samedi 20 août 2022

Du sentiment de l'imposture


Ilia Iachine, opposant russe, compagnon de route d'Alexei Navalny, placé récemment en détention, rapportait récemment la psychologie de Vladimir Poutine au "syndrome de l'imposteur".


Je ne raffole pas de ces analyses expliquant le comportement des dirigeants politiques par un supposé dérèglement mental. C'est une espèce de paresse intellectuelle qui conduit à négliger la logique et la rationalité d'un pouvoir.


Mais en l'occurrence, c'est assez convaincant. Il faut tout de même rappeler que Poutine est devenu Président de la Fédération de Russie, en mars 2000, en bénéficiant de ce qui pouvait paraître une chance absolument incroyable. Quelques mois auparavant, il était totalement inconnu, y compris d'Eltsine.


Il a vécu sa jeunesse dans la misère et la promiscuité d'un appartement communautaire de Saint-Pétersbourg. Il s'est surtout livré à la petite délinquance, goûtant les bagarres et la violence. Elève médiocre, il a tout de même pu accéder à l'Université où il a fait quelques études de Droit. Il est également parvenu à réaliser son rêve, intégrer le KGB, mais ne s'y est pas révélé un agent de grande valeur et n'y est pas devenu un officier de haut rang. Après la chute de l'URSS, il a tout de même intégré la mairie de Saint-Pétersbourg grâce à l'appui de son Maire, Anatoli Sobtchak, qui est devenu un ami. Il aurait commencé à s'y enrichir considérablement grâce à la pratique des pots de vin absolument normale en Russie à cette époque.


Au regard de ce passé très médiocre, voire misérable, l'accession au pouvoir suprême de Poutine apparaît donc effectivement quasi miraculeuse. Les "Ors du Kremlin" offerts à un beauf qui parle même un russe brutal et quelquefois vulgaire. Nul doute que lui-même ne se pose continuellement des questions et ne s'interroge sur la réalité et la légitimité de ce qu'il vit. Est-ce que quelqu'un ne va pas déchirer un jour le voile et dénoncer la supercherie ? C'est d'autant plus plausible que l'histoire russe abonde en faux tsars et en imposteurs (notamment le faux Dimitri reconnu, au début du 17ème siècle, par le Roi de Pologne, une histoire que tous les Russes connaissent et continuent de ruminer).


C'est le syndrome classique de l'imposteur qui conduit à attribuer sa réussite non à ses qualités propres mais au hasard et à la chance. Même si la modestie n'est pas sa qualité première, on peut quand même penser que Poutine redoute, probablement, que tout ne s'écroule comme un château de cartes. 


Ca ne serait pas trop grave si les gens affectés par ce syndrome de l'imposteur n'avaient justement tendance à vouloir trop en faire pour compenser leur angoisse et leur incertitude. Et c'est là qu'ils deviennent redoutables, notamment quelqu'un comme Vladimir Poutine. Il est capable de tout pour prouver, à tout prix, sa valeur, pour parvenir à persuader les autres qu'il est bien un vrai Tsar, qu'il n'est pas un imposteur. Son ambition : s'inscrire dans l'Histoire russe comme l'un de ses dirigeants majeurs, à l'égal de Pierre Le Grand ou de Catherine II. Mais j'ai bien peur qu'on ne conserve de lui que le souvenir d'un Paul 1er (le fils de Catherine). Un Empereur plein de méfiance et de rancune, militariste, au comportement étrange, qui finira assassiné. 


Je ne crois pas, et j'espère, ne rien avoir de commun avec Poutine, mais j'avoue que je comprends très bien cette attitude. Parce que je pense que, comme beaucoup de gens, je suis affectée par ce syndrome.

C'est sans doute lié à mon histoire. Je me demande toujours ce que je fiche là, aujourd'hui, à Paris.  Ca n'est pas dans le prolongement naturel de ce qu'aurait dû être ma vie. C'est plutôt la conséquence de hasards incroyables.


Est-ce que je ne devrais pas plutôt être en Ukraine, ou bien en Pologne comme réfugiée, ou bien en Iran ? Je me demande bien ce que je ferais si j'étais restée là-bas. Je ne serais sûrement pas dans la finance. Peut-être prof (de je ne sais pas quoi) ou institutrice. Sûrement avec un mari et des gosses parce que la famille, c'est très important là-bas.


Souvent même, je n'ose pas dire que je suis Française, tellement j'ai conscience que ça peut susciter l'incrédulité.

Mon look d'abord, peut-être pas toujours du bon goût parisien. C'est beaucoup lié aux images de la féminité qui ne sont pas les mêmes.


