samedi 23 septembre 2023

La Femme et le Monstre

 

J'ai toujours aimé les contes. Ils touchent au cœur même des énigmes du Désir et de la Vie.

Petite, j'étais absolument fascinée par Barbe Bleue. L'histoire d'une jeune fille enfermée dans un château par un époux monstrueux qui lui interdit strictement d'ouvrir une porte. Une porte qui donne accès aux crimes de son mari qui a égorgé toutes ses anciennes femmes. Ca m'excitait jusqu'aux tréfonds parce qu'il est évident que, moi aussi, j'aurais transgressé l'interdit. Aucune femme ne se contente du monde tel qu'on le lui présente. Il y a toujours en elle un attrait puissant pour ce qui est interdit, défendu. 


Jusqu'à aujourd'hui, je demeure fortement imprégnée de cette figure inquiétante de Barbe Bleue. Je ne cesse de rêver de mystérieux châteaux gothiques, baignés dans la brume, au fond de vallées profondes. Traversés de longs couloirs conduisant à des cachots souterrains. 

Derrière une porte close (un interdit), il y a toujours quelque chose. Ce quelque chose, c'est le mystère de la Vie. C'est ce que j'ai compris dès mon enfance et j'ai immédiatement su que ce mystère, je serai toujours à sa poursuite. Les portes, je chercherai toujours à les ouvrir.
 

Des Barbes Bleues, il y en a encore beaucoup aujourd'hui. De gros machos, de grosses bêtes, satisfaits d'eux-mêmes, se dépêchant de boucler et tenir en laisse leur épouse. En contrepartie, ils "assurent" et s'affichent exemplaires. Mais pas question qu'on mette le nez dans leurs affaires. Heureusement, les Barbes Bleues commencent à se faire moins nombreux, ils apparaissent aujourd'hui comme des résidus de l'ancien ordre patriarcal.

Et puis, il y avait évidemment les figures du petit chaperon rouge et de l'Ogre. J'en saisissais bien les connotations sexuelles. Je comprenais que les hommes chercheraient à me bouffer. C'est une peur qui continue de me traverser et c'est toujours un peu ce que j'éprouve lorsque je fais l'amour. J'ai le sentiment que l'autre se dit qu'il a fait un bon repas avec moi, qu'il en a bien profité. C'est, pour moi, l'angoisse d'être réduite à néant par la dévoration. 


C'est l'image animale, presque bestiale, du désir. Le peintre Picasso l'illustre bien. On sait aujourd'hui qu'il ne s'encombrait guère de sentimentalisme avec les femmes et qu'il était même brutal et autoritaire, voire cruel et sadique. Aujourd'hui, il risquerait de gros ennuis judiciaires. Sa peinture est d'ailleurs porteuse d'une grande violence. Il aimait à se présenter comme un Minotaure, cette  bête monstrueuse, tapie au fond d'un labyrinthe, qui se nourrissait de jeunes garçons et de jeunes filles. Ca en dit long sur la personnalité du bonhomme dont la peinture me réfrigère personnellement. Plus misogyne que Picasso, il n'y a pas et je remercie Michel Houellebecq de l'avoir, enfin, récemment signalé.


Les ogres, ils sont très répandus. Ils sont plus que des dragueurs compulsifs, simplement soucieux de se constituer un tableau de chasse, de se rassurer sur leur identité. Ils sont manipulateurs, enjôleurs. Ils veulent d'abord vous bouffer physiquement: au lit, ils vous en font voir de toutes les couleurs, ils aiment bien vous humilier surtout si vous êtes jeune et fraîche. Mais avant toute chose, les ogres veulent vous bouffer mentalement, vous éprouver sous leur complète dépendance affective et intellectuelle. 


On n'est plus dans l'enfermement physique mais dans l'enfermement psychologique. C'est ce qu'a décrit Vanessa Springora dans son célèbre bouquin, "Le consentement", à propos de sa relation avec l'ogre Matzneff. Ce dernier savait jouer de sa supposée supériorité intellectuelle pour lui imposer tous ses goûts et tous ses points de vue. Les ogres, ils se comportent, vis-à-vis d'une jeune femme, comme un instituteur, un instituteur immoral certes, mais un instituteur à l'autorité inflexible qui exige que l'on adopte sa vision du monde. 


