Parmi les questions à propos des quelles je me sens le plus en décalage avec la société française, il y a celle des horreurs de l'Histoire: la seconde guerre mondiale, le nazisme, le stalinisme. Ca ne cesse de me hanter: je compulse les biographies des dirigeants nazis et de leurs exécutants, j'essaie de comprendre comment on a pu arriver à ça en toute bonne conscience. Il en va de même pour l'URSS et ses camps.
Inutile de dire qu'en France, avec mes collègues et interlocuteurs, je passe pour complétement timbrée. C'est entièrement passé à la trappe. Combien d'amants m'ont déclaré que je n'étais vraiment pas drôle, sinistre même, et que je devais être carrément morbide pour m'intéresser à ces vieilleries ! C'est peut-être mon origine Europe Centrale (là-bas, on continue de parler de ça) mais c'est vrai que je ne suis pas une rigolote et que mon côté sombre exerce, insidieusement, une pression sur les autres.
Cette tendance à effacer, mettre hors champ, ce qui dérange, ça se manifeste aussi aujourd'hui avec la guerre en Ukraine. J'ai bien compris que ça lassait sérieusement l'opinion occidentale. Quel casse-pieds ce Zelensky, toujours à mendier une aide; y'en a marre, il nous coûte la peau des fesses, on est obligés de se restreindre. Pour éviter de plomber les ambiances, de passer moi-même pour une raseuse ou une pleurnicheuse, j'ai depuis longtemps baissé le rideau et je préfère me taire.
Et c'est une attitude étrangement commune à toutes les victimes. Les victimes ne parlent pas. C'est de toute manière incommunicable. Qui peut comprendre la terreur de bombardements continus ou d'une agression physique s'il ne l'a pas lui-même vécue ? Alors, on se comporte comme si de rien n'était, comme si on s'accommodait de la situation, comme si la vie continuait de suivre son cours normal.
Les victimes ne parlent pas mais les bourreaux et les bien-pensants, eux ils ne cessent de parler. C'est la grande différence. On connaît la formidable logorrhée d'Hitler et de ses sbires. Ou bien les longues nuits de soûleries-confessions collectives de Staline. Toujours à assommer les autres d'interminables ratiocinations leur permettant de s'auto-justifier.
Et c'est vrai que c'est efficace. Toutes les biographies des grands criminels politiques regorgent de détails montrant leur humanité: la courtoisie et la politesse d'Hitler, la prostration de Staline après le suicide de son épouse Nadejda et l'amour absolu qu'il portera ensuite à sa fille Svetlana. Et d'une manière générale, les dignitaires nazis auraient été de bons époux et, surtout, des pères aimants.
C'est évidemment déroutant et on aimerait bien que les choses soient plus simples. Que les monstres soient, incontestablement, des sadiques. Mais ça n'est pas du tout ça. Avec les monstres politiques, on se retrouve en fait en zone grise, rien de tout à fait blanc, ni de tout à fait noir. Et c'est dans cette zone grise qu'évoluent les grands criminels de l'humanité.
Hitler ou Staline n'ont jamais assisté à une exécution ni visité un camp de concentration ou un camp de travail. Contrairement à une opinion répandue, ils n'étaient pas de grands malades ou de grands pervers: c'est une fausse image qui a notamment été diffusée par le cinéma (Liliana Cavani, Luchino Visconti, Pier Paolo Pasolini, Louis Malle).
C'est même l'exact contraire: ils étaient tout sauf des fous; leurs mentalités, leurs goûts, leurs modes de vie étaient ceux de sinistres petits bourgeois, puritains, engoncés et étriqués.
Et c'est cette absolue normalité qui est justement effrayante. Parce qu'on est tous un peu comme ça. On est tous un peu rigides. On aime bien, tous, ce qui est simple et clair, on est tous en quête d'une vie bien cadrée, réglementée, qui permettra de s'auto-absoudre sans états d'âme. Et c'est pourquoi, on fait plutôt confiance à des gens et des personnalités politiques "comme nous". Des gens normaux, pas trop compliqués, faciles à cerner. Surtout pas imprévisibles et surprenants.