Et puis ma façon de parler. Non pas que j'aurais un accent ou ferais des fautes (je ne crois pas ou, du moins, sûrement pas trop). C'est plutôt que je parle (et aussi écris) comme dans un livre, de manière trop correcte ou appliquée. Un vrai Français sait parler négligemment, jouer d'une certaine spontanéité, créativité. Pas moi. 

Mais voilà, contre toute attente, j'ai quand même réussi à faire mon trou à Paris. J'étais une telle dingo adolescente puis étudiante, avec mes tendances punk-gothiques, que ça n'était pas évident. Mon regret: que mes parents n'aient pas su que je m'en étais sortie. 


J'avais heureusement besoin de sécurité et puis l'économie politique, ça m'intéressait. Et c'est alors que j'ai eu une chance insensée en réussissant un grand concours pour le quel je n'étais pas préparée (parce que je ne savais pas en quoi ça consistait vraiment). Techniquement (le Droit par exemple), je n'étais vraiment pas au point, voire carrément nulle. Et même les maths, il y a vraiment bien meilleur que moi. 


Je suppose que ce qui m'a sauvée, ce sont les épreuves de culture générale et, probablement, mon charme à l'oral. Mais cette réussite m'a presque sidérée, rendue inquiète. J'avais l'impression de n'être plus la même, de rentrer dans une autre peau, de trahir, presque, celle que j'étais. Et puis, je doutais des résultats : est-ce que quelqu'un ne va pas  déposer un recours, arguant que je n'avais pas le droit de participer à ce concours ou que j'étais tellement lamentable dans certaines matières que j'aurais du avoir des notes éliminatoires ? 


Evidemment,  j'ai été bien étonnée, après, quand je me suis retrouvée dans une Ecole Nationale en compagnie d'élèves-collègues avec lesquels je ne me sentais rien de commun. Et ensuite dans des ministères pour y bidouiller mes projections financières. Comment était-ce possible ?  J'ai étonné tous mes amis. Moi haut fonctionnaire, une folle comme moi ! On va tout de suite se rendre compte qu'il y a erreur. Et puis mes élucubrations, on n'a pas besoin de ça pour torpiller l'Etat. 


C'est sûr que l'administration française, c'était plus dépaysant que tout ce que j'avais connu jusqu'alors, même l'URSS, même la République Islamique d'Iran. Ca a été difficile mais, curieusement, j'ai réussi à m'accommoder à cet univers désincarné, très hiérarchisé, pas drôle du tout, où l'on n'est considéré qu'à proportion du concours que l'on a réussi. Ca m'a sacrément recadrée. Mais on y fait de vous de belles mécaniques et on s'est, étrangement, toujours montrés ouverts à mes bidouillages et théories. 


A partir de là, j'ai compris que je pouvais m'adapter à presque tout. Ensuite, ça s'est enchaîné. La société française est une société de réseaux; une fois qu'on est lancé, il suffit de les suivre. Je vis donc maintenant confortablement en France. Mais curieusement, cela m'inquiète aussi. Est-ce que ma situation est juste et méritée ? Est-ce qu'elle n'est pas insolente vis-à-vis des Français ? Est-ce que quelqu'un ne va pas me dénoncer comme usurpatrice ?


Des questions peut-être absurdes mais il est vrai que je n'ai jamais une complète confiance en moi et que j'ai toujours peur que tout ne s'écroule brutalement. La chance peut, à tout moment, cesser de me sourire. Mais ce sentiment d'insécurité a aussi son côté positif. J'essaie de tout faire pour compenser mon angoisse : montrer que je ne suis pas si nulle et que ma situation n'est pas totalement imméritée. Mais c'est vrai qu'une telle attitude est dangereuse et qu'elle débouche vite sur l'extrémisme.

  

Tableaux de Gérard GAROUSTE (né en 1946), à me yeux l'un des grands peintres français contemporains. Le premier a été peint en hommage à l'Ukraine.

Je recommande :

- Parick AVRANE : "Les imposteurs". Le livre de référence sur la question par un psychanalyste. Il faut toutefois préciser qu'il traite davantage de ceux qui usurpent réellement l'identité d'un autre plutôt que de ceux qui ont le sentiment de l'imposture de leur vie, ce qui est bien différent. Le véritable imposteur a une absolue confiance en lui, ce qui n'est pas le cas de celui qui éprouve le sentiment d'imposture.

- Masha GESSEN : "Poutine - L'homme sans visage". Par une journaliste russo-américaine, une étude bien documentée notamment du Poutine d'avant 2000. 

