samedi 27 mai 2023

Libertine

 

Je revisitais récemment quelques-uns de mes plus anciens posts (même si ça me déplaît parce que le passé, c'est définitivement le Passé et qu'il n'est pas de sentiment plus pernicieux que la nostalgie). C'est sûr que j'étais beaucoup plus légère autrefois. 


Je me préoccupais davantage d'émotion, de sensualité. Aujourd'hui, je n'ose plus parler de mes aventures sulfureuses, de mes rêves libidineux. Je suis devenue plus pesante, grave, pas du tout rigolote. J'ai probablement été moi-même contaminée par l'Air du Temps, cette atmosphère oppressante de moraline et de réprobation générale qui empoisonne les sociétés européennes.


Je me souviens ainsi que lorsque j'étais gamine, j'aimais fredonner la chanson de Mylène Farmer: "Libertine". Ca exaspérait ma mère: "Arrête avec cette idiotie; tu ne sais même pas ce que ça veut dire". C'était vrai mais ça excitait d'autant plus ma curiosité. Qu'est-ce que c'était ce truc que je ne comprenais pas ? Evidemment, Mylène Farmer, ça apparaît maintenant complétement kitsch. Mais une artiste pourrait-elle faire carrière aujourd'hui avec de telles chansons pécheresses ?


Les passions et l'audace érotiques, ça semble complétement effacé. On préfère promouvoir l'idéologie du genre sans se rendre compte que ça revient à évacuer l'Autre et donc oblitérer le Désir entre les sexes.


Mais j'ai eu récemment un déclic. Ca s'est produit après avoir vu le film de Maïwen : "Jeanne du Barry". J'ai été enthousiasmée par la vie "exemplaire" de cette dernière favorite de Louis XV, ancienne prostituée qui faisait usage de ses charmes esthétiques et intellectuels. C'était certes pour échapper d'abord à sa condition mais aussi, il faut le reconnaître, rencontrer finalement l'amour. Enfin, un film qui cesse de pleurnicher sur la misère du monde. Un film qui ose évoquer les plaisirs du luxe et du libertinage. Qui voit dans la séduction et la sexualité un instrument de pouvoir, un outil d'émancipation, pour les femmes.
 

Soyons honnêtes, ce n'est pas forcément un schéma avilissant car il réclame beaucoup d'intelligence et d'habileté. La du Barry ne s'est pas seulement fait remarquer par ses charmes mais aussi par son "bon goût" artistique et son sens de la répartie et du bon mot ("Après nous le Déluge" et "Encore un instant, Monsieur le bourreau" restent célèbres aujourd'hui encore). Mais séduire, adorer séduire, on ne comprend plus ça aujourd'hui. On préfère se présenter aux autres comme quelqu'un de spontané, pas compliqué, sincère et transparent.


Significativement, ce film a été descendu par les médias bien-pensants ("Le Monde", France-Inter, Télérama). Et d'ailleurs, il est fait moins question des qualités du film que du choix de l'acteur Johnny Depp accusé (en dépit d'une décision de justice) de violences conjugales. 


Il est vrai qu'il ne fallait pas attendre autre chose dans un pays qui se voudrait sans milliardaires et  déteste  son n°1 mondial du luxe et de la mode (Bernard Arnault PDG de LVMH); un pays qui s'offusque également de l'interview de la ministre Marlène Schiappa dans la revue "Play Boy" ou des écrits érotiques du ministre de l'économie Bruno Lemaire. La France ne manque pas, du moins, de bigots et de dames patronnesses. On se dit parfois que les "passions tristes", celles de la rancœur et de la vengeance, y ont pris le pouvoir. Peut-on espérer, un jour, voir poindre un peu d'allégresse et d'humour, un peu d'ambition personnelle et collective ?


L'erreur, je crois, c'est de considérer Madame du Barry avec tous les préjugés du 21 ème siècle. Ceux à l'encontre d'un Ancien Régime qui exerçait sur les faibles une violence sociale et sexuelle inimaginables.


Cela est vrai bien sûr. La cruauté, la violence, l'absence de compassion signent bien le 18ème siècle et l'ordre nobiliaire. Je me dis même parfois que la fin de la monarchie en France ressemble furieusement à la Russie d'aujourd'hui où tout est permis aux puissants.


