samedi 5 août 2023

Paris m'appartient



Chaque année, ça me stupéfie. Le 1er août et pour 15 jours, Paris se vide complétement. Plus un chat, plus un rat et presque tous les commerces bouclés. On pourrait avoir l'impression que le Covid est revenu. Ces vacances qui sont, à tous niveaux, une vacance généralisée, c'est une étrange spécificité française. Tout le monde s'évapore et dépose les armes. Plus de bruit ni de fureur comme si on finissait par en avoir marre de se chamailler et de pleurnicher continuellement.


Ce qui m'étonne et m'amuse aussi en France, c'est lorsque je me rends en province: très souvent, les gens que je rencontre ou bien affichent une franche hostilité envers les Parisiens (aux quels ils ont, toutefois, la politesse de ne pas m'identifier) ou bien se mettent à me plaindre. "Je ne pourrais jamais vivre là-bas" me dit-on. "La cohue, la pollution, la solitude, le rythme de vie... Et puis, les Parisiens sont odieux, ils ne se prennent vraiment pas pour rien, ils se croient supérieurs".


Je me garde bien de polémiquer, c'est inutile. Dans tous les pays où j'ai pu séjourner, j'ai pu constater cette animosité de la province envers la capitale. C'est sans doute une réaction normale envers les pouvoirs politiques et les bouleversements de la société.


Et puis, je ne serais sans doute pas comprise si je disais que Paris n'avait rien à voir avec un Enfer urbain, que la vie pouvait y être agréable et qu'on y souffrait peut-être moins de la solitude qu'ailleurs. Je dirais même que l'authentique vie de province, celle antérieure à la société de consommation, c'est à Paris qu'on peut encore la trouver.


La grande chance de Paris, ça a, en fait, été de ne pas disposer de suffisamment de place pour accueillir ces épouvantables "grandes surfaces", ces hideux centres commerciaux installés, sur le modèle américain, à la périphérie des villes. On mesure mal à quel point, ça a pu détruire tous les liens sociaux. Les centres-villes ont été vidés et le grand loisir "culturel", ça consiste maintenant à prendre sa bagnole, chaque week-end,  pour se rendre à l'extérieur et quadriller lamentablement avec un caddy, pendant des heures et avec sa marmaille, d'infinis rayonnages. 


Personnellement, rien ne me déprime plus que ces grands ensembles commerciaux, tous les mêmes dans le monde entier. La modernité, ce n'est plus que la "banalité". Et les nouvelles architectures urbaines n'ont, à mes yeux, qu'une finalité: sous couvert d'un accès facilité aux biens de consommation, empêcher surtout que les gens ne se rencontrent, ne se parlent et échangent entre eux.


Mais à Paris, on est encore préservés de cette horreur. Il y a encore (pour combien de temps, hélas ?) une foule de petits commerces, de petits cafés, de petits restaurants, d'associations diverses et de lieux de rencontres. Il y a même une vie de quartier au point que Paris est un peu une juxtaposition de petits villages. Et dans ces petits villages, pour peu que l'on soit un peu sociable, on arrive à connaître rapidement une foule de gens. Et évidemment, on trouve que son village est beaucoup plus beau et beaucoup plus agréable que tous les autres et d'ailleurs on ne s'aventure guère dans ces autres quartiers que l'on trouve ou trop bourgeois ou trop mal famés.


Chaque Parisien se définit donc d'abord un peu par son quartier. On vous catalogue même un peu en fonction de votre adresse.


Moi, je n'ai vécu que dans le 9 ème (juste à côté des Grands Magasins "Printemps" et Galeries Lafayette" que, eux, j'aime bien) et dans le 17 ème (tout près du Parc Monceau). Deux quartiers que j'adore parce qu'ils sont imprégnés d'une espèce de romantisme noir (les fausses ruines du Parc, le cimetière des Batignolles et celui de Montmartre, les musées Jean-Jacques Henner, Gustave Moreau et de la vie romantique, la rue Fortuny) qui est bien en accord avec ma personnalité. 


Et puis, ce sont les lieux mêmes qu'a fréquentés Marcel Proust et, pour moi, c'est important, tellement j'admire "la Recherche". La fenêtre de l'une de mes chambres donnait même sur la cour du lycée Condorcet où il était élève plus d'un siècle plus tôt.


Mais ce découpage en quartiers, aux quels chacun s'identifie plus ou moins, favorise une véritable convivialité parisienne. C'est le grand village dans le quel, très vite, on se reconnaît et où l'on noue rapidement conversation. 


J'avoue que je me sens un peu comme un poisson dans l'eau dans cette ambiance là. Si dans mon travail, je suis distante et réservée, évitant même de nouer des amitiés, à l'inverse, dans l'espace public, je me transforme en une grande bavarde. Je ne sais pas si c'est mon côté slave ou oriental qui ressurgit en l'occurrence.


Mais ça procède surtout chez moi d'une conviction : on a trop tendance à limiter ses relations à ceux qui relèvent du même milieu professionnel ou intellectuel. Mais qu'est-ce qu'on connaît alors de la société dans la quelle on vit ? Juste un petit morceau, c'est à dire pas grand chose.


J'aime bien, donc, bavasser avec les gens dans l'espace public. Ca commence sur les marchés. J'en fréquente deux: celui de Lévis et celui de Poncelet. Je crois qu'à peu près tous les vendeurs me connaissent et ils me hèlent tout de suite. Je n'ose pas le dire mais ils me font régulièrement un "prix" ou des petits cadeaux, ce qui fait que je suis souvent surchargée de nourriture. Un prix à la tête du client, c'est peut-être immoral mais on a trop oublié, dans nos sociétés mercantiles, la dimension affective de l'échange économique. Les commerçants devraient pouvoir avoir le droit de facturer plus cher à quelqu'un qu'ils jugent antipathique. Ca ferait peut-être beaucoup évoluer les rapports humains.


Et puis j'aime bien discuter avec le vendeur de journaux, le chauffeur de taxi, les serveurs dans les cafés et les restaurants (principalement "Le Courcelles" et "La Lorraine" pour ce qui me concerne). Tous ces gens ont quelque chose à dire parce que leur vie est souvent difficile et très singulière et n'a rien à voir avec celle de fonctionnaires. Curieusement, ils se plaignent très rarement.


Et puis, il y a bien d'autres lieux de rencontre pour moi. Partout où il y a, en fait, des habitués. La piscine où je connais maintenant tellement de gens que je ne trouve plus guère le temps de nager. Le Parc Monceau où je connais à peu près tous les joggeurs et tous les promeneurs de chiens.


Il y a aussi les salles de cinéma où, là encore, il est facile de discuter, avec des habitués qui font toutes les "sorties", des films vus ou à voir. 


Connaître plein de gens à Paris, ça m'apparaît donc très facile. Il suffit de fréquenter très régulièrement, aux mêmes heures, un lieu public et de ne pas craindre d'engager une conversation.


Evidemment, la majorité des rencontres est décevante. Plein de petits bourgeois ou de mythomanes qui croient m'impressionner. Mais aussi quelques personnalités exceptionnelles avec qui j'ai pu réellement sympathiser.


Peu importe à vrai dire: rencontrer des dingues ou des imbéciles est aussi important que rencontrer des gens intelligents. C'est ce qui vous confronte à vous-même, à vos certitudes et préjugés. Comment se comporter face à quelqu'un dont on ne partage absolument pas les points de vue ou le mode de vie, c'est cela la vraie question.


Paris village, j'aime donc beaucoup mais pas seulement. Je déborde aussi bien sûr de mes arrondissements de référence et je m'en vais "fureter" ailleurs. La "Place Saint-Sulpice", c'est un de mes grands lieux de rendez-vous, de même que la maison de Balzac. Et j'adore faire découvrir l'immeuble de Lavirotte, 29 avenue Rapp. Ou encore, beaucoup moins connue, la maison d'Adolf Loos à Montmartre réalisée pour Tristan Tzara.


Il y a, en fait, toujours une "logique" à mes promenades. Je recherche ce qui correspond à mes préoccupations et goûts esthétiques. Je compose, à ma manière, un grand "patchwork" fait de morceaux très divers mais, néanmoins, très cohérents. Et je crois que chaque Parisien procède ainsi et se construit son Paris à lui. 


C'est cette possibilité, offerte à chacun, de créer sa propre ville que je trouve fascinante. Paris ne s'impose pas à vous, ce n'est pas elle qui vous façonne, c'est vous qui la choisissez, construisez. Il y a autant de Paris que de Parisiens, tous différents. Paris appartient à tous, à chacun, à moi-même.



Les 15 premières images relèvent de mon environnement proche  ( Le musée Jean-Jacques Henner et le musée Gustave Moreau, la Maison Loo, le musée Cernuschi, l'église orthodoxe de la rue Daru, l'église suédoise, la grande verrière des Galeries Lafayette, le café Courcelles, la rue Fortuny, le musée de la Vie Romantique avec son très agréable salon de thé, la Cité des Fleurs). Il s'agit ensuite du 29 avenue Rapp, du 57, rue Turbigo (l'ange immense), de la maison de Balzac, de celle d'Adolf Loos à Montmartre, du Passage des Princes, de la Villa des Arts (avec un escalier signé Eiffel), du Castel Bérenger et du Père Lachaise.

Mes conseils de lecture:

Tous les grands romanciers du 19ème siècle évoquent Paris comme source des passions humaines qui s'y déversent. Je me contenterai d'évoquer:

- Balzac: "La cousine Bette" et "Splendeur et misère des courtisanes"
- Flaubert : "L'éducation sentimentale"
- Zola: "La curée" (qui a pour cadre les quartiers où je vis), "Pot Bouille" (la vie peu ragoutante d'un immeuble parisien, l'un de mes livres préférés de Zola avec "La joie de vivre").
- Maupassant: "Bel ami"

Quant au 20ème siècle, je sélectionnerai:

- André Breton: "Nadja". Le surréalisme est complétement passé de mode. Mais "Nadja" demeure un livre merveilleux, une plongée dans un Paris onirique, métaphysique. L'un des grands livres de la littérature française du 20 ème siècle. Curieusement, Breton a ensuite perdu une grande parte de son talent en fondant une "chapelle", un mouvement littéraire, celui du surréalisme.

Il faut aussi savoir que Nadja a réellement existé. Elle se prénommait Léona et un livre merveilleux d'une Néerlandaise, Hester ALBACH: "Leona, héroïne du surréalisme" retrace sa biographie. C'est aux éditions Actes Sud et c'est vraiment fascinant.

