins malheureux, ils ne chercheraient pas cette routine d’une vie normale sans satisfaction. Le travail fait aussi partie et nous ne pouvons pas amputer une partie de notre vie, parce qu’on rentre au travail de reculons.

Comment ne pas s’interroger sur cette expression : la vie véritable? C’est quoi une vie véritable? Voilà qui me laisse songeur!

J’ai eu le plaisir en fin de semaine de commencer la lecture de la biographie de : Robert Oppenheimer, Triomphe et tragédie d’un génie par Kai Bird et Martin J. Sherwin. Nous le connaissons tous comme l’inventeur de la bombe atomique, mais ce qui me passionne chez un être humain, c’est sa vie entière, sa progression, ses difficultés, ses errances, ses hésitations, ses doutes, ses maladies. Être extrêmement intelligent comme Oppenheimer comporte aussi des moments de dépressions, ce dont il a souffert lorsqu’il étudiait à l’université. Finalement, vous allez aimer ce bout de l’histoire. C’est un auteur bien connu que vous admirez Carmilla, qui allait sauver Oppenheimer de la folie : Marcel Proust. On a retrouvé dans ses papiers un petit bout de texte de cet auteur :

« Peut-être n’eût-elle pas pensé que le mal fût si rare, si extraordinaire, si dépaysant, où il était si reposant d’émigrer, si elle avait su discerner en elle, comme tout le monde, cette indifférence aux souffrances qu’on cause et qui, quelques autres noms qu’on lui donne, est la forme terrible et permanente de la cruauté. »
Marcel Proust

Aucun médecin n’était arrivé à sauver Oppenheimer de la folie, et un jour en vacances en Corse il a découvert Proust. C’est ainsi qu’il s’est affranchit de ses problèmes psychiatriques par lui-même. Nous pouvons envier des personnes dotées d’une très grandes intelligences, mais cela ne va pas sans contrepartie, avec des défaillances. Qui plus est, Oppenheimer était un être associable. Tout au long de sa vie il éprouvera des difficultés à établir des relations avec autrui et surtout avec les femmes.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Oppenheimer a lu Prouts en français. Il n’y aucune raison de s’étonner, cet homme avait des capacités de rétentions renversantes. Il était polyglotte autant en grec qu’en latin, il avait appris son allemand à l’école et de débrouillait dans plusieurs autres langues en lecture. La citation d’hier dans mon commentaire, il l’a sorti à un de ses doctorants, dix ans après l’avoir lu! Un étudiant un jour racontait qu’il lui avait remis un travail de 25 pages en physique. Oppenheimer s’est mis à parcourir le travail en cinq minutes, puis a regardé l’étudiant en lui mentionnant : j’en attendais pas moins de vous, je savais que vous étiez capable de faire ce travail. Avec Oppenheimer, il n’y avait pas d’examen de passage genre examen final, mais il bombardait ses étudiants de devoirs. Il supervisait une dizaine de doctorants annuellement. Il choisissait soigneusement ceux qui voulaient travailler avec lui, qui plus est, tous ses étudiants l’adoraient et la majorité sont devenus ses amis. Plusieurs vont être choisi pour faire parti de son équipe de chercheurs à Los Alamos pour le développement de l’arme nucléaire. C’était un humain qui avait des manières singulières comme de laisser des papiers sur son bureau, ce qui pouvait être n’importe quoi et laissait ses étudiants les lire. Si le sujet était intéressant, un étudiant demandait à Oppenheimer de travailler le problème. C’était ainsi qu’il fonctionnait. On avait un problème, il fallait le résoudre, quitte à inventer des équations qui n’existaient pas. Il répétait, des fois il faut abandonner les équations pour revenir à l’intuition de l’enfance. C’était un esprit universel très fort en théorie, mais nul en laboratoire. C’était aussi un lecteur vorace et tous les sujets de la vie l’intéressaient, autant la politique que la physique, sa curiosité était sans limite.

Comment je suis venu à cette lecture? La semaine dernière, par une journée pluvieuse, je me suis rendu à ma librairie favorite à Sherbrooke. J’adore ces moments en explorant tous les rayons, tous les sujets et soudain dans le coin des biographies, je vois une grosse pile de livres épais, qui a attiré mon regard. Sur la page couverture il y avait une photographie en noir et blanc. Je n’ai pas mis de temps à reconnaître Oppenheimer. C’est une superbe photographie, on le voit avec son éternel chapeau ce qui donne un ton à la physionomie de son visage. Nez croche, bouche volontaire, joue creuse, il n’a jamais fait plus que 58kg pour 1m78, et finalement tout est dans le regard perçant et volontaire! C’est ce regard qui m’a inciter à lire ce livre.