Mais on ne peut pas non plus considérer que notre époque traduise, en toutes matières, un Progrès par rapport au 18ème siècle. Ce serait négliger des pans entiers de sa culture et de sa splendeur.


Jamais peut-être, l'effervescence et intellectuelle et la liberté de pensée n'ont été aussi puissants qu'à cette époque. Le 18ème siècle, c'est tout de même l'esprit des Lumières, l'affirmation de l'individu qui, guidé par le pouvoir de la Raison, prend en main son Destin en s'affranchissant de l'ordre divin.  C'est énorme, plus rien n'est immuable, c'est l'entrée de l'humanité dans l'Histoire, le bouleversement continu et la démocratie. Diderot, Voltaire, Rousseau, ça n'est pas rien, il y a bien eu un "admirable 18ème siècle".


Et puis le 18ème siècle, c'est aussi celui d'une extrême civilité des relations sociales qui voit se développer l'art de la conversation, du mot d'esprit et surtout de l'écriture. Jamais on n'a aussi bien écrit qu'au 18ème siècle pas seulement dans la grande littérature mais aussi dans les simples lettres entre particuliers. En regard, on fait aujourd'hui figure d'analphabètes avec nos SMS, nos mails et notre "écriture plate".


Ce raffinement de l'expression verbale se retrouve dans l'état des mœurs et notamment dans les relations amoureuses. Rien n'est lourd, rien n'est pesant, c'est la recherche du seul plaisir qui doit nous guider. On peut aimer profondément quelqu'un tout en le trompant par ailleurs, effrontément, avec de multiples partenaires. Ca n'a d'ailleurs généralement pas de conséquences. La pire des choses, c'est d'être une personne jugée insignifiante, de ne pas faire rêver, de ne pas être désiré. Il faut, à tout prix, séduire.

La liberté des mœurs n' a peut-être jamais été aussi importante que dans la France du 18ème siècle. C'est pour cette raison qu'on a qualifié cette période de "siècle des Libertins". On pense tout de suite évidemment au Marquis de Sade, à Casanova (qui écrivait en français), à Choderlos de Laclos.

On pourra objecter que ça ne touchait que la caste très réduite des nobles. Mais non ! Les contes, nouvelles et romans libertins sont largement diffusés car innombrables avec une foule d'auteurs parfois même publiés dans la presse. Pourquoi ce succès ? Parce que l'écrivain libertin ose tout dire et que l'expérience de la sexualité intervient pour dénoncer les règles, les conventions du monde et la turpitude des Grands. L'écrivain libertin est, en fait, le premier porte-parole de la Révolution à venir. Le libertinage, c'est avant tout une remise en cause de l'ordre social. "On est dédommagés de la perte de son innocence par celle de ses préjugés", écrit Diderot.


Le 18ème siècle a donc sans doute beaucoup à nous apprendre. Parce qu'il faut bien le dire, les mentalités actuelles sont aussi éloignées que possible du siècle des Libertins. Aujourd'hui, tout est grave et sinistre, on s'interdit la joie, la plainte est notre seule expression. On s'est engagés, comme le disait Philippe Sollers, dans la voie du "contre-désir" ou de l'anti-désir. "Là règnent la défiance, les passions négatives, les opinions changeantes, l'erreur."


 Les femmes ne cessent d'être choquées par les hommes et les hommes s'ennuient avec elles. Finalement, l'homme et la femme du contre-désir se répugnent l'un à l'autre. On est tellement épris de sécurité qu'on est devenus d'effroyables puritains. 

Quel espoir d'en sortir ? Je ne suis, malgré tout, pas totalement pessimiste. Pourquoi ? Parce que  les femmes sont toujours fatales.

Tableaux de Dorothea Tanning, Dora Maar, Mildred Burton, Remedios Varo, Leonor Fini, Toyen, Paula Rego, Valentine Hugo.  Des femmes qui ont porté, au 20ème siècle, l'expression sexuelle à une forte intensité mais qui sont aujourd'hui des figures un peu oubliées. Est-ce un symptôme du nouveau puritanisme ambiant ?

