samedi 30 juillet 2022

Je ne suis pas drôle

 

Je le reconnais, je ne suis pas facile à vivre. Non pas que je sois méchante ou insultante. Et d'ailleurs, je suis très contenue, je m'exprime peu et suis même très peu bavarde et plutôt souvent muette. Quant à m'énerver, me mettre en colère ? Jamais, je suis au-dessus de ça. On peut aussi me crier dessus, ça ne semblera pas m'atteindre. Je suis sans doute exaspérante, je laisse penser que je suis un mur ou n'ai rien à dire. 


En fait, je suis probablement déprimante, épuisante. Parce que je suis tellement peu expressive que  j'apparais indéchiffrable aux autres. Qu'est-ce que je pense d'eux à vrai dire ? Est-ce que je les apprécie ou les déteste ? Ils se sentent sans doute, a contrario, observés, évalués, notés, par moi. Dans mon travail, je crois être plutôt sympa mais pas liante du tout. A tort ou a raison, je considère que ce n'est pas possible.

Et puis, il y a ma manière de susciter/ne pas susciter l'attention. Ma façon de simplement distiller des informations sur ma personne, ce que j'ai fait, vu, lu. Une règle absolue : ne jamais trop en dire. Laisser entendre simplement, ne donner que quelques indications. Mes études, mes diplômes, mon travail, mes voyages, je n'en parle pas. Cette question très française du : "Qu'est-ce que tu fais dans la vie ?", j'y réponds de la manière la plus évasive. Trop s'exposer, j'ai vite compris que ça plongeait les autres ou bien dans l'embarras, ou bien dans l'envie, ou bien dans la détestation. 


Tant pis si, en me soustrayant aux catégorisations sociales, je peux passer pour une idiote. Mais il est vrai aussi que je suis méfiante. J'ai vécu quelques expériences troublantes au cours des quelles j'ai eu le sentiment déplaisant que l'on avait épié, disséqué, ma vie. Je redoute la curiosité humaine insatiable, inquiétante. Surtout, je n'aime pas que l'on m'aime ou me déteste en raison de ma situation professionnelle. Qu'on ne puisse avoir prise sur moi, que je sois hors d'atteinte, c'est ce que je cherche et c'est pour ça que je me dérobe sans cesse.


Sur un plan plus personnel, il y a mon mode vie. Toujours levée entre 4H 30 et 5H 30 du matin, ça convient à peu de gens. Après, il faut faire du sport, natation ou course à pied.  Mais ça ne doit jamais être une balade tranquille, une détente. Ca doit être comme si on préparait une compétition: il faut se chronométrer, évaluer les kilométrages parcourus.


 En fait, je suis très disciplinée, mes journées sont cadencées comme une horloge. Je suis implacablement à l'heure. J'avais été très impressionnée par le récit de la vie quotidienne d'Emmanuel Kant à Koenigsberg  par le penseur russe Arsenij Gulyga.  Il était plein de manies sans doute un peu grotesques. Mais j'avais bien aimé cette idée que, pour dépasser les contingences matérielles, il faut savoir s'imposer quelques contraintes extérieures. On en retire une véritable force intérieure.


Cette discipline, je l'étends à l'ensemble de ma vie. Et notamment à mon apparence physique, corporelle, pour laquelle je recherche une perfection fantasmée. Pas question d'avoir un gramme de graisse en trop. Je suis toujours effrayée par le spectacle des corps à la piscine : ces ventres bedonnants, ces seins emportés par la gravité, ces culs proéminents. Je fais donc toujours très attention à ce que je mange. Mes ennemis, ce sont le sucre, les graisses et le sel. Je pense que c'est énervant pour ceux qui m'invitent au restaurant.


C'est pareil pour la façon dont je m'habille (même si ça peut être fantaisiste) ou l'agencement de mon logement. J'ai un côté prussien, je déteste ce qui est de travers, déglingué ou ne marche pas. Les vieilleries, la camelote, ça va immédiatement à la poubelle. Mais je conçois bien que, là encore, ça peut être horripilant pour les autres.


