samedi 4 février 2023

"Qu'est-ce que je fais là ?"


Le matin, dans les brumes du réveil, je me demande souvent: "Où suis-je ?" A Téhéran, à Varsovie, dans une quelconque ville de Russie ou d'Ukraine ? Ça m'effraie toujours un peu surtout que différentes langues viennent alors s'embrouiller dans mon cerveau. Et puis non..., je perçois les bruits de la rue, les ombres de mon jardin... je suis bien à Paris.


Et il y a aussi ces rêves récurrents au cours des quels j''échoue lamentablement à mes examens (ce qui m'a pourtant été épargné) ou me montre incapable de faire face à mon travail.


Je ne sais pas si ça peut être compris mais je porte très fort en moi le sentiment d'être une usurpatrice. Moi, une Parisienne, quelle imposture ! Rien ne me prédestinait à ça et, d'ailleurs, en suis-je vraiment une ? Je me sens plutôt indécrottablement Slave avec plein de traits caricaturaux (l'apparence, l'habillement, le comportement). Mais ça n'est pas vrai non plus parce que, là-bas, on me considère plutôt comme Française. Les origines, c'est quelque chose de très relatif, souvent impalpable voire illusoire, et, finalement, ça ne me préoccupe guère.


Au total, j'ai surtout le sentiment d'avoir eu une chance extraordinaire dans ma vie. Et cette chance, elle était imméritée. Tout simplement parce que je n'avais aucune qualité exceptionnelle: ni particulièrement travailleuse, ni particulièrement douée. Simplement, ni bête, ni moche, je résumerais. Mais sans doute orgueilleuse, supportant mal, dans quelque domaine que ce soit, qu'on me surpasse et prenne le dessus sur moi. J'ai donc tendance à toujours vouloir vivre dans la compétition, ce qui n'est sans doute pas marrant et probablement lassant pour les autres.


Mais tout mon parcours, je l'impute essentiellement au hasard, aux cahots et au chaos de l'existence. Je n'y vois aucune prédestination, aucune logique profonde.


Ma copine Daria, elle me dit parfois: "Tu devrais davantage raconter ta vie dans ton blog. Ca serait plus intéressant et surtout plus mouvementé que toutes les confessions nombrilistes qui traînent aujourd'hui sur les réseaux sociaux et dans la littérature contemporaine".


"T'es folle, je lui réponds, ce serait nul. D'abord, je ne m'intéresse pas assez à moi-même et je me fiche bien de mon passé. Surtout, je suis bien incapable de retracer mon parcours, l'enchaînement des petites péripéties qui l'ont marqué".


Parce que c'est en effet la grande mode aujourd'hui. Chacun s'essaie à récapituler les petits événements de sa petite vie. Cela pour essayer de comprendre celui/celle que l'on est aujourd'hui. Notre passé expliquerait notre présent, tout s'enchaînerait mécaniquement. Ca devient le roman de nos origines, la grande confession dans laquelle on "vide son sac". Et on y est encouragés dans tous les médias aujourd'hui parce que, ne cesse-t-on de ressasser, la "parole serait libératrice" et qu'il faut surtout parler pour parvenir à surmonter son mal-être. 


Parler sans frein, c'est devenu le mot d'ordre de "la psychologie pour les nuls" mais j'ai plutôt tendance à penser que la parole est encore plus destructrice quand elle est exprimée publiquement car elle vous enferme alors définitivement dans un statut. Seul un dialogue privé et contradictoire peut vous amener à porter un regard critique sur vous-même et vous permettre, peut-être, de sortir de la cage dans la quelle vous vous étiez enfermé(e)s. 