On a tous l'âme un peu bureaucrate, un peu fonctionnaire, on a tous besoin de s'appuyer sur des certitudes. Et c'est ce qui nous prédispose justement à commettre, au nom de la Loi et de l'ordre, les pires crimes et exactions. Et cela en toute bonne conscience et sans aucun remords.
C'est le thème de la banalité du Mal, aujourd'hui largement développé. Cette banalité éminemment contagieuse.
Certes, on se rassure aujourd'hui en se racontant que ça ne touche que les pays totalitaires. Mais est-ce qu'on ne vit pas, non plus, dans une complète autofiction, dans une duplicité totale ? En bref, dans le mensonge permanent.
L'Occident se fissure, constate-t-on aujourd'hui. C'est la fin de son hégémonie, la montée des BRICS et du Sud global. Mais la menace ne vient pas seulement de l'extérieur car, en interne, l'idéal démocratique est de plus en plus contesté.
On est maintenant atteints par une haine générale de soi et des autres. Et on se montre d'autant plus égalitariste que cette belle revendication recouvre une hostilité générale. On s'en rend compte tous les jours en ouvrant journaux et réseaux sociaux: "Fake news, complots, interprétation des faits, guerre des récits, sublimation du pire, apitoiement sur soi-même, glamour de la colère, déstabilisation du sens".
On ne sait plus qui écrit l'Histoire et qui l'emporte, de la Réalité ou de la Fiction. Chacun construit son auto-fiction, un habile tissu de mensonges. On ne cesse d'évoquer la transparence mais on est rentrés dans l'ère généralisée du Faux.
Images de Zdzislaw BEKSINSKI, Otto DIX, Piotr MLECZKO, Bronislaw LINKE
Innombrables sont les bouquins consacrés au Nazisme et au Stalinisme. Je n'évoquerai donc que les plus récents:
- Jean-Noël ORENGO: "Vous êtes l'amour malheureux du Fürher". Un livre remarquable un peu trop passé inaperçu au cours de cette rentrée littéraire d'automne. Il évoque Albert Speer l'architecte d'Hitler avec qui il a noué une relation quasi affective. En dépit de ce lien très fort, il a toujours proclamé n'avoir jamais rien su de la solution finale. "Responsable mais pas coupable" a-t-il proclamé à Nürnberg. Et ça a marché puisqu'il a échappé à la pendaison.
- Gerald L.POSNER: "Les enfants d'Hitler". Les fils et les filles des dignitaires du IIIème Reich parlent de leurs parents.
- Robert SERVICE: "Staline". C'est le bouquin de référence. Il montre surtout un Staline très complexe. D'un côté, une brute et un tyran sanguinaire. De l'autre, un érudit, grand lecteur, amateur d'Art et bon père de famille.
9 commentaires:
Je viens de lire "Les 100 premiers jours de Hitler", de Peter Fritsche. Absolument passionnant : la mise en place, très rapide au contraire du régime mussolinien, de la dictature nazie, presque jour par jour, au fil des trois premiers mois.
J'ai commencé à lire le livre de Mary L. Trump, la nièce de Donald, et par ailleurs docteur en psychologie, sur son oncle : "Trop et jamais assez". A lire dans la perspective effrayante du retour possible de ce personnage au pouvoir. A ce propos, j'ai beaucoup aimé le film "The apprentice".
Enfin, c'est un peu plus éloigné de votre sujet, mais c'était aussi un livre passionnant, je recommande fortement "Le siècle de Peron", d'Alain Rouquié (publié en 2016). Peron, c'est un peu un mix étonnant entre De Gaulle, Mussolini et Chavez. Un pouvoir hégémonique mais avec des élections libres, une vraie politique sociale aussi, et surtout un courant politique polymorphe qui a totalement remodelé la vie politique argentine.
Bonjour Carmilla, 26 octobre 2024.