- Louis Aragon: "Le paysan de Paris". Un livre très curieux, un essai littéraire, sans intrigue et sans paysan. L'attention se porte sur le nouveau paysage urbain de Paris: des boutiques, des passages, des immeubles anodins, des affiches. C'est évidemment daté (les années 1920) mais c'est très poétique (avec une influence surréaliste) et d'une modernité étonnante. Et du même Aragon je recommande son roman "Aurélien". Je l'avais lu adolescente: un beau roman d'amour qui évoque admirablement le Paris des années 20. 

Et à propos de Paris, comment ne pas évoquer Patrick Modiano, Prix Nobel 2014 ? Le romancier par excellence de la ville de Paris. On dit qu'il écrit toujours le même bouquin. Peut-être ! Mais qu'importe si sa petite musique demeure entraînante. Il faut avoir au moins lu: "La place de l'Etoile", "Dora Bruder", "Rue des boutiques obscures", "La petite bijou". Et si on veut faire du tourisme modianesque, c'est à compléter par: "Le Paris de Modiano" de Béatrice Commengé (plutôt pour de vrais Parisiens qui sauront se repérer) et "Dans les pas de Patrick Modiano" de Gilles Schlesser (avec de nombreuses et intéressantes photos).

Enfin, j'ai raconté beaucoup d'horreurs sur Annie Ernaux, Prix Nobel elle aussi. Mais je l'ai tout de même lue et j'ai été intéressée par deux de ses bouquins les moins connus: "Journal du dehors" et "La vie extérieure". C'est complétement différent de tout le reste, c'est presque un essai de sociologie contemporaine. C'est la description de la vie moderne, celle des villes nouvelles (Pontoise en l'occurrence), des hypermarchés, des centres commerciaux, des transports en commun. Toute cette nouvelle socialité globalement désespérante mais parfois traversée d'éclairs lumineux.


29 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Une ville une impression, surtout à la première première visite, celle que vous avez souhaité depuis si longtemps, dans un instant par la vitre du train vous allez être confronté à l’accord de vos rêves et celui de la réalité qui va apparaître devant vous. Les rails passent souvent par les banlieues et ne vous cache rien d’une certaine quotidienneté, où le réalisme l’emporte sur les monuments historiques. De préférence, je préfère voyager avec les locaux, afin d’essayer de m’imprégner. Je n’en ai rien à faire des pièges à con pour touristes pressés. Je veux voir les murs pas toujours propres, les arrières-cours en désordre, la chaise renversée, la porte à demi fermé, les gens qui se pressent le dos courbé comme s’ils se sentaient coupables, les petits jardins négligés, quelques broussailles, les cordes à linge. Je regarde et je ne manque rien. Pénétrer dans la ville, surtout une ville inconnue de moi, c’est un moment très fort.

J’arrivais d’Amsterdam par : L’Étoile du Nord, et c’était voulu, à l’époque parce que tout cela date, le terminus c’était la Gare du Nord, où j’ai pu contempler les arrières-cours parisiennes. J’ai senti que j’étais arrivé, mais surtout que je me sentais bien, qu’ici la vie palpitait. Les choses se présentaient sur les meilleurs auspices possibles. J’ai ramassé mon sac à dos pas très lourd, je suis descendu du train, sorti de la gare, je suis parti à pied. Pour connaître une ville, il faut la marcher. J’étais le pur étranger un espèce de survenant, ce que j’aime bien être. Ignorant tout de la ville, je me suis orienté au pif. C’était midi en ville dont j’ignorais tout. J’ai marché longtemps au travers des gens, qui ne manquaient pas de me jeter des regards inquisiteurs. Personne ne savait ma provenance, j’adore laisser planer le mystère, parce que tous ces gens ignoraient que quelques jours auparavant, je volais au nord d’Havre-Saint-Pierre pour sortir les derniers géologues avant que la glace se brise en grande débâcle. Et voilà que je me trouvais à Paris en ces derniers jours d’avril. Je vivais un moment unique. N’aie-je pas vécu toute ma vie pour des moments uniques!

Le désir de m’arrêter partout me tenaillait. Après maintes détours, je me suis retrouvé à longer la Seine. Je traversais un pont, je marchais sur l’autre rive, et au pont suivant je retraversais. J’ai fini par aboutir devant un bâtiment que je connaissais : Notre-Dames De Paris. Le soleil tapais fort. J’y suis entré pour savourer la fraîcheur de l’intérieur et aussi son humidité. Dieu n’avait rien à voir avec mes sentiments. Ce qui m’intéressait, c’était l’architectures. Les vieux murs, les vieilles pierres, les vitraux, où j’ai fini par me sentir parfaitement bien. J’essayais d’imaginer, comment des hommes avaient édifié un tel bâtiment avec les moyens de l’époque. J’étais fasciné. J’oubliais le restant de la ville. Je venais de pénétrer dans un autre univers. Et dire que je n’avais pas encore sorti ma carte et mon guide de mon sac.

Finalement après cette journée d’heureuses surprises, je me suis retrouvé sur la rive gauche dans le Quartier Latin, je me suis loué une chambre et je suis aller souper d’un steak pommes de terre frite, et j’ai calé une bouteille de vin. Je suis retourné à mon hôtel. J’ai consulté mon guide et ma carte. Je me suis couché et j’ai très bien dormi. La première impression était la bonne. Mes rêves avaient rejoint la réalité. J’y était à Paris!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Retour sur la Dame Blanche

J’ai eu nettement l’impression que la Dame Blanche voulait s’approprier ma mort; ma mort m’appartient en propre, c’est ma mort et pas celle de la Dame Blanche. Loin de moi l’idée de vous déprécier. C’est dans ce sens que j’ai élaboré. C’était voulu, j’ai laissé échappé mon côté provocateur.

J’avoue que le sujet de la Dame Blanche était très inspirant. J’ai eu un plaisir fou à écrire sur ce sujet dont j’ignorais tout.

Les femmes dangereuses j’en fais mon affaire et je ne suis pas sûr qu’elles soutiendraient mon regard. Conscient que la séduction est un jeu fascinant mais dangereux qui n’a rien d’innocent. Avouons-le que c’est très excitant. Surtout avec la Dame Blanche dont la rencontre demeure rare et aléatoire. De la séduction on est vite passé au duel, ce qui ne manque pas de piquant. Croiser le fer n’est pas pour me déplaire. De l’idée qu’on peut s’en faire, je suis vite passé à la fiction. Terrain sur lequel je suis particulièrement confortable. Ce qui me permet de sortir de mon hyperréalisme.

Avec plaisir

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vos impressions concernant votre arrivée à Paris sont intéressantes. Paris est une ville-monde dans la quelle chacun peut rencontrer, à chaque instant, l'aventure. Tout dépend de la disponibilité d'esprit de chacun. La rencontre avec Paris, comme avec toutes les grandes capitales, est un choc. On peut même détester. Mais in fine, c'est toujours une remise en cause de soi-même, de ses habitudes de perception et de pensée.

Etrangement, les Français se plaisent aujourd'hui à dénigrer leur capitale. La ville serait sale, enlaidie, peu sûre. Je m'insurge contre ces affirmations péremptoires. Il suffit de voir n'importe quel film des années 60, 70, 80 pour constater à quel point la ville est plus belle et plus propre. Plein de quartiers nouveaux (les Halles, le Marais etc..) ont émergé. Et puis la ville est chargée d'histoire depuis le Moyen-Age. Notre-Dame de Paris n'est peut-être pas la plus belle cathédrale de France mais elle est du moins celle qui est la plus porteuse d'émotion. J'attends avec impatience sa réouverture.

Je trouve sympathique votre intérêt porté au mythe de la Dame Blanche. Personnellement, j'ai toujours été fascinée par le roman noir, le roman gothique, du 19 ème siècle. C'est principalement anglais et allemand. Je ne crois bien sûr pas un mot des histoires de revenants et de fantômes mais ça exprime bien, me semble-t-il, le fonctionnement profond du psychisme humain. Son rapport à la Mort et au désir notamment. Si vous ne l'avez déjà fait, essayez de lire d'abord: "Les élixirs du Diable" de Hoffmann. Si ça vous plaît, vous pouvez poursuivre ensuite avec Gregory Lewis ("Le moine"), Charles Robert Maturin ("Melmoth, l'homme errant"), Mary Shelley ("Frankenstein"), Bram Stoker ("Dracula"), Sheridan le Fanu. Ce sont de très beaux livres injustement dépréciés aujourd'hui.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Si je peux m’exprimer ainsi, l’aventure dans un certain sens était ma Grande Dame Blanche, mon inspiratrice, dans mes premiers pas sur Paris. Je me suis réveillé le lendemain avec le sourie aux lèvres dans une effervescence bienheureuse. J’ai ramassé mon sac après l’avoir encore supprimé ce que je n’avais pas besoin pour cette journée, et je suis parti. J’ai longé la rive gauche en remontant vers la tour Eiffel. Je voulais voir ce monument qui est plus qu’une tour. Toujours à pied, j’avais retrouvé ma ferveur de la veille. Souvent je quittais la rive pour arpenter des rues inconnues afin de m’enfoncer dans les mystères de ces endroits qui perdent leurs noms, mais jamais leurs caractéristiques. Puis je revenais vers la Seine pour regarder les chalands, les embarcations de toutes sortes, tout en me demandant s’il y avait de l’espace pour amerrir un Beaver entre deux ponts, et surtout pour redécoller. Tout à fait par hasard, je me suis retrouvé dans un marché de quartier, tout à la joie de regarder les gens, de les observer, et tout en me demandant si je pourrais vivre ici, comme eux. Je m’arrêtais devant tous les étalages, de légumes, de fruits, de viandes, de poissons, de pain, de fromage, de vin, et qui dit marché, dit rencontre, c’est un endroit formidable pour discuter. Je regardais les prix, et à l’époque ce n’était vraiment pas cher, surtout pour un québécois, alors que le taux de change était de cinq francs pour un dollar canadien. Je venais de louer une chambre pour 25 francs la nuit, c’était absolument rien. Je n’en finissais plus de regarder les étalages. Effectivement : Paris est une fête, même en plein jour au coeur d’un marché. J’ai compris pourquoi plusieurs écrivains américains se sont établis en France après la Première Guerre mondiale. À cette époque, si on faisait attention, il était possible d’y vivre modestement. Ce qui fut le cas d’Ernest Hemingway qui était correspondant pour le Toronto Star. Si je m’étais écouté j’aurais passé ma journée dans cet endroit, juste pour entendre les cris, les discussions, les marchandages, et ça marchandait ferme. Et puis les librairies! Ha! les libraires de quartier. À toutes les fois que j’en croisais une, il fallait que j’y rentre. Je n’avais jamais vu autant de livres de ma vie. Puis, il y avait les librairies spécialisés. Il n’y manquait rien pour ma joie. Sans oublier les marchands de journaux et de tabac. Je ne voyais plus le temps passer, et vous avez raison Carmilla, Paris c’est la possibilité de toutes les possibilités, qui vous donne le goût puissant de vous arrêtez partout, de prendre le temps, d’oublier les heures. J’adorais l’atmosphère tout en prenant conscient que cette ville n’était pas devenue ce qu’elle était, parce que pour devenir (Paris), il faut du temps. Je m’arrêtais devant chaque plaque, où était inscrit : ici est tombé pour la France… L’histoire était partout, entre les murs, au coin des rues, entre les pierres, sur le toits, dans les musées, les librairies. Je touchais à une atmosphère particulière celle que je cherche toujours, surtout pour ceux qui ont lutté pour rester libre en démocratie.