Et puis, ces grandes autobiographies, dans les quelles on se proclame absolument sincère, ont surtout pour finalité, me semble-t-il, de se consoler à bon compte en s'exonérant de toute responsabilité dans la conduite d'une vie décevante qui nous aurait impitoyablement malmenés, ballotés, broyés. On serait des victimes ou de la vie ou du système social et souvent même des deux à la fois. Pour cela, on n'hésite pas à simplifier outrageusement les choses et à se transformer en implacables procureurs. Tout se rapporterait, simplement, à un ou deux grands événements explicatifs : soit un traumatisme sexuel, au cours duquel on aurait été abusé(e), soit un sentiment de honte attaché à sa condition sociale, ses origines de classe, dont on n'arriverait jamais à se défaire.


Et il faut bien dire que là-dessus, on ne manque pas de grandes explications issues de la vulgarisation psychanalytique ou sociologique (Bourdieu). Le problème, c'est que ça se transforme vite en une longue complainte dans la quelle on ne cesse de ruminer son malheur. On n'arriverait pas à se dépêtrer de sa classe sociale ni à surmonter les discriminations et abus sexuels que l'on a subis. On est pleins de ressentiment et ça nous autorise à en vouloir aux autres (les parents, les hommes harceleurs/agresseurs) et à la société toute entière (un système d'oppression/exploitation généralisées).


La littérature française contemporaine (dont les représentants les plus éminents sont Annie Ernaux et Edouard Louis) est ainsi inondée de ces récits pleurnichards dans lesquels on fait étalage de son infortune. C'est le temps du grand "dolorisme", de l'esprit victimaire, comme le souligne, fort justement, le sociologue Gérald Bronner. 


Tous ces bouquins sont un peu l'équivalent des anciennes "vies de Saints" dans les quelles on relatait un parcours de souffrance puis de rédemption. Aujourd'hui, ça sert surtout à exhiber à quel point on est "méritants" d'avoir réussi à traverser ces épreuves. Le "mérite", cette valeur pourtant bourgeoise, refait ainsi étrangement surface.


Comme cela serait simple, en effet, si on pouvait expliquer sa vie à partir d'un ou deux "événements" déterminants. Et si on pouvait surtout n'avoir rien à se reprocher soi-même. Parce qu'en fait, on le sait très bien, il y a une grande "plasticité" de notre personnalité et surtout, on n'est jamais des "oies blanches", de pauvres petites créatures sans défense. Et on sait parfois aussi se montrer cruel et odieux.


Pour ce qui me concerne, je serais bien incapable de parler de mes origines et d'ailleurs, ça ne m'intéresse pas (tous ces gens en quête de leurs ancêtres, ça me dépasse). Mes grands-parents, je les ai à peine connus et ils me terrorisaient. Des gens que je trouvais très durs, obtus. Je crois que je n'avais absolument rien de commun avec eux.  Heureusement qu'ils ne m'ont pas connue adolescente.


Quant à mes parents, je serais bien incapable d'en parler, de cerner leur identité. Des libéraux certes, très tolérants et qui ne m'ont, évidemment, jamais violentée. Mais comme tous les parents, ils avaient leurs qualités mais aussi leurs défauts. Un couple pas très uni avec un père enfermé dans ses bouquins et son boulot et une mère qui menait sa vie de son côté. Mais que savais-je vraiment d'eux, en réalité ? Ils demeurent pour moi une énigme car ils n'étaient vraiment pas du genre à se confier à moi et c'était sans doute mieux ainsi. Mais peut-être qu'ils ne m'ont légué qu'une image complétement fausse d'eux-mêmes, leur simple masque social ? Difficile à partir de ça de dire si je leur ressemble. C'est même une idée que je refuse absolument.


L'honnêteté me commande, d'ailleurs, de reconnaître que j'étais absolument infecte avec eux. Toujours à râler, à contester..., je me "construisais" en opposition systématique. Et puis, j'ai fait les 400 coups avec de multiples dérives: vestimentaires, addictives, amoureuses (avec mon goût pour des "vieux" presque de l'âge de mon père à propos des quels je ne me hasarderais pas à évoquer la problématique tellement rabâchée du "consentement". On ne consent pas toujours à "son corps défendant", il y a également la fascination du tabou). 






