Je ne me souviens pas d’avoir aperçue une traduction de Proust en anglais. Imaginons qu’on doit traduire en anglais la phrase d’hier que j’ai copié dans mon commentaire. On pourrait y aller avec du mot à mot, mais on en perdrait le sens profond, parce qu’en français c’est une très belle phrase, lourde de plusieurs sens. Elle m’a tellement marquée que je l’ai relu plusieurs fois. Je l’a trouve grandiose. Je me demande ce que Oppenheimer a découvert dans Proust pour soigner ses troubles mentaux? Il a sans doute découvert quelque chose, que personne n’a vu. Il en était toujours ainsi avec Oppenheimer, son entourage s’étonnait de ses découvertes.

Je ne vous connaissais pas Carmilla, ce sens de l’humour tordant, traduire Proust du polonais au français, j’ai éclaté de rire!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne doute bien sûr pas des capacités intellectuelles d'Oppenheimer pour lire Proust. Encore qu'une intelligence trop abstraite et trop logique ne prédispose pas forcément à apprécier la création artistique.

Mon interrogation, c'est celle de la possibilité de traduire certaines oeuvres littéraires dans une autre langue. Si l'écriture est plate (Annie Ernaux, Michel Houellebecq), on y arrive plus ou moins. Mais des écrivains comme Proust ou Rimbaud, chez qui la construction et la musicalité de la langue sont essentielles, je pense que c'est impossible. Il en va de même pour James Joyce ou Dostoïevsky. Concernant ce dernier, les Français savent rarement qu'il écrivait de manière bâclée et incorrecte, presque comme Céline. Mais on l'a traduit presque comme un auteur classique. Une exception: les traductions d'André Markowicz.

Retraduire Proust à partir de sa traduction polonaise, ce n'est pas de moi que vient cette plaisanterie. Cela dit, je ne suis pas opposée à une simplification de Proust. J'ai parcouru, il y a quelques années, "Proust pour tous, Proust en 500 pages au lieu de 3 000" de Laurence Grenier. J'ai trouvé ça bien: ça permet de s'initier ou bien de se remettre en tête toute la structure du livre et de relire quelques morceaux bien choisis. Mais il est vrai que lorsque l'on a lu Proust une fois, on ne cesse ensuite de le lire et de le relire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Hors du temps dans l’éloge de l’imprévu.
Dans la science comme dans la politique l’imprévu abonde pour nous dépasser et se jouer de nous puisque c’est ce que nous retrouvons dans la biographie d’Oppenheimer. Le cheminement de ce grand scientifique laissait prévoir un avenir intéressant et mainte possibilités d’avancements entre autre dans la physique nucléaire. Les cheminements de ses recherches ont été certes tortueux où il a fallu improviser avec de nombreux imprévus. Personne n’avait anticipé la crise économique de 1929, encore moins les difficultés et les souffrance des années 30, pour arriver à l’impensable, la guerre mondiale. Avant ses 36 ans, Oppenheimer reconnaissait qu’il ne s’était jamais intéressé à la politique. Il avait bien levé des fonds pour les Républicains Espagnols, côtoyé quelques personnages louches de gauche, croisé quelques communistes, mais dans l’ensemble cela se limitait à quelques discussions. Il était trop passionné par ses recherches pour commencer à faire des représentations à des élus médiocres qui manquaient de culture et surtout de vision. Mais les politiques n’ont pas eu d’autres choix qu’Oppenheimer pour diriger le programme Manhattan à Los Alamos personne ne lui arrivait à la cheville. De chercheur, il est passé à chef et administrateur de ce projet tout à fait particulier, mais il n’avait pas rater de souligner la face cachée et déplaisante de ce projet, il écrira :

« Il est clair que nous, hommes scientifiques, n’avons aucun droit de propriété,(…) aucune prétention à une compétence spéciale pour résoudre les problèmes politiques, sociaux, et militaires suscités par l’avènement de l’énergie atomique. »
Robert Oppenheimer
Page 426

Il n’était pas un homme politique, mais c’était un citoyen éclairé. Il était conscient que ses travaux allaient bouleverser le monde, que rien ne serait plus jamais comme avant. Le tout, sur des rumeurs, que les allemands étaient en avance dans leurs recherches nucléaire par rapport aux américains. Rumeurs qui allaient s’avérer fausses, puisque les allemands n’avait pas les moyens de développer cette filière. Les américains avaient ces moyens. Nous pouvions voir que cette nation menait deux guerres, l’une en Europe et l’autre dans le Pacifique, tout en développant un programme nucléaire, mais il restait encore bien des problèmes techniques à résoudre pour arriver à la bombe. Ils allaient rencontrer bien des imprévus qui seraient dépourvus d’éloge.