Richard a dit…

C’est cela avoir une histoire. Oui La France a été vaincue, mais ce qui est le plus formidable, c’est qu’elle s’est relevée. Et, ça les français ne doivent jamais l’oublier. Paris est et reste une ville de mémoire, et une mémoire comme on n’en retrouve nul part ailleurs, pour que les gens que je côtoyais puisse vivre non seulement en paix, mais surtout qu’ils puissent faire leur marché, rire et s’engueuler, aimer et se détester. Carmilla, je peux effectivement comprendre que dans de tels lieux, vous n’avez aucune envie Des Marquises, si bien, que je me demande où est passé la fille de l’Est? Certes Paris vous appartient, mais vous appartenez à Paris à part entière. Vous pouvez aller partout dans le monde; mais vous allez toujours revenir à Paris. Dans un certain sens, vous faites partie de l’Histoire entre deux pierres. Un endroit isolé n’est pas fait pour vous, parce que ce n’est pas d’espace que vous avez besoin, c’est d’un état particulier, un genre d’esprit qui vous comble à l’intérieur, qui vous fait vibrer, vous dites si bien, que vous avez ce besoin viscéral de contacts que vous avez glissé dans vos commentaires par cette expression, un besoin de confrontations.

Amicalement vôtre

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Oui, je sais, j’étais parti vers la tour Eiffel, mais comme il m’arrive souvent en voyage, les tangentes tentatrices me font bifurquer. Paris, c’est une ville pour les bifurcations. Je suis d’une nature tout à fait particulière pour ces genres de changements de directions. Ce qui fait de moi une personne impossible pour des voyages en groupe. J’ai des goûts particuliers, des envies bizarres, qui requière toute ma liberté. Ainsi, aussi bien voyager seul. La liberté de mouvement chez moi, c’est fondamental. J’ai fini par aboutir à la tour Eiffel vers midi. Tout d’abord j’ai fait le tour afin de pouvoir l’examiner de tous les angles possibles. C’est l’une de mes manières de voyager, comme par exemple, lorsque je prends une chambre dans un hôtel, après je ressors pour faire le tour du quartier afin de m’imprégner de la géographie de l’endroit. Comme éclaireur je me débrouille bien. Puis, j’ai grimpé les marches jusqu’au deuxième niveaux avant de prendre l’ascenseur pour m’élever jusqu’au sommet. Nous n’étions pas nombreux, une dizaine de jeunes allemands revêtues de vestes vaguement militaires avec le drapeau de leur pays cousu au niveau de l’épaule qu’on ne pouvait pas manquer, un couple de français qui regardait ces jeunes allemands d’une certaine manière, et moi. Les préposés ont ouvert les grilles, et nous nous sommes engouffrés dans un silence religieux. Les grilles se sont refermées et nous sommes partis. Le vide tout le tour de nous c’était vraiment impressionnant. J’ai pensé qu’au sommet cela va être formidable! Nous étions rendus à mi-course lorsque l’ascenseur s’est arrêté en panne au niveau de l’autre ascenseur. Du statu de passager, nous venions d’être transférer à celui de naufragé de l’espace. Pas question de descendre, la marche était un peu haute. Comment allaient-ils nous sortir d’ici? Les blonds chevaliers d’Allemagne et leurs compagnes se regardaient inquiets, je pouvais voir que la peau de leur visage qui changeait de couleur. Le couple français s’est enlacé. Quoi de mieux que l’amour pour combler le vide! Soudain un déclic, et nous sommes redescendus, pendant l’autre ascenseur remontait. La belle affaire! Des techniciens s’affairaient devant un tableau de contrôle. Ils ont ouvert les portes et nous on dit que c’était juste un incident, une question d’équilibre et de contre-poids, l’impulsion n’avait pas été assez vigoureuse. Ils ont refermé les grilles et nous voilà reparti pour le sommet. Cette fois fut la bonne, nous avons croisé l’autre ascenseur sans nous arrêter pour aboutir au sommet, où nous attendait une vue imprenable sur la capitale. Je me suis commandé un long hot-dog moutarde forte et une bière. Et, j’ai savouré avec Paris à mes pieds. Les allemands avaient retrouvé leurs couleurs naturelles, et les couples se regardaient dans les yeux. J’en ai profité pour améliorer mon orientation. J’ai sorti mon guide et j’ai reconnu différents édifices. J’avais une carte vivante devant moi. J’ai toujours aimé les cartes géographiques qui ont porté plusieurs de mes rêves, mais là franchement j’étais comblé. Cette tour a été vivement critiquée lors de sa construction, et pourtant elle allait devenir un des symboles de Paris. Qui ne connaît pas la tour Eiffel? La descente fut sans histoire.

Amicalement vôtre Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Un des critères majeurs d’une grande ville, qui plus est, une capitale du monde comme Paris, se sont ses espaces verts, ses parcs, ses boisés, ses jardins. Je ne me cacherai pas que j’avais un faible pour le Bois de Boulogne, ou la forêts de Vincennes, mais mon préféré reste et demeure Le Jardin du Luxembourg. Il était tard en après-midi lorsque j’ai quitté les environs de la tour Eiffel, au lieu de repasser par le chemin d’où j’étais venu, je me suis enfoncé au travers des quartiers en visant les Invalides, et je me suis retrouvé devant cette merveille, un jardin au coeur de la ville après avoir parcouru plusieurs rues, et que j’avais même tourné en rond volontairement. J’étais tellement estomaqué, que j’ai découvert un banc, et je m’y suis assis, seulement pour respirer l’air, regarder les gens déambuler devant moi, profiter de l’instant dans les prémices de la luminosité de fin de journée qui annonçait le soir. Je m’y sentais merveilleusement en paix. L’envie de bouger m’avait quitté. Après toutes mes découvertes de la journée, je revenais sur terre entre les arbres, les fleurs, la verdure. C’était toute l’essence de la flânerie, qui accompagnait mon sentiment profond de vie, de me sentir privilégier, je découvrais un Paris humain, sans doute esthétiquement aménagé sous certains aspects artificiels, mais un lieu où l’on pouvait respirer, se sentir bien, lire, tricoter, jouer aux échecs, ou simplement discuter avec un ami, enfin toutes les raisons étaient bonnes pour quitter son appartement. Oui, c’était magnifique Paris, j’étais content d’y être, mais lorsque je regardais les magnifiques édifices, je savais que les appartements étaient petits, que ceux qui défilaient devant mon banc, même s’ils étaient bien habillés, menaient une vie modeste. Mes observations me ramenaient, à la modestie, à la quotidienneté, qui révélaient la vraie vie, celle qu’on ne doit jamais oublier avec ses responsabilités, ses doutes, ses peines et ses joies. Je sortais enfin de mon excitation du voyage. Désormais, mon œil critique ne manquerait pas après observation, de penser, et de réfléchir devant tout ce qui se déroulerait devant moi. Les jardins et les boisés et les parcs, nous permettent des temps d’arrêts, surtout dans une grande ville, dans un pays étranger, et même si je parlais la même langue que tous ces gens, je savais ma différence, et j’en étais fier, et j’en suis toujours fier. Je n’ai jamais caché que j’étais québécois. Faut dire, qu’à l’époque nous étions bien vu en France. Je pensais à mes ancêtres, qui étaient partis courageusement pour venir s’installer en terre d’Amérique, où tout était à faire, sans doute avec quelques angoisses, mais peut-être aussi débordant d’espérances et de rêves puissants qui les a transportés, sentiments qui me transportaient à l’époque et me transportent encore aujourd’hui. Avant que la nuit me surprenne, je suis rentré à mon hôtel pour m’enfoncer dans mon sommeil. Je venais de vivre une excellente journée et je savais que toutes celles qui allaient suivre seraient de même qualités. Avant de fermer les yeux, j’ai pensé : il faut que je retourne au Jardin du Luxembourg. J’avais tellement vécu à fond pendant cette journée, que je n’ai même pas ressenti la faim et mon sommeil fut mon repas.

Tout en émoi Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Oui Carmilla, je sais, cette ville a bien changé, mais nous avons tous changés, tous évolués, le monde n’est pas une toile dans le fond d’un musée, on immobilise pas une réalité, nous sommes en devenir constant. À l’époque, j’ai pris conscience d’un fait que je n’avais jamais connu avant d’arpenter les rue de Paris. C’était la première fois que je voyais des gens sans domicile fixe comme vous dites. Je conserve une photo d’un type qui est couché sur un trottoir en train de dormir serrant dans ses bras une baguette de pain. Jadis cela n’existait pas dans les rues de Montréal, Québec, et encore moins dans les rues d’une ville régionale comme Sherbrooke. Aujourd’hui les miséreux se retrouvent dans tous les pays du monde autant aux USA, que dans n’importe quel pays en Europe, et même au Canada où certains s’endorment dans le froid de l’hiver pour ne plus jamais se réveiller. Je savais que les prix des chambres à Paris avaient augmentées, et vous êtes assez juste dans votre estimation, entre 150 et 200 Euros par nuit, ce qui n’a plus rien à voir avec mes 25 francs par nuit en 1976! Pourtant il n’y a jamais eu autant de touristes à Paris et dans les grands capitales de l’Europe, assez pour écœurer la patience légendaire des Hollandais, qui veulent restreindre le nombres de touristes dans Amsterdam. Venise en est un autre exemple. Le tourisme de masse est devenu un déplacement de troupeau. On ne voyage plus aujourd’hui comme ma génération de hobos a voyagé, à petit prix, à la débrouille, toujours dans l’incertitude, c’est vrai que nous cherchions l’aventure, surtout moi, et lorsqu’on ne trouvait pas l’aventure, on l’a provoquait. Moi-même, j’ai fais du pouce, expression québécoise qui signifie : faire de l’auto-stop, avant d’avoir les moyens de m’acheter une voiture. On ne mangeait pas souvent, mais nous n’avions pas le sentiment que nous étions pauvres, non, nous étions libres, même s’il avait fallu faire bouillir nos cordons de bottines. Ce qu’on voit aujourd’hui, et cela au travers le monde, c’est une misère non seulement qu’on n’arrive plus juguler, mais a éradiquer. Vous avez souvent souligné Carmilla, la disparition de tous ces petits métiers, qui soit dit en passant n’ont rien de (petit), qui faisait vivre bien des gens, qui leur permettaient de gagner leur vie, comme on dit : honorablement! Et, nous savons tous, que les grandes surfaces y sont pour quelque chose. Le pauvre ne demande pas la charité, il exige la justice. Paris, d’après ce que j’en sais, a un peu échappé à ce modèle économique, mais il en reste qu’il y a sans doute moins de bistros, moins de libraires, moins de cordonniers, je sais qu’il y a des réglementations, qu’on ne peut pas bâtir en hauteur dans le vieux Paris. Pour gérer tout cela on a été obligé de réglementer. Connaissant l’aversion des français pour les règlements, je reprendrais la parole d’un Parisien avec lequel je prenais un verre dans un bistro. «  Richard, tu sais ce qui est beau avec la loi; c’est qu’on peut la violer. » Au début, j’ai été étonné, mais je n’ai pas mis beaucoup de temps à comprendre une mentalité fanfaronne des parisiens doté d’une pointe d’ironie décapante. Je me refuse de pénétrer dans une mélancolie malsaine des regrets. Ce qui me rappelle ces paroles de Jankélévitch : « Pour donner il faut posséder; et le possédant pour exercer sa charité se doit de posséder des pauvres, s’il n’y a pas de pauvres, il n’y a plus de charité. » (Traité des vertus)