Et que dire de mon éparpillement intellectuel ? J'étais toujours à étudier tout et n'importe quoi, au gré de mes lubies. Et enfin ma dureté, cruauté, envers les autres. J'ai toujours prétendu que c'était pour me protéger, ne pas me faire dévorer. Mais on m'a rétorqué que j'étais plutôt sans cœur. Par mon attitude, j'ai sans doute ainsi beaucoup inquiété mes parents et mon grand regret, c'est qu'ils n'aient pas su comment j'avais évolué.


In fine, la laideur du monde, ça n'est qu'un point de vue. On ne vit pas dans une noirceur continue, on n'est pas les victimes définitivement opprimées d'une société ou d'un environnement familial. On en est aussi les acteurs, c'est nous mêmes qui façonnons le monde qui nous entoure, libre à chacun de le percevoir gris ou coloré. mais c'est souvent du regard que nous portons sur les autres, de l'accueil que nous savons leur faire, de la complicité que nous parvenons à établir, que peut surgir une étincelle. Mes plus beaux souvenirs, mes plus belles rencontres, se rapportent souvent à des lieux sinistres ou à des événements angoissants. De la laideur, jaillit aussi, souvent, la beauté. 

"S'il y a un destin, la liberté n'est pas possible. Si la liberté existe, alors il n'y a pas de destin... c'est à dire que nous sommes nous-mêmes le destin" (Imre Kertész "Etre sans destin").


Photographies principalement d'Olia KOVAL, jeune artiste ukrainienne (2001). Il est à noter qu'en Ukraine, presque toutes les jeunes femmes pratiquent la photo et possèdent un appareil (bien plus que les hommes). J'en fais partie mais je ne sais pas l'expliquer. Moi, je me retrouve dans les images d'Olia Koval mais je conçois qu'elles ne plaisent pas à tout le monde.

- Gérald BRONNER: "Les origines - Pourquoi devient-on qui l'on est ? C'est bien sûr la parution récente du dernier livre du grand sociologue qui m'a incitée à rédiger ce post (sans toutefois, je l'espère, le plagier). Je conseille vraiment à tous ce petit bouquin rédigé avec clarté et pédagogie. L'identité se construit au fil de la vie, elle n'est pas déterminée une fois pour toutes, tel est son message essentiel.

 - Bruce CHATWIN: "Qu'est-ce que je fais là ?" Ce n'est pas une autobiographie au sens classique du terme avec le récit des années d'apprentissage de l'enfance et de la jeunesse. Mais ça répond, de manière bien plus essentielle à mes yeux, à cette question: comment se construit-on ? A partir de rencontres, de voyages et de lectures répond Chatwin. C'est largement comme ça que je vois les choses car je ne crois pas que les premières années soient à ce point déterminantes. On est plutôt, en effet, en évolution constante.

- Michel LEIRIS: "L'âge d'homme". Un bouquin datant de 1939 mais qui n'a pas pris une ride. Un modèle d'autobiographie comme exploration de l'inconscient, tellement supérieur aux niaiseries actuelles. L'occasion également de rappeler cette extraordinaire décennie littéraire française des années 30 qui, outre Céline, a vu l'éclosion de Bataille, Caillois, Artaud, Leiris, et aussi Kojève, Lacan, Klossowski, dont les textes demeurent d'actualité.

Je recommande enfin, au cinéma, deux films remarquables : "Retour à Séoul" de Davy Chou et "Tàr" de Todd Field qui posent, chacun à leur manière, la question de l'identité (celle perçue par moi-même et celle perçue par les autres). Je me suis reconnue en l'une et l'autre héroïne.


10 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Qu’est-ce que je fais là? Se demandait Bruce Chatwin sur son lit de mort. C’est une belle et grande question que je pourrais me poser ce matin par -30 degrés a parité avec Schefferville à milles kilomètres au nord.