À partir de ce moment, Oppenheimer n’a pas eu d’autres choix, et souvent à contre cœur, de frayer avec les politiciens. c’est quand même remarquable que les scientifiques et économistes, aussi brillants étaient-ils dans leurs domaines, devenaient de mauvais politiciens. Nous pouvons encore le constater aujourd’hui, parce qu’il y a trop d’imprévus dans le domaine politique.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Oppenheimer aimait la poésie, il en écrivait aussi :

« L’aube charge notre être de désirs

Et, avec notre vague à l’âme la lente lumière nous trahit

Quand le safran céleste

Fane et pâlit,

Et que le soleil

Désormais stérile, et que le feu qui déborde

Nous sort du sommeil,

Nous nous retrouvons

Chacun dans sa petite prison

Paré sans le moindre espoir

À la négociation

Avec le reste des hommes

Robert Oppenheimer
Triomphe et tragédie d’un génie
Par Kai Bird et Martin J. Sherwin
Page - 60 -

Pour un jeune étudiant, c’était prémonitoire.


« Croire que je m’engageais dans une voie précise serait faire fausse route. »
Robert Oppenheimer

Cette biographie est très intéressante, ce n’est pas juste une histoire d’un scientifique, c’est une histoire d’homme, une histoire humaine touchante.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il est souvent préférable que les grands scientifiques, écrivains et artistes, ne s'engagent pas en politique. On ne gère pas un pays avec de l'émotion et de bons sentiments.

En France, nous avons le cas de Cédric Villani, médaille Fields 2010 (équivalent du Nobel) en mathématiques.

Je le trouve éminemment sympathique mais, curieusement, après sa médaille Fields, il s'est détourné de la recherche mathématique pour se consacrer d'abord à la vulgarisation scientifique (ses bouquins et interventions sont, en la matière, remarquables) puis à l'action politique. Dans ce dernier domaine, son parcours est erratique et il s'est, malheureusement, décrédibilisé.

La position d'Oppenheimer est, en ce sens, tout à fait estimable. Une compétence dans un domaine scientifique ne fait pas automatiquement de vous un expert en matière sociale et économique.

Et quant à écrire un roman ou de la poésie, il me semble clair que le formatage complet de la pensée pour la théorie et l'abstraction rend rapidement inapte à donner corps à une histoire ou des personnages. Scientifique et poète à la fois, je ne connais pas.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Toujours dans l’éloge de l’imprévu hors du temps.

Oppenheimer ne s’est jamais présenté dans aucune élection politique. Il était Démocrate et très libéral, mais comme un électron libre, il allait dans toutes les directions. Lorsqu’il est devenu le patron à Los Alamos, il lui a fallu jouer de finesse, entre les politiques et l’armée. Je dirais qu’il s’en est sorti habilement. Il était très persuasif, possédait une bonne connaissance de la nature humaine, arbitrait les conflits qui ne manquaient pas de jaillir entre scientifiques, ce n’est parce que tu es superbement intelligents que tu es humbles. Politiquement, il aura exercé des trésors de diplomatie. Sans oublier que c’était lui le patron de Los Alamos, il en était responsable. Los Alamos et le projet Manhattan, ne ressemblaient ni à un petit village, ni à une petite industrie. Tous savait le but ce pourquoi ils étaient là!

Au travers des questions scientifiques, des débats surgissaient. On se demandait à quoi allait servir ce « truc », où il serait utilisé? on pensait à l’Allemagne, pas au Japon même si les USA étaient aussi en guerre avec le pays du soleil levant. Les questions scientifiques se teintaient de propos moralisateurs qui tournaient en véritable cas de conscience, pour une grande partie de ceux qui travaillaient à ce projet. Et Oppenheimer n’a pas fait exception à ces interrogations. Lui aussi s’interrogeait au sujet de cette puissance. Il y avait de quoi revenir à la longue phrase de Proust sur la cruauté!

