samedi 6 mars 2021

Le jeu, l'enfance, le défi

 

De mon travail, je parle le moins possible à mon entourage.

D'abord parce que je trouve ça très triste les gens qui ne savent parler que de leur boulot et puis, pour ce qui me concerne, ça reviendrait un peu à essayer de parler de couleurs à des aveugles, comme le dit ma copine Daria.


 D'ailleurs, en général, on me plaint beaucoup. Qu'est-ce que ça doit être ennuyeux de passer ses journées dans des tableaux de chiffres !

Je ne dis rien, je n'ose pas raconter que ça m'excite beaucoup au contraire et même presque sensuellement. Que la gestion financière, c'est d'abord pour moi un formidable jeu qui me permet de renouer avec l'exaltation de l'enfance. Mes affreux tableaux ? Il y a d'abord le plaisir, pour moi, de parvenir à comprendre rapidement, à partir de quelques chiffres, ce qui se passe quelque part, dans une entreprise en l'occurrence. Quand on a réussi à décrypter les messages diffusés par les chiffres, c'est une véritable révélation. On est, alors, comme des gosses qui viennent de casser un code secret.


 Et puis après, il y a le plaisir de s'amuser à recomposer les choses, d'ajuster, de comprimer d'un côté, de gonfler de l'autre, de tirer des plans sur la comète pour un avenir radieux. Là aussi, on retrouve la ferveur de l'enfant confronté à de multiples choix de vie et à qui tout le champ des possibles est ouvert.

Au boulot, je me sens donc une gamine qui s'amuse. C'est l'essence de la passion pour les chiffres, c'est l'instinct démiurgique que nous avons tous en commun et qui nous pousse à refaire sans cesse le monde. 

 Exercer son travail comme un jeu, je me dis, finalement, que c'est une grande chance. Parce que je suis convaincue que le jeu n'est pas un simple dérivatif qui permettrait d'échapper, momentanément, à l'ennui de la vie. 

C'est exactement le contraire : c'est le jeu qui est plutôt la pulsation même de la vie; et c'est le monde du travail et la morne quotidienneté qui viendraient se greffer sur ce grand jeu universel et l'interrompre. 


 J'ai compris ça en observant les groupes de chiens qui se retrouvent, tous les matins, au Parc Monceau. Ils passent leur temps à jouer ensemble et on les sent emplis de joie. L'animalité, ça ne se réduit donc pas à des comportements stéréotypés mais ça peut aussi être un débordement allègre et continu des limites et des contraintes. 

 Je parle ici bien sûr du jeu comme re-création, recomposition du monde et non du jeu hasard, chance.

Le jeu magique, ça m'a en fait toujours turlupinée. L'un des premiers jouets réclamé à mes parents, ça a été un Rubik's Cube. D'abord parce qu'il avait été inventé par un Hongrois et ensuite parce qu'il comportait une combinaison secrète, promesse d'un savoir merveilleux. Je m'en suis malheureusement vite désintéressée après qu'on m'ait enseigné les manipulations nécessaires.


 Mais au-delà de la magie, le jeu comporte une dimension beaucoup plus trouble, celle du défi. J'ai éprouvé cela dans la relation avec ma sœur. On était très cruelles l'une avec l'autre. On ne se bagarrait pas mais, pire, on voulait à tout prix convaincre l'autre qu'elle était une complète idiote, une nulle qui ne comprenait rien à rien. Alors, on n'arrêtait pas de se poser des questions, des colles, des devinettes. Ça plongeait dans une vraie crise de nerfs celle qui ne savait pas répondre. 

D'avoir été à ce point odieuse avec ma sœur, quand j'étais gamine, j'en ai des remords aujourd'hui encore. Je me suis appliquée à la déprécier, à la vaincre méthodiquement. 

C'était sûrement très moche. Mais il est vrai que, si le jeu est un moteur essentiel de l'existence, il est très lié à une puissance redoutable, celle du goût humain irrépressible pour la confrontation, la contradiction. Dès que deux personnes sont réunies, tout de suite, même à propos des plus petites choses, s'instaure un défi entre elles et s'engage une véritable joute agonistique. On a besoin de sans cesse guerroyer, de contredire à chaque fois son interlocuteur et même de le rabaisser pour s'affirmer. C'est la fameuse dialectique du maître et de l'esclave, terrifiante mais dévorante.