Ça me fais toujours plaisir lorsqu’une personne évoque Bruce Chatwin auquel j’avais fait une place dans mon commentaire du 10 juillet 2021, suite à votre texte : Mon genre, c’est mon choix. Je conserve toujours un souvenir très vif et agréable de cette lecture de Chatwin. J’ai retenu dans l’un de mes carnets de notes cette citation :

« Raconter des histoires est la seule occupation convenable pour un être aussi inutile que moi. »
Bruce Chatwin.

Il était conscient de son inutilité, mais il a consacré sa vie à voyager, écrire, et;a tirer le diable par la queue.

Je me demande si Chatwin se réveillait comme vous, un peu perdu sur cette terre, entre quelques langues étranges, dans le froid d’une cabane en Patagonie, la faim au ventre face à l’incertitude de la journée qui s’annonçait.

C’est quand même étrange les rêves des gens, à l’image qu’on se fait de sa vie, mais surtout de ce qu’on n’a pas, ou bien, de ce qu’on a jamais été comme vous l’évoquez lorsque vous écrivez que vous êtes un peu perdue entre, l’Ukraine, la Russie, l’Iran et la France; et puis ce désir inassouvis, d’être moins que rien, de rater vos examens et d’être dans l’incapacité de faire votre travail. Ce qui reste chez-vous à des rêves récurrents. Je constate, mais je n’ai aucune explication. C’est votre part du mystère. Peut-être que vous auriez préféré une vie plus sombre, moins facile, violente, une existence de dernière de classe. Est-ce que nous désirons ce que nous ne deviendrons jamais? Peut-être vaut-il mieux protéger notre part de mystère. Chatwin aussi m’a laissé une odeur de mystère entre ses voyages, ou bien, ses isolations lorsqu’il écrivait. Il lui fallait un endroit où il se sentait bien, autrement l’inspiration ne venait pas. Pas un endroit luxueux, cela n’avait aucune importance dans son esprit, mais un endroit où son esprit pouvait s’exprimer. Peut-être que vous cherchez cet état, ou cet endroit, dans vos rêves. J’aime les gens qui me racontent des histoires, et c’est encore plus intéressant lorsqu’ils me racontent leurs rêves. Écouter attentivement les autres raconter leurs rêves, c’est élargir ses horizons. C’est l’autre part de l’humain incommensurable. Quoi! J’aurais bien aimé savoir à quoi rêvait Michel Foucault lorsqu’il sortait de sa réalité pour s’enfoncer dans le côté sombre de ses rêves. Peut-être comme vous, à sa façon, Foucault était un usurpateur? Est-ce que Chatwin en était un? Vous êtes ce que vous être, là ou brille une incertitude entre ce que vous êtes et sans doute des désirs inavoués ou inavouables. Il est intéressant de côté lugubre que vous portez en vous, cela dépasse la réalité quotidienne.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Toute chance est imméritée, c’est pourquoi elle tourne, ce qui se transforme chez plusieurs humains en angoisse. Nous sommes conscients que tout ce qui constitue notre existence, aurait pu être autre chose, nous pourrions croupir dans le fond d’une cellule, être malade comme des chiens, incapables de surmonter la vie, on pourrait même être mort. C’est une autre chose étrange lorsque vous évoquez cette chance (imméritée) pour ouvrir la porte sur votre orgueil. Vous n’aimez pas être dépassée. Il vous faut dominer. Je reconnais que c’est un puissant stimulant pour la motivation. Chez moi, l’orgueil n’a pas encore perdu son maître. Ce qui est difficile avec l’orgueil, c’est de le doser. Certes, ça pousse au dépassement, à l’exagération, dépassé un certain seuil, cette compétition peut se transformer en piège mortel. Cela peut se transformer en un point de non retour séduisant comme un genre d’instinct de mort. Est-ce que cela nourrit notre notre illogisme profond comme vous l’évoquez?