Un post qui me correspond bien mais j'ai quand même l'impression de plaider pour une cause dès aujourd'hui perdue. On évite soigneusement de poser cette question: qu'adviendra-t-il de la Passion, du Désir, dans les décennies à venir ? J'ai l'impression qu'il n'y aura plus rien à désirer parce que tout deviendra interchangeable et donc indifférent. L'amour, c'est quand même ce qui est sans prix, hors échange marchand.

A lire :

J'ai déjà évoqué, dans mon dernier post, Philippe Sollers qui se réclame du 18 ème siècle.

Il en va de même pour Chantal Thomas (rien à voir avec l'une de mes marques de lingerie préférées qui s'écrit d'ailleurs avec deux s), une écrivaine que j'aime beaucoup. Je conseille en particulier : "Un air de liberté - Variations sur l'esprit du 18ème siècle", "L'échange des princesses". Et puis ses essais sur Sade et Casanova.

Benedetta Craveri : "L'âge de la conversation" et "Les derniers libertins". Une grande essayiste italienne, une référence.

A titre plus personnel, je considère qu'il faut absolument avoir lu: "Jacques le Fataliste et son maître" de Diderot, "Les liaisons dangereuses" de Choderlos de Laclos, "Les romans et contes" de Voltaire", "Juliette ou les prospérités du vice" du Marquis de Sade.

On peut ajouter "Point de lendemain" de Vivant Denon, "Manon Lescaut" de Prévost, "Les égarements du cœur et de l'esprit" de Crébillon, "Félicia ou mes fredaines" de De Nerciat.

On trouve enfin, dans les collections "la Pléiade" et "Bouquins" d'excellentes anthologies des écrivains libertins du 18 ème.



9 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

La séduction ou bien l’agression?

Les périodes d’enchantements, de joies, de plénitudes, transportées par la séduction, demeurent relativement brèves pendant l’histoire de l’humanité. Le temps n’est jamais très long lorsqu’on s’amuse à badiner, à séduire et à rire. Comment reprocher à l’être humain de s’amuser en attendant l’orage? Et, cette question se pose encore aujourd’hui. Sommes-nous fait pour nous amuser ou bien pour travailler? Certes nous travaillons beaucoup et plus rien nous amuse. Comment ne pas avoir la nostalgie des années 1970, alors que tout était permis? Mais cette brève période ne s’est étendue que sur une dizaine d’années. En 1980, nous étions revenus aux affaires sérieuses. Comment alors, ne pas comparer cette période moderne à celle des Lumières qui allait déboucher sur la remise en question de la royauté, et de tout le système politique, pour se consumer dans la Révolution, et se conclure par une dictature? À la lumière de l’histoire, sommes-nous aux portes de grands bouleversements?

D’avoir fait de la séduction et de la sexualité un instrument de pouvoir juridique et politique, n’était certes pas l’invention du siècle de la part des féministes. Comment, ne pas y voir un esprit de vengeance? Alors, il ne faut surtout pas se plaindre de voir les hommes tourner le dos à la séduction, et sans cette séduction, plus de pouvoir. En fin de compte, vous avez tué le cheval qui tirait votre voiture. Les femmes en agissant ainsi on certes perdu non seulement le pouvoir de la séduction, mais aussi la perte d’un art! Ce n’est pas n’importe qui qui peut devenir une (grande horizontale). Voilà comment nous sommes revenus au puritanisme le plus pernicieux.

Ainsi, la séduction est devenue un risque, d’accusation, et surtout le pire, de condamnation. Quel homme a envie de croupir en prison parce qu’il a couché avec une femme voilà 40 ans? Façon brutale de soumettre un homme à la vindicte populaire, surtout si le type est riche et populaire. Une odeur de vengeance plane au-dessus de nos sociétés alors que la séduction s’est mutée ne poison.

