samedi 18 décembre 2021

Trois Reines Scélérates


C'est curieux, je ne crois pas qu'on ait jamais mis en parallèle les destins de 3 Reines européennes (dont l'une était même Impératrice) à la fin du 18ème siècle. A cette période cruciale, donc, de bouleversement complet d'un monde qui allait basculer dans la modernité, celle issue de la Pensée des Lumières. Ces Reines ont pourtant joué, directement ou indirectement, un rôle important dans la transformation complète de leur pays d'accueil.

Il s'agit de Marie-Antoinette d'Autriche en France, de Catherine La Grande en Russie et de Caroline-Mathilde de Hanovre au Danemark.

 Personnellement, la vie de ces trois femmes me passionne, non  parce qu'elles ont été des "femmes puissantes" comme on dit bêtement aujourd'hui, mais parce qu'elles ont rencontré la plus grande adversité. Elles ont du affronter, en particulier, les courants les  plus misogynes et les plus xénophobes, courants qui n'ont sans doute pas disparu aujourd'hui. "La putain étrangère", j'avoue que je suis particulièrement sensible à cette insulte qui demeure très banale.

 Elles étaient contemporaines, se connaissaient évidemment mais ne se sont jamais rencontrées. Catherine, née en 1729, était un peu plus âgée; Caroline-Mathilde (1751) et Marie-Antoinette (1755) étaient à peu près du même âge.

Elles étaient toutes trois des "étrangères", une "tare" qui entretiendra toujours la suspicion à leur égard. Catherine, née à Szczeczin (en Pologne aujourd'hui), était issue d'une petite Principauté allemande, celle d'Anhalt, située non loin de Magdeburg. Marie-Antoinette était la fille de la grande Marie-Thérèse d'Autriche et Caroline-Mathilde était Anglaise, sœur du Roi de Grande-Bretagne. 

On a bien sûr arrangé le mariage de chacune d'elles alors qu'elles sortaient simplement de l'enfance. La rencontre avec leur futur époux a été un traumatisme : Pierre III de Russie était d'un aspect physique effrayant et psychologiquement instable et cruel; Christian VII du Danemark était progressivement envahi de démence et  s'intéressait plutôt aux bordels masculins de Copenhague. Seul Louis XVI était normal mais d'une normalité timorée, velléitaire, qui ne seyait guère à un Roi.


 Elles ont, toutes trois, éprouvé une aversion pour leur mari, une aversion notamment sexuelle ( Huit ans après leur mariage, Catherine et Marie-Antoinette n'avaient pas d'enfant). A  toutes les trois, on a rapidement prêté de multiples liaisons extra-conjugales.  Parmi elles se détachent plusieurs amants célèbres avérés : Saltykov, Potemkine, Orlov, Poniatowski pour Catherine, celle dont l'appétit sexuel semblait le plus insatiable et qui poussa la cruauté jusqu'à faire nommer Poniatowski Roi de Pologne puis à démembrer ensuite, tranquillement, son pays; Struensee, le médecin et conseiller politique du Roi Christian VII pour Caroline-Mathilde; le comte suédois Axel de Fersen pour Marie-Antoinette dont on vient récemment de découvrir la correspondance.


 Ont-elles été vraiment des criminelles ? La responsabilité de Catherine dans la mise à mort de son époux Pierre III est incontestable ce qui lui vaudra d'ailleurs l'inimitié absolue mais partagée de son fils Paul 1er qu'elle cherchera d'ailleurs à écarter du pouvoir.  Paul 1er sera un affreux petit Tsar qui cherchera d'abord à détruire tout ce qu'avait réalisé sa mère. Il sera, heureusement, rapidement assassiné.

Caroline-Mathilde échappera à toute accusation de crime  mais Marie-Antoinette a, continuellement, été dépeinte comme un véritable monstre, dépravée et même lesbienne (ce qui était un crime puni du bûcher sous l'Ancien Régime). Son procès, devant le Tribunal Révolutionnaire, donne lieu à un déchaînement de fanatisme, de bêtise, de grossièreté. Elle y est même accusée de pratiques incestueuses avec son fils, le Dauphin. Elle a la grandeur de ne pas répondre et de préciser simplement : " Si je n'ai pas répondu, c'est que la Nature se refuse à une pareille inculpation faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici".

Grande singularité pour deux Reines, Catherine et Caroline-Mathilde. Elles étaient l'une et l'autre très cultivées et érudites et partageaient une même passion pour la pensée des Lumières. Catherine a ainsi entretenu de nombreux échanges avec les penseurs français (Voltaire et Diderot qui se rendra à Saint-Pétersbourg). Elle n'ira évidemment pas jusqu'à approuver la Révolution française qu'elle condamnera vivement puis abhorrera. Cependant, le bilan de son règne est impressionnant. Elle aura contribué à l'émergence de la Russie comme grande puissance européenne grâce, d'une part à son considérable élargissement géographique (au détriment de la Pologne et de l'Empire ottoman) et d'autre part à un véritable développement de sa culture, des ses Arts et Lettres.  