- Sergeï JIRNOV : "L'éclaireur". J'ai déjà évoqué le livre de cet ex-espion du KGB qui a côtoyé Poutine et en est un absolu contempteur.

- Herman KOCH : "Jours de Finlande". Un livre qui ne parle pas beaucoup de la Finlande mais est plutôt un roman autobiographique : le récit de la construction d'un individu dans son adolescence et sa jeunesse;  tout ce qui l'a conduit à devenir, inévitablement, écrivain. Herman Koch est très connu en Hollande où il rencontre un succès phénoménal. Je l'aime bien parce qu'il est très différent de la plupart des écrivains français (des profs de lettres qui méditent dans leur chambre). Herman KOCH se situe, quant à lui, au plus près du concret des choses.

16 commentaires:

julie a dit…

Haute fonctionnaire de l'état... Nous y voilà !
Félicitations Carmilla, votre parcours est méritant. Mais je ne vous envie pas pour autant, vous êtes (parmi tant d'autres) mal-aimé d'une bonne moitié des Français. (sourire)
Prière, faites baisser un peu nos impôts... (rire)
Agréable week-end à vous, la pluie est de retour chez nous.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Mais je ne travaille plus aujourd'hui auprès de l'Etat. Quant aux impôts, l'Etat français vit aujourd'hui à crédit en empruntant massivement sur les marchés financiers. Baisser les impôts des particuliers accroîtrait son endettement et conduirait à importer davantage de biens de l'étranger. En revanche, une baisse des impôts des entreprises pourrait être bénéfique. C'est tout le débat actuel entre une politique de l'offre (favorable aux entreprises), et une politique de la demande (favorable aux particuliers et à la consommation). Je penche personnellement pour la première politique.

Je ne crois pas que mon parcours soit méritant. J'ai d'abord, incontestablement, eu beaucoup de chance. Et puis, il fallait bien que je survive économiquement. Ma seule force, c'est peut-être, paradoxalement, de ne pas avoir suffisamment confiance en moi. Les gens comme moi cherchent alors à compenser.

Les fonctionnaires sont en effet mal aimés. C'est le cas dans tous les pays du monde. C'est souvent justifié. Mais on rencontre aussi, dans l'administration, des gens remarquables.

En effet, il fait un peu moins chaud et sec mais j'avoue avoir souffert.

Agréable week-end à vous aussi,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!

Hasard, chance, et mérite.

Nous y sommes un fois de plus, devant toute la vie entière, celle qui ne se débine pas, ne se déroule pas toujours comme on l’espérait, et lorsque la hasard tord le bras de la chance, cette dernière laisse tomber les dés. Le hasard nous pousse à une lutte constante, surtout lorsque qu’on éprouve certaines déficiences dans les tempêtes de l’existence. Votre histoire m’intéresse parce qu’elle n’est pas banale. Tout un cheminement, vivre et étudier dans trois pays, que dire, pratiquement dans trois civilisations différentes, pour parvenir à ce que vous êtes aujourd’hui. Le tout au travers des angoisses, des doutes, par grands vents de hasards qu’on ne contrôle pas. Nous essayons souvent de soumettre ce fameux hasard à notre contrôle, somme toute pour des résultats souvent catastrophiques, où l’on perd le contrôle du hasard. Alors, déstabilisé, notre orgueil en prend pour son rhume et nous sommes ramenés à la modestie la plus basique. Ce que j’aime particulièrement dans votre cheminement, ce n’est pas votre réussite; mais que vous en êtes pleinement consciente, et croyez-moi, ce n’est pas tout le monde qui reviennent ainsi sur leur vécu. Nous en avons tous rencontrés au cours de notre existence, de ces personnes brillantes qui ont échoué à un concours ou à un examen, pour finalement prendre une autre direction. Ces genres d’histoires me fascinent. Plusieurs ne s’en relèvent pas, d’autres, contre toute attente, finissent par passer au travers, et souvent sans trop de peine. Mais, je sais, qu’on ne peut pas juger une personne seulement sur quelques examens. Arrive un moment où la réalité vous rattrape.

Au Québec, pour devenir avocat pratiquant, bien sûr il faut réussir les examens de l’université, mais surtout réussir l’examen du Barreau. Ce que redoute tous les étudiants en droit en général. J’ai rencontré dans mes pérégrination deux types exceptionnels, qui me disaient qu’il avait réussi l’examen du Barreau facilement. Le plus désopilant des ces histoires, c’est que l’un était devenu répartiteur pour un pourvoyeur, et l’autre répartiteur dans une compagnie d’aviation. Ils n’ont jamais pratiqué le droit. C’est un petit exemple en passant.