L'hyper contrôle, l'hyper activité, c'est ma manière d'exister, de conquérir une identité. C'est une véritable domination de l'esprit sur le corps. Et en la matière, je ne donne guère dans la modération. Quand j'ai commencé quelque chose, je ne sais plus trop ensuite m'arrêter. Dans tout ce que je fais, j'ai tendance à être excessive.


Je me dis souvent que, d'une certaine manière, je suis un pur produit du système d'enseignement français au cours des études supérieures. J'ai pu comprendre ça comparativement à d'autres pays. On vous enseigne d'abord, en France, la pensée abstraite et à construire une argumentation raisonnée. C'est formidable mais ça n'est pas sans conséquence. Je crois que j'ai réussi à piger à peu près la mécanique mais c'est vrai qu'à ce régime, vous êtes rapidement vidé de toute expression affective. On devient vite désincarné, très abstrait, raisonneur et finalement d'un ennui mortel tellement on est stéréotypé.


Je me rends compte des dégâts sur moi-même. Je crois que je sais à peu près rédiger une dissertation ou une note technique à toute allure. Mais s'il fallait écrire un roman ou, pire, de la poésie, ce serait une véritable catastrophe. De l'émotion, de l'affectivité, je ne sais plus si j'en ai beaucoup.

Je suis donc très "construite", pleine de manies et de principes. Ca ne rigole donc pas vraiment avec moi. Un type cool et relâché, il est éjecté en cinq minutes. Mais je ne crois pas non plus être conventionnelle. Ce que je déteste, en fait, c'est la normalité. Les gens que j'aime, ce sont ceux qui savent sortir des sentiers battus à force d'audace de curiosité et de persévérance. Parvenir à se frayer un chemin propre, ça a tout de même certaines exigences.


Tableaux de Michal SWIDER (1962-2019), peintre polonais.

Dans le prolongement de ce post, mes conseils hebdomadaires:

- Anne AKRICH : "Le sexe des femmes - Fragments d'un discours belliqueux". Les bouquins féministes, je trouve ça d'un ennui mortel tellement c'est radoteur et vindicatif. Mais j'ai été étonnée par ce livre complétement iconoclaste, très drôle et à l'écriture abrasive. A offrir à son copain et à sa copine.

- Solène CHALVON-FIORITI : "La femme qui s'est éveillée - Une histoire afghane". Voici enfin un livre qui évoque, de manière très concrète, le vécu mental de jeunes étudiantes Afghanes au cours de cette dernière décennie. L'auteur, correspondante de Radio France, Arte, RFI, a une remarquable expérience du terrain en Afghanistan et au Pakistan. On découvre surtout un pays infiniment plus moderne que les images habituellement diffusées.

- Eva IONESCO : "Les enfants de la nuit". Sa mère Irina,  photographe autrefois renommée mais aujourd'hui très controversée, vient de mourir. Eva a consacré, en 2017, un très beau livre ("Innocence", Le livre de poche) à son enfance-adolescence et à sa mère. Je le recommande particulièrement. "Les enfants de la nuit" est également magnifique, rythmé par une grande qualité d'écriture. Le roman d'éducation/initiation d'une jeune fille dans le Paris des années 70 en compagnie de celui qui deviendra le célébrissime grand chausseur, Christian Louboutin.