Valait-il mieux coucher avec Diderot, Voltaire, ou Rousseau, que Robespierre, Marat ou Danton, sans oublier naturellement Napoléon? Ce qui me fait douter de la grandeur que vous attribuez à ce fameux XVIIIe siècle. Tous les grands penseurs des Lumières ont semé, mais ils sont disparus avant la récolte, et je ne pense pas qu’ils airaient été enchanté de cette récolte. Les progressistes, du moins pour ceux qui restent, se réclament des penseurs des lumières, ils y font référence continuellement. Je dirais même que c’est une large part des penseurs d’aujourd’hui. Pendant qu’une autre part de l’humanité recherche intensivement des populistes conservateurs, et il faudrait s’en étonner? Nous pouvons mentir en politique, les exemples ne manquent pas, mais mentir en séduction comme un politicien, c’est vraiment bas de gamme. Ce qui n’incite pas le désir de se rapprocher de la séduction!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je me suis peut-être mal fait comprendre mais j'en suis, bien sûr, responsable.

Je souscris, certes, au combat des femmes pour l'égalité et contre les violences.

Cela ne veut pas dire que j'épouse toutes les positions des féministes actuelles qui instaurent un rapport de défiance, voire d'hostilité, entre les sexes et promeuvent un puritanisme pesant.

Notre époque n'est sûrement pas aussi libérée qu'on le prétend. C'est plutôt le triomphe de la moraline et des idées toutes faites.

Il m'apparaît, à cet égard, intéressant de se confronter au 18ème siècle, à cet Ancien Régime généralement jugé odieux.

Cela est vrai mais ce siècle comporte également des aspects de splendeur.

C'est d'abord sa littérature. Et puis ce sont les relations entre les hommes et les femmes qui reposaient (pas toujours bien sûr) sur une démarche de séduction, à travers l'art de la conversation, de l'écriture, de l'apparence. Il y avait une espèce de légèreté et de grâce du 18ème siècle; son époustouflante littérature en atteste.

Cette légèreté est absente aujourd'hui. Tout est pesant et sinistre. Un propos, un geste, une attitude déplacés..., on vous exécute immédiatement.

Il ne peut plus y avoir de jeu entre les sexes. A cet égard, la séduction est proscrite au nom d'une exigence de transparence. Il y a une normalisation complète des comportements et des discours.

Mais je pense que c'est effroyablement ennuyeux. Oui, j'aime la séduction. Tant pis si on est trompés. On a besoin de rêve et de mystère. Rien n'est pire que la banalité.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjours Carmilla

« Les femmes sont toujours fatales…? »

J’ajouterais les hommes aussi, peut-être encore pire que les femmes, certains sont carrément dangereux! Ils ne manquent jamais de lever de la femelle, et lorsque ça ne fonctionne pas, ils deviennent violents. Vous l’avez souvent évoquée dans plusieurs de vos textes. Il y a plus d’hommes qui assassinent de femmes, que de femmes qui tuent des hommes. Cruelles résultats tristes, qui marquent indélébilement notre époque, où nous avons remplacé l’humour par la violence. L’existence pourrait être plus agréable, mais l’humain se complaît dans la complexité. Les relations amoureuses se sont transformées en des espèces de confrontations malsaines. Il n’y a plus de séductions, car on n’y retrouve que la lutte. Personnellement, je ne suis pas un séducteur, je m’en suis éloigné, mais cela ne m’a pas empêché d’observer les humains, surtout dans leurs relations malsaines. J’en ai connu de ces grands séducteurs de haut niveau qui après avoir séduit macéraient dans le drame. Après l’euphorie, c’était l’enfer. Je me demandais pourquoi il fallait vivre ainsi? Je n’ai pas trouvé de réponse… cette question est toujours en suspend. On en vient aux drames passionnelles, ce qui vous use un humain, et je parle autant pour les hommes que les femmes. Est-ce que la séduction est toujours fatale?

Le libertinage, c’est avant tout une remise en cause de l’ordre social? Il n’y a rien de moins révolutionnaire qu’un libertin, parce que ce libertinage exige beaucoup de temps, mais la politique en exige encore beaucoup plus. Mener une carrière de libertin et de révolutionnaire, cela baigne dans le paradoxe. Quoi qu’on retrouve quelques personnages assez étonnant comme Talleyrand et Clemenceau, exceptions qui confirment la règle.

Qu’on s’y méprenne pas, les trahisons et les tromperies laissent toujours des traces indélébiles qui finissent par vous empoisonner l’existence, au point de vous rendre malade. Je remarque qu’il y a de ces gens, qui ne peuvent pas vivre sans drame. On peut en référer à l’auteure Catherine Millet, qui a écrit deux livres très révélateurs : La vie sexuelle de Catherine M. et Jour de souffrance. L’ouvrage le plus intéressant est, Jour de souffrance, alors que cette personne se disait libérée dans son premier livre, va sombrer dans la jalousie au deuxième ouvrage. La séduction n’est jamais très loin de la jalousie.