Vous vous présentez pour des examens dans une grande école supérieure, et contre toute attente, vous êtes acceptée. Qui plus est, vous avez réussie, encore qu’il vous fallait être acceptée, avec vos forces et vos faiblesses, parce que ce n’était qu’un début, après il fallait poursuivre, passer tout le reste, et je ne doute pas que si vous me dites que vous avez travaillé pour réussir, pas besoin d’insister, je vous croie.

On ne peut pas faire autrement, pour les personnes conscientes de leur chance, où le hasard les a favorisé, où le sort à joué en leur faveur, le tout avec une pointe d’angoisse, se pencher sur son passé. Je suis bien placé pour vous en parler, alors que je suis assis sur ma chaise en train de vous écrire par un dimanche couvert, par temps frais, qui annonce l’automne, où je suis toujours bien vivant, lorsque je pense qu’il en a fallu de peu pour que je ne sois pas. C’est fou la vie, ça tient à si peu.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Je m’en voudrais de passer sous silence : le mérite. Vous n’évoquez pas souvent votre travail, vos efforts, vos peines pour arriver à votre réussite. Nous pouvons nous poser la question : Est-ce que je mérite ce qui m’arrive, ou bien, ce qui m’est arrivé? Nous pouvons essayer de faire reculer le hasard ou la chance par le travail. Ce qui ne fonctionne pas toujours. On en connaît de ces personnes qui s’acharnent pour réussir dans leur métier, leur vocation, leur vie. Eux ont beaucoup de mérite. C’était une épreuve après l’autre, une véritable course à obstacles. Je crois beaucoup plus au travail, qu’à la simple réussite. Pas question de s’agenouiller devant le hasard ou la chance. Nous l’avons évoqué à plusieurs reprises dans nos derniers commentaires. Pourquoi moi? Pourquoi pas l’autre? Je sais, nous pouvons usurper le destin à coup de hasards et de chances; mais le mérite c’est autre chose, parce que ce mérite est conditionnel à l’effort, à la lutte, au courage, à la persévérance. Ici, c’est plus difficile de masquer, maquiller, tricher, pour arriver à ses fins. Lorsque quelqu’un te donne une chance, ce n’est peut-être pas toujours une bonne chose; et lorsque que vous subissez une défaite, un refus, une déconvenue, c’est peut-être le début d’une grande aventure? Voilà des paroles réconfortantes. Les opportunités peuvent être des pièges. Carmilla, vous méritez sans doute plus que vous le pensez ce qui vous est arrivée. Je pense que dans la lutte comme dans le débat vous êtes particulièrement coriace. Cependant vous ne cachez pas votre étonnement devant votre réussite. Vous ne vous êtes peut-être pas trahit autant que vous vous l’imaginez. Peut être que les examinateurs ne sont pas tombés sous votre charme, et qu’ils ont vu autre chose en vous? Saisir le potentielle d’une personne c’est très difficile, c’est loin d’être évident. Comment choisir la bonne personne? Comment embaucher quelqu’un qui se présente devant vous? Vous avez douté des résultats. Le doute, c’est mieux que la sur confiance. Votre étonnement ne m’étonne pas lorsque vous vous êtes retrouvée parmi des gens différents de vous. Vous veniez de changer de milieu. Vous pourriez écrire un autre texte sur ce moment significatif. Je pense que se serait très intéressant. Là c’est le bouseux qui s’exprime ici, j’avais quitté l’agriculture pour me retrouver dans l’univers de l’aviation. Voilà un autre genre de passage qui nous enseigne que si on est capable de réussir dans un domaine différent, cela est bon pour la confiance en soi. Nous pouvons affirmer que c’est un genre de réussite. J’aime bien l’expression : Ça m’a sacrément recadrée. Oui, il arrive un moment dans la vie où l’on sent qu’on peut s’adapter à presque tout. Ce qui nous permet d’avancer plus sereinement. C’est la sortie de sa condition d’origine, afin de dépasser tout ce qu’on était. Ce n’est pas rien! Malgré cela, je sens chez vous cet inconfort que vous manifestez souvent envers cette France qui vous a accueillie, formée, et vous n’êtes pas la seule dans votre cas. Le Canada comme le Québec sont des terres d’émigration, des gens viennent de partout, et j’ai bien de l’agrément à discuter avec eux lorsque la langue le permet, et je retrouve souvent ce genre de sentiment qui perdure même après être reconnu comme canadien. Les premiers Ukrainiens qui sont arrivés dans l’ouest se sont empressés de s’intégrer rapidement, même au point d’oublier leur langue pour apprendre l’anglais rapidement. Ils craignaient qu’on les revoit en Europe. D’autre part, cela ne les a pas empêchés de bien réussir dans leur nouvelle vie. Est-ce qu’on se sent toujours comme émigrés dans le fond de son être lorsqu’on est accueilli dans un nouveau pays? J’ai du mal à comprendre ce genre d’angoisse. Et, j’aimerais bien comprendre la dernière phrase de votre texte : « Mais c'est vrai qu'une telle attitude est dangereuse et qu'elle débouche vite sur l'extrémisme. »
Richard St-Laurent