Nous nous retrouvons sur la route de l’incertitude à la recherche de la certitude. Serait-ce une fausse route ? Il me semble de vous voir avec l’un de vos amants après une bonne baise, pour passer de la jouissance à une sérieuse discussion sur Hitler, Himmler, ou bien le gros Goring, et comme dessert, l’incontournable Staline. Il me semble de voir votre partenaire, je ne m’en cache pas, la mise ne scène m’a fait rire. Les inconscients désirent par-dessus tout, oublier, fermer les yeux, refuser d’envisager l’avenir, qui certes, en cette époque troublée ne présage rien de bon. Il faudrait peut-être relever ses pantalons qui sont tombés sur nos chevilles. Il faut être conscient de l’Histoire, tout en gardant les yeux grands ouverts sur ce qui risque de se produire. Nous ne sommes pas encore sortis de la zone de danger, au contraire, on s’y enfonce quotidiennement. Ce qui rappelle la décennie des années 1930, où l’on pataugeait dans le refus d’une certaine réalité, où même, on s’adonnait à une admiration des hommes forts de l’époque, des dictatures qui s’installaient, en se disant : ils n’attaqueront pas ! Ils n’ont pas lésiné à répandre le sang. Et que fait le Cousin de Moscou, effectivement à répandre le sang. N’oublions jamais qui a attaqué le premier. Il ne fraudait pas finir à genoux, les yeux bandés, avec un bourreau derrière soit qui est en train d’armer son pistolet. La fin terrible, tout le monde en occident pense que ce n’est pas pour soi, que ça nous ne regarde pas, qu’on ne deviendra jamais des victimes de tels ignominies.
D’autre part, se tenait cette semaine, la fameuse réunion du Brics, cet ensemble de pays qui veulent remplacer l’hégémonie américaine, et surtout par quoi remplacer le dollar. Je ne me lancerai pas dans une vertigineuse analyse de cet assemblage de pays hétéroclites, mais je vous invite à vous rendre sur la plateforme de Radio-Canada, où l’analyste François Brousseau dresse un portrait assez juste de cette organisation.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2114650/brics-russie-poutine-sommet-kazan
Ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le penser, des pays disparates, qui se regardent en chiens de faïence, aucune monnaie commune, aucune politique globale, n’oublions pas qu’il y a eu des accrochages entre La Chine et L’Inde le printemps dernier sur les frontières de l’Himalaya, étranges alliés qui peuvent se sauter à la gorge, et qui plus est, sont d’accords pour ne pas déstabiliser ou remplacer le dollar américain. Je n’embarquerais dans une telle organisation. Est-ce que la Russie et La Chine peuvent mettre fin à toutes ces guerres civiles en Afrique ? Les Africains se massacrent plus entre eux depuis le départ des Français et des Britanniques. Là aussi la tension monte. Je vous invite à lire ce texte, mais je vous recommande de laisser les commentaires agressifs à l’endroit de François Brousseau. Cela ne vaut pas la peine, c’est très indigeste. Ça ressemble aux réseaux sociaux. Lorsqu’on s’attaque à un analyste de cette façon, c’est que cet analyste a raison !
Oui, les Bricks, mais pour faire quoi ? Ils ne le savent même pas eux-mêmes.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Le mois d’octobre, un mois riche en lectures.
Après avoir lu, que dire, dévoré : Mesopotamia, j’ai relu Vie et Destin de Vassili Grossman, toujours d’actualité, ça na pas pris une ride, pour en arriver à ce qu’il y a une ligne qui ne dévie pas entre la période des Tsars, celle des communistes, et finalement pour en arriver au fouillis actuel de ce grand pays. Grossman, c’est toujours intéressant et désolant.
Puis je suis passé par une autre relecture : Les sept piliers de la sagesse par Thomas Edward Lawrence. Comment, je pouvais faire autrement après avoir lu Gertrude Bell ? Ils étaient dans le même bain et Bell appelait Lawrence : mon petit, elle avait quand même 20 ans plus que lui. Ils partageaient une vision semblable sur la suite des événements au Moyen-Orient sur la suite à donner sur cette partie du monde. Les événements qui suivront seront décevants pour ces deux personnages.
Ça ne m’arrive pas souvent, mais cette fois c’est arrivé, de lire un auteur qui gagne un prix littéraire et j’ai nommé Han Kang avec son roman Impossibles adieux. ( Prix Nobel de littérature 0224) Un roman tout en finesse et en poésie sur La Corée de la fin des années 1940, précédant l’horrible Guerre de Corée en 1950. C’est une auteure que je ne connaissais pas, mais le titre m’a attiré.