Il y a longtemps que vous n’aviez pas parler de Daria. Je me demandais ce qu’était devenu vos relations avec cette guerre en Ukraine? Parler du quotidien c’est une chose. Proust à ce chapitre ne parlait de pas d’autre chose que du quotidien et du temps perdu. Peut-être que vos petites péripéties sont moins sont moins innocentes que vous l’affirmez? C’est une autre part de votre mystère. Je trouve que ça fait beaucoup de mystères sans souvenir. Est-ce que les petits événements de la vie comporte une certaine importance dans nos présents, où il semblerait que la mémoire tient une place prépondérante. Nous en parlions la semaine dernière de tous ces soldats, qui eux n’oublient pas ce qu’ils vivent. Lorsque tu as eu une frousse mortelle, tu t’en souvient pour le restant de ta vie. La mémoire fait partie de l’intelligence. C’est une part de l’humain incontournable. Tu as intérêt à ne pas commettre deux fois la même erreur. Il y en a qui n’ont pas besoin de souvenir pour sentir leur (mal-être), qu’il entretienne et même la cultive. Il devienne ainsi les handicapés de leurs émotions.

Est-ce que la psychologie s’intéresse aux nuls? Il appert que la parole peut se transformer en arme. Il fallait écouter Jean-Luc Mélenchon discourir cette semaine devant les manifestants. Ça fait longtemps que ce personnage est sortie de sa cage. Est-il dangereux pour autant? Le pire, c’est que ceux qui s’enferment dans une cage, souvent, jette la clé. Dans tous les cas Mélenchon n’a pas l’air angoissé.

Si la société ne te convient pas, si tu en veux à toute l’humanité, tu peux fuir cette société et te réfugier en forêt, couper tous les ponts, au lieu de pleurnicher et critiquer la réalité. Je reconnais que c’est difficile d’entendre toutes ces personnes qui se vautrent dans cette frange de manière d’être. Je n’ai pas beaucoup de compassion pour ce genre de personnage, et pourtant, ça déborde de tous les médias, la vie n’est pas seulement que cela, Chatwin l’a souligner dans son œuvre, c’est pourquoi, il marchait souvent seul!

Pour les plus lucides, la vie des Saints n’est pas une référence, qui débouche sur le style Hollywood, où tout va mal tout le long du film, pour à la fin s’en sortir avec la victoire. Ce qui révèle une certaine médiocrité. Nous oublions, que la vie peut-être grandiose et se terminer en catastrophe.

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Probablement comme sur tous les champs de batailles, et j’en réfère à ce qui se passe en Ukraine présentement, il se commet des horreurs dans les deux camps. Certains vont avoir des choses à se reprocher. Il y aura des souvenirs impossibles à effacer, à oublier, il faudra peut-être faire appel à toute sa plasticité. De cette guerre les Ukrainiens vont être marqués à jamais, peu importe la victoire ou la défaite, mais ils ne seront pas le seuls, il y en aura du côté des russes qui vivront leurs traumatismes pour le restant de leur existence. La guerre, c’est du meurtre légalisé. Tu peux tout faire sur un champ de bataille. Il n’y a ni limite, ni empêchement. Ce n’est pas parce que tu deviens aphone après la guerre, que la mémoire oublie. Sans mémoire on n’écrirait pas, on ne créerait pas, pour s’enfermer dans un présent, qui pourrait peut-être ressembler à une (cage). Ce qui me rappelle cette histoire d’un militaire canadien, qui avait reçu l’ordre de sortir un cadavre mort dans un tank. Comme cela faisait un certain temps que le type était mort, il avait gonflé, et impossible dans ces conditions de le sortir par l’écoutille, alors une seule solution, ils l’ont débité à l’intérieur pour le sortir en morceaux. Le type raconte cette histoire sans émotion. Il n’a jamais oublié cette expérience. Ce fut marquant dans sa vie. Ce n’est pas un fait d’arme, il n’y a rien de glorieux à débiter un corps. Je me demande s’il y aura des femmes ukrainiennes qui un jour parleront devant un micro pour raconter leur viol? Une femme n’oublie jamais ce genre d’expérience traumatisante. Nos petites déceptions au quotidien c’est absolument rien. Pour ceux que ça pourrait intéresser, vous pouvez retrouver sur le site de Radio-Canada, cette série de documentaires, qui s’intitulent : La bravoure et le mépris. Où des anciens combattants racontent leurs expérience pas toujours glorieuses. Il est possible aussi de retrouver sur : L’Office National du Film du Canada.