J'ai compris ça quand, dans mon adolescence, je me suis mise à jouer au tennis et aux échecs. Je n'étais, à vrai dire, que très moyennement douée dans ces deux disciplines mais je me souviens surtout du malaise que j'éprouvais  à la fin de chaque partie, gagnée ou perdue. Toujours l'impression d'une mise à mort symbolique vis-vis de mon adversaire, toujours l'impression d'approcher l'un des abîmes du psychisme humain. La rivalité mimétique, non seulement ça devient vite une addiction mais surtout, ça peut vous rendre fou. On peut devenir un criminel innocent.

La confrontation, le défi, ça a commencé à me faire horreur. Le déclic, ça a été une partie d'échecs disputée avec mon père. Il me flanquait des raclées presque à chaque fois mais, un jour, j'ai senti que j'étais sur le point de le battre. Je me suis alors dit que ce n'était pas possible et j'ai commencé à haïr les conflits, les affrontements.

D'une manière générale, j'évite aujourd'hui de m'engager, d'avoir des convictions. Je refuse la lutte, je ne prends jamais parti, quitte à passer pour indéchiffrable ou idiote. J'ai préféré me retirer de toute compétition et me tourner vers les sports et les jeux solitaires : la course à pied (dans la quelle il n'y a pas de conflit parce que les hiérarchies sont incontestables) et les jeux de logique. 

Aujourd'hui, par exemple, je suis devenue une grande fan, presque une championne, de sudoku japonais. Le sudoku, c'est à vrai dire très bête mais ça correspond bien à ma mentalité. Voir le monde comme un grand espace logique où sont déterminés le possible et l'impossible, le permis et l'interdit. C'est mon côté ultra-rationnel, voire technocrate. Élaborer de beaux échafaudages afin de tout prévoir, tout anticiper. Mais ça devient finalement le contraire même du jeu et  ça peut, aussi, conduire à un véritable délire bureaucratique. La Raison peut devenir folle.

Tableaux, principalement, du peintre italien, Carlo Carrà (1881-1966). Il est, en France, beaucoup moins connu que de Chirico dont il partage les inspirations. Il a été co-fondateur du futurisme italien et en a accompagné les errements : libertaire puis nationaliste.

Dans le prolongement de ce poste, je conseille

- Denis Grozdanovitch : "La vie rêvée du joueur d'échecs". Ça vient de sortir. Un essayiste trop peu connu, toujours brillant, allègre et profond. Un enchantement.

- Vladimir Nabokov : "La défense Loujine"

Par ailleurs, j'aime bien m'amuser avec des casse-têtes logiques et des jeux d'énigmes. On en trouve énormément. Si vous voulez vous y essayer, je recommande l'un des plus célèbres :

- Raymond Smullyan : "Le livre qui rend fou"

18 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Carmilla,

Merci pour ce billet.

C’est vrai que la jeunesse est un terrain adapté pour se mesurer aux autres, et évaluer ce que l’on a dans le râble. Il ne faut jamais négliger cet aspect car la concurrence et la compétition peuvent aussi constituer des moyens de s’améliorer jusqu’à l’excellence. Ainsi, je me souviens avoir mis des milliers de raclées à mon fils au tennis de table, sans jamais rien lâcher et sans aucune volonté évidemment de l’humilier. Puis un jour, vers treize ans, il plante le 26ème point d’un revers rageur (26-24). Je me souviens exactement de ce que vous décrivez, de ce trouble en lui, presque d'une gène : « j’ai eu un peu de chance papa, dit-il ». Il en a résulté une première pierre dans la quête d’égalité et c’était bien.

Vous avez raison, la raison peut être folle. Mais il ne s’agit pas de Raison pour moi. Celle-ci implique un rapport à la Vertu et à l’Intelligence, raison pour laquelle elle fut placée entre les mains de l’Etre Suprême dans le préambule de la Déclaration française du 26 août 1789. Ce n’est pas le cas s’agissant du fonctionnement technocratique qui s’appuie sur une raison strictement formelle, une certaine logique qui peut être absolument débile et que rien ne peut arrêter quand les gens sont saisis par la folie sans le savoir.