Comme il est tôt, je lève ma tasse de café à votre santé Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Le Luxembourg est effectivement un Parc magnifique. Qui ne plaît cependant pas à tout le monde parce qu'il s'agit d'un jardin à la française: non pas un morceau de Nature brute, mais une Nature domestiquée à la quelle on a appliqué les lois de la rationalité. Le culte de la Raison, ça a longtemps caractérisé l'esprit français mais je crois qu'on a un peu oublié ça aujourd'hui.

J'aime bien ce Parc mais il est un peu trop grand à mon goût et donc peu convivial. Il est beaucoup plus difficile d'y repérer les habitués et d'engager conversation.

Il y a effectivement beaucoup de touristes à Paris mais la dimension tout de même importante de la ville fait que leur présence n'apparaît pas envahissante. Rien à voir avec Venise, Amsterdam ou Prague sauf en quelques lieux (Place du Tertre à Montmartre, Tour Eiffel, Louvre, Orsay).

Le tourisme de masse, c'est bien sûr fâcheux mais il faut aussi se réjouir que tant de gens puissent aujourd'hui voyager. Ce qui constitue d'ailleurs un démenti à tous les propos évoquant une paupérisation du monde. Il faut en effet avoir la lucidité de le reconnaître: la pauvreté a beaucoup reculé dans le monde depuis les années 70. Y compris en France: le pays est nettement plus riche même si sa position relative a reculé (en raison, principalement, de politiques économiques malthusiennes).

Il faut en outre préciser que la "visibilité" de la mendicité n'est pas vraiment un indicateur de la pauvreté d'un pays. En France, les plus pauvres bénéficient tout de même de nombreux mécanismes d'assistance: gratuité des soins médicaux, allocations d'insertion, centres d'hébergement. D'autres phénomènes, trop longs à développer, viennent en fait se superposer à cette question de la mendicité et des sans domicile.

Quant aux réglementations, oui, il y en a sans doute trop. Mais il faut aussi savoir en apprécier les côtés positifs. En France, par exemple, en matière d'habitat, vous ne pouvez pas construire n'importe quoi, n'importe comment: pas question d'un chalet suisse en Bretagne ou même d'un toit en tuiles alors qu'on utilise, à côté, de l'ardoise. C'est très rigoureux et toute opération de travaux réclame de longues démarches administratives. Mais je me dis aussi que ça a permis de préserver le patrimoine du pays, la beauté et l'harmonie des villes et villages français.

De même toutes les appellations des produits alimentaires sont réglementées: le chocolat, le fromage, les vins, etc... Mais cela aussi est nécessaire parce que sinon, sous couvert de chocolat, vous pouvez, par exemple, vendre une infâme pâte sucrée bon marché, ce qui constitue une concurrence déloyale. C'est aussi l'exemple de l'infect "champagne" que la Russie continue de vendre effrontément même si elle n'y est évidement pas autorisée.

Quant à la disparition des petits métiers et petits commerces, c'est effectivement une tendance lourde. Il y a incontestablement beaucoup moins de petits commerces, de petits hôtels, de petits restaurants, de pompes à essence, etc... Et il n'y a presque plus de caissières et personnels d'accueil. C'est une évolution économique "logique" mais sans doute dommageable (en matière de lien social notamment). J'avais été impressionnée par le Japon, un pays riche où ces petits emplois, ces petits commerces, subsistent néanmoins. Il y a sans doute là matière à réflexion.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Le lendemain, je me suis rendu au Musée des Armées, et j’ignorais totalement ce que j’allais voir. Finalement, j’y ai passé la journée! Allant de surprises en découvertes, du Haut Moyen-Âge jusqu’ à aujourd’hui. Si tu voulais suivre l’histoire militaire de la France, il fallait grimper au dernier, étage, puis descendre pour retrouver au rez-de-chaussée au XXe siècle. L’histoire, la politique, les batailles, les victoires, les défaites, les avancées techniques, les armes, les uniformes, les armures, les reproductions des batailles en miniatures, et j’avais été très impressionné par l’étage consacré à L’Empire avec ces mannequins de cire, surtout les chevaux empaillés grandeurs natures, la cavalerie légère, lourde, les dragons, les hussards, les canons Gribeauval, je n’en croyais pas mes yeux. Le fameux fusil Gribeauval 1777, il n’y manquait rien, les fantassins tellement réalistes que tu pensais qu’ils allaient vous sautez dessus. Les cartes, les plans de batailles, les stratégies, je n’ai pas vu la journée passé. J’étais en train d’examiner un fantassin, je m’intéressais surtout à son uniforme, que je trouvais particulièrement épais pour une tenue d’été, surtout la veste bleu en épais lainage qui se rapprochait du feutre. Alors je me suis adressé à un gardien qui m’a référé à un responsable du musée qui m’a raconté qu’au cours de l’époque des conquêtes napoléoniennes, l’Europe avait connu des étés froids, comme un genre de refroidissement causé par des volcans en Asie du Sud Est. Ce qui explique qu’on habillait les fantassins avec des vêtements plus épais, plus chauds. Je me demandais comment ces types faisaient pour faire des marches forcées habillé ainsi? Plus le fusil 1777 dont le poids faisait 10kg, plus le paqueton, les bottes, les munitions, les balles de plomb, plus la poudre, et un peu de nourriture. Rappelons que les gens de cette époque, autant les hommes que les femmes, travaillaient fort physiquement, ils étaient habitués à l’effort, à la marche, ils avaient développé une certaine endurance, avec un niveau de vie relativement modeste, lorsque ce n’était pas de la pauvreté. Souvent pour un pauvre qui crevait de faim, l’armée devenait une institution de survie. Hé oui, sauvé par l’armée, habillé, logé, nourrit, et outils fourni bien entendu, une baïonnette et bon fusil. C’est quand même fabuleux, des gens qui n’avaient jamais quitté leur village, qui ne s’étaient jamais éloignés à plus d’une vingtaine de kilomètres de leur ferme, allaient traverser l’Europe plusieurs fois, rencontrer des peuples inconnus, qui parlaient d’autres langages. Et si tu étais chanceux, celui de revenir avec la vie et tous tes morceaux pour raconter Essling ou Wagram. Déplacer des milliers d’hommes à pieds, sans oublier les canons, un Gribeauval 12 pesait une tonne, il fallait bien nourrir les chevaux qui remorquaient ces trains d’artillerie, plus tous les autres chevaux de la cavalerie. Où trouver le foin et l’avoine? Dans l’excellent roman de Patrick Rambaud, (La Bataille) les officiers des lanciers et de d’autres corps de cavalerie se plaignaient, que l’intendance n’avait trouvé que de l’orge. Un cheval va en manger, mais ne donnera pas son rendement maximal comme avec de l’avoine, parce qu’un cheval cela fonctionne à l’avoine. Lorsque nous regardons un film et que nous sommes pris par l’action, on ne pense pas, ce que ça implique de déplacer une armée, la nourrir, l’habiller, la soigner, la déplacer, la motiver, l’entretenir, et surtout l’armer. Lorsque la bataille était terminée, des équipes d’infirmiers et de récupérateurs récupéraient des blessés, des armes qui pouvaient encore servir, et ils achevaient les chevaux blessés et même décédés pour les débiter pour en concocter une soupe. Si on manquait de sel, on ajoutait quelques mesure de poudre à fusil pour la saveur!

Un petit bol de soupe de cheval Carmilla?

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Les armées de Napoléon ont marché souvent avec du cheval pour toute nourriture. Il fallait être rapide et impitoyable pour vivre sur le pays et l’ennemi n’était pas stupide, on pratiquait la terre brûlée. Tout ce qu’on n’était incapable d’emporter, on le brûlait, les silos, les graineries, les granges et même les champs avant les récoltes, on peut se rappeler le grand incendie de Moscou! Reste que lorsqu’on veut faire une guerre, on en a toujours les moyens ou la volonté de la faire. C’est quand même incroyable pour La France, se taper une révolution, qui ne fut pas de tous repos, puis de se soumette à un dictateur qui allait devenir empereur, envahir l’Europe, livrer des guerres continuellement, faire des réformes, construire et détruire. La France avait les moyens de ses ambitions, comparer à ses voisins elles étaient plus riche, possédait une agriculture florissante, des armées puissantes, elle était ingénieuse, il fallait le faire, sortir d’une révolution pour conquérir l’Europe. Dans les faits, cette France-là, était riche! Ce qu’elle n’a pas toujours été au cours de sa longue histoire. Mais si on regarde sur l’ensemble de son histoire, elle s’en est bien sortie. Quand devient-on riche? Quand la pauvreté nous rattrape?