Des ogres mentaux, j'en ai, bien sûr, rencontré mais ça n'a jamais duré. Le meilleur antidote: ne jamais se faire battre intellectuellement, ne jamais laisser l'autre occuper tout le terrain. La suffisance des ogres est généralement à proportion de leurs insuffisances. S'affirmer donc d'abord soi-même en détectant les défauts de sa cuirasse, toute la masse de ses ignorances, et en l'attaquant tout de suite à ce sujet. Faire valoir, ensuite, ses propres points forts. Evidemment, c'est plus facile quand on n'est plus une gamine et qu'on a déjà une certaine maturité.


Les Barbes Bleues et les Ogres, deux modèles virils qui demeurent répandus, ça m'a fait comprendre qu'en dépit de tous les propos lénifiants tenus aujourd'hui, il y a bien un combat, une guerre, entre les sexes et que toute jeune fille doit s'y préparer.


Mais dans la guerre des sexes, les femmes détiennent, malgré tout, une supériorité évidente. Parce que, de  la Vie, les femmes en savent quelque chose...., bien plus que les hommes, en tous cas. Tout simplement parce que c'est à elles qu'est échu ce privilège extraordinaire de l'enfantement. 

"Le monde appartient aux femmes", dit-on. Une réalité incontournable qui repose sur un pouvoir de vie inséparable du pouvoir de Mort. 


Mais c'est aussi un pouvoir terrible parce que la Vie, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire, ça n'a rien de simple. La Vie, c'est au contraire, à ses débuts, effroyablement compliqué, indéchiffrable, indémêlable. Quand elle jaillit brutalement, c'est un grand Chaos protéiforme et indifférencié dont émergera plus tard, à force de discipline et d'éducation, un être humain.


La Vie est d'abord monstrueuse et criminelle. Enfanter, c'est, initialement, accoucher d'un Monstre. Et c'est pour cette raison que les femmes vivent cette dépression du post-partum. C'est une espèce de culpabilité qui les envahit: "Qu'ai-je fait là ? Qu'est-ce qui m'a pris ? Pourquoi est-ce que je viens de livrer à un monde voué au Mal un individu supplémentaire ? De quelles horreurs, de quels forfaits, ce gosse se rendra-t-il coupable ? Ca ne s'arrêtera donc jamais cette folie de l'existence ?"


J'ai déjà exprimé mon admiration pour l'écrivaine britannique Mary Shelley. On a tous entendu parler de son célèbre bouquin "Frankenstein" mais presque personne ne l'a vraiment lu. On le réduit à une espèce de guignolade mettant en garde contre l'esprit démiurgique des savants.


Mais Frankenstein est aussi un livre monstre esquissé une première fois  en 1816, à Genève, par une jeune fille de 19 ans. Dans un contexte presque dramatique: 

- celui d'abord du sentiment d'une apocalypse climatique exactement inverse à celle d'aujourd'hui.1816 a été qualifiée , d'"année sans été" en raison de pluies torrentielles et d'un froid automnal (on sait aujourd'hui que c'était la conséquence de l'explosion d'un volcan indonésien).


- et puis la jeune Mary Shelley état en situation de fuite, de fuite éperdue à travers toute l'Europe, en compagnie du poète déjà très célèbre, Percy Shelley, dont elle était tombée follement amoureuse. Elle avait littéralement "largué les amarres", rompu avec son pays, sa famille, son passé, alors qu'elle avait une vie plutôt privilégiée.


Mais tout se passera mal ensuite et la vie de Mary Shelley sera continuellement marquée par le chagrin et les morts tragiques: la rupture avec ses parents pourtant très modernes, la mort prématurée de trois de ses enfants, le suicide par noyade de l'épouse de Percy Shelley et enfin le décès accidentel, dans un naufrage en mer, de Percy Shelley lui-même. Toute une suite de drames et de catastrophes. Elle-même vivra ensuite longuement handicapée par une lourde maladie (probablement une tumeur au cerveau d'évolution lente).