L’Allemagne allait capituler avant le Japon, alors il ne restait plus qu’à régler le compte des japonais. Il y avait deux options sur la tables. On attendait les russes et on envahissait l’archipel. Cela signifiait encore des longs mois de guerre, et à la fin il faudrait partager avec les Russes. Option qui ne plaisait pas aux militaires. On avait estimé qu’envahir le Japon causerait un million de morts du côté américain. Il y avait de quoi avaler de travers, on connaissant le fanatisme des troupes japonaises. La deuxième option était celle de l’utilisation de l’arme nucléaire. Mais au début de 1945, la bombe n’était pas encore prête, on se demandait même si on y arriverait. Certes de nombreux japonnais innocents allaient en payer le prix, mais les américains sauveraient en utilisant cet outil la vie de millions de jeunes américains. C’est une vérité cruelle, avec ces bombes on aura sauvé plus de vies, que si on avait poursuivit le conflit de manière conventionnel. Oppenheimer était au courant de toutes ces options. Finalement on est arrivé à la solution. Après reconnaissance dans le désert du Nouveau-Mexique, on a trouvé un endroit isolé, on a installé la bombe, et cela à fonctionné. En science, si cela fonctionne une fois, cela devrait en principe fonctionner toujours. Pour la suite la démonstration serait confirmé par Hiroshima et Nagasaki. Quelques jours après les explosions, le Japon capitulait sans condition, les russes en serait quitte pour rester en Corée, on avait économisé un millions de jeunes américains, sans compter les blessés potentiels, et on avait même sauvé plusieurs millions de vies japonaises!

Richard a dit…

Les questions morales étaient loin d’être réglées sur l’utilisation d’une telle arme? Les américains n’aillaient de pas se priver d’une telle avancée technologique. Mais qu’en étaient-ils de ceux qui les avaient fabriqué? Sans leur savoirs et leurs découvertes, jamais cette arme n’aurait vu le jour. Après le succès dans le désert, tous à Los Alamos se félicitaient. C’était une réussite scientifiques, célébrés par des scientifiques. Après Hiroshima se serait la honte, on a assisté à une grande désolation, on a vu des scientifiques qui ont dégueuler dans des plates-bandes, et ils n’étaient pas ivres. Oppenheimer a erré à Los Alamos et dans ses environs pendant une semaine. Il comprenait, que l’homme venait de se donner le pouvoir d’une possibilité d’un immense suicide collectif. Et, il y avait participé! Il était très conscient aussi, qu’un retour d’avant le bombe était impossible. Il a pris la décision qu’il fallait informer la nation, qu’il fallait limiter ce genre d’arme, qu’il faudrait en informer tout autres pays qui tenteraient d’en fabriquer et en particulier les Russes.

Oppenheimer était conscient de son charisme, lorsqu’il pénétrait dans une salle pour s’adresser à une foule, elle l’écoutait plus que religieusement. Il savait parler aux foules, pas pour les convaincre, mais pour les faire réfléchir en toute liberté. Il croyait que chaque être humains étaient capables de se faire une idée sur divers sujets. C’était un adepte de la libre-pensée. Il avait un respect de l’intelligence humaine. C’était la raison pourquoi on se l’arrachait.

Le pire pour Oppenheimer se dessinait à l’horizon, il avait été l’un des premiers administrateurs de AEC : Commission de l’énergie atomique des États-Unis. C’était une commission consultative, et son président Lewis Strauss, ne pouvait pas sentir Oppenheimer. Je pense que Strauss était habité par une certaine jalousie devant le charisme d’Oppenheimer et de sa vive intelligence. Alors avec l’aide de certains politiciens, des agents du FBI, il a mis sur pied une commission d’enquête sur le cas Oppenheimer sur le motif de la prolongation de l’accréditation de sécurité de l’AEC. Commission d’enquête qui va se transformer en tribunal inquisitoire. Le but clair était de détruire la crédibilité de Oppenheimer. On est allé fouiller dans son passé, même dans sa vie privée la plus intime. Oppenheimer en est sorti complètement épuisé et mentalement ruiné. Finalement, Oppenheimer sera privé de son accréditation de sécurité, mais c’était sans compter sur des milliers de scientifiques qui respectaient cet homme exceptionnel, et comme nous sommes aux États-Unis, l’affaire a fini par sortir dans les journaux. Eisenhower venait de remplacer Truman comme Président, les faucons républicains cherchaient les communistes, et le Sénateurs républicains MaCCarthy s’adonnait à une chasse aux sorcières. Disons que ce n’était pas la plus belle époque politique des USA. Bien de existences ont été brisées suite à ces folies paranoïaques. Ce qu’on pourrait nommer de la petite politique sale!

Oppenheimer va s’en sortir et était énormément sollicité pour faire des conférences.

Richard a dit…

Deux jours avant l’essai, Oppenheimer invite quelques hommes pour assister à l’essai. Il s’adressa à une certain Vannevar Bush en lui récitant une strophe de la Gita qu’il a lui-même traduit du sanskrit :


« Dans la batailles, dans la forêt, au bord d’un précipice dans les montagnes.