Effectivement, vous êtes devenue très sérieuse, ce qui a transformé vos textes, ils sont plus sombres, mais plus incisifs, plus percutant. Ce n’est pas l’époque qui vous a contaminé, c’est peut-être tout le sérieux qu’exige votre vie professionnelle. Je dirais que c’est le propre de l’humain, c’est tout un cheminement que de passer d’une jeunesse tumultueuse, pour déboucher sur le sérieux de la vie adulte. Quoi qu’on en dise, la maturité n’est pas aussi fade qu’on ne le pense, je dirais même, avec l’expérience, qu’elle a très bon goût. Ce qui n’exclus pas quelques moments de récréations.

Bonne fin de dimanche Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il me semble, vous en conviendrez sans doute, que l'un des grands plaisirs de la vie sociale, est celui de la conversation. Dans la conversation, chacun cherche à prendre le dessus et fait assaut de bons mots et idées brillantes. Personne n'aime se voir contré, battu.

La conversation, c'est un Art qui relève des stratégies de la séduction. Entre les hommes et les femmes, c'est d'autant plus chargé d'émotion et d'affectivité.

Mais de conversations, il n'y en a plus guère aujourd'hui. On se contente d'assommer l'autre d'idées toutes faites qu'il n'y a pas lieu de discuter. C'est l'âge de l'invective et de la réprobation. On "range" l'autre dans des cases prédéterminées se rapportant à sa situation. C'est l'argument du "d'où tu parles ?", de la classe sociale, du sexe dominant ou des intérêts que l'on défendrait.

Voilà pourquoi je défends la séduction; c'est avant tout un espace d'échanges dans une saine rivalité et c'est avant tout un plaisir au cours duquel on ne cherche pas à humilier l'autre.

Ca concerne bien sûr les relations entre les sexes. Il y a un plaisir de l'affrontement, de la confrontation. Chacun cherche à dominer; l'important, c'est que ce soit réversible. A ce jeu, la femme n'est sûrement pas moins forte que l'homme.

Mais aujourd'hui, de séduction, de dialogue, il n'y a guère. On est dans la dépréciation et la réprobation mutuelles.

Quant aux libertins, bien sûr que les libertins d'aujourd'hui sont de sinistres imbéciles. Mais ce n'était pas le cas des libertins du 18 ème siècle qui savaient manier le langage et l'argumentation. Toute l'immense littérature de cette époque en témoigne.