Finalement, je me suis permis une récréation en lisant : Le mal joli par Emma Becker. C’est une écrivaine qui vous surprend toujours. Comment vivre deux amours impossibles, entre sa famille et son amant ?
J’ai retenu deux citations :
« La femme, ça n’est pas ce que les hommes voient. C’est, précisément, tout ce que nous sommes lorsqu’ils ne sont pas là. »
Emma Becker, Le mal joli, page -173-
« Alors peut-être oui, que les certitudes d’Antonin me sont un refuge. Peut-être que c’est là où je me repose des choses que je pense et que j’écris, de cette bataille constante contre mon éducation. Et peut-être que cette envie de repos est une paresse et peut-être que je suis une esclave. Mais je pense qu’il suffit que je sois. » Emma Becker, Le mal joli, page -341-
L’automne est bien amorcé. C’est toujours une saison très intense pour moi. Je bûche. Je répare ce que je casse. Je fourbis mes armes pour la chasse, toujours le nez dans les nuages, entre le rêve et la réalité. Je suis incorrigible.
Salutations distinguées Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Nuages,
J'ai moi-même beaucoup aimé "The apprentice". L'expression du rêve américain, l'exigence de réussite à tout prix et par tous les moyens. Il est intéressant de noter que le réalisateur est Iranien et qu'il est notamment l'auteur des "Nuits de Mashad". Un film extraordinaire mais qui n'a évidemment rien à voir.
Peron , je connais un peu. C'est, à sa manière, un personnage hors du commun sur le quel on ne peut avoir d'avis complétement tranché. Il s'est, en outre, beaucoup appuyé sur sa femme, Eva, qui bénéficiait d'une aura extraordinaire magnifiée par sa mort précoce. La grandeur (c'était, avant la guerre, l'un des pays les plus riches du monde) puis la décadence de l'Argentine, c'est un sujet de réflexion inépuisable.
Bien à vous,
Carmilla
Merci Richard,
Effectivement, la tendance générale en Europe de l'Ouest est de ne pas se prendre la tête et d'évacuer tout ce qui dérange, l'Histoire en particulier. Je trouve qu'on ne voit souvent que sa petite vie. Paradoxalement, l'ignorance du monde est souvent abyssale. On ne connaît même pas les différents pays d'Europe. Même la Pologne, la Roumanie ou la Bulgarie, ça ne dit à peu près rien. Quant aux pays baltes, à la Slovaquie, Slovénie, Bosnie, Hongrie, Serbie, Macédoine, Moldavie etc..., c'est carrément la panique.
En Europe de l'Est, on ressasse plutôt l'Histoire mais dans un sens nationaliste. Le record en la matière, c'est évidemment la Russie.
Les Brics, je n'y crois pas trop non plus. Parce qu'en dehors de leur haine affichée de l'Occident, qu'ont-ils en commun ? Rien et aucun projet. Et puis, par la force des choses, c'est la Chine qui est en train de placer les autres sous sa domination. Les Russes en deviennent les vassaux aux côtés de l'Iran. Ce n'est peut-être pas très exaltant pour un pays qui se proclamait un foyer de la culture européenne. Relire Grossman dans le contexte actuel est en effet pertinent. Quant à leur monnaie commune, les investisseurs ne sont pas fous et pas prêts de délaisser le dollar.
J'avoue que je ne connaissais pas la Prix Nobel Han Qang mais je vais m'y mettre. Et puis la Corée, que je connais un peu, est un pays fascinant.