Voyez-vous, ici, on vient de rétablir la frontière entre le Royaume de France et le Comté des Flandres sur le fleuve Authie, confinées le week-end mais pas la semaine. Il n’est plus possible de se rendre dans le Marquisat de Bapaume – ce qui n’est pas une énorme perte. Il faut dire ! Le T.I. y est de 406/100000 alors qu’il est ici de 326 ! Terrifiant ! Reste que cela va égayer mon week-end puisque j’ai pu offrir hospice à mon amie Sabine qui a quitté subitement le baillage d’Arras pour rejoindre celui d’Amiens où, par bonheur, Leroy-Merlin est resté ouvert ! Oyé ! Oyé !

Pardonnez cette courte plaisanterie…
Bien à vous.

Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

C'est vrai qu'au cours de l'adolescence, on adore se lancer des défis, se livrer à des compétitions. A certains égards, c'est bien sûr positif, c'est le début de la conquête d'une identité. Mais ça n'est pas non plus complétement innocent. Certains jeux peuvent "tuer" l'autre psychologiquement, certains enfants peuvent se sentir dévalorisés, écrasés. J'avoue être un peu réservée sur cet aspect terrifiant du psychisme humain mais on ne peut pas bien sûr changer ça.

Sur le second point, la technocratie, je suis également nuancée. Je le reconnais, je suis hyper-technocrate puisque j'adore tout traduire en chiffres et tableaux. Les technocrates, on les déteste aujourd'hui, on en fait la cause de tous les maux. J'ai conscience des dangers et j'ai appris que les mathématiciens sont rarement de grands joueurs (d'échecs notamment),ils n'ont pas le sens de la tactique, de la stratégie. Mais je ne suis pas sûre que le terrain, le local, ce soit mieux, ça a vite fait de devenir un beau foutoir extrêmement ruineux. Écouter tous les particularismes, c'est souvent céder à ceux qui crient le plus fort. A rebours, mathématiser les choses, c'est quand même garantir une certaine équité. Bien sûr que ça aboutit ponctuellement à des absurdités mais par quoi remplacer la technocratie ? J'ai quand même tendance à penser que le Réel est bien mathématique mais je reconnais aussi que la technocratie ouvre la voie à la bureaucratie.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Élaborer de beaux échafaudages afin de tout prévoir, tout anticiper.

Bonjour Carmilla !

C'est facile d'apprendre à gagner, et il est difficile d'apprendre à perdre. Voilà toute l'essence du jeu.

Personne au cours de l'année 2019 n'avait prévu le Cygne Noir qui nous attendait au détour de 2020. Le combat est loin d'être terminé à moins que le virus fasse une sortie de route parce qu'il aura raté une mutation, ou bien qu'on l'écrase sous les vaccins. La porte du grand jeu de la vie venait de s'ouvrir et nous l'avons traversé, pour plonger dans l'inconnu, avec l'horreur de nous apercevoir qu'il n'y avait pas d'escalier de l'autre côté de cette porte. Au jeu des statistiques nous sommes forts ; mais au jeu des prévisions nous sommes minables. L'aléatoire nous dérange, nous déstabilise, nous renverse. Improviser nous rebute. À quoi se livre les autorités gouvernementales présentement dans le monde ? Ils se livrent à l'improvisation. Difficile pour l'ego lorsqu'on n'a jamais appris à perdre. Un jeu en définitive est un code avec ses lois, mais surtout avec ses règlements qu'il ne faut pas enfreindre, à défaut de quoi, nous sommes des tricheurs. D'autre part, pour abattre un ennemi, que se soit un virus ou un humain, il faut tricher pour parvenir à un résultat probant. Ce qui nous emporte loin de l'état idyllique dans lequel nous étions plongés et dont nous pensions à tort de ne plus jamais en sortir. Nous voilà maintenant tous nus dans un vent de 30 nœuds par -30 degrés.