L'horreur de la vie, Mary Shelley l'a donc particulièrement éprouvée. Et c'est sans doute à partir de cette expérience dramatique qu'il faut comprendre son Frankenstein. Il est la métaphore de son existence. Dans la catastrophe de sa vie, elle donne naissance, par  une écriture salvatrice, à un monstre, un livre-monstre. Son épouvantable enfant qui traversera les siècles. 


Frankenstein est évidemment horrible. Il est un monstre vengeur et destructeur mais il n'est pas, non plus, que cela: il peut aussi, parfois, se montrer doux et aimant. A vrai dire, Frankenstein se comporte comme un véritable enfant. Il est fondamentalement violent mais il peut, peut-être, être éduqué. C'est du moins ce que veut faire entendre Mary Shelley qui exprime une véritable amitié pour lui. Le monstre, ce n'est pas un étranger radical, c'est quelqu'un qui m'est proche, c'est éventuellement mon enfant, un être humain perfectible.


C'est l'affinité, la complicité, des femmes avec les monstres, qui est ici pointée. Elles sont généralement plus tolérantes, plus bienveillantes, que les hommes parce qu'elles connaissent l'horreur du surgissement de la vie et qu'elles sont d'emblée confrontées à de petits Frankenstein, des petits monstres violents, tyranniques et apparemment inéducables.


Il y a une affinité presque "naturelle" des femmes avec le Chaos et le monstrueux tout simplement parce que ce sont elles qui donnent la vie. Et elles demeurent fascinées par cela toute leur vie. Le crime, l'anarchie, la beauté sauvage, c'est ce qui les émeut profondément. Les bouquins des sœurs Brontë en portent témoignage.


Ce sont les réflexions que je me faisais après avoir vu le remarquable film de Catherine Breillat: "L'été dernier". Une bourgeoise aux abords de la cinquantaine, très construite, très forte, qui, sous une impulsion subite, couche avec son beau-fils de 17 ans, un ado moyen buté, borné. C'est un film qui, comme il fallait s'y attendre, a indigné Christine Angot.


Même si je n'ai aucune attirance pour les jeunes garçons (ça viendra peut-être avec l'âge), je comprends tout à fait ça. Ca, c'est à dire cette fascination primitive qu'éprouve toute femme pour le monstrueux.


C'est aussi un peu l'amour de la Belle et de la Bête. Aucun être vivant n'est absolument repoussant. Chaque femme porte en elle une espèce de compassion primitive. Le monstre affreux est d'abord attendrissant. Il devient, petit à petit, attirant, séduisant.


Ca rejoint l'attrait bien connu des mauvais garçons, des voyous, voire des grands criminels, sur les femmes. Ce sont les visiteuses de prison et toutes celles qui entretiennent des correspondances suivies avec des meurtriers (le tueur en série Guy Georges, qui avait la haine des jeunes filles parisiennes, reçoit ainsi de nombreux courriers). Et il ne s'agit pas de pauvres filles. A l'inverse, je ne crois pas qu'une seule femme incarcérée reçoive une seule lettre d'un "admirateur".


Plus simplement, les types détestables, odieux, irresponsables, ont leurs chances auprès des femmes. Je suis ainsi en train de lire le dernier bouquin d'Eva Ionesco et c'en est une éclatante démonstration. Elle parle de celui qui fut son mari, Simon Liberati. Simon Liberati qui est au nombre des très bons écrivains français ("La nouvelle Justine", "Apparitions"). Mais alors quel type épouvantable ! Violent, cogneur, alcoolique, toxicomane,  facho, exclusivement centré sur lui-même. Evidemment, on pourra disserter sur le parcours de vie d'Eva Ionesco: d'une mère maltraitante à un mari maltraitant ! Mais c'est évidemment bien plus compliqué que ça.