Richard a dit…

Comment ne pas parler de cet homme qui n’affiche jamais ses sentiments dans sa froideur proverbiale? Difficile dans les circonstances de ne pas s’intéresser à (Cousin Vladimir). La semaine dernière je me suis tapé un de ses derniers discours, intitulé : Le discours qui va tout changer.

Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en mars 2000, j’ai eu cette impression : Voilà un jeune, qui n’est pas alcoolique et qui semble avoir une certaine vision de l’avenir. Pour une fois en Russie, c’était autre chose que des vieillards malades en bout de course, ou bien des dictateurs sanguinaires. Je comptais sur le changement. Et pourquoi pas, personne ne le connaissait. J’ai pensé : voilà c’est parti, il va mettre tout le monde au travail, changer les choses, faire évoluer ce pays aux possibilités immenses. Après la décennie d’anarchie que la Russie avait connue, comment ne pas donner la chance au coureur? Sa venue fut une véritable surprise. Je me suis demandé pendant longtemps comment il avait pu arriver au pouvoir? Je me pose encore la question aujourd’hui. Dans mon esprit, cela demeure un peu nébuleux. Étrange Russie? Vingt-deux ans plus tard, je suis assis devant mon ordinateur pour écouter cet homme, ce qui est loin d’être un exercice facile. J’essaie d’être impartial autant que possible, parce que j’essaie de comprendre sa vision du monde et surtout sa manière de penser. Surtout cette manière d’aborder les sujets avec des plongeons dans l’histoire pour arriver à justifier ses actions actuelles. Cela ne coule pas de source. Je dois vous avouer que je ne me suis pas farcie ce discours juste une fois, mais plusieurs fois. Avant la parole, il y a la manière d’être. Il ne regarde pas toujours la caméra, on n’a pas l’impression qu’il s’adresse directement à nous ce qui laisse une impression d’une mécanique robotisée. Et que dire de cette manière de s’asseoir dans sa chaise tout de travers comme s’il était inconfortable. Cette façon de remettre sa cravate en place. Qui plus est, ce n’est pas un grand orateur, à chaque fois que je le regarde et que je l’écoute cela ressemble à un genre d’apprentissage par coeur. Cet homme là, ne parle pas avec son coeur encore moins avec son âme. Par contre il est beaucoup plus intelligent qu’il le laisse paraître. Ça me surprendrait qu’il soit arrivé au pouvoir seulement avec de la chance et que tout cela soit le fruit du hasard. Retors, c’est un être retors, habile, malin, on le sent capable de tout, les 22 dernières années sont là pour nous en convaincre. Il est sûr de son bon droit, et il n’a aucune difficulté à justifier ses actions. Il possède la vérité. Mais il n’est pas hystérique. Au fait, dans combien de conflits a été impliqué la Russie depuis l’an 2000? Il ne revient pas sur ses actes passés. Ce qui me fascine chez cet homme c’est son regard. Pendant que je l’écoutais j’avais du mal à détacher mon regard du sien, on aurait dit, une sorte d’envoûtement. On aurait dit un hypnotiseur, un peut comme le regard du chat qui veut attraper un oiseau, ou encore de certains serpents qui fixent leurs proies avant l’attaque. Pour terminer comment ne pas parler de ce genre de grimace qui lui sert de sourire. Cet homme-là, ne sourit pas, je me demande s’il joue au poker? Mais à quel genre de poker joue-t-il? Pour le reste nous avons eu droit pour une autre fois à ses mises en garde, ses avertissements, ses digressions, ses menaces. Le discours qui devait tout changer? Je n’ai vu aucun changement. Et vous avez raison Carmilla, s’il est destitué, par qui ont va le remplacer? Le Cousin c’est le diable qu’on connaît. Son remplaçant sera peut-être pire? Et dire qu’on va peut-être obligé de négocier avec le cousin...