14 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla.
Farouche et sauvage, indépendante et vindicative, discrète et flamboyante, le tout, et son contraire, muette qui s’éclate d’écriture, refait le monde à sa manière, critique entièrement pour pratiquer la retraite stratégique afin de ressortir ailleurs non pas pour couper des têtes, mais pour émietter des esprits, égratigner des sociétés, samedi après samedi, puisque que cette manière de faire demeure impossible le restant de la semaine dans votre travail. À l’image de Bergson vous traversez à votre manière l’évolution créatrice dans une originalité particulière, souhaitée, travaillée, ressassée. Inutile de parler pour afficher votre arrogance, parce que vous dominez outrageusement votre environnement. Un seul siège vous convient, celui de capitaine ce qui appelle la responsabilité. Le reste vous importe peu puisque dans votre très grande volonté, l’originalité vous colle aux talons, et vous le savez très bien, ce qui dépasse la simple nature. Impossible d’être facile à vivre dans ces conditions, la solitude reste préférable, le silence, l’indifférence, la retraite, et surtout la satisfaction d’avoir construit, agencé, et maîtrisé une parcelle de l’univers. Des personnes comme vous, nous en rencontrons peu dans la course de la vie, et dès le premier regard, on le sait, cela se sent autant par celui qui examine que celui qui attire le regard. Vous volez au-dessus de 55,000 pieds, veillez ne pas déranger. Ce qui revient à se taire, à observer, et surtout à conserver dans son intimité étrange et profonde ce souffle de vie unique. Vous passez inaperçue en tenant le devant de la scène, tout en vous méfiant de la notoriété, vous réservant l’immobilité du serpent prêt à l’attaque. Vos nombreuses petites images parlent pour vous. Il ne faut pas trop s’exposer. Jouissance de l’embuscade du prédateur qui va passer à l’attaque. Faut pas trop se découvrir, des mangoustes errent peut-être dans le secteur? Méfiance et camouflage, la peur au ventre, l’angoisse qui occupe tout l’espace de l’esprit devant la maladie et la mort, notre lot à nous tous, nous les vivants. Les plus dangereux restent ceux qui étranglent leur peur. Ambivalence entre cette peur et cette confiance en soi dans un doute qui ne connaîtra jamais l’équilibre. Ce qui finit par influencer le quotidien, pousse la personne aux manies, comme de faire continuellement le ménage, surveiller son poids, manger des mets étranges, le tout pour contrôler son image. Pourquoi contrôler son image lorsqu’on refuse d’apparaître? Voilà un mystère ensorcelant! Reste la performance, où le corps semble de trop. Nous pouvons vivre dans nos contraintes, mais jamais les imposer à autrui. La seule personne indépassable reste nous-même. Se priver de douceurs, de conforts et de plaisirs demeurent à la portée de n’importe qui, ce qui reste une question de volonté. Il appert que la maîtrise du désir apporte quelques satisfactions. Existe encore quelques personnages qui habitent en forêt, avec très peu d’outils, ce qui en fait des ermites vraiment libres. Ils dépassent les contingences matériels, désencombrent leur quotidien, des êtres vrais : solitaire mais libre. On les envie, les déteste, dans cette trop grande différence, au coeur de la cité comme dans les forêts les plus impénétrables, ils sèment la peur tant redouté d’avoir tout dépassé, en s’éloignant d’un certain côté prussien. Ils apprennent tout au long de leur existence à ménager leurs efforts, même dans un grand âge, non parce qu’ils redoutent le prochain effort, mais dans le sentiment de l’affrontement, peu importe leur niveau de formation dans ce retour à soi-même, où les institutions tombent en ruines, les dogmes sombrent dans des eaux boueuses, pour se retrouver avec soi-même sans fioriture.

Toujours : solitaire mais libre!

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

J'espère que ce n'est pas l'image exacte que vous avez de moi. C'est celle d'une grande mytho/mégalomane plutôt insupportable et carrément dingo. L'emphase est toujours déformation.

Disons simplement que je "plane" peut-être un peu mais pas plus que ça. D'ailleurs, à l'école, on me surnommait "cosmos".

Plus sérieusement, j'essaie d'être discrète pour m'assurer un certain calme.

Par ailleurs, j'ai un travail tout de même exigeant et prenant. Si je veux y faire face tout en préservant quelques éléments de vie personnelle (sport, lecture, cinéma, blog), je suis bien obligée d'avoir un emploi du temps et un mode de vie très rigoureux.

Je pense enfin qu'il faut avoir une juste mesure de ses capacités. Je n'ai vraiment aucune prétention ni artistique, ni littéraire, ni même technique ou professionnelle. La seule qualité que j'ai peut-être est celle d'être une grande lectrice.

Bien à vous,

Carmilla

julie a dit…

"La seule qualité que j'ai peut-être est celle d'être une grande lectrice."
Bonjour Carmilla,
Pourquoi lire beaucoup serait une qualité ?
Lire, c'est surtout succomber à la curiosité, ne pas réfléchir par ses propres moyens :)
Pardon, j'adore vous lire (sourire) et vous taquiner.
Bon dimanche, Carmilla.
Julie


Carmilla Le Golem a dit…

Mercie Julie,

En effet, je ne sais pas si lire est une qualité. Je n'ai pas beaucoup à me forcer pour pratiquer ça parce que la lecture, c'est surtout ce qui me permet d'élargir mon horizon, de vivre par procuration des vies multiples.