Quelle sombre satisfaction une femme peut-elle retirer de la vie en Enfer que lui fait vivre un type dingue ? Il y a vraiment, je crois, cette profond fascination pour la violence primitive antérieure à toute civilisation. Les femmes ne veulent pas rétablir l'ordre en éliminant les monstres, elles sont portées par l'espoir de les pacifier, d'extraire le meilleur d'eux-mêmes. Les anormaux, les déviants, les malades, elles cherchent d'abord à les accueillir.


A l'inverse, la majorité des hommes sont épris d'ordre et de normalité. De leurs origines, du Chaos initial dont ils sont issus, ils n'ont absolument rien à fiche. Les monstres, il faut donc s'en débarrasser, les exterminer.



Et ça a été effectivement la première étape de la civilisation occidentale. Ce fut la victoire d'Athènes et de la pensée grecque sur les ténèbres de la Crète. Un héros, Thésée, a triomphé d'un monstre sanguinaire, terré au fond d'un labyrinthe, le Minotaure.


Tuer le monstre, ce fut la fin de l'arbitraire et de l'anarchie et, surtout, le début d'un ordre politique stable gouverné par la Raison. La naissance de la société "moderne", normale, efficace, pacifiée car débarrassée de ses criminels et de ses déviants grâce à tous ses grands lieux d'enfermement et sa surveillance généralisée. Ce fut d'abord "La République" et ça trouve aujourd'hui son point culminant avec la Philosophie des Lumières et sa volonté de possession et de maîtrise de la Nature. 


Images de: Heinrich FUSSLI, Pablo PICASSO, Gustave DORE, John William WATERHOUSE, Edvard MUNCH, Jérôme BOSCH, William BLAKE, Odilon REDON, Franz Von STUCK, Gustave MOREAU, Paolo UCCELO. Photographie de la villa Diodatti où a été esquissé "Frankenstein".

Mes conseils:

- Lisez d'abord ou relisez Frankenstein. Vous découvrirez que c'est bien plus complexe qu'on ne le croit.

- Un livre de l'écrivaine néerlandaise Anne EEKHOUT: "Mary" vient de sortir chez Gallimard. Il est consacré à Mary Shelley et la rédaction de Frankenstein. Son survol rapide ne m'a malheureusement pas convaincue.

- Gilbert LASCAULT : "Le monstre dans l'Art occidental". Sûrement difficile à trouver mais c'est une référence.

- Pierre PEJU: "Métamorphoses de la jeune fille". Un romancier ("la petite Chartreuse", "Le rire de l'ogre") mais aussi un philosophe et essayiste, excellent connaisseur de la culture allemande (une biographie passionnante de Hoffman). C'est toujours très clair et sans jargon. Ce dernier livre est complétement "inactuel" dans son propos mais d'autant plus remarquable, 

- Eva IONESCO: "La bague au doigt". Eva Ionesco, c'est détonnant, flamboyant. Bien loin des jérémiades féministes actuelles. Il faut au moins avoir lu "Innocence" et vu "My little Princess". Son dernier bouquin est aussi un livre-monstre. Evidemment, c'est long et suffocant : 500 pages. Mais c'est à lire à toute allure.

8 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Esclave libératrice!