Je reviens sur cette lecture que je suis en train de faire : La Grande Grippe par John M. Barry, qui relate l'histoire de la Grippe Espagnol, qui n'avait rien d'Espagnol pour une grippe qui provenait du fond du Kansas et qui s'est répandu au travers le monde à la faveur du Grand Jeu de la Première Guerre mondiale. Les chapitres 2 à 5 racontent l'état du système médical aux États-Unis au XIXe siècle. C'était tout simplement déplorable. Après la Guerre de Sécession, des américains qui avaient étudiés la médecine en Europe commencèrent à répandre l'idée d'une réforme de l'enseignement de la médecine. En moins de 54 ans, on avait créer de toute pièce un système de formation des médecins, et ce sont ces médecins qui allaient affronter cette pandémie de 1918.

C'est un ouvrage qui va dans toutes les directions. Le chapitre 8 traître, des bactéries, et des virus, de leur nature différente, mais surtout, comment fonctionne un virus et comment il se transforme. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, c'est un chapitre très clair, je dirais même facile à lire, mais incontournable pour tous ceux qui désirent comprendre ce qui se passe dans le corps humain. Comment réagit le système immunitaire ? Trouver un tel chapitre dans un livre d'Histoire, cela replace les causes dans l'échelle des événements.

Bonne fin de journée Carmilla !

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Bien sûr, la prévision, la modélisation ont pour limites l'imprévu, le hasard, le cygne noir. Cela implique-t-il qu'on peut s'en passer ? Bien sûr que non et d'ailleurs, on ne se trompe pas toujours totalement. La pandémie actuelle ne disqualifie pas la médecine.

Je trouve quand même fascinant d'élaborer des simulations. On répugne quand même à s'abandonner au hasard, au grand jeu du monde. Et puis, je crois quand même beaucoup à la rationalité. Il est par exemple habituel de dire que les économistes sont nuls parce qu'ils sont incapables de prévoir. Ce n'est pas vrai et je considère même que l'économie est bien une science. Le problème, c'est que beaucoup de gens ont une vision idéologique de la discipline.

J'ai entendu parler du livre de John M. Barry et je vous remercie de votre analyse. Le problème, c'est que j'ai vraiment envie, aujourd'hui, de penser à toute autre chose qu'à une pandémie. Il faut vraiment avoir les nerfs solides pour écouter les informations radio ou télé aujourd'hui. Si en plus, je me mets à lire, le soir, sur la question, je vais devenir dingue.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Au contraire de vous, j'attends les bulletins de nouvelles à la radio, pas besoin de télévision, je trouve la radio bien supérieur, mais aussi, je désire en savoir plus. Est-ce que les vaccins vont être administrer assez rapidement pour contrer les variantes ? Quelles seront ses variantes ? Dans le cas de la Grippe Espagnole, c'est venu en trois vague et surtout celle de septembre 1918 qui a été la plus mortelle, la plus foudroyante.

Je suis en train de me rappeler les histoires que l'on m'a raconté alors que j'étais jeune. Je dirais que j'ai eu la chance de rencontrer dans mon destin, des gens qui avaient vécu cette époque. Déjà, je posais des questions, je voulais tout savoir, et surtout comment on en était arrivé à cette situation. Mais, ces personnes n'avaient pas de formation, ignoraient ce qu'était un virus. Alors, elle racontait leur quotidien, les gens qui étaient bien portants le matin au réveil et était décédé à la tombée du même jour. Les jeunes hommes entre 16 et 25 ans étaient principalement affectés, qui plus avec les déplacements des troupes sur le territoire Américain et par la suite sur le continent Européen. La maladie s'est répandue très rapidement.