Quant au caractère éventuellement fatal des hommes, j'avoue que je n'y crois guère. Un homme n'est jamais séduisant par lui-même, du fait de sa simple apparition. Ca demeure, me semble-t-il, le privilège d'une femme d'avoir une capacité de "sidération" sur les autres. Que sa seule présence suscite immédiatement désir et haine mêlés. Mais cela, c'est une autre histoire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
Il appert, que l’art de la conversation est un plaisir incontournable, et cet art, lorsqu’il est bien mené, procure de grandes satisfactions, parce qu’il vous stimule et vous enrichit. On le sent, parce qu’on le voit pas le temps passer, et qu’on voudrait que ce moment ne cesse jamais, un genre d’état de grâce s’établit entre deux personnes, qu’ils en perdent la réalité qui les entoure. Plus rien d’autres n’existe que l’échange. Ce sont des instants précieux, d’autant plus qu’ils sont rares. Je suis un inconditionnel de ces moments, je peux échanger, si c’est intéressant, longuement, je m’en lasse jamais. Je peux parler aussi longtemps que je peux écrire, mais pour ce faire, il faut le moment, celui de la rencontre, mais pas n’importe quelle rencontre, ce qui dépasse la routine quotidienne. Lorsque cela se produit, on l’a sent l’étincelle, et une fois qu’on a soufflé sur la flamme, voilà c’est parti, alors il ne reste plus qu’à nourrir ce feu de quelques bûches. C’est souvent le début du tissage des liens. Mais, pour ce faire, il faut avoir des sujets de conversations intéressants, posséder un vocabulaire, avoir non seulement des idées ou des arguments, mais savoir les agencer afin d’intéresser, voire stimuler votre interlocuteur, ou interlocutrice. C’est à ce moment que ça devient un art. J’affirmerais même que cela dépasse la séduction, parce que ça enveloppe un univers beaucoup plus vaste. Ce qui n’empêche pas le débat d’opinion. Il faut savoir parler, et quand parler, mais aussi savoir écouter, des fois, quelques moments de silence ajoute au plaisir. Ce qui fait de nous des humains à part entière, je ne vois pas comment deux intelligences artificielles pourraient communiquer ainsi. C’est unique à l’espèce humaine. C’est fabuleux. Ainsi, vous pouvez rencontrer un humain une fois, vivre ensemble une grande conversation, et vous en souvenir le restant de votre vie. Lorsque cela se produit c’est très gratifiant. Après il vous arrive de penser que c’était un grand moment avec un petit sourire en coin nourrit d’une ferveur qui ne s’éteint pas. Et puis, cela peut être n’importe qui, la femme de ménage, la personne âgée, l’inconnu rencontré dans un bistro, et même le policier qui vient de vous interpeller. Et que dire du haut fonctionnaire assis près de vous en hydravion, alors qu’on venait de se poser sur un lac pour cause de mauvaises conditions météorologiques. Là j’avais tout mon temps pour discuter en attendant des meilleures conditions de vols. Je n’avais pas besoin de torturer mon interlocuteur! Si j’avais plusieurs passagers, c’était encore mieux. Que dire de deux cultivateurs qui arrêtent leur tracteur pour échanger par-dessus la clôture, ça commence par les conditions météorologiques, pour souvent sans transition passer à la politique, aux prix de vente des bovins pour replonger dans le passé et évoquer un fait historique. Aujourd’hui, les cultivateurs n’arrêtent plus dans leur supers machineries pour parler, parce qu’ils sont soumis à la loi du rendement. C’est cela être soumis aux dettes qu’on a contactées, résultat on n’a plus de temps pour la discussion. J’espère que l’art de la conversation ne se perdra pas, même si je constate une forme d’amaigrissement. Allons-nous perdre ce côté humain à cause de nos technicités? C’est une question qui me tenaille, mais je suis loin d’en faire un drame, souvent dans pareilles circonstances, l’humain nous surprend, parce que la véritable liberté humain, c’est à la fois un rapprochement, mais aussi un éloignement. Il y a un temps pour le silence et un temps pour la parole!

Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On dit, en psychanalyse, que l'un des moteurs les plus puissants des relations humaines est celui de la dialectique du désir; le désir étant désir d'être reconnu comme personnalité éminente.

Ca joue à plein dans la conversation. On veut tous s'y faire remarquer, passer pour brillant, s'attirer la considération. Rien de pire que de passer pour quelqu'un de terne, d'effacé, qui n'a rien à dire. Et l'abomination, c'est de "se faire clouer le bec" comme on dit si joliment en français.

On carbure tous à ça sans s'en rendre compte. Dans la conversation, les rivalités humaines s'y expriment entièrement mais sur un mode pacifique. Il n'y a généralement pas de vainqueur ou de vaincu mais une mutuelle considération.

C'est ce que j'aime dans le 18ème siècle. On y a développé au plus haut point l'Art de la conversation, en encadrant celle-ci dans la plus grande politesse et la plus grande courtoisie.

Et ça jouait dans les relations amoureuses. Pour espérer séduire, il fallait d'abord être "beau parleur" et "bon épistolier". A cette époque, les libertins étaient, d'abord, des gens qui savaient manier le langage et les idées.

On est évidemment à mille lieues de ça aujourd'hui. Les libertins sont des incultes. Les conversations sont des pugilats et des monologues de sourds. Quant aux amants, ils ne savent plus écrire, ils ne communiquent plus que par brefs messages. C'est l'âge d'une nouvelle barbarie.

Pourtant, si j'ai un bon conseil à donner, c'est celui-ci: quand on entame une relation, il faut tout de suite demander à la personne qui vous fait des avances de vous écrire. Quelques lignes suffisent souvent à savoir à quoi s'en tenir, à qui on a affaire. C'est un gain de temps appréciable. Tant pis si ces propos peuvent indigner.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Les libertins incultes d’une nouvelle barbarie.