Si j’ai bien compris vos propos, les femmes seraient des esclaves libératrices, à la recherche de cette forme de fuite en avant afin de rendre meilleur tous ces brutes aliénés, que l’on nomme : homme. Fascination pour des êtres déséquilibrés qui leur en font voir de toutes les couleurs, et le pire, c’est qu’elles en redemandent, au point de s’agenouiller devant une porte fermée. J’en suis rendu au refus de me laisser entraîner dans des confidences dont je connais le scénario par coeur, et qui ne les soulageront pas. Au contraire, elles vont en redemander, elles vont y retourner, et toujours plus profondément dans la violence comme si la souffrance au point même d’y laisser leur peau! Je ne suis pas surpris que cela a donné une certaine littérature qui me laisse froid. Vous avez évoquez le mari d’Iva Ionesco, que qui me rappel Charles Bukovski, qui était le parfait cogneur, une brute craintive, un animal dangereux et un parfait alcoolique, et plus sa notoriété augmentait en Amérique, plus les femmes rêvaient de cet horreur sur pattes. Mais ce n’est pas Bukovski, ni Simon Liberati, que j’accuse, c’est toutes celles qui leurs courent après. Qui cherchent comme vous le dites si bien à sauver le monde. Il y aurait, par la même occasion, un genre de servitude volontaire, un à-plat-ventrisme désolant, qu’un beau matin tu les retrouves devant ta porte avec un œil au beurre noir et une dent en moins. Et lorsque tu les places devant leurs conneries, elles se fâchent; mais elles ne se fâcheront jamais devant leur tortionnaire. Elles se croient femmes libérés mais elles entretiennent leurs illusions salvatrices de leurs états miséreux. Ce genre de misère humaine m’horripile! Ils y a des personnes comme cela qui désirent sauver le monde, mais elles oublient, ou bien, ne veulent pas reconnaître, « qu’on ne sauve pas quelqu’un contre son gré ». Est-ce un manque de lucidité? Certaines vont même entretenir une double vie, une famille d’un côté, et un amant violent, égoïste et cruel de l’autre. J’en connais de ces femmes libérées qui nagent dans ces marécages. Je n’ai aucune envie, ni désir, de les prendre en pité. Il y a des situations désespérantes qu’il vaut mieux ne pas prendre en considération. Le cas de Linda King est un patent de sa relation tumultueuse avec Bukovski. Elle s’est fait cogner rudement! Pourtant, elle est revenue un nombre incalculable de fois vers son amant foireux. Comment ne pas qualifier le tout d’irrécupérable? Oui, il y a des gens comme cela, d’une nature irrécupérable, que l’on dirait bien ancré dans leur nature. Ils sont ainsi, et, pas autrement, et ce fut de toutes les époques, pire, cela se poursuit aujourd’hui. Tous les psychiatres de ce monde n’arrivent pas à juguler cet état de fait. Ils constatent, mais ne guérissent rien. Il ne reste peut-être qu’une solution, l’éloignement, mettent de la distance, beaucoup de kilomètre face à ces genres de personnages toxiques, au pire une fuite éperdue à bout de souffle, surtout pour ne plus revenir.

Je sais, nous avons des réflexions différentes sur ce sujet, mais votre texte demeure très éclairant!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

La Vie, vous en conviendrez peut-être, est tout sauf simple et paisible.

Notre façade polie et civilisée dissimule, tant bien que mal, la violence, le crime et la mort. C'est pour conjurer cette anarchie primitive que se sont constituées les sociétés.

Mais, que ça plaise ou non, la violence, elle est d'abord le fait, à une majorité écrasante, des hommes. Dans tous les pays du monde, plus de 90% de la population carcérale est constituée d'hommes. Il est d'ailleurs curieux qu'on l'évoque si rarement mais les crimes, les infractions, les délits, c'est tout de même rarement le fait des femmes.

Il faut donc bien le reconnaître: la pacification d'une société, l'amélioration du vivre ensemble, ça repose donc d'abord sur une meilleure éducation des hommes. Faire comprendre ça, c'est le sens de mon féminisme.

Par ailleurs, pour régler le problème de la violence dans les sociétés, hommes et femmes ont, généralement, des attitudes divergentes. Les hommes ont une attitude plus répressive: les anormaux, les déviants, les monstres, ils cherchent à les mettre à l'écart, voire à les éliminer, en les plaçant, les enfermant, dans des institutions: prisons, maisons de retraite, établissements psychiatriques... Moins on entend parler de ces gens, mieux on se porte.

Le fait est que les femmes ont une attitude beaucoup plus compatissante, moins répressive, vis-à-vis des anormaux, des délinquants, des déviants. C'est vrai même qu'elles éprouvent une espèce de fascination pour les marginaux d'une société. Sans doute est-ce lié à leur connaissance plus intime de ce qu'est le Chaos de la vie.