Bonne fin de journée et merci pour votre texte

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je suis un peu ennuyée parce que, dans ce post, j'ai peut-être trop donné l'impression de vouloir parler de moi, ce qui n'était pas ma véritable intention.

Quant à ma relative réussite, disons que j'en retire surtout le soulagement de ne pas être trop confrontée à des inquiétudes professionnelles ou matérielles. La sécurité, c'est important. La contrepartie, c'est que ma vie professionnelle est quand même plutôt dure et stressante. Par rapport à ça, le blog, je l'ai déjà dit, c'est un dérivatif, une détente.

Sinon, sans fausse modestie, je pense quand même que j'ai eu beaucoup de chance. J'étais bien sûr bonne élève (mais c'est facile en France du moins jusqu'au stade des grands concours). Mais je n'étais pas non plus exceptionnelle et ne travaillais pas plus que d'autres.

Ma seule supériorité, peut-être, c'est que j'ai toujours beaucoup lu et probablement plus que d'autres. Je me suis toujours promenée avec plusieurs livres dans mon sac et je pense que ça m'a énormément aidée. La lecture, c'est un formidable stimulant intellectuel. Les gens qui ne lisent pas, j'ai vraiment du mal avec eux. A l'inverse, j'éprouve tout de suite des affinités avec quelqu'un qui lit même si sa situation sociale est modeste. Une espèce de fraternité, de communauté de points de vue, s'installe tout de suite. Lire, c'est dépasser toutes les barrières sociales.

Quant à Poutine, je ne sais pas si c'est un personnage complexe. C'est une vision occidentale peut-être trompeuse. Je le perçois plutôt comme taillé d'un bloc. Sûrement pas un intellectuel. Plutôt quelqu'un qui a simplement reçu une éducation virile fondée sur les rapports de pouvoir. Il faut le rappeler, il était mauvais élève puis médiocre officier du KGB. Personne ne l'avait vraiment remarqué sinon pour son énergie et sa détermination. Il ne faut donc pas lui prêter d'analyses sophistiquées. Son ambition, c'est, très simplement, de restaurer une Grande Russie, redoutée et respectée. Et pour parvenir à cette fin, il ne connaît que la force. Même si la comparaison peut paraître grossière, il est quand même bien proche d'Hitler et c'est pour cela qu'il est totalement imperméable aux négociations diplomatiques (comme celles que Macron croit pouvoir mener). A la brutalité d'un personnage, il faut, probablement, répondre par une même brutalité.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla!

Vous n’avez pas à être ennuyée.

Non, vous n’avez pas parlé trop de vous-même.

C’était très bien ainsi, je dirais même que votre texte était équilibré.

Vous avez choisie deux personnages, le Cousins Vladimir et vous-même pour illustré vos propos, qui touchent, le hasard, la chance et le mérite.

C’est étrange, dérangeant et mystérieux de la façon dont nous pouvons aborder un texte, peu importe, le texte d’un étranger, mais aussi nos propres textes. Chacun à notre façon nous l’avons envisagé à notre manière. Vous en penser une chose, vous en tiré des conclusions, et moi j’y vois autre chose comme un genre d’analyse.

Vous descendez en parallèle, vous et Poutine, ce qui est très bien, comment l’évolution d’un humain peut prendre des tournures bizarres, ou encore, des cheminements particuliers. Mais cela, c’est la vie, et souvent nous n’y pouvons rien.

Carmilla, vous êtes arrivée à aujourd’hui avec ce que vous êtes, ni plus, ni moins, d’autre part un jeune homme terne pas très brillant qui arrive, ou s’empare du pouvoir, on ne saurait dire, les officines du Kremlin à ce sujet demeurent obscures, et il dirige. Tout en ignorant ce que signifie diriger une grand pays comme la Russie. Ce qui signifie que n’importe quel humain peut-être nommé d’office; mais qu’un autre humain peut bien conquérir le pouvoir. Je vous ferais remarquer que la grande Catherine n’avait pas l’air très douée lorsqu’elle est arrivée en Russie. On ne compte ce genre de dirigeants qui sont arrivés par des chemins étranges pour finalement déboucher sur le pouvoir et le conserver jusqu’à la fin de leur jour.

Dans cette existence que l’on nomme la vie, tout peut arriver, vous pouvez monter sur un trône, ou bien aller pourrir dans le fond du cachot humide pour ne plus jamais en ressortir. Ce que nous oublions dans le fond de nos petites routines quotidiennes, parce que nous pensons que nous sommes arrivés à un genre de vie qui nous apparaît comme le summum du confort et de la civilisation, que ce que nous vivons est indépassable, nous incite à mous asseoir sur nos lauriers.