Quant à Emma Becker, les critiques de son "Mal joli" sont unanimement bonnes. On loue sa qualité d'écriture. Je l'ai feuilleté, elle a effectivement un bon coup de plume et c'est agréable. Mais ça m'apparaît aussi éminemment répétitif d'un livre à l'autre. Et puis, elle exhibe une joie de la sexualité à la quelle je ne crois pas. C'est fait aussi de peur, d'angoisse et de culpabilité.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Étais-ce une récréation cette lecture du mal joli ? J’aime Becker, parce que c’est une écrivaine franche, directe, déstabilisante, elle accepte mais n’endure jamais. Elle parle de la sexualité comme nous devrions tous en parler. Propos qui sont dérangeants présentement. Aucune crainte de s’afficher. Elle accepte sa sexualité comme ses rencontres, mais elle n’endure pas cette condition, elle plonge dedans. Le désir se présente, elle a toujours cette liberté de choix, parce qu’accepter c’est choisir et non pas endurer. La critique la ménage présentement afin d’éviter une polémique qui pourrait nous aiguiller vers des réflexions déstabilisantes, mais éclairante. À sa manière, elle est provocatrice, ce qui est mal vu. Peut-être qu’une bonne partie de ses lecteurs la lise par envie de mener ce genre de vie qu’ils ou qu’elles ne peuvent s’offrir pour diverses raisons. L’érotisme ne se vit pas en vase clôt, cela fait partie de l’ensemble de la vie, la preuve, c’est que nous en sommes tous l’aboutissement de ses prémisses qui ne semblent pas vouloir en finir. Peut-être un désir de demeurer dans les prémisses, qui sait ? Avec : La maison, elle avait prouvé qu’on pouvait être heureux dans un bordel, comme nous pouvons trouver un bonheur dans une passion amoureuse en trompant son entourage, tout en procrastinant sur le choix, parce qu’un jour on devra choisir. En fait, ce qui se produit pour Backer, passé l’érotisme, elle éloigne la réalité pour essayer de demeurer dans cet état, où elle est passionnée par cette période de sa vie, en pensant qu’elle ne peut vivre des sentiments aussi élevés et intenses dans ce qui lui reste à vivre. Elle redoute ce choix qu’elle devra faire, et que beaucoup de personnes redoutent, couper les liens familiaux pour se jeter dans l’aventure de la passion, ou bien, larguer son amant pour retourner avec sa famille. On dirait que nous sommes condamnés à vivre ce genre de scénario, et que bien peu de personnes y parviennent en assumant, cette cachette des relations passionnelles tout au long de leur existence. Vous trouverez un excellent chapitre sur ce thème dans Le mal joli. Je dirais que c’est récurrent dans la littérature, mais Becker parvient à l’évoquer d’une manière singulière. Elle connaît son sujet. Elle ne le craint pas. Elle est dérangeante et j’aime ce grand dérangement. Ça nous change de toutes les stupidités qui nous encercle. Pensez-y, il y a des personnes qui ne vivent jamais ces genres d’expériences, elles ne font qu’en rêver entre leurs pulsions les plus profondes et leurs désolations quotidiennes d’une vie sexuelle minable. Emma Becker, il faut la lire entre les lignes, elle dit beaucoup entre ses silences. J’espère pour elle qu’elle ira encore plus loin dans ces sujets, qui n’ont rien de scabreux, parce qu’ils sont tout simplement la vie. Nous pouvons tous connaître des grandes passions et c’est au moment qu’on pense que l’on vogue au-dessus de nos affaires, qu’on pense que plus rien ne nous touchera, que l’occasion nous saute dessus au prix d’être déstabilisant, qu’on n’arrive pas à y croire. Est-ce qu’on peut appeler tout cela des sujets récurrents ? De ces genres de propos Carmilla, vous en faites votre pain et votre beurre sur ce blog. Vous en parlez d’abondance et vous n’être pas très éloignée de Becker ! Qui sait, vous avez peut-être déjà vécu ce genre de situation ?