Étions-nous riches avant la pandémie? Avec des taux d’intérêts pratiquement à zéro, l’énergie à volonté et bon marché, une nourriture à petits prix et en abondance, une insouciance crasse, pratiquement le plein emploi, un filet social acceptable, une démocratie et un état de droit que nous envie bien des pays. J’avoue que lorsque j’ai vu ce SDF qui dormait sur le trottoir à Paris avec son bout de pain, j’ai été étonné, c’est le moins qu’on puisse dire. Aujourd’hui des SDF, il y en a partout. Pour des sociétés, aussi riches que les nôtres, cela ne devrait pas exister. Je m’occupe de mon propre ravitaillement, j’y tiens et pour cause. Ici trois domaines ont nourrit l’inflation, l’énergie, la nourriture, et le logement. Ce qui pose problème, lorsque tu payais un pain $3.00 et qu’aujourd’hui, en l’espace de six mois il t’en coûte $6.00, de même pour un pot de mayonnaise ou de moutarde. Vous autres aussi en France vous subissez une certaine inflation! Certains légumes comme les asperges c’est hors de prix! La viande boeuf à augmenté de 25% au cours de la dernières années. Sur le fond, il y a juste la viande de porc qui n’a pas augmenté parce que le Québec est une gros producteur. C’est encore pire au niveau du logement, des maisons qui se vendaient $250,000, aujourd’hui plafonnent au demi millions et c’est encore pire dans les grandes villes comme Montréal, Toronto, Calgary et surtout Vancouver. C’est le gros sujet de l’heure la pénurie de logements au Canada présentement. Les banques alimentaires qui avaient été conçues pour aider les plus mal-pris, aujourd’hui voient des travailleurs les fréquenter. L’augmentation des ces fréquentations, c’est un signe d’appauvrissement. J’observe les gens faire leur épicerie, ça calcul et on achète plus n’importe quoi! Tant qu’aux compagnies aériennes, oui ils ont recommencé à voler. Mais, ils sont toujours sur le bord de la faillite, même Air Canada. Sans l’aide gouvernementale ils ne pourraient pas continuer à opérer. Et, pour en rajouter, nous ne sommes mêmes pas capables de fournir l’Ukraine en obus! C’est le constat que je fais présentement, ce n’est ni mauvais ni bon, c’est un constat.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Je vous recommande le livre : La Bataille par Patrick Rambaud. C’est merveilleusement bien écrit, c’est enlevant, intéressant et même instructif. Je constate que l’auteur à fait ses devoirs de recherches. Dès que vous ouvrez l’ouvrage, vous êtes au XIXe siècle!

Carmilla, si vous êtes toujours partante pour une soupe chevaline, ou encore un gros steak de cheval, vous me ferez signe. Je vous promet que je n’y mettrai pas de poudre à fusil! (Rire)

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je connais Patrick Rambaud. Le personnage est sympathique. Son écriture est drôle et percutante mais il ne prétend pas faire œuvre d'historien.

Le musée de l'Armée est effectivement intéressant. S'agissant de Napoléon, j'ai toujours été étonnée par le rejet dont il fait l'objet de la part des Français. On va jusqu'à se réjouir de sa défaite finale alors qu'il incarnait le Nouveau Monde contre l'Ancien (l'ordre monarchique). S'il avait triomphé de la Russie et créé l'Europe, le monde se serait pourtant épargné bien des malheurs ultérieurs.

On oublie que Napoléon était le porteur des idées de la Révolution et qu'il épouvantait les monarchies européennes. Napoléon faisait encore plus peur qu'un siècle plus tard, Lénine et les bolcheviques.

A long terme, Napoléon a cependant gagné parce que l'Etat moderne actuel est largement issu de Napoléon. La méritocratie, le Code Civil, le système judiciaire, la Banque de France, les grandes Ecoles, le système administratif etc..., tout cela, ça n'est tout de même pas rien.

S'agissant des SDF, le sujet ne peut être traité en 3 lignes. Il ne suffit pas d'accorder des aides ou allocations pour résoudre le problème, ce qui peut même être contre-productif. Personnellement, j'achète souvent des fleurs, des fruits, des légumes, à des "migrants" qui vendent illégalement sur le trottoir. Ca nourrit notamment en partie mes oiseaux. Mais je me fais aussi alors engueuler par la police et les commerçants proches.

Quant à l'inflation (moins de 5% en France), il faut voir au-delà de l'indice des prix à la consommation. Il y a aussi ce que l'on ne dit pas. C'est une bonne affaire pour ceux qui ont emprunté, une mauvaise pour les épargnants. L'inflation permet aussi une redistribution des cartes plutôt au détriment des riches avec une dépréciation des patrimoines. L'immobilier amorce d'ailleurs une baisse.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
- 1 -
Le type pas très éloigné de moi buvait son verre de vin rouge debout devant le zinc, il ne payait pas de mine, souliers éculés, pantalons gris fripés, manteau noir usé, hors saison, nous étions au printemps en pleine douceur, peau du visage blême, barbe de trois jours, on aurait dit que ses lunettes avaient été trouvées dans une poubelle, mais ce qui était remarquable c’était ses cheveux graisseux décoré d’une masse de pellicules qui ressemblait à des flocons de neige. J’arrivais en fin d’après-midi du Bois de Vincennes où j’avais vadrouillé pendant la journée. Sur le chemin du retour je m’étais arrêté dans ce bistro. Un pur hasard. J’aurais pu pénétrer dans n’importe quel autre bistro, mais ce fut celui-là. Le type en question ne s’appuyait pas sur le comptoir, il était debout immobile, bien droit dans ses souliers éculés. On aurait dit qu’entre chaque gorgée de vin un monument, ou bien un mannequin de cire. Il buvait à petite gorgée comme s’il avait honte. C’était peut-être un grand timide? Puis il a bougé. Il a tourné la tête vers moi. Nos regards se sont croisés. On aurait dit qu’il portait le ciel sur son dos. Je ne me suis pas posé de question, j’ai soutenu son regard et nous avons convergé l’un vers l’autre parcourant chacun la moitié de la distance qui nous séparait, comme si nous avions été les victimes d’une force d’attraction imparable. Il m’a tendu la main, nous avons fait connaissance, la glace était brisée.

Il avait reconnu l’étranger chez moi, pourtant je ne payais pas de mine, j’étais éloigné de ces supers mannequins masculins qu’on retrouve dans les magazines pour hommes.

La conversation s’est engagée immédiatement sans effort. Il avait une voix très douce, posée. Il ne payait peut-être pas de mine, mais ce n’était pas n’importe qui. Il n’en n’imposait pas. Ce n’était pas un vulgaire dominateur. Il n’avait pas besoin d’éclats et de vantardises. Il ne jouait pas un personnage. Cependant, il émanait de lui une ferme assurance ce que ne laissait pas voir ses vêtements. L’habit ne faisait pas le moine. Mais, il avait l’air d’une espèce de moine rare, un genre d’érudit, qu’on ne rencontre pas souvent. La discussion s’est engagée sur l’Histoire de France croisée avec celle de la Nouvelle-France, qui allait devenir le Québec. De l’abandon de la France des terres américaines, abandon qui ressemblait plus à un largage pour conclure La Guerre de Sept Ans. Il m’a surpris lorsqu’il a évoqué des personnages comme Montcalm, Frontenac, d’Iberville et Radisson. Ce qui n’est courant chez les français.

Après un autre verre de vin rouge et une autre bière, nous étions partis pour un long voyage immobile mais for intéressant. Jamais mon interlocuteur n’a élevé la voix, ne s’est excité, n’a voulu m’en imposé, on ne comparait rien, nous n’étions pas en compétition, on amarrait nos connaissances. Ce sont des genres d’expériences de vie où tu ne vois plus le temps passer. Le café se remplissait des habitués de fin de journée. La faune locale s’adonnait à l’apéritif. Mais personne n’est venue se mettre entre nous deux, pourtant il y avait de l’espace. C’était comme si on nous évitait. J’aurais cependant tendance à penser qu’on nous respectait. Mon interlocuteur était d’une taille modeste, mais moi je ne passais pas inaperçu, parce que je dépassais tout le monde d’une tête. Je reconnaissais en lui, un homme d’espace...

Richard a dit…

- 2 -
Il m’a dit : Écoutez, cela vous dirait qu’on aillent visiter la Basilique Cathédral des rois à Saint-Denis? Je n’allais pas manquer une telle occasion de m’instruire. J’étais libre et je n’avais pas encore planifié ma journée du lendemain. Il m’a dit demain matin ici à huit heures. Je lui ai répondu : J’y serai, vous pouvez compté sur moi! Il a avalé sa dernière gorgée de vin rouge, puis il est parti comme cela sans se retourner. Je remarquais qu’il y avait quelque chose d’aérien dans ma manière de se déplacer, son pas ne ressemblait en rien à celui des autres passants, ce petit quelque chose de presque rien, qui débouchait sur l’inconnu.

Le lendemain je suis arrivé avant huit heures tout en espérant que mon interlocuteur de la veille se présente. Je surveillais l’horloge qui surplombais le zinc, tout en savourant mon double espresso bien tassé, que venait de me servir le patron de la boîte. Je lui ai demandé qui était le type avec lequel je m’étais entretenu hier? HA! Monsieur Paul, personne ne le connaît ici. Il ne parle à personne. Il vient à tous les jour boire son verre de vin rouge, puis il repart sans saluer. Ce genre de convivialité me plaisait. Les gens qui œuvrent dans les restaurants, cafés et bistros possèdent la mémoire des visages. Il me dit par la suite, que c’était la première fois que Paul avait eu la discussion la plus longue à laquelle il avait assisté.

Je me souviens toujours de ce restaurant sur la rue Rivoli que j’avais découvert tout à fait pas hasard. La nourriture était simple, l’ambiance chaleureuse, c’était un couple qui était propriétaire. La première fois que j’y suis entré, ça n’a pas manqué ils ont reconnu mon accent Québecois. J’y suis retourné le lendemain et je fus accueilli pas un retentissant : HA! Le Québecois! La troisième journée, j’ai entendu. HA! Monsieur Richard comment allez-vous? Qu’est-ce qu’on vous sert? Tous les habitués de l’endroit connaissait mon nom! Qui a répandu cette rumeur que les Parisiens avaient mauvais caractère? La nourriture était simple et succulente, l’atmosphère agréable, la décoration reposante.