Cela se retrouve souvent aussi dans leurs choix amoureux. Un homme est surtout séduit par les côtés conventionnels d'une femme (son apparence décorative, ses qualités domestiques). A l'inverse, un homme conventionnel, ça n'est vraiment pas ce que recherche une femme. C'est plutôt d'abord l'originalité et la déviance. Quitte à se brûler les ailes.

Vous semblez juger condamnable cette attitude. Mais ne témoigne-t-elle pas d'une véritable humanité et générosité ? Aimer son prochain comme soi-même, quoi qu'il fasse et quel qu'il soit, c'est tout de même une sacrée leçon.

En espérant m'être mieux fait comprendre,

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

J’en conviens, la vie n’est pas simple, ni paisible; mais ce n’est pas une raison pour la rendre encore pire. Provoquer des malheurs, c’est une descente en spirale vers des souffrances inutiles. Pourquoi, on s’en tiendrait à cela? Est-ce que notre société ne pourrait se résumer qu’à une fragile façade, pour cacher, afin de dissimuler nos violences, nos crimes et nos morts? Nos sociétés, dans ce cas, m’auraient pas atteint leurs buts. Ou bien, est-ce que nous nous plaisons à soigner nos malheurs, qui semblent plus intéressants, que toutes autres manières de vivre?

Paradoxalement, les hommes remplissent les prisons, mais ce 90% existe d’après la proportion des femmes, pas sur l’ensemble d’une population d’un pays. Même si cela nous dérange, il y aura toujours des prisons, parce qu’il y a des personnes qui ne peuvent vivent en société, elles sont dangereuses, non seulement pour les autres, mais aussi pour elle-même. Et, il est remarquable de constater que ce nombre varie d’un pays à l’autre, et nous pouvons prendre en compte des pays comme les USA, La Russie, La Chine. Ce qui en dit long sur les traits de certaines sociétés répressives.

De l’éducation, j’en ai toujours été, c’est et cela reste, la meilleure manière d’améliorer l’individu, et nous ne pouvons pas la faire du bout des lèvres, il faut pour cela une grande implication. C’est là que la famille prend tout son sens, c’est dans ce milieu que se forme les premières impressions, et qu’on assis les fondements des fonctionnements des individus. Naître dans une famille dysfonctionnelle, c’est partir en retard dans sa vie.

Nous devrions tous un jour ou l’autre visiter des lieux carcérales, des établissements psychiatriques, ne pas cacher l’inavouable, surtout ne pas masquer la réalité. Ce n’est pas parce que tu pousses la poussière sous le tapis que la maison est propre et que ta conscience est tranquille.

Les femmes ont des attitudes plus compatissantes? Que dire de la femme qui abandonne son bébé? L’égoïsme n’est pas juste l’apanage de l’homme. Je dirais même que l’égoïsme n’a pas de sexe.

Serions-nous en manque de déviants? Préfère-t-on se brûler les ailes? La vie ne serait intéressante que par sa misère. Je ne parle pas de difficulté, mais de misère, et encore pire, de misère provoquée et supposément acceptée. Est-ce que cela ressemble à de l’abrutissement? Être le témoin de ces nombreux naufrages humains, me rend méfiant. Comment s’engager lorsque tu constates toutes ses aberrations à répétitions comme si nous n’avions rien appris? Comment pardonner lorsque les bêtises se répètent? Il y a le pardon; mais il y a aussi l’impardonnable. Faut pas être naïf! Comment un être humain peut se complaire dans ces situations bancales? Voilà ce que je n’arrive pas à expliquer devant ce déferlement de bêtises. Juger est une chose, pardonner en est une autre, et le jugement rencontre rarement le pardon.

Merci pour votre commentaire intéressant. Malgré nos incapacités et nos impuissances, ces réflexions demeurent incontournables.
Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Chaque société est, à sa manière, "normalisatrice" et produit, dans le même temps, ses "déviants".

