samedi 4 juin 2022

Istanbul ou le basculement du monde

 

J'étais partie en Turquie un peu par nostalgie pour retrouver des miettes de mon passé, de cette époque où j'étais une étudiante foldingue et déjantée. De ces lieux où j'avais eu l'impression de vivre plus fort, où les couleurs du monde m'apparaissaient plus éclatantes.


Et puis la Turquie, ça a toujours été le grand rival, avec des guerres incessantes, de deux pays qui m'ont tout de même façonnée : l'Iran et la Russie. Bizarre d'ailleurs de constater à quel point ces voisins proches peuvent être culturellement dissemblables. Leur seul point commun aujourd'hui, c'est peut-être d'être des autocraties. Ils font semblant maintenant de se rapprocher politiquement mais je doute qu'ils aient effacé leurs méfiances ancestrales réciproques.

Et enfin, j'avais commencé de m'intéresser, ces derniers temps, à l'orthodoxie et donc à Byzance. Cette satanée orthodoxie, tellement liée au pouvoir politique russe, qui est peut-être la cause de nos malheurs actuels. Son esthétique, sa spiritualité presque mystique, son messianisme, c'est vrai que ça vous secoue autrement plus que le catholicisme et le protestantisme qui apparaissent au ras des pâquerettes en comparaison. L'orthodoxie, c'est pouvoir planer complétement, être autorisé à délirer à fond, à se livrer à tous les emportements. Et d'ailleurs, s'adonner au Mal, c'est se rapprocher de Dieu. Poutine l'a bien compris.


De mes études en orthodoxie, avait émergé, pour moi, la figure de Théodora, prostituée et Impératrice de Byzance aux côtés de l'Empereur Justinien (première moitié du 6ème siècle après JC). Mais c'est moins sa vie scandaleuse qui est intéressante (enfant des Jeux de l'Hippodrome, aventurière, courtisane, voyageuse...) que la splendeur de son règne. C'est en effet sous Justinien et Théodora qu'ont été édifiés les monuments les plus remarquables de Byzance, notamment la fabuleuse Sainte-Sophie. La ville a été, à cette époque, portée à un niveau de splendeur inouïe.

Mais j'ai vite compris que voyager avec le passé en tête, le sien propre et celui de la grande Histoire, c'était un peu idiot. C'est s'interdire de percevoir, comprendre, les mutations en cours.

On a tendance, en fait, à croire au caractère plus ou moins immuable d'un pays. Et c'est vrai que ça se vérifie plus ou moins pour l'Europe de l'Ouest. La France des années 50-60 par exemple, quand on regarde son cinéma, on n'a pas tellement l'impression qu'elle ait beaucoup changé. Ou même quand on lit Flaubert, Zola, Maupassant, leurs analyses, leurs personnages, semblent toujours d'actualité. D'ailleurs, pour beaucoup de Français, "c'était mieux avant", un point de vue qu'on ne retrouve quasiment jamais ailleurs.

C'est déjà plus compliqué pour l'Europe Centrale, complétement bouleversée par les guerres et la dictature rouge. Et ça ne se vérifie absolument pas pour la Turquie et même pour toute l'Asie.

On s'en rend compte tout de suite quand on débarque au nouvel aéroport d'Istanbul. Il serait le plus grand du monde et c'est, en effet, peu dire qu'il est gigantesque. Il est presque cauchemardesque parce qu'il faut tout de suite galoper au travers de labyrinthes pendant des kilomètres. Et puis, consulter le tableau des vols est vertigineux. Même des destinations comme Bichkek, Tachkent, Nour-Soultan, semblent banales. On m'a raconté qu'il y a seulement 40 ans, l'aéroport international d'Istanbul, ça n'était qu'une espèce de grand hangar qui attendait quelques vols chaque jour, principalement en provenance de l'Europe.

Tout de suite, on comprend que la Turquie d'aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec la Turquie d'hier. Pas seulement, celle de l'Empire ottoman, bien sûr, ni celle de la République d'Atatürk, mais simplement la Turquie d'il y a 10 ans, 20 ans, 40 ans.