Vous n’y allé pas avec le dos de la cuillère, votre sélection est sévère. Il ne doit pas y avoir beaucoup d’homme qui trouve grâce à vos yeux. D’autre part, pourquoi baignerions-nous dans la médiocrité, ou bien, dans le franchement mauvais? Vaut mieux passer son chemin.

C’était une autre époque ce fameux XVIIIe siècle, et on ne recollera pas les morceaux du passé pour agrémenter ce présent, qui nous laisse souvent des arrières-goûts amères. Ce jadis est derrière nous, et nous fonçons vers ce futur ignorant ce qu’il nous apportera. Cette nostalgie peut être lourde à porter. Cette contrainte nous impose de nous créer un univers personnel riche, une ferveur d’une densité peu commune, afin de ne pas subir les impositions d’une médiocrité sociale qui n’en finit plus. Un monde à soit qu’on partagera avec peu de personnes.

J’ignore pourquoi il en est ainsi. Est-ce une mauvaise éducation? Un manque d’instruction? Une paresse qu’on s’emploie à développer? Une indifférence crasse? Peut-être tout cela à la fois?

Par chance qu’il y a les livres, pour soigner notre imaginaire. Je suis passé par une série de lectures difficiles et déstabilisantes dernièrement. Vous en aviez parlé dans l’un de vos précédent textes.

Noires sous surveillance, esclavage, répression, violence d’état au Canada par Robyn Maynard, qui trace le portrait de l’esclavage au Canada, du début de la colonisation à aujourd’hui. Notre réputation d’un pays accueillant et ouvert en prend un coup. Elle finit par nous amener au travers des histoires d’horreurs jusqu’à la violence d’aujourd’hui.

Martin Viau a écrit un ouvrage très intéressant sous un autre aspect de la violence humaine. La violence que les gens se font à eux-mêmes. Ce livre s’intitule : Un dernier tour d’ambulance. Viau était un paramédic. Il raconte l’univers de ces personnes qui travaillent à sauver des vies. Ouvrage trépident, d’une écriture directe, sans fioriture. La réalité implacable. Sous certains aspects, cela me rappelle mon époque du nord.

François Harvey a écrit : Portrait d’un suicidé. Il a publié un ensemble de textes écrits par des personnes qui ont connu cet auteur : Hubert Aquin qui s’est suicidé en 1977. Un auteur majeur dans l’histoire littéraire du Québec, d’une grande culture et d’une rigueur extrême au coeur de notre grande transformation entre 1960 et 70. Ces textes sont une série de témoignages sur le Québec de cette époque, mais aussi une remise en question du sens de la vie. Il écrivait : « Il n’y a pas de juste milieu ici-bas; la seule justesse de notre vie s’exprime dans un certain excès, notre vraie mesure c’est la démesure. »

Finalement, tout cela pour aboutir chez Vladimir Jankélévitch, dont je suis en train de lire L’ironie. Il est rare de croiser un penseur d’une telle joie, d’une grande ferveur, qui disait à l’un de ses amis : «  Je ne suis pas démodé, car je n’ai jamais été à la mode. » Il nous enseigne que le rire et la moquerie sont salutaires pour l’humain.

Oui, nous avons ce pouvoir de créer notre propre univers!