Sur la grande mer sombre, au beau milieu des javelots et des flèches,

Dans le sommeil, dans la confusion, dans les profondeurs de la honte.

Un homme a pour défense ses bonnes actions passées. »


Ce qui donne une idée de la dimension de cet homme. Un libre-penseur hors de l’ordinaire, très libre, d’une très grande culture, qui était capable de comprendre les enjeux du monde, et qui regardait ses bonnes actions de son propre passé.

Comment ne pas évoquer cette phrase de Spinoza :

« Tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare. »
Baruch Spinoza

Un libre-penseur c’est un être précieux qui est aussi difficile que rare!

Merci Carmilla et bonne fin de journée.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Des commentaires comme toujours intéressants mais je connais vraiment trop peu Oppenheimer pour ajouter quoi que ce soit.

Je sais toutefois que la décision de larguer une bombe atomique sur Hiroshima a été prise pour contenir les ambitions soviétiques.

Et l'URSS n'a déclaré la guerre au Japon qu'au lendemain d'Hiroshima. Il en a profité toutefois pour s'approprier les Kouriles et le sud de l'île de Sakhaline (japonaise depuis 1905).

Curieusement, aucun traité de paix n'a, à ce jour, été signé entre l'URSS (la Russie aujourd'hui) et le Japon. La raison en est le contentieux sur les Kouriles. Les deux pays demeurent donc en guerre.

Le Japon pourrait donc s'autoriser aujourd'hui à envahir, sans avertissement ou déclaration, les Kouriles. Ca permettrait d'ouvrir un nouveau front qui soulagerait l'Ukraine.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Avec L’Éloge de l’Imprévu et cette lecture de la biographie d’Oppenheimer, cette semaine qui tire à sa fin aura été très intéressante, inspiratrice, vaste et intense!

Une fois, cette lecture terminée, lorsque tu refermes cet ouvrage et que tu le dépose près de toi, débute une longue réflexion, non seulement sur la géopolitique de cette époque, mais aussi sur l’existence humaine. Le sous-titre est très évocateur : « Triomphe et tragédie d’un génie ».

Dans l’existence nous ne pouvons pas toujours être dans le triomphe, par plus que dans la tragédie, ce qui ne signifie pas que que le triomphe et la tragédie s’équilibre.

Une toute petite phrase m’est revenue à l’esprit.

Le génie est toujours proche de la folie...ou bien...la folie se rapproche-t-elle du génie. Entre les deux, la distance qui les sépare, est très mince.

Ce récit oscille entre le génie et la folie, entre la vulnérabilité et l’invulnérabilité. Oppenheimer se balançait entre ses deux états. Il a traversé des époques de grande confiance, puis soudainement, comme devant la commission d’enquête, il s’est effondré comme s’il avait perdu tous ses moyens.

Je m’interroge toujours sur cette vulnérabilité, mais aussi sur cette invulnérabilité de l’être humain.

Ce n’est pas parce que tu es un génie que tu es invulnérable, et, ce n’est pas parce que tu es un idiot que tu n’as pas conscience de certaines choses.
Le tout dans les imprévus de la vie.

N’est-ce pas fascinant?

Merci Carmilla pour vos lectures, pour vos commentaires, et votre attention. Maintenant, vous en savez un peu plus sur Robert Oppenheimer. Sans oublier de nous interroger sur ceux qui nous gouvernent : Sont-ils conscients des dangers qui nous guettent?

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vastes questions.

Mais je crois qu'on est tous plus ou moins conformistes, plus ou moins aventuriers de la pensée. On accepte plus ou moins les normes sociales, de comportement et de pensée.

L'immense majorité de l'humanité est composée d'"idiots", d'"hommes sans qualités", qui, peut-être par souci de confort, prennent le réel "tel qu'il est" ou plutôt tel qu'on croit qu'il est. Mais ça ne veut pas dire que les idiots se sentent heureux dans ce système. Certains sentent qu'il y a quelque chose qui cloche. C'est le "malaise dans la civilisation".

Et puis, il y a quelques individus qui refusent les schémas habituels de pensée, qui recherchent une autre voie.

Mais il ne faut pas oublier qu'on n'est jamais un génie dans tous les domaines. Céline a dynamité la littérature mais était, par ailleurs, un minable. Freud a proposé une vision extrêmement noire de l'humanité mais avait une conception du bonheur complétement petite-bourgeoise.

On n'est jamais faits d'un bloc. L'odieux et le sublime, le génie et la bêtise, coexistent en chacun de nous. Le problème, c'est qu'on se croit souvent libres alors qu'on est des "conformistes", de simples esclaves.

Bien à vous,

Carmilla