Alors, qu'est-ce qu'on fait ? On lutte, ou bien on ne fait rien ? Ils n'ont rien fait au sud pendant une année, ils comptent maintenant 500,000 morts. (La Guerre de Sécession au total 630,000 morts). Comme les humains de 1918, nous sommes en train d'apprendre et surtout avec des moyens modernes, nous sommes plus efficaces surtout au niveau des communications, des connaissances médicales, et pourtant, nous doutons, nous sentons que nous en manquons un bout, qu'il y a quelque chose qui nous échappe et ce petit quelque chose est rudement dérangeant. Ce n'est pas juste une question de chiffres ou de statistiques, et comme vous l'avez mentionné dans votre texte les mathématiciens ne sont ni de grands tacticiens, ni de grands stratèges. Nous pouvons essayer de tout prévoir, mais ce qui nous arrive nous ne l'avons pas vu venir, ou bien nous avons refusé de le regarder. Ne pas voir venir est une chose, refuser de regarder la réalité en face, c'est une autre chose. Les gens s'imaginent qu'en refusant de regarder cette réalité déplaisante elle ne nous atteindra pas. C'est pas loin de la pensée magique.

C'est étrange, à chaque fois que je vous écrit Carmilla, depuis deux jours, une mésange à tête-noire vient me visiter. Elle se perche sur l'un de mes bûches de pruche qui me servent de marqueurs pour ne pas que le déneigeur arrache mon patio, mais elle ne zinzinule pas. J'ignore si les oiseau voit au travers des vitres des fenêtres, mais son regard est toujours dirigé droit sur moi !

Bonne fin de dimanche Carmilla !

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je suis d'accord avec vous. La radio est moins abêtissante, abrutissante, que la télé; plus synthétique et plus porteuse de réflexion.

Pour que les mésanges zinzinulent, il faut qu'elles soient au moins deux. C'est leur langage entre elles qui a fait l'objet d'études scientifiques.

Chez moi, grande nouvelle, il va prochainement y avoir des naissances. Mes merles ont transformé mon jardin en maternité : ils viennent d'installer un nid dans un buisson et la merlette couve toute la journée sous la protection du mâle. Des petits merleaux parisiens (des merlos-parigos ?) vont donc bientôt naître. Il devrait y en avoir 4 à 6. Pas sûr malheureusement que tous survivent. Pour moi, ça va faire beaucoup de monde à nourrir.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Des merles déjà en mars ! Je n'arrive pas à y croire. Nous ce matin, le thermomètre se prélasse à -18 degrés ; mais la situation va changer drastiquement cette semaine, nous allons connaître des journées à +10 degrés.

Mais nos merles d'Amérique sont loin d'être arrivés.

Les naissances ça ne ment pas, c'est que le printemps est arrivé. Vos merles vous ont choisi. Vous allez vous retrouver avec une ménagerie. Sans doute qu'ils se sont dit : la bouffe est bonne, elle est abondante, pourquoi pas élever une famille ? Ce qui me rappelle mes bernaches du printemps dernier. J'aime ce genre d'action, ces moments où la vie éclate, les naissances qui déboulent. Les grands recommencements.

Bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je crois que les merles français sont absolument sédentaires. Ils trouvent à se nourrir en hiver.

Bien sûr, les oiseaux ont commencé à se reproduire en France et la végétation se développe à grande vitesse.

Je ne pense pas que toute la famille merle va s'installer dans mon jardin. Les petits s'émancipent assez vite, parait-il. Heureusement parce que je n'imagine pas entretenir une dizaine de merles : ça en ferait des kilos de cerises et de vers de farine sans compter que je n'oserais plus aller dans mon jardin de peur de les déranger. Ils ne se rendent même pas compte qu'ils occupent un terrain dont le mètre carré est parmi les plus chers au monde. Je suis bien généreuse de ne pas leur facturer de loyer.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla !

Qui connaît Oswald Avery ?
Si je n'avais pas lu ce livre fabuleux : La Grande Grippe par John M. Barry, je serais passé à côté de ce chercheur.
Né à Montréal, il a grandit à New York, tout comme l'auteur Saul Bellow qui lui aussi émigré chez les américains. Avery était un petit homme, mince, fragile, moins de 50 kilos. C'était un être renfermé, discret, mais très déterminé dans ce qu'il entreprenait. Il a travaillé en recherche, surtout vers 1918 sur cette Grande Grippe. Personne n'arrivait à comprendre comment cette maladie fonctionnait.
Il ne vivait que pour la recherche. Il disait que c'était la recherche qui comptait, pas la vie. Ce qui a fait de lui, une personne très solitaire, un exclus volontaire. Ce qui était le lot aussi de plusieurs chercheurs à cette époque.
Barry s'est servi d'une réflexion d'Einstein pour expliquer ces comportements de ces chercheurs et en particulier pour Avery.