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Les remises en cause ne sont jamais agréables, mais elles sont utiles. Elles permettent de mettent de l’ordre dans vos pensées, de changer d’opinion, mais je reconnais que ce n’est pas toujours sans dérangements et même sans souffrances. Imaginez une personne qui a toujours eu la même pensée sur une idée, cela allait de soit, il ne pouvait en être autrement, c’était coulé dans le béton, c’était ainsi et pas autrement. Un jour, au fil d’une discussion, ou bien, d’une phrase lu dans un livre, un doute insidieux s’installe subrepticement face à votre certitude. Tout d’abord, vous faites comme la majorité des humains, vous refusez de croire, vous enfermez cette affirmation, vous essayez de l’oublier, peine perdue, cette affirmation revient vous hanter. Et, à chacune de ses visites, elle revient en force. Vous ne pouvez plus vous soustraire et encore moins vous enfuir. Ce n’est pas vous qui détient la pensée, c’est la pensée qui vous tient. C’est ainsi que s’amorce la possibilité du changement, de la remise en question. Ce qui me semble impossible chez les régimes politiques autoritaires, ou bien, chez certains humains, qui n’en démordent pas, et refusent de voir le monde sous une autre perspective. Ils sont incapables de penser autrement. Incapables de changements, d’imaginations, de renouvellements. La Russie en est un parfait exemple présentement. Comment imaginez un changement possible au coeur d’une communauté conservatrice? Ce qui explique en partie, parce que ce n’est pas la seule cause, tous ces gouvernements autoritaires et populistes qui sont élus, et qui parviennent à se maintenir au pouvoir présentement. Et, nous pensions, et nous continuons de le penser ainsi, qu’on en avait terminé avec les dictateurs. Tout change autour de nous, nous-mêmes nous changeons continuellement physiquement. Cependant, nous avons du mal à changer nos manières de penser, et a fortiori à nous adapter à de nouvelles idées, j’oserais dire de nous refaire un esprit. Je remarque que dans beaucoup de pays, on évoque de multiples réformes; mais que nous sommes incapables de les installer solidement et de le pérenniser. Hubert Aquin aura été le penseur au Québec qui réclamait, le plus de changements, de métamorphoses, il était difficile à suivre, on le trouvait trop revendicateur; mais ce qu’il exigeait, c’était la réforme des gens eux-mêmes. Les gens ont eu peur et lui ont tourné le dos. Ils ont refusé de sortir de leurs certitudes rassurantes. Aquin, un autre qui n’a jamais été populaire, mais il n’a jamais été démodé, parce qu’il était hors de cette époque. C’était un être certes dérangeant, mais un être d’une pensée universelle que l’on croise trop rarement dans nos existences. Maurice Campagne-Gilbert a résumé le tout dans une phrase assassine :  « On n’a pas l’habitude d’accueillir ceux dont l’esprit dérange ». Aquin sera dérangeant jusqu’au moment ultime de son suicide, alors qu’il laissera cette note destiné à sa femme avant de passer à l’acte :
«   Aujourd’hui, le 15 mars 1977, je n’ai plus aucune réserve en moi. Je me sens détruit. Je n’arrive pas à me reconstruire et je ne veux pas me reconstruire. C’est un choix. Je me sens paisible, mon acte est positif, c’est l’acte d’un vivant. N’oublie pas en plus que j’ai toujours su que c’est moi qui choisirais le moment, ma vie a atteint son terme. J’ai vécu intensément, c’en est fini. »
Hubert Aquin
Voilà qui est clair.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Savoir se remettre en cause et faire son auto-critique, c'est, en effet, important, essentiel. Mais en est-on vraiment capables et jusqu'où ? On veut bien admettre ses défauts mais les corriger, c'est plus difficile.

Il est du moins positif que l'on parvienne à faire preuve de plus d'humilité et de modestie. Les imbéciles et les méchants, ce sont les gens pleins d'assurance, sûrs d'eux. Forts de leurs certitudes, ils n'hésitent pas à les imposer aux autres.

A l'échelle d'un pays, c'est encore plus compliqué. Dans un pays comme la Russie, je pense ainsi qu'il faut vraiment une lourde défaite, voire une humiliation, pour corriger les mentalités. La défaite peut seule, en effet, permettre de faire comprendre aux Russes qu'ils ne sont pas forcément les plus beaux, les meilleurs, les plus puissants comme le leur enseigne la propagande depuis des décennies. L'Allemagne et le Japon sont, pour moi, des exemples: la capitulation sans condition a permis une prise de conscience et une évolution démocratique. Si l'on cherche à sauvegarder les apparences, il n'y aura pas de changement des mentalités.

Quant à l'évolution des populismes dans les pays démocratiques, il semble que ce soit, à l'inverse, le bouleversement continuel, économique et social, des sociétés qui soit générateur d'angoisse. Mais qu'y faire ? On ne peut pas arrêter le mouvement, revenir à des sociétés figées, à l'ordre ancien sans doute plus lisible mais totalement oppressif.

Bien à vous,

Carmilla