Il y a d'abord eu une croissance démographique vertigineuse. La population totale (85 millions aujourd'hui) a doublé depuis 1980 (43 millions) et plus que triplé depuis 1960 (27 millions). Mais c'est surtout à Istanbul que ça a été effrayant. La ville comptait 700 000 habitants en 1927, 1 million en 1950, 2 millions en 1960, 3,5 millions en 1970, 4,7 millions en 1980, 10 millions en 2000. Et finalement, on en serait aujourd'hui à plus de 15 millions. Et il ne s'agit que de chiffres officiels qui ne prennent que plus ou moins en compte des flopées de réfugiés venant de Syrie, d'Irak, du Yémen, d'Iran, etc... Un chauffeur de taxi me disait qu'il fallait ajouter à 15 millions de Turcs stambouliotes au moins 5 millions d'étrangers-réfugiés.

C'est sans doute exagéré mais peut-être pas trop et c'est vrai qu'on est impressionnés par les foules énormes qui arpentent aujourd'hui les rues d'Istanbul. J'ai tout de même connu Téhéran et Tokyo mais je n'ai jamais vécu de pareilles bousculades, comparables, dans les grandes avenues, à celles du métro parisien. C'est perturbant, déstabilisant, au début, surtout quand on a en mémoire les récits des premiers routards vers l'Inde qui décrivent Istanbul comme une halte paisible où il est par exemple agréable de se reposer en prenant un verre sur la place de l'Hippodrome.

Et puis aux réfugiés, s'ajoutent des touristes innombrables venus de tous les pays du Golfe (E.A.U., Koweit, Qatar) et de toute l'Asie Centrale (Ouzbekistan, Azerbaïdjan, Turkmenistan, Kazakhstan etc...), pour les quels la Turquie a un parfum d'Occident auquel ils peuvent goûter sans qu'ils se fassent remarquer par leur tenue vestimentaire. Je redoutais de rencontrer plein de Russes à Istanbul (c'est un lieu où ils ont encore libre accès) mais ils sont vraiment noyés dans la masse. En revanche, j'ai été interpellée plusieurs fois directement en russe (ce qui ne me fait pas forcément plaisir) par des Ouzbeks et des Kazakhs.

J'avais le souvenir d'un Istanbul surtout fréquenté par des touristes occidentaux. Ils sont minoritaires aujourd'hui largement remplacés par une immense vague orientale.


Il faut bien le constater : Istanbul n'est plus seulement turque, elle est devenue une "ville monde". Et surtout, c'est toute la Turquie qui est devenue une immense plaque tournante des échanges avec toute l'Asie.

 On parle beaucoup aujourd'hui des nouvelles "routes de la soie". C'est vrai qu'un petit séjour à Istanbul permet d'en appréhender tout de suite la réalité. Ça se mesure à son cosmopolitisme mais aussi, il faut bien le reconnaître, à l'enrichissement extraordinaire (en dépit d'une inflation galopante) de la ville. Plus rien à voir avec le pays crasseux et délabré où on redoutait autrefois les horreurs qu'allaient nous réserver une chambre d'hôtel, un restaurant, des toilettes publiques et où les coupures d'eau et d'électricité étaient fréquentes. Aujourd'hui, tout marche, tout fonctionne, tout est nickel mais on y perd aussi en esprit d'aventure.


Le monde change à toute vitesse et on n'y prête pas suffisamment attention. On est prisonniers de schémas du passé. Je me dis que j'étais vraiment une idiote avec mon idée de redécouvrir les origines de Byzance.

Ça n'est sûrement plus d'actualité. La Turquie chrétienne (20 % de la population au début du 20 ème siècle), c'est fini, balayé. Des Grecs, des Arméniens, des Assyro Chaldéens, il n'y en a plus guère (moins de 1% de la population).

On peut le déplorer parce que le patrimoine architectural, lui, est toujours bien là. Et puis visiter Sainte-Sophie, récemment transformée en moquée, est devenu un enfer tant l'affluence y est importante. Quant à St-Sauveur- in-Chora, autre joyau byzantin lui aussi converti en mosquée, il est fermé pour travaux.

 Mais on ne reviendra jamais en arrière, la Turquie chrétienne, grecque et arménienne, c'est bien fini. Il faut plutôt essayer de comprendre le basculement du monde aujourd'hui en cours.


Peter Frankopan (in "Les nouvelles routes de la soie") résume bien le problème : "Le changement est normal, de grands déplacements des centres du pouvoir mondial sont fréquents et notre univers actuel, chaotique et déroutant, n'est peut-être pas si bizarre et inhabituel, après tout".


Istanbul illustre bien ça. La ville est devenue énorme, monstrueuse. Quand j'ai dit à une jeune femme turque que j'habitais Paris, elle m'a répondu : "Oh ! Paris, c'est petit."


