La cruauté, c’est ce qui
dérange le plus à tel point qu’il y a un grand silence là-dessus. Le scandale
est trop grand. Comment peut-on prendre plaisir à la souffrance d’autrui ?
Ca interroge les gouffres humains. On peut comprendre, à l’extrême rigueur, la
violence et la haine, ces passions chaudes qui font partie de la vie et
peut-être de ses nécessités. Le crime passionnel, par exemple, c’est, plus ou
moins, dans l’ordre des choses, mais la cruauté, elle, elle est inassimilable :
c’est une passion froide, superflue, un surcroît incompréhensible.
C’est d’abord la cruauté
des enfants qui torturent impitoyablement les animaux ou des camarades de
classe qu’ils choisissent comme boucs-émissaires. On le sait, les enfants sont
malfaisants et c’est sans états d’âme qu’ils deviennent des tueurs. Ils sont
sans pitié, tout simplement parce qu’ils n’ont pas encore de capacité
d’identification à l’autre. L’autre n’est pour eux qu’un objet indifférent. Ils
se jugent, et on les juge d’ailleurs, innocents.
C’est ce qui les rend proches
des tueurs en série et des meurtriers de masse. Pour le soldat ou le serial
killer, à la différence du criminel par passion, la victime n’est rien, elle n’est qu’un objet,
qu’une chose. Ils se sont même vidés de tout sentiment, de toute haine à son
égard et c’est comme ça qu’ils arrivent à tuer de sang froid, en toute
sérénité, sans éprouver de culpabilité. Il ne faut pas croire, ainsi, que les
armées, mêmes les plus cruelles, même les armées nazies, soient constituées de
pervers psychopathes, il ne s’agit généralement que de bons pères de famille.
C’est ça la clé de
compréhension du crime, celle- là même qu’ont indiquée Freud et Dostoïevsky. Pour
la plupart d’entre nous, ce qui fait obstacle au crime, ce qui nous empêche de
passer à l’acte, ce n’est pas notre bonté naturelle, qui d’ailleurs n’est qu’une
fiction rousseauiste mensongère, c’est la seule crainte du sentiment de
culpabilité : « l’œil était dans la tombe… ».
Mais ça veut dire aussi qu’on
est tous animés de pulsions meurtrières que la seule barrière culturelle
parvient à réprimer. Parfois cette barrière est levée comme chez les enfants (où
elle n’est pas encore installée), ou pendant la guerre. Et il faut bien
reconnaître que cette levée des interdits nous procure un plaisir trouble, un
sentiment océanique : le plaisir de la guerre, rarement évoqué (Paulina
Dalmayer, Robert Redeker), ou l’ « innocent » plaisir du meurtre
par procuration (par exemple dans la lecture de romans policiers).
Notre proximité avec le crime
et le plaisir que l’on peut y prendre, c’est cela la grande énigme de la
condition humaine.Ce dont nous rêvons sans cesse, c'est de la mort de nos proches. « Chaque jour, à chaque heure, dans nos motions
inconscientes, nous écartons de notre chemin ceux qui nous gênent, ceux qui
nous ont offensé et causé dommage » (Freud : « Psychologie des
masses »). Notre hostilité fondamentale à l’encontre de nos semblables,
c’est la réalité première et c’est pourquoi le message chrétien d’aimer son
prochain comme soi-même relève de l’impossible. La sexualité humaine a pour
moteurs l’agression et la cruauté.
Mais tout de même, me
direz-vous, on vit dans des sociétés de plus en plus pacifiées,
compassionnelles, où l’altruisme est érigé en règle de conduite. Là encore
Freud nous refroidit : « La plupart des exaltés de la compassion, des
philanthropes, des protecteurs d’animaux se sont développés à partir de petits
sadiques et de bourreaux d’animaux ». « Considérations sur la guerre
et la mort ».
Notre « part
maudite », c’est donc notre cruauté primitive, intrinsèque. Notre propension naturelle, ce
n’est pas la bonté, c’est le crime.
Il arrive d’ailleurs que cette
cruauté première se retourne contre nous. C’est comme ça qu’on devient
mélancolique, névrosé, voire obsessionnel.
Mais cette agressivité, cet
instinct criminel, me direz-vous encore, ça ne concerne que les mecs qui sont
effectivement des tueurs et des violeurs nés. Les femmes, elles, sont la bonté,
la douceur, la pitié incarnées.
Je n’en suis pas sûre ! Moi-même,
je l’avoue, je suis une terrible tueuse. Il y
a en moi une soif de destruction. Les femmes peuvent se dispenser de la cruauté physique, tout simplement parce qu'elles peuvent avoir librement recours à la cruauté mentale. Ce que j’adore ainsi, c’est torturer mes
amants : leur faire croire, d’abord, qu’ils sont des gens très bien puis,
ensuite, les écraser impitoyablement. Pourquoi d'ailleurs cherchons-nous à séduire, nous faisons nous belles, portons des vêtements magnifiques, si ce n'est pour dominer les hommes ?
Parfois, j’en ai honte, je culpabilise, je me dis que je suis abominable, peut-être une salope comme on dit, mais je sais aussi que je n’ai pas le choix si je veux survivre. Là-dessus, Choderlos de Laclos a tout dit : les rapports entre les sexes sont des rapports de pouvoir, ce qui veut dire des rapports de cruauté.
Parfois, j’en ai honte, je culpabilise, je me dis que je suis abominable, peut-être une salope comme on dit, mais je sais aussi que je n’ai pas le choix si je veux survivre. Là-dessus, Choderlos de Laclos a tout dit : les rapports entre les sexes sont des rapports de pouvoir, ce qui veut dire des rapports de cruauté.
Tableaux d’Otto DIX, bien sûr
(1891-1969). Ce qui est curieux, c’est qu’après la guerre, il n’a plus rien
produit.
Quant à mon post, il recycle
simplement, à nouveau, la pensée de Freud (notamment « Malaise dans la
civilisation ») sous des aspects qui me semblent aujourd’hui étrangement occultés.
Je renvoie aussi à un petit live « Cruautés » qui vient d’être publié
aux P.U.F..
2 commentaires:
"Ce que j’adore ainsi, c’est torturer mes amants : leur faire croire, d’abord, qu’ils sont des gens très bien puis, ensuite, les écraser impitoyablement. "
Bigre... et dans vos amitiés aussi ?
Bonjour nuages,
Il est sûrement plus facile de se présenter sous des dehors aimables, vertueux, exemplaires.
Ce n'est pas mon point de vue : je pense que me fréquenter n'est sans doute pas facile et probablement déroutant. Je ne suis pas une sainte mais j'essaie d'avoir un minimum de lucidité sur moi-même. J'essaie d'exprimer ce que l'on n'avoue jamais : les rapports de pouvoir et de sujétion entre les êtres.
A cet égard, je crois en effet que les femmes, surtout quand elles sont dominatrices, sont souvent expertes en cruauté mentale. C'est leur revanche et leur protection.
En effet, je suis peut-être odieuse et je me sens souvent coupable. Mais il faut aussi un peu de courage et, peut-être, d'honnêteté, pour reconnaître cela.
En matière d'amitié, je suis en revanche très détachée. Je n'ai pas d'exigence : j'aime autant les défauts que les qualités de mes amis.
Bien à vous
Carmilla
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