Vous avez consacré 7 paragraphes à Poutine et vous avez parler de vous en dix paragraphes, je trouve que c’est un bon équilibre sur un sujet qui mériterait un livre. Votre texte est stimulant dans le sens qui nous incite à nous pencher sur nous-mêmes sans oublier de ce qui nous entoure.

Pour retourner au cousin, il ne faut pas lui répondre par la même brutalité, parce que justement c’est ce qu’il attend; il faut lui servir quelque chose qui le dépasse, genre brutalité intelligente, quelque chose de jamais vu. Les Ukrainiens sont capables de lui servir quelque chose qu’il ne sera pas capable d’avaler.

Bonne nuit et dormez bien.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Les écrivains expriment parfois leur surprise à propos des interprétations qui sont faites de leurs textes. Certains s'estiment mal compris. Mais les plus intelligents en viennent à considérer qu'en fait, toutes les analyses, ressentis, sont légitimes. Les lecteurs révèlent à l'auteur une partie insoupçonnée de lui-même.

Je n'ai bien sûr pas la prétention d'être écrivain mais je m'inquiète moi-même parfois, un peu, de la perception de mes petits textes. Mais je sais bien que j'ai tort parce qu'une fois postés, ils appartiennent bien autant au lecteur qu'au rédacteur.

Ce qui est sûr, c'est que je me sens infiniment loin de Poutine. Ma principale ambition, ça a, en fait, été d'acquérir une sécurité matérielle suffisante pour pouvoir lire, me cultiver et voyager. Mais le monde politique et les grands engagements collectifs, j'avoue y être absolument indifférente. Ce qui seul m'intéresse, ce sont des questions techniques: comment améliorer la situation économique et financière d'un pays ou d'une entreprise ? Le bonheur des gens dépend quand même beaucoup de ça.

Poutine, je souhaite surtout que se dégonfle le mythe qui s'est constitué autour de sa personne : celui d'un grand dirigeant, presque l'égal de Pierre Le Grand et de Catherine II (je précise, au passage, que celle-ci était très cultivée au point de correspondre avec les grands philosophes).

La vérité est plus crue. Poutine est un pauvre type, probablement humilié par une enfance misérable. Il en a retiré la conviction que, pour s'en sortir, la force et la violence étaient les seules solutions.

Mais je suis pessimiste pour l'avenir. La défaite est inconcevable dans son esprit et celui de ses adjoints. Si elle se profile, il est prêt aux solutions extrêmes et à un scénario "Crépuscule des dieux" à la Hitler.

Bien à vous,

Carmilla

Anonyme a dit…

https://youtu.be/HcHs7nl5xAo

Oupyr

Paul a dit…

Bonjour Carmilla,
Vous vous écrivez toujours à nous-mêmes
Vous nous écrivez toujours à nous-mêmes
Vous nous écrivez toujours à vous-même
Vous vous écrivez toujours à vous-même

C'est très plat et froid et un peu entêté voire pénible, mais c'est ce que ça m'inspire de tirer le rideau sur soi (le contraire d'attirer la lumière s'entend) à proportion d'écrire, disons pour moitié cette fois, et peut-être plus, moins plat moins vide moins obstiné

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Paul,

Votre message est du moins joliment écrit. Un bon coup de plume. Mais le joli, faire du style, c'est peut-être un peu ringard. L'écriture moderne, celle du roman, est devenue "plate".

Et puis, votre texte, sous sa tournure vieillotte, est franchement énigmatique. Ca m'ouvre, du moins, de multiples interprétations possibles.

Quant à savoir pour qui j'écris, c'est une question que j'évacue d'emblée.

Bien à vous et ne craignez surtout pas de m'avoir offusquée,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Anonyme pour cette référence,

Je ne suis nullement une spécialiste des sujets ici abordés et je ne jugerai donc pas sur le fond.

Je trouve simplement comique et pas sérieux ce monsieur. Comment ose-t-il se présenter comme un expert des relations internationales depuis sa bagnole ? On doute tout de suite de sa compétence. Et ses propos relèvent en effet du café du commerce et font la part belle à un complotisme délirant. Ce qui est sidérant, c'est son assurance. La modestie n'est pas son fort, il est tout simplement pitoyable.