Merci pour votre mot gentil. J'ai bien conscience que je peux irriter. C'est sans doute moins par arrogance que par souci de renverser les tables et les perspectives.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla!
Pourquoi se soumettre aux obligations que nous imposent les sociétés dans lesquelles nous vivons? Cette soumission se transforme en tyrannie. Il suffit de traverser à pied les rues d’une ville pour croiser très peu de sourires, pour se retrouver dans une mare d’angoisse qui épaissit l’atmosphère. Tous ces tristes visages, se rapportent à votre titre, ils ne sont pas drôles. Ils souhaitent attirer le défoulement. Ce qui explique d’emblée cette recherche interminable de distractions surtout ces médiocres spectacles d’humours bas de gammes et fréquemment grossiers. Vous vous dites pas drôle, quoi que je lis entre vos lignes un humour caustique. Reste une différence entre, le pas drôle, le difficile, et l’invivable. Vivre avec quelqu’un ou vivre en groupe ou en famille ne se réfère à aucune obligation. Vivre avec une autre personne implique de lui consacrer du temps, d’après ce que vous écrivez, il semble que vous ne disposez pas de ce temps-là! Cette vie à deux exige du temps. Il semblerait que ce temps très compté, réduit en tranches bien délimitées, se transforme en denrée rare dans les grandes villes. Les gens courent après ce temps démultiplié pour s’apercevoir un jour de l’inutilité de cette course dans un orage de lassitude. Nous nous engageons souvent dans des choix fondamentaux que nous ne désirons pas. On croyait que...mais on ne se fait, ni ne se justifie un choix par cette expression. Bien des personnes s’y laissent prendre pour traverser le restant de leur existence dans le regret. J’affirmerais qu’une majorité d’humains se laissent piégés par ce détour de la vie, où ils n’arrivent plus à pendre les tournants. Certes vous savez rédiger une dissertation ou une note technique rapidement, mais vous craignez d’écrire un roman ou de la poésie. Pourquoi? Parce que écrire un roman ou bien de la poésie exige du temps long, du temps que l’on perds, ou du moins que l’auteur d’une histoire semble perdre. Rêver les yeux ouverts exige du temps pour construire d’une autre manière. Le système éducatif français se borne dans la rationalité, la vitesse, avec une étrange manière de transcender le temps. Rien de tout cela, et en partie les systèmes d’éducations de par le monde, nous offrent une palette de faire, sans parenté avec le bien ou le mal, le beau ou le laid, parce que l’éducation de l’esprit humain sculpte l’avenir. Ce qui a donné cette petite phrase mélancolique: (De l'émotion, de l'affectivité, je ne sais plus si j'en ai beaucoup). Pour reprendre les propos de Bergson dans l’évolution créatrice, il trace un parallèle entre le rationnel et l’instinct, l’émotion et l’affectivité se rapprocherait de l’instinct. Qu’est-ce que l’on fait dans le système éducatif français? On tue l’instinct pour laisser toute la place à l’intellectuel. Il ne reste pas beaucoup de place pour l’émotion et l’affectivité. Je vous comprends d’afficher une certaine mélancolie. Henri Bergson mettra 10 ans pour écrire, L’évolution créatrice, pourtant cet ouvrage ne compte que quatre chapitres, mais quels chapitres! Au passage, il ne manque pas de décoiffer Spinoza et Leibniz. Entre la réforme et la révolution, la France choisit souvent la révolution. Encore une fois en France s’affiche ce choix. Quoi qu’il en reste et quoi qu’il adviendra, en toute lucidité, vous comme moi, nous cadrons dans la part des solitaires, ceux qui vivent seuls volontairement. Sur le fond de cette question pour certains humains la solitude n’est pas une mauvaise option. Bien au contraire!
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je ne crois pas qu'il y ait un mérite quelconque à vivre ou bien en solitaire ou bien au sein d'une famille. Ce sont souvent les circonstances qui décident pour vous.