Et c'est vrai qu'elle a raison, que c'est tout petit comparé au mastodonte turc. Une vraie ville de poupées, presque provinciale.

 Istanbul est littéralement propulsée dans une autre dimension. Elle rêve au-delà d'elle-même et de ses limites géographiques. Vivre à Istanbul, ce n'est pas seulement vivre à cheval sur deux continents (l'Europe et l'Asie) et deux mers (Marmara et la Mer Noire), et être dispersés sur une multitude d'îles et de quartiers aux noms évocateurs (Galata, Beyoglu, Sultanahmet, Eminönû, Eyüp, Usküdar, Dolmabahçe). C'est surtout se projeter bien au-delà d'Istanbul lui-même, très au loin à l'Est, partout où l'on est turcophone : à Tachkent, à Nour-Soultan et même jusqu'à Iakoutsk (République de Sakha). C'est la résurrection du Panturquisme.
 


C'est cela le grand bouleversement que vit aujourd'hui la Turquie, un bouleversement que l'on appréhende mal en Europe. La chute de l'URSS a, en fait, complétement redistribué les cartes : le monde turc est devenu gigantesque. Quant à la Russie, elle a bien du souci à se faire car elle est directement confrontée à deux colosses, le turc et le chinois.

Et en Turquie, finis la morosité, le déclinisme, le sentiment, éprouvé depuis la fin de la 1ère guerre mondiale, d'avoir été relégués parmi les nations de second ordre.

A Istanbul, on se sent emportés par un grand dynamisme, un vent d'optimisme. On sent que l'avenir vous appartient.

Il n'y a pas si longtemps, la Turquie ambitionnait de rejoindre l'Europe. Elle a été mise en stand-by. Déception, humiliation sans doute à l'époque. Mais est-ce aujourd'hui encore une préoccupation ?

C'est la grande force d'Erdogan. Il a su réinsuffler l'esprit de l'Empire. Mais un Empire tourné non pas vers l'Ouest c'est-à-dire vers l'Europe, comme l'ancien Empire Ottoman, mais carrément vers l'Est, vers toute l'Asie Centrale. Et là-bas, c'est infiniment plus vaste et prometteur.

Depuis 3 décennies, la Turquie a cessé d'être un "grand malade". Elle est de retour à toute vitesse et elle est en pleine expansion.

Faut-il s'en inquiéter ? Je ne sais pas. En Europe, et particulièrement en France, on voit  le problème sous l'angle de la montée de l'islamisme. C'est une grande peur que je trouve personnellement excessive et même un peu ridicule. On nous bassine avec les femmes voilées et on s'imagine déjà toutes les Parisiennes obligées de revêtir un tchador ou une burqa.

Cette polarisation sur la question du voile m'insupporte. C'est vrai qu'à Istanbul, la proportion des femmes voilées a sensiblement progressé depuis mon dernier séjour. Mais il y a mille interprétations à fournir du phénomène. Les Iraniennes n'ont aucunement abdiqué leur liberté en étant contraintes de porter le voile. Et puis une femme est toujours déguisée, voilée, même avec une mini-jupe et un maquillage outrancier. On obéit toujours à un dress-code. L'important, c'est de le savoir, d'en avoir conscience.

Quant à Istanbul donc, je dois dire que j'ai apprécié l'extrême diversité des tenues vestimentaires des femmes. Bien sûr, on est dans un pays musulman mais on ne perçoit pas de rigorisme moral. A Istanbul du moins, tout est possible, tout est permis : depuis la stricte burqa jusqu'aux vêtements fluo qui vous boudinent les fesses. L'important surtout, c'est que personne ne s'offusque ni ne vous fait de remarques. Quelle que soit votre tenue, on ne vous embête pas. Et j'ai pu parler avec la même facilité aussi bien à des femmes voilées qu'à des gamines aux cheveux teints en rose.

Le problème est ailleurs, me semble-t-il. J'ai tendance à voir les choses sur un plan politique plus général. J'ai précisé qu'un vent d'optimisme soufflait aujourd'hui sur les routes qui vont d'Istanbul à Pékin. Les échanges se multiplient, de nouvelles alliances, de nouvelles coopérations sont scellées. Les vieux antagonismes sont dépassés. Il y a un enrichissement collectif considérable.

Ça contraste singulièrement avec l'immobilisme de l'Europe qui n'avance qu'à une lenteur désespérante et qui est confrontée aux populismes.

Tout ce qui se passe donc aujourd'hui sur les anciennes routes de la Soie est sans doute enthousiasmant, formidable. Mais c'est en même temps inquiétant pour les démocraties occidentales et "la vieille Europe".