Bien à vous,

Carmilla

Nuages a dit…

C'est la plaie des réseaux sociaux et de Youtube (où on trouve le meilleur et le pire) : raconter n'importe quoi et le diffuser sur la planète entière.

Et que ce soit à propos du Covid-19, des vaccins ou du régime de Poutine, c'est souvent le pire qui est diffusé, avec des dégâts parfois incalculables.

Paul a dit…

Bonjour Carmilla, énigmatique peut-être, vide sans doute, vieillot ah c'est certain mais il n'y a pas eu de passé simple encor. Toute critique qu'on peut se faire à soi-même - en comptant sur un malentendu - que vous preniez cette critique pour vous. C'était un quatrain (limite en pentamètre iambique) que j'ai trouvé dur et plat froid, etc. Vous avez compris. Le contraste vaut le coup (Poutine/vous-même - le froid versus maniéré, encore que je trouve pas ça si vieillot) comme le paradoxe. Je suis content de ce quatrain figurez-vous, la distance à gravir, comme des marches pour accéder à, à quoi. Avec un style blanc ou combinatoire. Ce style, que vous décrivez, m'en coûte moins que les femmes parfois démarchées à coup de poème - lointain souvenir d'une amie "j'en ai marre de faire la muse"(en criant, on entend autre chose) et de l'amour courtois à la violence conjugale il n'y a peut-être eu qu'un pas, de loi. Mais "faire du style" comme vous dites, m'en coûte. Ce 'faire' c'est tout de même se décoincer quand on a peu de matière à dire (je parle pour ce qui me concerne), tiens je vais faire telle structure et surtout surtout pour ce qui me concerne je vais faire court. Tenez, vos photos (souvent des photos de peintures) sont peut-être la structure de départ qui stimulent la parole ou l'inverse, parole et musique, l'œuf ou la poule (ce n'est pas une question, mieux vaut ne pas tout, mieux vaut garder sa part de mystère).. Voici ce que je voulais dire, mais vous l'avez vu, vos parents seraient morts avant de connaître votre réussite, et en réalité vous vous écrivez, vous n'écrivez qu'à vous-même, vous ne cessez pas comme de se pincer dans un rêve, et le syndrome que vous soupçonnez (on ne s'en convainc pas) ne serait pas moins mineur ou bénin que l'imposture faite finalement à vous-même - décrite par vos soins de mieux en mieux souvent, qu'aurais-je fait, une marmaille, la guerre. Imposteur est masculin. Comment ?imposteur, vous ?! Intangible, tout est pour vous, même l'orthographe. J'ai embelli le truc, surtout le rêve, tout est plus pesant dans la réalité

Quelques fois précédentes j'ai vraiment bourdé à répondre sur plusieurs fils tout en m'impatientant de re-publier, et là encore j'utilise le téléphone pour taper dans un timbre poste, et de surcroit sans pouvoir ouvrir un autre fenêtre google sinon le com fait pschitt, c'est dire la gageure. Et merci d'une telle indulgence

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages,

Ce qui m'inquiète, c'est que de plus en plus de gens s'"informent" désormais exclusivement sur les réseaux sociaux. Plus de journaux, ni de radio ou télévision.

Mais ces personnes deviennent alors bizarrement informées. Aucune analyse ou réflexion, rien que des rumeurs, des faits divers, des ragots, tout ça diffusé par n'importe qui avec un ton haineux.

Comment s'étonner ensuite que fleurissent les populismes ?

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Paul,

Je n'avais peut-être pas bien compris en effet.

Mais je maintiens que vous avez un talent d'écriture.

Ma qualification de vieillot n'est d'ailleurs pas adéquate. Je m'intéresse à la littérature française et j'ai constaté qu'on n'écrivait plus du tout aujourd'hui de la même manière que dans les années 60-70. Si on prend par exemple des auteurs-phares comme Carrère ou Houellebecq, leur écriture est incroyablement plate et sèche, très dépouillée, sans aucun effet de style.

Avoir une écriture complexe et recherchée comme la vôtre, ça apparait donc en ce sens un peu anachronique (plutôt que vieillot). Il en va de même pour la poésie qui, j'en ai l'impression, n'intéresse aujourd'hui presque plus personne.

Personnellement, je suis bien incapable d'avoir du style parce que je n'ai qu'un rapport instrumental au français. Je crois savoir le manier mais pas le sentir.

Enfin, je m'écris bien, en effet, aussi, à moi-même. Mais je ne prétends pas énoncer la vérité sur moi-même. Et je ne la connais pas non plus. Ce que j'écris est aussi, pour partie, mensonger.

Bien à vous,

Carmilla