Nous avons tous un devoir, un devoir de mémoire, s’y soustraire serait un manque. Il importe de se souvenir et surtout de témoigner, afin que personne n’oublie avant de sombrer dans l’indifférence. Lorsque j’entends les gens se plaindre de leurs petits malaises, ça me fâche. L’égoïsme est une belle (cage). Le combattant Ukrainien lorsqu’il est sur le champ de bataille, il n’a pas le temps de se demander s’il va cesser de travailler à 62 ou 64 ans. Ça va peut-être s’arrêter dans les instants qui viennent. J’ai une maudite mémoire et une mémoire maudite, et je ne veux surtout pas oublier, surtout pas ce qui se passe présentement dans le monde, comme je n’ai pas oublié mon passé. Je me souviens très bien de mes grands parents, de bons et des moins bons moments, J’ai appris de tout cela. J’y trouve même une certaine richesse, peut-être la seule. Votre texte aujourd’hui soulève bien des questions qui restent en suspends, je ne pouvais pas passer à côté. On affirme que les humains oublient ce qui fait leur affaire, on oublie les mauvaises expériences vécues, pour se contenter de celles qui nous arranges, et que l’on croit, pas toujours avec raison, qu’elles sont les meilleures. Mais, s’il n’a pas de meilleur, pour ne pas dire de merveilleux dans la vie, alors on va où? On piétine dans le présent en se raccrochant au futur comme à une bouée de sauvetage appréhendée?

Je vous remercie pour votre texte, qui est plus qu’un texte, mais qui ressemble à un témoignage mystérieusement provocateur.

Bonne fin de journée
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Non, non, je n'ai jamais été fascinée par une vie de bohême parce que j'ai toujours eu peur de l'insécurité économique voire de la pauvreté. Mes rêves d'échec à des examens sont une manière de rejouer l'angoisse que j'ai pu éprouver autrefois.

Nul doute que si je me suis orientée vers la finance, c'est bien sûr parce que j'avais un petit talent pour les chiffres mais aussi parce que je ne voulais pas vivre d'expédients et devoir "tirer le diable par la queue" durant mon existence.

Si on veut se sentir libre dans la vie, c'est à dire avoir la capacité de satisfaire ses rêves de voyages et de culture, il est tout de même préférable de ne pas se sentir limité par les contraintes financières. Et d'ailleurs, je déteste les problèmes du quotidien et avoir à tenir un budget.

J'ai conscience que mes propos peuvent apparaître choquants mais je précise également que j'ai un véritable goût pour mon métier. L'économie, la finance, la gestion, ce sont, quand même, d'extraordinaires clés de compréhension du monde et je regrette qu'on entretienne, en général, une foule de préjugés et d'idées toutes faites à leur sujet.

Je dois maintenant partir à ma piscine. Je répondrai un peu plus tard à vos autres commentaires.

Bien à vous,

Carmilla

Ariane a dit…

Quel texte intelligent, je n'aurais rien à ajouter !
Après avoir subi toute la semaine à la télévision ou ailleurs des débats enfumés, répétitifs et affreusement consensuels quelle satisfaction de vous lire et de se sentir l'esprit clarifié même si quelques divergences nous séparent.
Mon plaisir du dimanche matin, merci Carmilla !