À huit heures tapant, Paul arrive. Il porte les mêmes vêtements qu’hier. Je pense qu’il ne s’est peut-être pas dévêtu pour dormir. Mais, je remarque qu’il s’est rasé de près et qu’il s’est coupé à deux endroits avec son rasoir. Il s’adresse à moi comme si on se connaissait depuis vingt ans! Il me dit simplement, je vais prendre mon café et on y va. J’ai commandé les cafés, un café crème pour Paul et un deuxième espresso pour moi. Toujours le même calme, la même distance face au zinc, la même manière de s’arrêter, ces silences avant de parler pour ne pas dire n’importe quoi, on pouvait facilement imaginé qu’il avait passé la nuit devant ce comptoir, exactement au même endroit. Les événements se présentaient bien. Entre deux gorgés de café Paul s’est mis à raconter l’histoire de la Basilique Cathédrale de St-Denis, où avait été enterrés les Rois de France. Une fois les cafés terminés, nous sommes partis.

Il n’y a rien de mieux qu’un Parisien pour vous initier au Métro. J’avais un excellent professeur. Il fallait prendre une correspondance sur le trajet. Je me suis acclimaté assez rapidement dans tous ces dédales souterrains.

Richard a dit…

- 3 -
Nous sommes sortis du métro pour nous retrouver devant un bâtiments qui m’a semblé étrange avec ses trois clochers ou trois tours. Étais-ce beau ou laid? Je n’arrivais pas à me faire une idée. À l’extérieur sur le parvis, c’était particulièrement calme, nous avions quitté Paris, ce n’était plus la grande ville, j’avais l’impression d’être proche de la campagne. Nous avons pénétré à l’intérieur pas une petite porte. Paul marchait près de moi. Il a tendu la main vers un bénitier pour y tremper le bout de ses doigts, à fait le signe de la croix complété par une génuflexion. Je suis resté debout près de Paul, en tant qu’athée je n’étais pas pour me livrer à ces manifestations religieuses, si non, cela aurait été mentir de ma part. Paul ne m’a pas regardé, il n’a pas passé une remarque, rien, je respectais sa foi comme il respectait mon athéisme. De ma part, c’était très apprécié, et pour le restant de la journée que nous allions passer ensemble, aucune remarque.

Nous marchions lentement dans l’allée centrale. Nous étions deux hommes seuls. À part nous, il n’y avait personne comme si nous avions loué le bâtiment pour nous-mêmes. J’étais subjugué par la beauté des vitraux, autant que par les propos de Paul, qui s’étendaient sur cette époque qui remontait au Haut Moyen-Âge, c’était pour moi un plongeon vertigineux dans le passé.

La légende raconte que Saint-Denis évêque aurait été décapité à Paris, et qu’après sa décapitation, il aurait pris sa tête entre ces deux mains pour marcher vers cet endroit, qui à l’époque devait être un boisé ou une prairie, et s’était effondré à cet endroit, où on allait élever ce bâtiment. Quelqu’un qui circule avec sa tête entre ses mains après la décapitation, cela s’appelle : Céphalophorie. J’ai pensé que je n’étais pas venu à Paris pour rien.

Paul s’est étendu sur cette période de la Révolution, ou les révolutionnaires ont exhumé les rois de France pour s’emparer de leurs tombeaux, parce que les rois à l’époque étaient mis dans des tombeaux en plomb et que les armées de la France révolutionnaire avait besoin de plomb pour les balles des fusils. Tant qu’aux dépouilles des rois, ils ont été entassés dans une fosse commune.

Mais, on ne s’est pas arrêté aux tombeaux pour récupérer le plomb. La couverture de l’Abbaye était en plomb, alors on a démonté la couverture pour récupérer le plomb. Pendant plusieurs années l’Abbaye s’est retrouvé sans couverture, ce qui a causé des dommages intérieurs. Finalement en 1812, Napoléon a ordonné qu’on restaure le bâtiment, ce qui fut fait. Ce qui fut probablement le cas de plusieurs églises en France qui étaient recouvertes de toitures en plomb.

Le ton de la voix de Paul avait baissé. J’apprenais à le connaître par ses dires, par ses gestes, c’était un être intense, à ne pas douter un homme de foi. Avait-il pardonné? On ne demande pas à quelqu’un s’il a pardonné, on le laisse avec la conscience; sa conscience! Il est clair que cette période douloureuse a laissé dans la conscience de ce peuple, des marques indélébiles. Un grand moment pour certains; une douleur incommensurable pour les autres.

Richard a dit…

- 4 -
Il y avait beaucoup plus que du recueillement dans l’air, une ferveur qui nous dépassaient s’élevait dans l’espace religieux, comme dans nos esprits. C’était beaucoup plus qu’une étrange rencontre. Je n’ai jamais hésité à pénétrer dans des lieux insolites, même si ces endroits représentaient des valeurs qui n’étaient pas les miennes. Peu importe, une prison, une église, une synagogue, une mosquée, un parlement, un cimetière militaire, pour me retrouver devant des personnes différentes, afin de discuter dans la paix et la liberté, où comme le disait Spinoza : dans la joie. Sans oublier le respect.

Je ne regardais plus les murs et les vitraux de la même manière. Quelque chose s’était métamorphosé en moi! C’était beaucoup plus vaste, plus fort, plus puissant. Ce que j’aurais aimé et souhaité c’est de transcender le temps et me retrouver ici devant une foule en 1152 ou bien en 1533, peu importe, afin de glisser dans un autre état d’esprit. Je pense que j’aurais fait un bon discours. Je pense qu’on m’aurait écouté. Je me serais voulu rassurant.

Paul et moi, nous n’avions plus besoin de parler, nous étions en train d’admirer un vitrail dans un silence réconfortant. La beauté, comme le bon, est partout et c’est à nous de le stimuler. Pourquoi, il faudrait commettre le mal? Pourquoi, il faudrait faire souffrir? Et d’autre part, des fois, il faut combattre, l’ennemi ne nous laisse pas le choix. Nous ne pouvons pas toujours nous réfugier dans l’oubli ou bien l’indifférence.

Nous sommes sortis sous le soleil de midi, et comme à chaque fois que je vivais un moment intense, peut importe l’endroit dans le monde, je me sentais à la fois transporté et transformé. Ce n’était pas un simple échange, c’était une évolution, seulement un pas de plus dans la connaissance et le devenir, une prise de conscience qui vous remue l’intérieur. Personnellement, pour moi, les voyages ne servent qu’à cela, parce que c’est parcourir un livre vivant, on livre qu’on n’imprime pas, mais un livre dont les pages vous collent à la mémoire jusqu’à la fin de vos jours.

Nous sommes redescendus dans le coeur de Paris. On a but un dernier pot au bistro, nous avons échangé nos adresses.

À mon retour au Québec, je lui ai écrit. Puis, je suis parti travailler dans le nord, la saison des flotteurs recommençait. J’avais plusieurs adresses, mais j’avais recommandé à mes parents qu’ils conservent mon courrier, parce que je redoutais de le perdre. Comment faire suivre du courrier à un oiseau qui n’avait même plus de branche pour se poser.

Lorsque je suis revenu l’automne suivant dans Les Cantons de l’Est, j’ai retrouvé dans mon paquet de courrier, sur la lettre que j’avais envoyé à Paul, c’était écris  : adresse inconnue. Effectivement la lettre n’avait pas été ouverte. Je me demandais ce qu’était devenu Paul, avait-il changé d’adresse? M’avait-il donner une adresse fictive? Ou bien plus simple, était-il décédé? Je ne l’ai jamais revu.

Bonne fin de journée et merci Carmilla
Richard St-Laurent

Nuages a dit…

Juste un petit mot pour vous remercier, encore une fois, pour vos conseils de lecture. J'ai lu, et j'ai beaucoup aimé, "Passeport à l'iranienne" de Nahal Tajadod, souvent burlesque, kafkaïen, et "L'ombre de la route de la soie" de Colin Thubron, une superbe fresque que j'ai terminée dans le train en revenant d'Avioth, aujourd'hui.

Par ailleurs, j'ai aussi lu "No war", de Marina Ovsiannikova, la journaliste de la TV russe qui avait brandi une pancarte contre la guerre en Ukraine, en plein journal télévisé : pas très bien écrit, assez banal, mais ça se lit quand même comme un roman policier.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La description de votre séjour parisien est très intéressante. Je ne commenterai que deux points:

- la Basilique Saint-Denis est un monument absolument fascinant, de toute beauté mais négligé par les touristes. Il est pourtant très facile de s'y rendre maintenant (un métro y conduit directement). Il est à noter que l'on vient de commencer le remontage de la flèche Nord pour redonner à la Basilique son aspect originel. Mais les travaux devraient durer de très longues années.

- votre séjour parisien confirme mes propos: il est assez facile à Paris de nouer des liens et d'établir des contacts. Pour cela, il suffit principalement de se rendre régulièrement en certains lieux. Le premier sujet de conversation, c'est évidemment Paris mais c'est suffisamment vaste pour n'être jamais ennuyeux.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Oui Nahal Tajadod est une femme remarquable pas seulement comme romancière mais aussi comme historienne des civilisations. L'un de ses livres, "Les porteurs de Lumière" est ainsi absolument fascinant. Il traite du manichéisme et du christianisme qui se sont implantés en Orient (jusqu'en Chine) avant les conquêtes de l'Islam. Le Manichéisme qui s'est également diffusé en Europe. Une histoire prodigieuse dont on ne connaît à peu près rien ici.

Et comme romancière, elle donne évidemment une vision très juste de son pays natal, l'Iran, ce pays dont on n'a, ici, qu'une image caricaturale. Le pays est, en fait, très moderne et quand on s'y rend, le principal agrément est l'extrême facilité avec la quelle on peut nouer des contacts et engager une conversation. Mais il est vrai que les règles de politesse y sont complexes (notamment cette fichue coutume du "taarof" bien évoquée par Nahal Tajadod).

Si vous vous intéressez à l'Iran, je vous conseille de lire son romancier le plus célèbre, Sadegh Hedayat, et notamment son chef d'oeuvre: "La chouette aveugle" (publié en 1936). C'est le livre culte des Iraniens et c'est fascinant.