« L'un des motifs les plus fort qui conduisent les gens à l'art ou à la science est la fuite de la vie quotidienne. Avec ce motif négatif, on obtient un motif positif. L'homme cherche à se forger, de la manière qui lui convient, une image simplifiée et lucide du monde, et ainsi à dépasser le monde de l'expérience en s'efforçant de le remplacer dans une certaine mesure par cette image. C'est ce que font le peintre, le poète, le philosophe spéculatif, le naturaliste, chacun à sa manière. Dans cette image et sa formation, il place le centre de gravité de sa vie émotionnelle afin d'atteindre la paix et la sérénité qu'il ne peut trouver dans les limites étroites du tourbillon de l'expérience personnelle. »
Albert Einstein
Tiré de : La Grande Grippe
Page -203-

Oswald Avery allait découvrir vers 1943, que la substance qui transformait un pneumocoque sans capsule en un autre encapsulé était l'ADN.

Et, qui sait, si Avery n'avait pas quitté Montréal, peut-être qu'il n'aurait pas fait cette découverte ?

La Grande Grippe est beaucoup plus qu'un livre d'Histoire. C'est un ouvrage qui m'a fait trépigner. C'est un livre plein de vie.

Bonne nuit Carmilla !

Richard St-Laurent

Nuages a dit…

A l'intention de Richard, je recommande deux autres livres passionnants sur la grippe "espagnole" :
- "La grande tueuse", de Laura Spinney (Albin Michel)
- "La grande grippe", de Freddy Vinet (Vendémiaire).

Richard a dit…

Bonjour Carmilla !

Merci à Nuages pour vos suggestions de lectures. Je n'y manquerai pas. Nous n'en savons jamais assez.

La Grande Grippe de 1918, aura été un grande leçon d'humilité, pendant qu'on se massacrait sur les champs de batailles, les humains se faisaient massacrer par la Grippe Espagnole. Elle semblait beaucoup plus létale que le Covid-19-, quoi que nous avons pris des moyens pour endiguer cette pandémie. Nos connaissances en médecine sont meilleures, nos communications se sont grandement améliorées, une bonne part de l'humanité s'est soumise à une rigoureuse discipline. (Sauf pour les américains, qui compte plus de 525,000 morts). Imaginons un instant, le nombre des décès si on avait pris le même chemin que les américains. Les vaccins arrivent, mais les variantes aussi et elles semblent inquiéter les autorités canadiennes comme québécoises. Ce qui est étrange, et peut-être que ce n'est que le fruit du hasard, mais pour la Covid-19-, cela a commencé le printemps dernier, puis il y a eu une nette amélioration au cours de l'été, et tout s'est gâté au cours de l'automne et au début de l'hiver. La grippe espagnole avait suivit le même parcours, dans les mêmes temps, une éclosion le printemps et l'autre à l'automne beaucoup plus mortelle. Je ne veux pas faire paniquer personne, mais je trouve le fait étrange.

Ici, on a commencé à vacciner en janvier dernier dans les centre pour personnes âgés. Pour le moment, cela semble fonctionner. Le nombre de morts a diminués, ainsi que le nombre des infections journalières.

Autre chose, au Québec fin 2020 et début 2021, nous n'avons pas connu les épidémies de grippes que nous avions connues au cours des dernières années. La conclusion, les mesures sanitaires fonctionnent. Personnellement, j'ai connu trois grippes en 2019, et aucune en 2020. Moins de fêtes, moins de rencontrent et surtout moins de baisers. J'ai remarqué la même chose dans mon entourage, personne n'a été malade de la grippe saisonnière, et heureusement personne n'a été infecté par le Covid.

Dans cet ouvrage : La Grande Grippe, je remarque que les chercheurs, ont fait beaucoup de découvertes au cours de cette épidémie dans le genre sérendipité. On a trouvé autre chose, mais on n'a jamais résolu cette Grande Grippe. Il y a déjà un vaccin qui fonctionne d'une manière très différent présentement.