Elles sont empêtrées dans leurs difficultés à travailler ensemble, elles sont en déclin sinon économique du moins démographique et elles se retrouvent maintenant confrontées à un grand bloc de régimes autocratiques et illibéraux qui exècrent les idées démocratiques.


L'Avenir n'est bien sûr pas écrit mais il peut bifurquer.

 Mes petites photos d'Istanbul pour les quelles j'ai surtout essayé d'être un peu personnelle. J'ai notamment intégré des images de la gare de l'Orient-Express, du musée personnel de l'écrivain Orhan Pamuk et de mon restaurant favori (aux céramiques bleues). La 7ème image est prise sur l'hippodrome romain autrefois arpenté par celle qui allait devenir l'impératrice Théodora (elle serait sans doute un peu dépaysée aujourd'hui face à cette manifestation de jeunes filles turques). La dernière image, symbolique, est, bien sûr, celle du fameux pont du Bosphore qui relie l'Europe à l'Asie.

Istanbul fait partie de ces villes qu'il faut avoir vues dans sa vie. Mais je reconnais aujourd'hui qu'il ne faut vraiment pas être allergique à la foule. Si c'est votre cas, sachez que le reste du pays est magnifique. J'adore personnellement l'Est : Sivas, Erzurum, Trabzon, Kars, Dogubayazit, Van.

Mes conseils de lecture :

- Peter FRANKOPAN : "Les routes de la soie" édité en 2015 et suivi des "Nouvelles routes de la soie" (2018).

- Metin ARDITI : "Dictionnaire amoureux d'Istanbul" Un ouvrage tout récent qui recense tous les aspects merveilleux d'Istanbul. Tout ce qui y étonne, émerveille. Une lecture indispensable. 

- Orhan PAMUK : "Istanbul". Evocation d'une ville dans les années 50-60. Roman de formation.

- Ahmet ALTAN : "Madame Hayat". Un roman tout récent, une belle histoire d'amour pour une femme sensuelle d'Istanbul. Il faut souligner que ce livre n'est pas paru en Turquie. Il a été rédigé pendant 5 années d'une dure détention pour des motifs politiques. Un livre qui a été une manière d'échapper à la réalité carcérale.

- Charles KING : "Minuit au Pera Palace - La naissance d'Istanbul". L'histoire du grand hôtel de luxe (ouvert en 1892) d'abord destiné aux voyageurs de l'Orient-Express. Une histoire qui rencontre la Grande Histoire avec Agatha Christie, Léon Trotski, Dos Passos, Goebbels.

- Hors-série du journal "Le Monde" : "Où va la Turquie ?" (novembre 2021).

6 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!

Nous pouvons comprendre et nous inquiété en Amérique des agissements d’Erdogan avec un tel pays qui semble vivre dans la servitude volontaire.. Un autre qui se sent fort! Qui rêve de dominer. D’imposer sa marque. Il vend des armes aux Ukrainiens, mais il en vend aussi aux russes. Et puis, il y a toujours le problème des Arméniens qui traîne dans le portrait de famille. Il joue sur tous les tableaux, mais ne cherche pas nécessairement une niche. Sans oublier que si tu critiques le régime, tu peux passer à l’ombre. Combien de journalistes et d’intellectuelles ont été emprisonnés depuis depuis 40 ans? Nous pouvons mettre en doute leur État de droit. Et, je ne parle pas de ceux qui s’opposaient au régime et qui ont été liquidés. Une belle bande composé de Russes, d’Iraniens, et de Turcs sous la férule des Chinois maîtres vendeurs à la fine diplomatie. Ils sont tous là à attendre que l’Ukraine se fasse bouffer. Si non, ils donneront une mauvaise note à la Russie. Au Canada, nous avons eu des problèmes diplomatiques avec les Iraniens, les Turcs, et maintenant nous en avons avec les Russes. Et, nous devrions avoir confiance?

Merci Carmilla et bonne fin de journée

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne suis nullement une spécialiste de la politique turque et je ne voudrais pas avoir le ridicule d'émettre des affirmations péremptoires en la matière.

Je n'apprécie évidemment pas Erdogan mais il semble que si son régime est autoritaire, il n'est quand même pas une dictature. Il y aura l'an prochain des élections et les observateurs s'accordent généralement à considérer qu'elles devraient déboucher sur un changement politique.