Quant à Maria Ovsiannikova, j'avoue ne pas l'avoir lue. Ce qui m'étonne un peu, c'est qu'elle n'avait rien d'une contestataire dans sa vie antérieure (il suffit de consulter son compte Instagram). On a l'impression d'un brutal passage à l'acte dans son intervention télévisée.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Il fallait bien y passer. Le Louvre était une destination incontournable. Le lendemain de ma fabuleuse visite à Saint-Denis, je me suis rendu au musée des musées. J’en avais tellement entendu parlé. J’y ai passé une journée, ce qui fut très intéressant. Cependant, je me suis rendu compte, que le Louvre, ce n’était pas un musée que tu visitais seulement; c’était un musée que tu habitais. C’était plus qu’un musée. Impossible de le visiter en une seule journée, même en courant. Surtout pour une personne de mon genre, qui préfère prendre son temps, regarder sous tous les angles, s’imprégner d’un dessin ou d’une toile, faire le tour d’une sculpture, et qui plus est, observer les autres visiteurs. Ce genre d’observation des visiteurs de musées m’a toujours intéressé au plus haut point. Comment les gens regardent? Ceux qui s’arrêtent et qui même s’assoient pour contempler dans l’immobilité de leur silence en fuyant les foules. J’aimais particulièrement les salles vides de visiteurs. Ma décision était prise. J’avais l’intention de revenir l’an prochain pour un autre voyage en Europe, et je me réservais une quinzaines de jours que je consacrerais totalement à Paris.
Le lendemain, je me suis livré à une activité historique dans un marathon de marche. Je suis parti de la rive gauche, j’ai traversé pour me rendre à la Place de la Concorde, pour enfiler à pied, le Boulevard des Champs-Élysées, destination l’Arc de Triomphe, toujours à pied. J’essayais de revivre ce moment unique où de Gaulle descendit à pieds les Champs au milieu des cris et des acclamations en novembre 1944. Toujours imperturbable, tête haute, corps raide, il célébrait à sa manière sa victoire. Accompagné de Winston Churchill, qui saluait la foule en souriant, avec son éternel cigare au coin de sa gueule de Bouledogue, tenant le l’autre main sa cane qu’il soulevait avec au bout son chapeau. J’avais vu le tout dans des vieux films en noire et blanc des actualités de l’époque. Moi, je faisais la marche à l’envers au lieu de descendre, je remontais, et j’imaginais cette foule ivre de joie d’être libéré de la tyrannie. Ce que j’aurais aimé être là! Vivre ces instants uniques. Je fais les choses ainsi, j’imagine mon propre cinéma. Et vous n’aurez pas tort Carmilla, d’affirmer que Richard c’est un grand rêveur. Je vous répondrais que c’est le fruit nourrissant de l’imagination, celui qui fait ce que je suis. Tout comme Churchill j’aurai connu une enfance de solitude, et les jeunes solitaires deviennent très habiles pour imaginer des histoires, et ils leur arrivent même de les vivres, avec une forte tendance à forcer le trait, pour un jour forcer le destin.
Je fus très impressionné par l’Arc de Triomphe, c’était plus massif que je ne l’avais imaginé, imposant, et j’ai traversé la chaussée pour toucher de mes mains cette massive structure. Je n’ai pas manqué de m’arrêter devant la tombe du soldat inconnu, prenant conscience que nous avions une dette énorme envers toutes ces personnes qui se sont sacrifiés pour que nous puissions vivre libres! Il ne faut jamais l’oublier, et aujourd’hui, encore une fois, nous nous retrouvons devant le même défi où il n’est pas question de faiblir, ni de marchander.

Richard a dit…

J’ai quitté à regret l’Arc de Triomphe, pour m’enfoncer dans les rues de ce quartier, question de connaître les environs de ce lieu mythique.  J’ai arpenté plusieurs rues, je suis même passé près du Parc Monceau, loin de moi l’idée qu’un jour je communiquerais avec une personne qui s’appellerait Carmilla. Comment je l’aurais su? Vous n’étiez même pas né, et moi j’avais tant de chose à vivre. À midi je me suis arrêté dans un bistro pour me restaurer. La marche m’avait creusé. Je vivais du bon temps!

En après-midi, je suis parti sur le Boulevard Haussmann. S’il y a quelqu’un qui a changé, pour ne pas dire transformé Paris, c’est bien ce singulier personnage : Georges-Eugène Haussmann, reconnu pas seulement pour son célèbre Boulevard, mais aussi par ses mesures d’hygiènes, ses systèmes d’aqueducs, d’assainissement des eaux usées, en plus de reconfigurer Paris, il l’a nettoyé.

Paris n’a pas toujours été propre, c’est le moindre qu’on puisse dire, à l’époque d’Henri IV, il fallait être vigilent vous ne pas recevoir sur la tête le contenu d’un pot de chambre et bien d’autres choses de pas très ragoûtant.

Au XIXe siècle, la population de la ville augmentait rapidement, et il devenait impératif d’assainir, et dans certaines parties, de démolir et reconstruire. Je voulais passer mon après-midi à admirer ces constructions, marcher sur ce grand Boulevard, je me suis rendu jusqu’au Palais Garnier après j’ai visité les Galeries Lafayette. Je voulais voir ce que c’était : Au Bonheur Des femmes. Je me souviens que je me suis acheté une pipe Saint-Claude, fabrication française, que j’ai parcouru plusieurs ruelles, que j’ai fais le tour des poteaux comme d’habitude, pour redescendre vers la Seine avec escale à La Places des Vosges, car je voulais visiter les appartements où avait habité Victor Hugo. Si on me demandait a quel endroit je voudrais habiter à Paris, je dirais sans hésité : La Place des Vosges. J’avais tellement trouvé l’endroit charmant que j’y suis retourné quelques jours plus tard. J’aimais cette vielle architecture. C’était moi. Juste pour admirer les vieux murs assis sur un banc, un plaisir tout simple, Paris se prête bien à ce genre d’exercice plaisant. Ce que j’ai retenu de l’appartement de Hugo, ce sont ses dessins sur les murs si je me rappelle bien. J’y ai constaté toute la puissance imaginative, toute l’inspiration de ce grand auteur que je n’ai pas relu depuis longtemps. Voilà, ça me donne des idées!

Il n’y a pas à dire, Haussmann avait bien travaillé, Paris prenait son caractère qu’on lui connaît, ce qui nous rapproche de notre époque. Je pense que ce fut une chance inouïe que Paris ne fut pas détruite au cours de la Deuxième Guerre mondiale comme d’autres grandes villes européennes. Hasard de la guerre! Je suis rentré sur les genoux tardivement à la nuit tombée, fatigué mais heureux.

Bonne fin de journée Carmilla et merci de me ramener dans mes souvenirs!

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je pense que Paris a tout de même bien changé depuis votre dernier séjour.

Si je prends pour référence les films des années 70, on constate que les façades des immeubles ne donnent plus cette impression de grisaille mais sont toutes bien propres et bien blanches (grâce à une disposition rendant leur ravalement régulier obligatoire).

Quant à la propreté, il n'y a plus de crottes de chiens dans les rues et les cafés, restaurants, hôtels, commerces, sont soumis à des normes strictes d'hygiène. Et il est devenu interdit de fumer un peu partout.

S'agissant du Louvre, ce n'est plus un musée vieillot et poussiéreux. Il a été considérablement modernisé et s'est ouvert à la marchandisation. Revers de la médaille: l'établissement est submergé: 10 millions de visiteurs annuels soit plus de 25 000 chaque jour. On en est venus à bloquer la fréquentation à 30 000 par jour. Inutile de dire qu'une visite est souvent éprouvante. Approcher la Joconde, la Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace (les 3 oeuvres pour lesquelles viennent, avec leur smartphone, les touristes), ça s'apparente à un parcours du combattant. C'est la même corrida pour les autres grands musées parisiens (Beaubourg et Orsay).

L'Arc de Triomphe a fait aussi l'objet d'importants travaux. Quant à la Place des Vosges et au Quartier du Marais, autrefois délabrés, c'est maintenant le lieu de résidence de la bohême chic. Tous les immeubles ont retrouvé leur splendeur d'antan.

Et que dire des Halles et de la Villette autrefois abandonnés ? Quant aux grands magasins (Galeries Lafayette, Samaritaine), ils cherchent maintenant à épater les touristes étrangers.

Même le Parc Monceau a, je crois, changé. D'abord parce qu'une grande tempête, en décembre 1999, a déraciné de nombreux arbres. Ensuite parce qu'un peu par démagogie, la Mairie a autorisé les visiteurs à marcher sur les pelouses. Résultat: il n'y a quasiment plus de pelouses et ce qui était autrefois un jardin harmonieux s'est transformé, le midi et les week-ends, en un grand terrain de pique-nique et de football sur un triste terrain tout pelé. Heureusement, il subsiste quelques jardiniers de talent qui arrivent à préserver quelques petits ilots.

J'avais enfin oublié de vous préciser qu'il est, pour moi, inconcevable de manger du cheval ou du lapin. Le tabou est aussi fort que pour du chien ou du chat.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Comment ne pas en parler? Éviter sans doute le plus grand sujet qui touche directement la vie parisienne? Paris vous appartient? Certes. Mais Paris appartient à toutes les femmes qui l’habitent. Je dirais que c’est une ville féminine, pas juste du bout des lèvres, mais à outrance. Elles sont partout présentes. Je ne suis peut-être pas une grand séducteur, mais je ne suis pas aveugle.

Après quelques jours, je commençais déjà à avoir mes habitudes. J’avais découvert mon restaurant rue Rivoli. Je rêvais de la place des Vosges. J’ai découvert le Boulevard Saint-Michel qui allait devenir ma rue favorite, parce qu’elle comptait à l’époque plusieurs libraires. Il me fallait résister à l’envie irrésistible d’acheter des tonnes de bouquins. Je n’avais pas envie de noliser un avion pour transporter mes achats au Québec, quoi que cela aurait été une belle folie. Je me voyais arriver à l’aéroport Charles-de-Gaulle avec un camion remplie de livres. Je pense que Air Canada, m’aurait abandonné sur le tarmac.

Ce qui ne gâchait rien, il y avait à l’époque de nombreux bistros sur Saint-Michel. J’aimais tout simplement m’asseoir en terrasse simplement pour voir les femmes passer. Ça défilait continuellement, elles étaient toutes plus ravissantes les unes que les autres. Comment choisir? L’atmosphère était bonne. Jamais je n’aurais imaginé autant de femmes aussi séduisantes, si bien vêtues, mêmes les femmes matures prenaient soin de leur personne, sans oublier ces sourires dévastateurs, sans retenu, sans pudeur, même dans mes imaginations les plus folles je n’aurais pu rêver d’une telle réalité. Je comprenais maintenant toute cette industrie de la mode, du vêtement, du parfum, de la recherche exotique non seulement de la beauté, mais une certaine singularité de l’originalité. Elles ne portaient pas une robe n’importe comment, et se coiffer tenait de l’art.