Les choses évoluent, en outre, sensiblement dans le temps et diffèrent selon les espaces géographiques. Les pédophiles, les pervers narcissiques, les incestueux, les harceleurs, les tueurs en série, sont ainsi devenus les nouvelles figures du Mal dans les sociétés occidentales. A l'inverse, une plus grande tolérance est affichée envers les homosexuels et les transgenres.

La force et l'attrait des sociétés occidentales, c'est qu'elles laissent entendre que "tout y est permis". Mais ce n'est pas vrai: aucune société n'est entièrement libérale. D'abord, on déplace simplement progressivement le curseur des interdits. Et puis, à l'Ouest, on promeut un idéal du bonheur ravageur: être beau, jeune et riche. Quand on ne rentre pas dans ces catégories, qu'on est vieux, moche et pauvre, c'est la grande détresse, morale et financière, assurée.

La question est, finalement, celle de la prise en charge non seulement des déviants mais aussi de tous ceux qui sont un peu "à côté de la plaque" des idéaux sociaux. Les déviants, ils sont, en fait, innombrables en Occident. Une apparence disgracieuse, ça suffit à faire de vous quelqu'un d'"en dehors des clous". Les monstres, ils se sont en fait multipliés dans nos sociétés que l'on croit "éclairées". Mais on ne veut surtout pas leur ouvrir la porte.

Il y a alors la répression dure, celle de l'enfermement (les vieux, les malades, les pervers et les criminels) et la répression molle, celle de l'injonction morale (fais quelque chose, ne te laisse pas aller).

Je crois quand même beaucoup à la compassion. C'est un peu lié à mon histoire. Je n'ose songer à ce que serait ma vie si j'étais pauvre, bête et moche. Probablement une prostituée, droguée et délinquante. Mais je suis d'accord avec vous, la compassion n'est pas le seul apanage des femmes.

Et puis, il y a aussi la guerre en Ukraine: toutes les normes morales et tous les idéaux sociaux viennent d'y exploser. Cela démontre leur caractère relatif. C'est effrayant aussi parce que certains y trouvent plaisir.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Monstre et compassion dans un monde voué au mal?

Serions-nous tous des monstres en devenir? Est-ce que ce monde est voué irrémédiablement au mal? Question très intéressante pour un type de ma nature, qui a passé la majeure partie de son existence en dehors des clous, à côté de la plaque. Je n’ai rien fait comme les autres, et pourtant, je ne suis pas devenu un monstre, du moins, je ne le crois pas. Je n’ai jamais été beau, jeune et riche. Je n’étais pas preneur pour cet arrangement sociologique. Les sociétés de consommations tentent de nous emberlificoter en nous incitant à croire, que sans ces genres de mirages, la vie ne vaut pas la peine d’être vécu. Tout cela est très relatif. Vous avez raison à ce sujet, cela démontre un caractère relatif. Je ne crois pas trop au bonheur, mais je crois mordicus à la plénitude qui est beaucoup plus exigeante. Faut pas se laisser galvauder par les vendeurs du temple, les marchands de poussière, les prédicateurs d’espérances. Je veux bien comprendre que nos sociétés ont besoin de certaines formes d’économie pour fonctionner, mais nous ne sommes pas obligés de nous agenouiller devant les mirages qu’on agitent comme des incontournables et des indispensables. J’ose croire que vous valons mieux que ce triste cinéma. Cela ressemble a un genre de façade que vous avez évoqué.

Un enfant qui naît, n’est qu’un être neuf, lancé dans la vie, et nous ne pouvons pas présumer ce qu’il deviendra. Vous me surprenez Carmilla, d’une part vous êtes du côté de la vie, vous souhaitez même être immortelle; et d’autre part, vous parlez souvent de monstres, d’une société dure, difficile comme si donner la vie serait une faute genre invitation à lancer un être dans l’horreur. Vous craigniez d’être bouffé par les hommes, d’être réduite à néant. Je pensais que c’était vous qui mettiez les hommes aux tapis, que vous étiez loin d’une complète dépendance affective. Mais, pourquoi les relations hommes/femmes se résumeraient-elles à la concurrence et à l’affrontement? C’est un paradoxe intéressant chez-vous. Que fait-on de la complétude? Nous vivons dans le meilleur des mondes qui sont remplis de monstres efficaces. Faudrait-il se contenter de cette guerre perpétuelle entre les sexes? Nous pouvons même, à ce chapitre, nous demander si nous avons un avenir? Vous êtes côté de la vie, mais obsédée par la mort. Pendant que nous sommes vivants, nous pourrions oublier la mort et se contenter de vivre tout simplement.