De mes observations, j'ai retiré le sentiment que l'ambiance générale du pays n'était pas celle d'un sombre conformisme moral. On est dans un pays musulman certes mais les jeunes semblent disposer d'une assez grande liberté. Evidemment, il faudrait aller au delà d'Istanbul.

Ce qui est incontestable, c'est le miracle économique de la Turquie. Le pays est vraiment sorti, au cours de ces deux dernières décennies, de sa pauvreté.

Ce qui est également marquant, c'est son extraordinaire ouverture internationale avec des liens accrus avec tous les pays Golfe et surtout de l'Asie Centrale. J'ai vraiment été étonnée par le nombre d'Ouzbeks, de Kazakhs, d'Azerbaïdjanais (tous parlent également russe) qui viennent en Turquie pour du travail, du commerce ou du tourisme.

On assiste vraiment à la constitution d'un grand ensemble turc (peut-être un Empire) allant de l'Asie Centrale à la Méditerranée. C'est la Renaissance du Panturquisme.

C'est peut-être inquiétant (Poutine veut, de son côté, ranimer le Panslavisme) mais ça peut aussi donner lieu, dans un avenir assez proche, à l'émergence d'une nouvelle grande puissance économique (largement pourvue en matières premières).

Il faut réfléchir à cette évolution du monde.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!
D’une assez grande liberté? Vous savez l’importance de ce mot pour moi. Il n’y a jamais assez de liberté, assez de responsabilités assumées. Assez, ici, est un mot qui n’a pas sa place. Tu est libre, ou bien tu ne l’es pas. La Turquie pour moi, se sont les photos, 17, 33, 34. Les vieilles maisons en bois sans peinture, ce qui me rappelle certaines pages de Pamuk, les femmes voilées, une certaine restriction qui tire sur l’interdit. Ce n’est certainement pas ce qu’espérait et souhaitait Atatürk. S’ils sont si puissant, pourquoi ne sèment-ils pas de blé pour nourrir les populations environnantes? Il se donne des airs de grandes puissances, mais toujours avec une retenue, je ne n’ai pas dit pudeur. Et c’est quoi cette manière de tripoter avec la diplomatie pour interdire à la Suède et à la Finlande, d’accédé à L’OTAN? Erdogan en prenant cette position flatte-t-il son ego? Désire-t-il se faire remarquer? Est-ce qu’il veut impressionner la Russie, la Chine et l’Iran? Puisque dans ce dossier, c’est de ces trois pays dont il est question. Il ne suffit pas de vendre quelques drones pour assurer sa puissance aux yeux du monde. Ce qui est ironique dans toute cette géopolitique, c’est que la route de la soie devait passer par l’Ukraine. Les Chinois présentement ne sont pas très contents de cette situation branlante, ça dérange leurs plans financiers et leurs projets d’avenir, en étant obligé de composer avec tous ces pays turbulents, c’est le moindre que nous puissions dire dans cette partie du monde. Avec qui les turcs vont-ils embarquer? Qui seront leurs alliés? Prendront-ils le leadership au Moyen-Orient? Un jour la Turquie devra laisser tomber le masque comme elle l’avait fait avant 1914, alors que les officiers allemands formaient l’armée Turque. Que vaut ce pays face à la Russie, La Chine et l’Iran? C’est bien beau les grandes villes bien propres et populeuses, mais derrière tout cela, que vaut la campagne, que vaut le peuple? Nous en voyions présentement des grandes villes réduites en cendre. Après cent jours de conflit, heureux que le chaudron n’ait pas encore débordé. Et puis, c’est quoi cette recommandation de Macron à Zelensky, de ne pas humilier Poutine? Nous n’en sommes plus à l’humiliation lorsque c’est une question de vie ou de mort, (surtout de mort)! On ne rafistole rien avec des concessions diplomatiques. C’était désolant de voir Erdogan au début du conflit essayer d’organiser une rencontre entre les Russes et les Ukrainiens, ce qui n’a pas eu de résultat. Erdogan était mal placé pour jouer à l’arbitre. Bien sûr, il n’a pas renouvelé l’expérience. On se souviendra, il n’y a pas si longtemps, qu’il y a eu des accrochages entre la Turquie et Israël, et l’ironie de l’affaire c’est qu’il y a plusieurs pays arabes qui détestent la Turquie et avec raison. Ce qui mélange encore plus les cartes. Le commerce peut favoriser la paix, mais ce n’est pas une garantie béton de la paix. Nous pouvons le constater en Ukraine présentement, alors qu’ils étaient en train de prendre leur élan ils auront été attaqué. Pourquoi les russes n’ont pas continué de vendre leur pétrole à tout le monde? Que les Ukrainiens vendent leur blé? Que les Chinois traversent l’Europe Centrale pour vendre leurs produits? Est-ce que cela aurait eu une influence sur Erdogan, de libérer ses dissidents, de reconnaître le massacre des Arméniens? En conclusion, je ne suis pas si sûr d’un prochain changement de régime en Turquie, mais ce dont je suis sûr c’est nous en reparlerons…