Ariane.

Carmilla Le Golem a dit…

Grand merci Ariane pour vos propos chaleureux,

J'avoue que je n'arrive plus guère à suivre les informations à la télévision ou à la radio.

C'est un matraquage d'idées toutes faites et de misérabilisme continuellement ressassés. On ne fait que pleurnicher et se lamenter. L'inflation, les retraites, le climat, les violences exercées sur autrui, je n'en peux plus. Ce sont certes des problèmes importants mais on se garde bien de proposer des pistes d'analyse et de réflexion. On pourrait faire appel à des experts, remplir une mission éducative. Mais non! on se contente d'interroger, dans la rue, Mr et Mme Michu qui déclarent, bien sûr, que tout va très mal. Rien de tel pour sombrer dans la déprime que de suivre les "actualités".

Je ne crois vraiment pas qu'on soit condamnés à végéter lamentablement du fait de son ascendance sociale, du système économique ou des traumatismes psychiques subis. Il y a, en chacun de nous, un vouloir-vivre qui nous conduit à chercher à dépasser notre condition première, à nous arracher à notre passé.

Bien à vous,

Carmilla

Paul a dit…

Vous tirez toujours les cartes et avec quelques formules où on s'arrête parfois "cahot/chaos" ; sympa. Merci pour la photo. Je vous lis pour les mêmes raisons que je lis, par exemple, Ernaux que je considère comme autrice majeure et c'est bien trop d'honneur à vous dire vous en conviendrez. Pour achever l'agacement je considère que vous écrivez peut-être pour les mêmes raisons qu'elle - autres que celles énoncées ici. Alors que vous semblez complexe vous brossez avec simplesse la littérature reconnue pour "la puissance d'un idéal", tout de même aux antipodes des derniers pornos de Houellebecq, pour schématiser comme nous nous leurrons de croire au manichéismes des causes - honte et traumas, et des célébrités (droite et gauche, riche et pauvre etc.). Comme dirait Montaigne tout se tient tant dans les opposés, et les exemples sont foisons qu'ils nous tiennent et qu'ils sont mêmes. Voilà vieille vampire. Vous allez me répondre avec la voix de l'intelligence articielle mais vous êtes bien Carmilla n'est-ce pas - c'est une allusion à peine masquée à votre flegme ou lissage

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Paul,

Si j'ai évoqué quelque part la littérature comme "puissance d'un idéal", alors j'en suis rouge de honte. Ce n'est pas simplement un cliché, c'est surtout une vision rance, moralisatrice et aigrie de l'Art et de la vie.

Ce qui me fascine, c'est en effet l'humaine duplicité. Cette manière dont on ajuste, tant bien que mal, ce qui nous tiraille entre des extrêmes. Et c'est vrai qu'à cette fin, on bétonne tous sa façade.

Mais savoir reconnaître sa propre crapulerie, ça permet en effet de se détacher de tout idéal et de gagner en sérénité, détachement. Et ça évite d'essentialiser, d'avoir de trop grandes ambitions comme d'écrire pour "venger sa race" (Annie Ernaux).

Pour ce qui me concerne, je n'ai, bien sincèrement, pas d'autre ambition que de me distraire en écrivant. C'est très prosaïque mais j'ai un travail (que j'aime néanmoins) qui est à mille lieues de la littérature. Et je vis très loin des milieux culturels et artistiques parisiens. Alors un blog est pour moi un dérivatif. Mais je n'ai vraiment aucune prétention et je sais bien, d'ailleurs, que je n'ai ni style, ni écriture. Je suis simplement un produit formaté des établissements d'enseignement français.