Avec tous les moyens de contraception dont nous disposons, tous nos enfants devraient être désirés, en principe. Je peux comprendre que mettre un enfant au monde (pas un monstre), c’est une expérience traumatisante, avec tous ces bouleversements physiques, sans oublier psychologiques. C’est loin d’être la joie lorsqu’une femmes sombre dans une dépression post-partum, cela peut même conduire au suicide. La maternité c’est comme le mariage, ce n’est pas fait pour tous le monde. Je tiens à vous rassurer Carmilla; la folie de l’existence prend fin avec la mort. Comme le pire n’est jamais certain, alors je vais continuer à vivre!

Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Paul a dit…

Bonsoir Carmilla, il y a de fameux articles ici depuis, disons tout l'été ou est-ce moi qui me suis habitué là où je n'avais pas mis les pieds depuis le printemps. Parfois il n'y a même plus une seule porte ouverte à enfoncer ou une banalité à escamoter. Peut-être est-ce de saison, moins de politique moins de macroéconomie (plus ou moins votre marotte crois-je savoir de mes lectures saisonnières), et nouveauté des nouveautés, plus de vous-mêmes. Bon, je retourne lire votre trucs de l'été, Caen là, vraiment super surtout le bref portrait de votre amie..
À bientôt,

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il ne s'agit pas seulement de la guerre des sexes. Il s'agit de la guerre de l'ensemble des individus entre eux. La guerre de tous contre tous, l'hostilité fondamentale de l'homme pour son semblable.

Ce n'est bien sûr pas une de mes élucubrations. C'est d'abord la vision du Christianisme avec le péché originel. Ca a aussi été théorisé par Hobbes, Schopenhauer, Nietzsche, etc...

La dialectique du maître et de l'esclave de Hegel (le désir est désir de reconnaissance) m'apparaît aussi très convaincante.

Mais c'est surtout Freud qui exprime la vision la plus noire de l'humanité.

Et ce qui m'intéresse en lui, c'est qu'en dépit de ce pessimisme profond, il menait une vie bourgeoise et parfaitement rangée. Il était visiblement irréprochable: bon père, bon époux, très sociable, cultivant amitiés et relations.

De sa vie, je retire une leçon: la lucidité (l'absence d'illusions sur l'homme) rend plus tolérant.

C'est exactement le contraire que l'on promeut dans nos sociétés. On vit dans l'angélisme, on considère d'emblée que tout le monde est bon et gentil et qu'il n'existe que quelques vilains et méchants.

Résultat: on est sans pitié pour le plus petit défaut des autres et on éjecte tous ceux qui ne sont pas exactement comme nous. On est, paradoxalement, beaucoup plus intolérants.

Personnellement, le combat, la nécessaire affirmation de soi, j'essaie donc de les assumer. Mais ça permet aussi d'éprouver davantage de compassion pour l'autre. On est frères et soeurs dans le Mal.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Paul,

Venant de vous, lecteur à la plume acérée, l'appréciation me flatte.

Pas facile de sortir des lieux communs et opinions toutes faites. J'essaie néanmoins de les éviter d'autant qu'en effet, je relève, dans ma vie professionnelle, d'un monde ultra normalisé. Il y aurait, toutefois, beaucoup à dire sur la folie des chiffres qui m'habite.

Mon blog, c'est donc, en effet, un peu l'envers de ma vie officielle.

Quant à vous, vous avez une qualité certaine d'écriture que, j'espère, vous développez par ailleurs.

Bien à vous,

Carmilla