Quant à Caroline-Mathilde, elle s'associera à son amant Struensee pour prendre les rênes du pouvoir et mettre en œuvre de profondes réformes démocratiques qui placeront le Danemark à la pointe de la modernité européenne. Mais ça se terminera mal pour Caroline-Mathilde. Sa belle-mère fomentera un complot pour renverser les amants, mettre à mort Struensee, prononcer, enfin, le divorce du couple royal  et le bannissement de Caroline-Mathilde. Celle-ci s'exilera dans la magnifique petite ville de Celle (aujourd'hui en Allemagne du Nord) où elle trouvera la mort, d'une banale scarlatine, à l'âge de 23 ans.

En comparaison, Marie-Antoinette apparaît très conventionnelle et superficielle. Elle n'était sûrement pas une "intellectuelle". Mais elle avait des aspirations esthètes, elle voulait vivre dans un autre monde, un monde de beauté et d'élégance. Elle n'était sans doute nullement préparée à ses responsabilités et à sa fonction difficile. On pourrait donc avoir de Marie-Antoinette l'image d'une simple "écervelée" au comportement inconséquent et blâmable. Mais, contre toute attente, elle a su manifester, dans la terrible épreuve de la Révolution, une grandeur d'âme, une dignité et un courage exceptionnels. Il faut absolument lire la lettre qu'elle écrivit à sa belle-sœur Madame Elizabeth, le 16 octobre 1793, quelques heures avant d'être conduite à l'échafaud. C'est sidérant de beauté et d'émotion !

Les destins divers de ces trois femmes abominablement décriées m'interrogent. On peut objecter que ces histoires ont plus de deux siècles mais est-ce que les choses ont vraiment changé depuis ? Est-ce qu'on n'est pas pareillement haineux envers tous ceux qui exercent une parcelle de pouvoir et, de plus, puritains et misogynes lorsqu'il s'agit de femmes ? Car qui étaient vraiment ces trois femmes? Le savait-on réellement ? En fait, aujourd'hui comme hier, on demeure friand d'échos, de ragots, concernant la vie des puissants et leurs supposés sales petits secrets. Mais au total, on ne connaît d'eux absolument rien d'objectif. On s'en forge simplement  un "mythe", une représentation. C'est de cette manières que ces trois femmes ont été dénoncées comme des prostituées, des nymphomanes, des lesbiennes des criminelles. Mais ce mythe, alimenté par la Haine, a, étrangement, eu un pouvoir unificateur, il a créé un consensus, une unité dans la quelle le Peuple s'est retrouvé.  C'est en ce sens que la Haine fait souvent avancer l'Histoire. 


Mes "recommandations" :

- Concernant Catherine II, il existe, bien sûr, une multitude de biographies. En France, on encense Hélène Carrère d'Encausse mais je ne partage pas cette appréciation. Son livre sur Catherine est  ennuyeux à périr et surtout cantonné aux aspects politiques et internationaux. Henri Troyat appréhende beaucoup mieux la dimension romanesque du personnage. Pour qui cherche à s'initier simplement à l'histoire des Tsars, je recommande Bernard Féron : "La galerie des Tsars - Dictionnaire des chefs suprêmes de la Russie". Vous ne vous ennuierez pas une seconde.

- S'agissant de Marie-Antoinette, il faut absolument lire "La Reine scélérate" et "Les adieux à la Reine" de Chantal THOMAS. Deux très beaux livres porteurs de fascination et qui creusent de multiples interrogations. On peut aussi se reporter au très beau film de Sofia Coppola ainsi qu'à celui de Benoît Jacquot.

- A propos de Caroline-Mathilde, j'avoue ne connaître aucune biographie en français. Ma principale source d'information, c'est le très beau film "A Royal Affair" de Nilolaj Arcel.

Enfin, même si c'est un peu éloigné de ce post (mais pas de l'esprit général de mon blog), je conseille vivement :

- "Stone Age - Ancient Castles of Europe" de Frédéric CHAUBIN. Ça vient de sortir aux Editions Taschen et c'est vendu pour la modique somme (eu égard à la qualité et au poids du livre) de 50 €. Plus de 200 magnifiques photographies (effectuées à la chambre) de châteaux-forts du Moyen-Age en Europe.  Pour rêver et trouver des idées de voyages, il n'y a pas mieux. Un beau cadeau à faire ou à se faire pour les Fêtes.


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