Bien à vous,

Carmilla

Paul a dit…

Bonjour Carmilla, voici la traduction de la définition du prix Nobel, que j'ai peut-être mal résumé désormais dans mon esprit en "puissance d'un idéal" : Le prix Nobel de littérature (Nobelpriset i litteratur en suédois) récompense annuellement, depuis 1901, un écrivain (romancier, essayiste, poète, dramaturge et philosophe) ayant rendu de grands services à l’humanité grâce à une œuvre littéraire qui, selon le testament du chimiste suédois Alfred Nobel, « a fait la preuve d'un puissant idéal ».

Pour vous dire combien selon mes goûts mais aussi selon que l'idée d'idéal est à jamais aux antipodes de Michel (H. hein). Nous ne savons jamais comment sera l'Histoire mais jurons d'en pouvoir témoigner, et pour l'heure nous l'étudions toujours comme des malades mais je voudrais tellement être du bon côté. De la même manière vous montrez régulièrement qu'il y a plusieur-s Histoire-s selon les nations les peuples les civilisations. Le monde a violemment changé, woke, législations, climatologie, race (où vous vous méprenez à mon avis sur Ernaux) complotisme, etc. avec peut-être les millénaristes - par leur prise de conscience - ceux-là nés dans les toutes dernières générations avant le deuxième millénaire. Ça c'était pour Ernaux.

Votre réponse est pourtant la voie, finalement le Nobel est un prix des Empires esclavagistes et de son apogée : le XIXe s et son emblème en la personne de Victor Hugo par exemple. Quelques institutions sont ainsi, comme tout musée, comme toutes les institutions! Même s'il s'est renouvelé à merveille avec Bob Dylan (les troubadours) il demeure le prix du vieux continent rance qui ne se remet pas trop en question.

C'est un peu mon même argumentaire qui revient, pré-raphaélite ainsi vont mes goûts en peinture, et même moyen français comme Montaigne qui parle des "bouts extrèmes" dans le très court et saisissant chapitre LIV de ses Essais : "Des vaines subtilitez"

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Paul,

J'aime mieux, en effet, que ce ne soit pas moi mais le comité Nobel qui ait évoqué, à propos de la littérature, cette "puissance d'un idéal". Ca m'apparaît bien fumeux et j'essaie vainement de me représenter ce que ça peut être.

Très simplement pour moi, la littérature, la bonne littérature, c'est d'abord (comme en peinture), une nouvelle forme d'expression, ce qu'on appelle une écriture, un style. Ca se développe comme une musique, une mélodie, qui sonnent plus ou moins bien.

Et puis, outre cette dimension formelle, musicale, la littérature, c'est l'ouverture à de nouvelles sensibilités, d'autres existences que la sienne. La littérature, c'est une formidable machine qui nous permet de vivre mille vies.

Et un bon écrivain doit savoir se "décadrer" de la pensée dominante. C'est pourquoi je déteste toute la littérature "sociétale" dont on est aujourd'hui inondés.

Houellebecq ? Il se pense maintenant en grand sociologue du monde occidental. C'est moins convaincant mais il ne faut pas oublier que ses premiers livres ("Extension du domaine de la lutte" et "Les particules élémentaires") ont vraiment renversé les perspectives.

Le monde change, c'est sûr ! Mais il faut s'en réjouir et non le regretter. Je pense quand même que c'est pour un progrès, intellectuel, moral, politique. C'est incroyable à quel point on adopte en France une mentalité de vieux, toujours à regretter le bon vieux temps, à se lamenter, à faire étalage de misérabilisme.

Est-ce que l'Europe est un continent rance qui ne se remet pas en question ? Qu'elle commette des erreurs, de graves erreurs, d'accord. Mais elle a su et elle sait se remettre en question, me semble-t-il. C'est même le premier signe de son fonctionnement démocratique. Je crois malheureusement connaître d'autres pays qui, eux, ne se sont jamais remis en question et n'envisagent surtout pas de le faire.

Bien à vous,

Carmilla