Après, toute la question est de savoir comment vous vous adaptez à cette situation, comment vous arrivez à retirer une satisfaction de votre vie.

J'avoue que je n'ai pas grande attirance pour la vie de famille. En fait, je déteste les problèmes matériels et toutes les bêtises de la vie quotidienne. Je suis donc heureuse d'être largement exonérée de ça.

Ca ne veut pas dire que je vis dans la solitude. Mais j'ai besoin de sélectionner. Je rencontre deux difficultés : il est difficile de rencontrer des gens qui partagent un peu mes préoccupations. Les personnes qui s'intéressent un peu à la littérature, à la réflexion sociale et psychologique, à l'histoire internationale, il n'y en a pas tant que ça (mais je suis peut-être méprisante en écrivant ça). Il est également difficile, surtout en France, d'avoir un échange sur les questions politiques ou économiques. C'est le domaine où l'intolérance est la plus grande. On me considère tout de suite comme un affreux suppôt de la bourgeoisie. C'est pour ça que je préfère généralement ne rien dire.

Quant à l'éducation à la française, très concentrée, en effet, sur le développement de la rationalité et de l'abstraction, je ne la renie, en revanche, pas du tout. Ca vous permet d'atteindre une sacrée efficacité et rapidité. Mais c'est au prix, évidemment, d'un certain formatage.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonsoir Carmilla!

Choisir, c’est exercer sa liberté, surtout dans les décisions fondamentales de l’existence, vivre seul, ou encore fonder une famille, se lancer dans une activité professionnelle, embrasser une vocation, partir, revenir, voyager, vivre toujours à l’extrême, toucher à l’ultime. Ne pas se laisser ballotter par les circonstances autant que possible. Voilà un choix que j’ai fait il y a longtemps, qui remonte à ma sortie de l’enfance. Un jour mes décisions ne dépendraient que de ma volonté. Il m’a fallu quand même attendre quelques années avant d’atteindre ma majorité et défoncer les portes et les barrières, après les murs sont tombés et la liberté m’est apparue aussi vaste que l’espace. Malgré quelques coups durs et déboires, je n’ai jamais regretté mes choix.

Dans ce grand voyage de la vie, ce grand passage, je déplore autant que vous le peu de gens à l’esprit universel qui peuvent nourrir une discussion dans plusieurs domaines. Mais ceux que j’ai eu le bonheur de rencontrer m’ont apporté beaucoup.

Effectivement comme vous le dites, ce ne sont pas la majorité des humains qui font des choix, qui font reculer le destin au pied du mur, qui prennent le risque de se fourvoyer, de choisir un métier risqué, une existence aléatoire, sans sécurité, quitte à vivre dangereusement. Les humains en général préfèrent, le confort, la facilité, voir une certaine paresse, pour se plaindre un jour que leur vie est morne. Vivre dans les regrets c’est traîner des boulets.

Je ne pense pas que vous êtes méprisante lorsque vous écrivez comme vous le faites, non, vous êtes lucide face à cette humanité, qui je dois l’avouer, s’avère souvent désolante. C’est comme si l’humanité doutait de ses capacités.

Ce matin en regardant la rivière, je me suis dit : c’est le moment! Je me suis rendu à la rive pour constater que le niveau de l’eau avait encore grimpé de 2 pieds. J’ai observé le courant et je me suis dit : C’est faisable. Alors j’ai pris la décision de plonger. Une fois à l’eau, je l’ai trouvé confortable, alors je me suis lancé vers l’autre rive, mais en diagonal pour allonger ma course, qui allait durer une heure trente minutes. Ce fut un véritable plaisir, sans doute ma meilleure séance de natation depuis le début de la saison. Ce fut une grande satisfaction, mais j’avais pris la décision.

Il ne faut pas craindre de prendre des décisions, ne pas craindre l’erreur, la faute, la perte, qui plus est, je nage en solitaire dans cette rivière, et je suis conscient de ce risque, mais le plaisir d’y nager dépasse largement le risque.

Après je me sens merveilleusement bien!

Bonne nuit dormez bien, 4h30 du matin, ça arrive rapidement.

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je suis à vrai dire plus prosaïque que vous. Je n'ai pas de vision romantique ou tragique de l'existence avec de grands choix à effectuer.