J'abonderais dans le sens des propos de madame Catherine Malabou dans le numéro de février 2021  de Philosophie Magazine:

« Nous sommes au seuil d'une révolution biotechnologique »

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

PS : Mais pour connaître cette révolution, il faudra rester vivant !

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vous m'avez convaincue. Dès que je serai d'humeur (après le Covid), je lirai John M. Barry.

Curieusement, on vient peut-être, en effet, de vaincre la grippe grâce aux mesures sanitaires déployées contre le Covid. En France aussi, il n'y a eu qu'un nombre infinitésimal de cas.

Bien sûr que de multiples révolutions scientifiques, dont nous n'avons guère idée, sont à venir. C'est pourquoi, je suis résolument opposée au déclinisme et au catastrophisme ambiants et je continue, quitte à passer pour une idiote, à croire au progrès.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

Merci à Richard pour la suggestion du livre de John Barry, je l'ai commandé et je viens de le recevoir. On verra ce qu'il apporte par rapport aux deux autres livres que j'ai lus sur la grippe "espagnole".

A part, j'ai visionné, sur Youtube, une vidéo de la BBC sur le sujet : "Spanish Flu : the forgotten fallen". Une reconstitution, en fiction, de l'impact de la grippe espagnole à Manchester, en novembre 2018. Ma connaissance de l'anglais parlé étant insuffisante, je n'ai pas tout compris, mais ce téléfilm de qualité est évocateur. On suit l'action du docteur Joseph Niven, un scientifique de haute valeur, qui a sauvé beaucoup de vies.

https://www.youtube.com/watch?v=MtdtikULIoM

Quant à l'aspect saisonnier de l'épidémie de Covid, il n'est guère convaincant. Le Covid a durement frappé le sud et l'ouest des Etats-Unis, en plein été, alors que les températures étaient très élevées.

Et à Paris, Carmilla, quelle est l'atmosphère dans les rues, le soir ? Sont-elles totalement désertes ? Ici à Bruxelles, le couvre-feu reste en vigueur à partir de 22 h, ce qui est infiniment plus supportable que 18 h comme en France. Le calme dans les rues, en fin de soirée, est même très appréciable.

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Je suis surpris de vous avoir convaincu de lire : La Grande Grippe, vous ne le regretterez pas. Les bons ouvrages historiques sur les sciences sont rares. Il y a beaucoup à découvrir dans ce livre.

D'autre part je viens de terminer la lecture de : l'aide fatale par Dambisa Moyo. Je n'ai pas été déçu, certains de mes chiffres que j'ai avancés sur l'Afrique sont confirmés pas cette auteure. Lorsqu'elle évoque, la corruption, la maladie, la pauvreté et la guerre, elle a tout à fait raison. Je la trouve un peu trop pro-chinoise. Les chinois ne font pas de cadeau à l'Afrique, même s'ils bâtissent des routes, des chemins de fer et des hôpitaux. Il reste beaucoup de chemin à faire et pour cela, il faudra qu'ils retiennent leurs cerveaux.

Ne pas rater le dernier Serge Bouchard qui vient de publier : Un café avec Marie. Un bon vieux Bouchard c'est toujours de mise et très intéressant. Ce sont des courts essais, où se mêlent la vie quotidienne, des réflexions sur la société, des joies et des peines, la nature et les animaux, nos travers dans nos sociétés. Serge Bouchard filait le parfait bonheur avec sa deuxième femme Marie qui est décédé d'un cancer en juillet 2020. Sa première femme aussi est décédée du cancer. Un grand livre de ce grand homme tout simple pour ce grand amoureux de la vie.

Robert Lalonde est un comédien québécois, mais aussi un auteur majeur ici. Il raconte dans : La reconstruction du Paradis, après avoir vu sa maison qu'il avait construit et qui contenait sa bibliothèque de 4,000 volumes partir en fumée. Une autre histoire de résilience. C'est un petit livre qui se savoure lentement.

Je commence à lire : Le complexe des trois singes par Étienne Bimbenet, ce qui fait suite à vos commentaires sur les animaux domestiques. Je vous en reparlerai.

