En
France, on nous bassine continuellement avec l’esprit républicain. On a fait la
Révolution et on aurait, plus que d’autres, la passion de l’égalité.
Quelle
plaisanterie ! Cette ritournelle a surtout pour fonction d’occulter ce que
tout le monde tait : la société est profondément stratifiée, divisée.
Il
n’y a pas, comme dans nombre de pays européens, une grande classe moyenne
presque uniforme mais des groupes sociaux antagonistes. La lutte des classes,
ça demeure, en France, une réalité très forte et c’est fait de haines
réciproques.
Ca
ne se joue d’ailleurs pas tellement sur le plan économique. Le véritable
pouvoir, il est symbolique et on le conquiert par sa position sociale. Et c’est
vrai qu’en France, on vous lit, on vous évalue et on vous respecte en fonction
de votre situation professionnelle.
C’est
d’autant plus exorbitant que la compétition n’est pas complètement
ouverte : il y a une hiérarchie, presque de droit divin, fondée sur le
diplôme. C’est très bien cadenassé, verrouillé : une fois que vous avez eu
le bon concours, vous êtes tranquille jusqu’à la fin de vos jours même si vous
vous révélez incapable.
Ca
peut sembler abstrait mais je me souviens toujours de mon immense étonnement
quand j’avais pris mon premier poste après être sortie, miraculeusement, de ce
que l’on appelle une grande école. J’étais à moitié punk auparavant et tout
d’un coup, j’ai eu le sentiment que le regard des autres sur moi avait changé.
Je
pouvais même croire que j’étais devenue quelqu’un d’extraordinaire tellement on
me cirait les pompes et tellement on m’était attentif. Je n’ose même pas parler
des privilèges annexes exorbitants, en particulier l’emploi à vie sur de bons
postes, dans le public ou le privé, grâce au réseau des « copains »
de promo ou d’école. C’est facile de se laisser griser et de diverger
complètement. On vit entre soi et surtout on ne se mélange pas avec les autres :
la plus grande transgression, c’est d’entamer une relation affective avec
quelqu’un qui n’est pas du même milieu.
C’est
comme ça que l’esprit monarchiste perdure en France avec un système qui
favorise l’éclosion de petites castes qui accaparent le pouvoir. Il y a plein
de petits marquis, promus par la grâce d’un diplôme ou d’un concours, qui
dispensent leur morgue, en toute impunité, dans les entreprises, dans les
administrations.
L’arrogance
des dominants est d’autant plus insupportable qu’elle repose sur une parfaite
bonne conscience : on est issus de la méritocratie républicaine. Tu
parles ! On a simplement adopté quelques réflexes de pensée et on sait
débiter le catalogue des idées reçues de la vulgate politico-médiatique. Parce
qu’il faut bien le dire, « les élites » en France sont incultes, d’un
incroyable conformisme et d’un ennui désespérant. Elles n’ont pour objectif que
de faire régner l’ordre et la morale.
Ce
système d’oppression feutrée a quand
même son revers : la violence symbolique exercée suscite la haine de tous
ceux, innombrables, qui se sentent de l’autre côté de la barrière. J’ai
toujours été impressionnée par la tension des relations sociales en
France : derrière une politesse de façade, on vous déteste cordialement.
Ca n’est pas non plus facile à vivre parce qu’on se sent parfois très seule. Je
ne sais pas d’ailleurs si c’est de la révolte ou plutôt une effroyable envie ou
jalousie. Difficile en tous cas, voire impossible, d’abolir les frontières.
Tableaux
du peintre et compositeur futuriste italien, Luigi RUSSOLO (1885-1947)
2 commentaires:
Superbes illus du peintre R. que je connaissais un peu (expo futurisme)et joli point d'envol pour une critique acidulée de la société française; ce conformisme qui la fossilise ne serait-il que le fait des "élites" ? mot bien vague au sens large , fort employé en ce moment ;les autres nations européennes ne sont-elles pas aussi bloquées ? ce que j'aime , chez vous, chère Vampire, c'est la variété de couleurs de la provocation ! je vais aussi revoir le manifeste du futurisme , grand merci à Vous . Lola
Ah oui, Lola !
C'est vrai que le futurisme italien a produit de très belles oeuvres, malheureusement pas aussi connues qu'elles le mériteraient.
Sinon, je crois en effet que la société française est fortement hiérarchisée dans ses mentalités; pour ce que je connais, ça me semble plus fort qu'ailleurs.
C'est vrai enfin que je suis éclectique. Je n'aime pas la monomanie. Mais je suis sans doute aussi superficielle. Mais ça, je le revendique.
Carmilla
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