Je me laisse emporter par les faits, les événements. Ce sont eux qui, au final, dictent votre existence et on n'en a guère la maîtrise. Simplement, j'essaie de m'y adapter le moins mal possible, de réagir en conséquence et d'en retirer, éventuellement, quelques leçons et satisfactions. De toute manière, on n'est pas tout puissants, on ne recrée pas le monde et on n'a guère d'influence sur le cours des choses.

Savoir résister, c'est peut-être ça le plus important.

Félicitations pour vos performances en natation. J'en serais bien incapable d'abord parce que je ne pratique qu'en piscine, ce qui est tout à fait différent. Et puis, je ne connais quasiment que le crawl, ce qui m'apparaît mal adapté aux rivières parce qu'avec le crawl, on n'a guère de visibilité. Enfin, j'avoue avoir une appréhension de la nage en rivière ou en lac. En France, on n'y est guère habitués. A Kyïv, en revanche, on a aménagé de très jolies plages sur le Dniepr. Mais il est évident qu'aujourd'hui, je ne m'y risquerais pas. Les Russes peuvent bombarder sans scrupules en inventant que les baigneurs déposaient des mines à destination de la Crimée.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Ce bout de texte d’Henri Bergson semble bien cadrer avec nos échanges de la semaine :

« L’intelligence n’admet pas plus la nouveauté complète que le devenir radical. C’est dire qu’ici encore elle laisse échapper un aspect essentiel de la vie, comme si elle n’était point faite pour penser un tel objet.
Toutes nos analyses nous ramènent à cette conclusion. Mais point n’était besoin d’entrer dans d’aussi longs détails sur le mécanisme du travail intellectuel : il suffirait d’en considérer les résultats. On verrait que l’intelligence, si habile à manipuler l’inerte, étale sa maladresse dès qu’elle touche au vivant. Qu’il s’agisse de traiter la vie du corps ou celle de l’esprit, elle pose avec rigueur, la raideur et la brutalité d’un instrument qui n’était pas destiné à un pareil usage. L’histoire de l’hygiène et de la pédagogie en dirait long à cet égard. Quand on songe à l’intérêt capital, pressant et constant que nous avons à conserver nos corps et à élever nos âmes, aux facilités spéciales qui sont données à chacun pour expérimenter sans cesse sur lui-même, et sur autrui, au dommage palpable par lequel se manifeste et se paie la défectuosité d’une pratique médicale ou pédagogique, on demeure confondu de la grossièreté et surtout de la persistance des erreurs. »

Henri Bergson
L’évolution créatrice
Page 165 et 166

Voilà la grande lucidité de Bergson. Je ne pensais pas que cette lecture serait facile, bien au contraire, car ce n’est pas la composition du texte qui rebute, mais toutes les idées qu’il recèle. J’ai pris deux mois pour découvrir, défricher, méditer cet ouvrage remarquable. J’ai copié plein de notes, les passages qui m’ont particulièrement touchés. Maintenant entre deux autres lectures, j’analyse. L’évolution invente, créatrice perpétuelle, mais cela aurait pu être autre chose. Il en est bien conscient. En regardant les premières images du télescope James Webb, je me suis demandé ce que Bergson en aurait pensé?

Merci pour vos félicitations. Effectivement vous avez raison le crawl se prête mal à la natation en rivière. Je préfère la brasse. Ce qui me permet de surveiller les bateaux, qui sont peu nombreux cette année mais toujours aussi dangereux. Pour le reste que de belles expériences, comme ce jeune pygargue qui est venu se percher dans les branches d’un arbre mort sur l’autre rive de la rivière. Avec ma brasse silencieuse, je suis parvenu à l’approcher à moins de cinq mètres. Nous nous sommes regarder, lui perché sur sa branche et moi comme un crocodile à fleur d’eau pendant une quinzaine de minutes. Loin d’être farouche, il n’a pas semblé impressionné par ma personne. Puis j’ai continué ma randonnée aquatique, heureux de ce moment que je venais de vivre. Je nage pour ces moments uniques.