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il faut peut-être nuancer les choses. Bien sûr que la Turquie n'est pas une grande démocratie et qu'Istanbul n'est pas Stockholm (ce qui ne signifie qu'on est malheureux à Istanbul et que la vie n'y est pas agréable).

Mais il faut aussi considérer les évolutions. Le pays s'est sorti de la pauvreté et s'il est un pays musulman, il demeure plus tolérant que la plupart des autres.

Quant à juger des aspects culturels et religieux, j'ai personnellement beaucoup de difficultés à le faire. Je connais quand même un peu l'Islam mais face à des Musulmans, je ne m'autorise pas à critiquer leur religion. Des tabous, des interdits, on en est tous porteurs plus ou moins consciemment (à Paris comme à Istanbul). En Europe même, il y a quelques décennies, les mentalités étaient bien différentes, sans doute moins tolérantes et libérales en matière de mœurs (même si ça peut être discuté). Je crois toujours au Progrès même dans les moeurs.

Le principal problème posé par la Turquie, c'est peut-être, en effet, sa politique étrangère. Le Panturquisme, je crois que ça marche très fort avec la redécouverte de l'Asie Centrale. Le pays se rêve maintenant comme une grande puissance et non plus comme un État membre de l'Europe. On peut penser que ça survivra largement à Erdogan et que dans les années à venir, il y aura, en Asie, un bloc turc, un bloc chinois et, peut-être, un bloc russe. Mais c'est vrai que tous ces gens qui se croient puissants, ça fait peur.

Aujourd'hui, la politique turque demeure tâtonnante mais elle devrait s'affirmer de plus en plus, qui que soient ses gouvernants futurs. Le risque, c'est qu'il existera trois grandes autocraties dont on ignore comment elles cohabiteront. Un sacré défi pour les démocraties occidentales.

Quant aux propos d'Emmanuel Macron, je les juge également navrants et inappropriés. Je pense revenir dessus.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla

Merci de votre commentaire.

Est-ce que les gens en Turquie parlent de ce qui se passe au nord? Est-ce que cette guerre entre les Ukrainiens et les Russes les préoccupent? Qu’en disent les médias? Avez-vous rencontré des Ukrainiens et des Russes?

Bonne nuit

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Des Russes à Istanbul, il y en a, bien sûr, parce que la Turquie n'a appliqué aucune sanction à l'encontre de la Russie. Pour certains, oligarques et opposants, la Turquie est donc un éventuel pays de refuge.

Cependant, Istanbul est maintenant tellement peuplée que les Russes sont noyés dans la masse et qu'on ne les remarque guère. De toute façon, je n'ai guère envie de leur parler en ce moment.

Le russe m'a en fait surtout servi pour échanger avec des Ouzbeks et des Kazakhs, très nombreux et visibles à Istanbul.

Quant aux Ukrainiens, j'en ai rencontré mais peu. Ce sont plutôt des gens installés depuis longue date car il n'y a pas de raison de rejoindre aujourd'hui la Turquie. Le statut de réfugié ukrainien en Europe est beaucoup plus favorable.

Ce que je trouve bizarre, c'est que dans une foule très diverse, on arrive tout de suite à s'identifier, même des gens issus d'une République d'Asie, au vu de notre apparence physique. Il y a quand même un look commun "ancienne U.R.S.S.".

Quant aux Turcs eux-mêmes, si je me fie à un article récent du journal "Le Monde", leur opinion sur la guerre épouse, à peu près, celle de tous les pays du Moyen-Orient. On condamne peu la Russie (seulement 38 % en Turquie), voire on la soutient (Iran, Syrie, Irak), et surtout on considère, très majoritairement, l'Otan (c'est-à-dire les USA) comme le responsable de la guerre.

C'est évidemment consternant.

Au total, je crois que la guerre n'inquiète pas du tout la Turquie. En faisant ami-ami avec tout le monde, elle pense, au contraire, voir son rôle international renforcé



Bien à vous,

Carmilla