Elle avait l’air très canaille avec ses salopettes, devant son kiosque à journaux, revues et tabac, d’autant plus qu’elle fumait la pipe, elle criait les nouvelles, pouvait engueuler quelqu’un, parler politique, et lorsque je passais acheter les journaux, ou des revues, je ne manquais jamais de lui offrir de charger sa pipe dans ma blague. On ne manquait pas de piquer une jasette tout en tirant une bouffarde, parsemé de plaisanteries et de fous rires. Elles continuaient de vendre ses journaux, ramassait l’argent, et je n’avais jamais vu quelqu’un compter aussi rapidement. Vous auriez eu une bonne concurrente en chiffre Carmilla! Je ne l’ai jamais vu autrement qu’en salopette, mais elle le portait avec grâce. Elle ne passait pas inaperçue. C’était dépareillé avec ses chandails usés, et ses bottines, mais cela n’affectait en rien sa féminité, elle était aussi femme que toutes les autres, je dirais même plus. Je sentais que c’était une personne libre, qui avait du front tout le tout de la tête, même je dirais que c’était une belle effrontée, qui avait voyagé, qui lisait comme une enragée, elle débordait d’énergie, avec ses yeux bleus perçants, et ses long cheveux indéfinissables entre le blond et le brun. J’aime bien les femmes qui fument le cigare, mais une femme qui fume la pipe c’est assez extraordinaire. Les seules femmes que j’avais vu fumer la pipe, c’était les vieilles indiennes dans le nord. Je les voyais scier leurs bois de chauffage, le pied sur la cordé, la pipe au bec. Il fallait les voir aussi fendre des bûches d’épinettes noires. Ces femmes-là auraient pu faire vêler n’importe quel homme blanc dans un portage!

Richard a dit…

Nous aurions pu vivre une relation amoureuse; mais nous étions trop libres pour cela. Nos contractes demeuraient superficiels et je m’expliquais mal pourquoi, elle œuvrait devant le kiosque au lieu d’être derrière le comptoir. Je lui ai posé la question. Elle m’a répondu à cause du vol à l’étalage. Le kiosque était trop volumineux pour un seul vendeur, et que c’était un endroit très passant. Elle m’a fait un clin d’œil et ma dit : t’en fais pas, un coup de pied dans les couilles ça vous étend un mâle vite fait. Je pense qu’elle avait déjà pratiqué la chose. J’avais compris, j’ai baissé les yeux pour fixer ses bottines, elle n’avait rien manqué, et nous avons éclaté de rire. D’autant plus que mes finances baissaient, et que la saison des flotteurs approchait dans le nord. À l’époque, il fallait traîner notre argent sur nous pour pouvoir voyager et voire aux dépenses courantes. On se servait de chèques de voyages qui étaient acceptés partout dans le monde. Fallait surveiller les cours de l’argent, et ne changer que le strique nécessaire, soit dans des bureaux de change comme Americain Express, ou l’Agence Cook, ou encore dans les banques, jamais dans un restaurant, ni dans quelconque commerce, j’ai vu un américain se faire avoir de plusieurs dizaines de dollars parce qu’il avait changé des dollars américains pour des francs avec un serveur, par un matin avant l’ouverture des banques. Je me suis aperçu que de la chose, lorsque les autres serveurs, l’on traité de beau salaud.

Je regardais la ville, je regardais les filles passer, c‘était la fin de mon voyage, le temps me bousculait, ce n’était pas le temps de s’amouracher. On ne transplante pas une fille au nord de Schefferville, surtout pas une parisienne. En France c’était tel que tel, les français en général ne sont pas un peuple d’émigrants, ils ont beau critiquer et se plaindre continuellement, mais sur le fond, ils savent qu’ils sont très bien en France. Mais si tu allais voyager dans des pays pauvres, attention aux filles qui te souriaient, parce que tu pouvais te faire embobiner. Elles faisaient semblant de tomber amoureuses et partait avec le type, ce qu’elles voulaient ce n’était pas le type, mais c’était de venir s’établir au Canada. Une fois entré au Canada, elle larguait le gars! En Europe à cette époque-là, il fallait se surveiller surtout en Espagne, en Grèce, et plus particulièrement dans le sud de l’Italie, où la pauvreté était grande.

Je ne pense pas que ma canaille d’effrontée se serait livrée à un tel commerce, mais qui sait? Plus que je voyageais, plus je devenais méfiant, pas prudent, mais méfiant. Je n’étais pas paranoïaque, mais je surveillais mes arrières. Je tenais à ma liberté.

Reste que Paris, c’est une ville pour tomber en amour, et on ne choisi pas la manière dont tombe les dés. N’en déplaise à ceux qui pensent que nous maîtrisons toujours et toutes les situations. Tu peux tomber en amour par hasard, et ça peut très bien fonctionner; mais tu peux choisir et te fourvoyer royalement.

Combien de jeunes indiennes couchaient avec de jeunes blancs dans l’espérance de fuir la misère et la violence sur leurs réserves du nord? Des jeunes travailleurs blancs qui travaillaient sur la construction. La chanteuse et compositrice Elisapie Isaac d’origine Inuk a composé une très belle chanson sur ce sujet. Le texte est très touchant et le titre est : Moi, Elsie.  

Richard a dit…

Je ne crois pas que se soit les dieux, les grands manitous, les esprits tortueux qui ont inventé l’amour et qui l’ont perfectionné. Je dirais que se sont les parisiennes. L’amour tel qu’on le connaît est une découverte récente. Et dans ce domaine, les parisiennes sont nettement en avances, elles dominent outrageusement. Je dirais même qu’elles pourraient occuper plus de postes de directions, plus de sièges de ministres et je me demande quand et qui sera la première française Présidente de La République? J’aurais bien vu Christiane Toubira comme Présidente. C’est vrai qu’elle était loin d’être aimée par tout le monde, reste qu’elle était une grande travailleuse, connaissait bien ses dossiers lorsqu’elle était Ministre de la Justice, qu’elle ne craignait personne à l’Assemblée Nationale, et elle était une excellente conférencière. Ses propos étaient toujours clairs et directes. Je me souviens lorsqu’elle défendait son projet de loi sur le mariage gay, elle avait répondu à un député : Monsieur, pour tenir de tels propos, faut vivre dans un Igloo! En plus, elle connaît l’amour, elle a aimé, c’est quand même pas rien. C’était une grande amoureuse. Certes l’amour est un plus pour une femme, cela la rend plus humaine. Elle sait compatir, et cette compassion ce n’est pas de la pitié. Ici on ne parle pas de séduction, mais de justice, de doit et d’égalité. Je les regardais marcher dans la rue, et je les admirais, oui pour leur sensualité, mais encore beaucoup plus pour leur intelligence. L’égalité des chances selon le mérite pour tous. Rien de moins! Je comprends mal que le droit de vote pour les femmes soient arrivés si tard en France. Ce n’est pas tout d’être jolie. Christiane Toubira n’est pas jolie, elle est belle de tout son être, comme on dit chez-nous, elle est belle entre les deux oreilles. Ce clivage que nous n’arrivons à niveler entre les femmes et les hommes m’épuise. Ce n’est ni un débat, ni une lutte, c’est une bataille de fond de ruelle. J,espère toujours que cette situation changera.

Quelques jours plus tard, j’embarquais dans un 747 d’Air Canada, vol 801 pour Montréal. Ce voyage fabuleux n’était qu’une entrée en la matière et j’étais résolu à revenir l’an prochain en avril et de consacrer 15 jours ou plus pour visiter Paris. C’est ce qui sera fait, mais cela c’est une autre histoire.

J’ai retrouvé le Boulevard Saint-Michel, mais je n’ai pas retrouvé le kiosque, ni la canaille fumeuse de pipe. Le kiosque avait disparu et la fille aussi. Il y a des gens comme cela qu’on ne rencontre qu’une fois dans sa vie, qui disparaissent aussi rapidement qu’ils sont apparus dans nos existences. Qui nous laissent un vide après nous avoir marqué, comme si tout cela n’avait jamais existé. Depuis ce temps, j’évite de retourner dans ces lieux qui m’ont rendu heureux.

Léo Ferré a écrit une chanson, intitulée : Richard, où je me suis retrouvé, parce que c’était une question de mélancolie, comme l’évoquait Ferré, une question d’homme, avec des problèmes d’homme.

« HÉ Richard! Un petit dernier pour la route »
Léo Ferré

Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La place des femmes dans chaque société est en effet une question très importante. Ce qui est sûr, c'est que c'est très différent dans chaque pays: être une Française, ça n'a à peu près rien à voir avec être une Allemande ou une Russe ou une Anglaise.

C'est vrai qu'en France, on est dans une culture de la séduction. Et l'homme et la femme ne se considèrent pas comme deux espèces radicalement différentes. L'attention est davantage portée sur ce qui rapproche les hommes et les femmes plutôt que sur ce qui les distingue. C'est l'esprit universaliste. Mais la conséquence paradoxale, c'est que les querelles entre les deux sexes sont d'autant plus vives. C'est vrai que les Françaises sont très exigeantes et doivent être difficiles à vivre.

Mais je ne suis pas comme ça. En Russie et en Ukraine, hommes et femmes vivent un peu chacun de leur côté et n'attendent pas grand chose de l'autre. Il y a un monde des femmes et un monde des hommes, on se fiche un peu la paix les uns les autres. Mais cette relative autonomie s'étend au monde du travail: presque toutes les femmes travaillent. Mais c'est aussi le cas en France.

S'agissant de l'apparence physique, je ne suis pas sûre que les Françaises soient vraiment belles. En revanche, il faut reconnaître que chaque Française sait s'habiller avec goût et élégance (ce qui n'est vraiment pas le cas dans les autres pays). Ca m'étonne même sans cesse et ça me plonge dans des abîmes de perplexité parce que j'ai toujours tendance à en faire trop.

Bien à vous,

Carmilla

dasola a dit…

Bonsoir, merci pour ces photos de bâtiments que je ne connaissais pas et pourtant je suis parisienne. Paris est ma ville mais je suis triste de la voir de plus en plus sale et de plus en plus en travaux. Les travaux de voirie provoquent des bouchons monstres. Là, je parle du nord de Paris. Sinon; certains aménagements urbains sont très laids comme les poubelles métalliques. A part ça, j'adore Paris. Bonne soirée.

Carmilla Le Golem a dit…

Bonjour Dasola,

Chacun porte en soi son petit Paris, personnel et intime.

Pour ce qui me concerne, j'aime beaucoup les musées de la vie romantique et Jean-Jacques Henner ainsi que la maison de Balzac. Il y a aussi la cité des fleurs et la maison des Arts.

La saleté, les travaux, oui... Je sais que les Parisiens râlent beaucoup à ce sujet.

Mais, sans chercher à défendre la mairie actuelle, je ne suis vraiment pas sûre que c'était mieux avant. Et je trouve qu'à force de ne vouloir déplaire à personne, on en vient à manquer singulièrement d'audace en matière de grands projets. Par exemple, le nouveau forum des Halles avec sa canopée jaunasse me déçoit beaucoup.

Mais j'adore également Paris,

Carmilla