Merci pour les échanges aussi.
Bonne fin de journée
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Comme je l'ai précisé, je suis plutôt philosophie allemande (18, 19ème) et française fin 20ème (Bataille, Lacan, Levi-Strauss, Deleuze, Foucault). Ca ne veut pas dire que je sois une disciple de l'un ou l'autre. Il y a eu un véritable âge d'or de la pensée française dans les années 60-70 mais, depuis, personne n'émerge même si les médias font la promotion de fausses valeurs (Michel Onfray).

Je n'ai donc pas lu Bergson mais je sais qu'il bénéficie d'un intérêt renouvelé. Le vivant, c'est en effet le dépassement continuel de ce qui l'enveloppe comme l'avait développé Nietzsche avec la volonté de puissance.

Quant aux oiseaux, je ne rencontre pas d'exemplaires aussi exotiques que votre pygargue. Au contraire même parce que les moineaux de Paris viennent de découvrir mon jardin et sa table et c'est maintenant la ruée. C'est l'envahissement et je ne sais trop que faire.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

Cessez de nourrir vos moineaux, ils seront obligés d’aller se ravitailler ailleurs. C’est drastique comme solution, mais habituellement efficace.

Richard St-Laurent

Paul a dit…

Bonsoir Carmilla,
Pour mon cas personnel, à la réflexion je me demande si ça n'est pas un peu orgueilleux voire condescendant de préférer vouloir en dire le moins possible. À la réflexion aussi il n'y avait pas d'autres solutions. Sans me comparer à vous - que je ne connais pas - je ne regrette pas ma conduite, sans en tirer de fièreté non plus, disons sans augmenter mon orgueil. Je soupçonne même parfois, disons, je vérifie que mes velléités artistiques ne sont pas des points d'orgueil. Je suis donc volontairement à l'écoute de celles et ceux qui en savent plus que moi sur mes sujets de prédilection et qui seraient précaires (j'entends par précaire la lie de la société), plutôt que de me censurer dans l'humilité ou l'autocensure. Ne pas être drôle est-ce dénué d'humour ? Avoir des manies est-ce maladif ? À votre lecture on répondra par la négative à ces questions, tout va bien.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Vous avez bien sûr raison.

La difficulté, c'est que mon jardin abrite en permanence un couple de merles (avec leurs petits) et deux couples de mésanges. Ces oiseaux sont habitués à être nourris par moi. Ils seront désorientés si je cesse de les alimenter.

A vrai dire, ce sont les merles qui m'étonnent. Ils exercent en permanence une police des frontières très rigoureuse, de vrais douaniers de l'ancienne R.D.A.. Dès qu'un oiseau de leur taille ou un peu plus gros s'approche de ce qu'ils considèrent comme leur jardin, c'est le déclenchement de la guerre nucléaire. Mais les petits oiseaux, ils s'en fichent complétement, c'est comme s'ils n'existaient pas.

Mais je crois en effet que je vais devoir cesser de les nourrir. Parce que ça va très vite avec des moineaux. Ils communiquent entre copains et se refilent l'adresse de mon jardin. Ca fait déjà une belle pagaille et beaucoup de bruit chez moi car ils se bagarrent beaucoup.

Bien à vous,

Carmilla

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Paul,

Comment se comporter avec les autres ? C'est une question que l'on se pose souvent et c'est en fait très compliqué. On ne sait pas comment on est décrypté.

La réponse la plus immédiate, c'est d'apparaître "naturel", spontané, de s'exprimer. C'est aussi l'idéologie en cours.

Mais à trop parler, on a vite fait de donner prise à la médisance et à la critique acerbe. Je ne crois pas, en fait, à la bienveillance des autres. Il y a plutôt une hostilité générale entre les humains. On ne supporte pas quelqu'un qui apparaît mieux que vous, qui semble avoir mieux réussi.

La bonne attitude, c'est peut-être donc, en effet, la réserve et l'humble écoute des autres. Parce que c'est aussi souvent le problème : on est tellement convaincus de son absolue singularité, voire de son génie, qu'on ne prête pas attention à ses interlocuteurs.

Enfin, quant à l'humour, j'espère en être moins dénuée qu'on ne l'imagine. Il ne faut jamais me prendre trop au sérieux.

Bien à vous,

Carmilla