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
De l’intensité de la vie
L’autre sujet que je désire aborder, c’est l’intensité de la vie, celui des gens qui vivent à fond leur vie comme Vassili Grossman, Anna Politkovskaïa, Gertrude Belle, Thomas Edward Lawrence, qui vivaient hors de leurs sentiments, tellement qu’ils avaient trouvé dans d’autres domaines ce qui dépassaient les sentiments humains. La plus intense, dans son domaine c’est sans aucun doute Virginia Woolf. D’une manière ou d’une autre, ces personnages ont bondi par-dessus leur condition pour se retrouver face à la mort après leurs tumultueux parcours sur cette terre. En fait, ce ne fut pas difficile, parce qu’eux aussi ont choisi l’inéluctable, ce qui est souligné par leur fin de vie souvent inutile comme un espèce de suicide. Grossman avait été témoin de tellement de misère qu’il en été démoli, Politkovskaïa a fini assassinée dans une cage d’escalier à Moscou parce qu’elle défendait la vérité, Bell a terminé sa vie dans le vide après une existence très intense, Lawrence, n’a plus rien fait après son aventure de deux années intenses au Moyen-Orient, sauf pour écrire, Les sept piliers de la sagesse. Woolf on connaît sa fin malheureuse. Qu’est-ce qu’on fait après avoir vécu aussi intensément, lorsque passé l’action, le soufflé ne gonfle plus ? Nous ne pouvons pas nous défiler en pensant que c’est souvent juste la vie. C’est trop simple. Devrais-je accepter que ce soit inacceptable de tomber dans un gouffre absurde, entre l’action intensive et la fin qui vous attend un peu plus loin dans l’existence, parce qu’il est inacceptable de vivre, sans action, sans intensité. La plupart des gens qui ont vécu ces genres d’expériences, soudain, c’est vide existentiel, deviennent malheureux comme des pierres. Ce n’est pas toujours donné dans le destin, de mourir subitement comme Albert Camus d’un accident d’automobile. Je me demande s’il a eu le temps d’apercevoir l’arbre qu’il allait heurter ? Qu’aurait été sa vie, ou du moins ce qu’il en restait ? Aurait-il connu ce passage à vide qui lui a été épargné ? Après la gloire vient l’ombre, puis l’oubli, puis la fin. Ne pas oublier de s’offrir quelques récréations entre deux tremblements de vie, comme lire Becker. C’est remarquable, que les gens qui vivent intensément sont sujets à un vide existentielle. Mes lectures d’octobre m’ont ramenées sur les rails de l’inexplicable, mais combien intéressantes, de ces vides après l’action. Peut-être que pour certains, la vie s’arrête avant la mort en une période plus ou moins longue. Qu’est-ce qui vaut encore la peine de vivre, lorsque les balles ont sifflé autour de soi, qu’on a échappé aux pannes moteurs en plein ciel, qu’on a transporté des cargaisons de produits dangereux, qu’on vivait pour les frissons, qu’on finissait par s’en sorti par la chance ? Après qu’est-ce qui reste ? De quoi vit-on ? C’est dans ces moments que nous apprenons que la vie n’est ni une pièce de théâtre, et encore moins, un film. Comment vit-on après une longue carrière politique après avoir connu tellement de victoires et terminé sa carrière pas une seule défaite ? J’ai rencontré plusieurs de ces personnes, comme ce vieux cultivateur qui venaient de vendre sa ferme, parce qu’il était épuisé et qu’il n’avait plus de force pour continuer, et qui me racontait sa vie de misères, avec des larmes dans les yeux. Peut-on ainsi détourner le regard d’une certaine réalité incontournable ?
Ainsi, soit-il Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
Il va de soi que j'éprouve une sympathie naturelle, spontanée, pour Emma Becker. Voilà, en effet, une femme qui ne passe pas son temps à pleurnicher et récriminer. Qui est simplement portée par le goût de vivre. J'avais été particulièrement impressionnée par "La maison", un livre d'une incroyable audace.
Mais je ne me retrouve pas toujours dans ses aventures. Dans "Le Mal joli" (que j'ai simplement feuilleté , il est vrai), ses histoires avec un vieux bourgeois réac et ses remords envers ses enfants, ça m'est vraiment étranger et je ne vois pas trop ce que ça a de subversif. On est presque dans le vaudeville. Mais c'est vrai que c'est très bien écrit.
Quant à l'intensité de la vie, de quoi vit-on en effet ? Certainement pas de la banalité du quotidien, de sa monotonie répétitive.
On a besoin de s'échapper, de se remettre en cause, d'avoir peur, d'affronter l'incertitude et le danger.
C'est la puissance du rêve qui nous guide en ces circonstances. Et je le dis souvent, en la matière, l'imaginaire est toujours plus fort que la réalité.
Et je souscris, à cet égard, à tous les noms que vous avez cités: Vassili Grossman, Anna Politkovskaïa, Gertrude Belle, Thomas Edward Lawrence, Virginia Woolf et.. Emma Becker.
Bien à vous,
Carmilla
Julie a ajouté un commentaire à "Le Vide et le Plein"
Il y a 10 heures
Bonsoir Richard, votre détaillée réponse m'honore... Merci !
En réponse au commentaire de Richard
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