Pensons, que nous ne sommes pas les seuls à souffrir, et se reconstruire est à la portée de tous, je dirais même que c'est une grande aventure. Nous pouvons peut-être nous plaindre, mais ne jamais baisser les bras.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Anonyme a dit…

Bonsoir Richard,

les maladies virales créent avant tout de grandes leçons de frousse. L'humilité vient après, une fois retrouvée la lucidité, il me semble.

En Europe, on ne parle plus des morts du covid, mais "des suites du covid", ce qui rend la comparaison avec la grippe H1N1 absolument irrecevable. Il s'avère qu'un de mes collègues et ami pilote le service de réanimation de ma ville (en très forte tension depuis dix jours). Leur crainte n'est pas ce virus mais les rhinites hivernales car elles génèrent des embolies pulmonaires chez les patients C19 qui sont tous déjà immunodéprimés (très âgés, très malades). En ce sens, les progrès hospitaliers, d'après ses dires, n’auront pas essentiellement consisté à améliorer les traitements mais à approfondir encore leur lutte drastique contre les infections nosocomiales. En France, 72 personnes en parfaite santé de moins de 65 ans sont décédées des suites du Covid, soit moins que de piqures de guêpes (mais je ne sais pas s'il y a des guêpes au Canada).

Quant à la biomédecine, elle vient de trouver un terrain pour développer le transhumanisme dans un contexte qui était déjà devenu largement hygiéniste. Il conviendrait sûrement de disserter sur ce qu'est le progrès mais j'ai un peu la flemme ici.

Donc, oui, il est nécessaire d'apprendre, mais à partir de où?

Bien à vous.

Alban

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

On ne peut pas dire que tout s'arrête dès 18 H à Paris. Il y a tout de même des tolérances et des autorisations. Et puis, il n'y a pas un policier à chaque carrefour.

C'est évidemment une heure précoce mais l'objectif principal est de limiter les réunions familiales ou entre amis.

Je préfère ça au confinement avec son système très contraignant d'autorisations pour la plus petite sortie.

En tous cas, les nuits sont d'un calme impressionnant sur Paris et il semble qu'on en ait encore pour un bon moment.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je constate que vous êtes un lecteur attentif.

Dambissa Moyo, ça commence à dater un peu mais son approche générale du développement de l'Afrique en particulier m'apparaît très juste. L'échec des Organisations Non Gouvernementales dans la réduction de la pauvreté, en dépit des aides importantes déversées, doit par ailleurs interroger.

Bimbenet, je souscris également à ses propos même s'ils auraient pu être plus synthétiques. Je veux bien reparler de l'antispécisme quand un singe saura écrire un poème.

Je prends, quant à moi, bonne note de vos recommandations.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Alban,

Il se trouve que je connais un peu la gestion hospitalière.

C'est vrai que ce qui a principalement déterminé l'évolution de l'espérance de vie dans le monde, c'est l'hygiène, la prévention, la réduction des infections nosocomiales. Beaucoup plus que le soin et la médecine qui n'interviennent qu'en second recours et non qu'une efficacité relative. La preuve : l'espérance de vie à 60 ans des humains est à peu près identique dans tous les pays du monde, cela quelle que soit la qualité de leur système de santé.

Mais il me semble que cela plaide justement pour les mesures de prévention mises en place pour lutter contre le Covid. Celles-ci ont notamment permis de réduire fortement les infections respiratoires classiques (grippe, bronchiolites) et de libérer ainsi des lits de réa pour le Covid. Votre CHU a tout de même ouvert une dizaine de lits de réa supplémentaires et ça n'est probablement pas pour des rhinites.

L'hygiénisme, j'y crois malgré tout parce que c'est la solution la plus efficace si vous voulez vivre en bonne santé. Bien sûr que ça donne lieu à des politiques intrusives irritantes. Mais vous n'êtes pas obligé d'y souscrire totalement. Il demeure autorisé de boire, de fumer et de manger des cochonneries. L'important, c'est d'être informé.

Mais je suis frappée par une donnée essentielle : la vie est bien sûr une vallée de larmes mais presque personne ne cherche à s'en arracher. Il y a, jusqu'au bout, une extraordinaire force du vouloir vivre.

Bien à vous,

Carmilla