Je suis toujours un peu mal à l'aise quand je suis conviée à des soirées entre collègues ou "amis".
L'essentiel des conversations tourne autour de notre entourage, de nos relations professionnelles, de nos connaissances communes. Et à ce sujet, on se met à faire de la psychologie à outrance, à tirer le portrait de chacun. A grands coups d'anecdotes, on passe en revue toutes les petites manies et les ridicules des autres, on en rit, on s'en moque.
Un tel est complétement dingue, imprévisible, irascible. Un autre est apathique, lunaire, ailleurs, probablement dépressif. Un troisième est carrément mégalo, narcissique. Quant au dernier, il est complétement parano.
Au total, on n'a vraiment pas peur de faire de la psychologie sauvage.
Ca déborde bien vite sur la sphère politique. On fait comme si on connaissait personnellement les grands de ce monde. Tous sont nuls, veules et fous. Ils profitent des "ors de la République" pour s'accorder du bon temps. Ce ne sont que rumeurs et railleries. On ferait tellement mieux à leur place, on serait non seulement désintéressés mais on redresserait le pays en trois coups de cuiller à pot.
On fait assaut de méchancetés et plaisanteries vachardes. C'est à qui trouvera le "bon mot" le plus ravageur.
C'est la pratique du persiflage, tellement prisée autrefois dans les salons littéraires et de conversation qui ont animé, du 18ème siècle au début du 20ème, la vie sociale des élites . C'est l'ancien monde, me direz-vous. Sans doute, mais j'ai l'impression que ça s'est curieusement propagé dans le temps au point d'irriguer, aujourd'hui, toutes les couches de la société française.
Ces salons, généralement tenus par des femmes, ça a été une institution absolument extraordinaire qui a largement façonné l'esprit français (la politesse, le goût des joutes intellectuelles, les relations de séduction entre les sexes) et contribué à la propagation des idées des Lumières. On peut regretter leur disparition mais ils demeurent en fait, étrangement, le prototype des mentalités d'aujourd'hui mais peut-être pas dans leurs aspects les plus sympathiques. L'esprit de salon, il faut bien reconnaître que les Français en sont, aujourd'hui encore, profondément imprégnés: l'entre soi, l'arrogance, l'esprit assassin, le goût du paraître.
Ca me dérange parce que jouer les beaux esprits en petit groupe, c'est amusant, certes, mais qui aime-t-on au total ?
Je n'ose d'abord songer aux horreurs que l'on doit colporter sur mon compte mais il y a longtemps que j'ai cessé de tabler sur la bienveillance des autres et j'ai "blindé" en conséquence ma vie.
La médisance, il ne faut pas y attacher d'importance. C'est plutôt cette facilité à énoncer des diagnostics, à psychologiser, psychiatriser, l'autre qui me déconcerte et m'effraie.
D'abord parce qu'on est, soi-même, rarement exemplaire. On n'est pas faits d'un bloc, on a tous une personnalité composite: en chacun de nous coexistent l'admirable et l'odieux, l'intelligence et la bêtise.
Mais quand on se met à parler des autres, on perd tout sens de la nuance. L'autre, on le "choséifie" en quelque sorte: on le résume à un diagnostic et une identité supposée.
Et "caractériser" l'autre, le classer dans une pathologie (fou, névrosé, obsessionnel, pervers etc...), je trouve ça extrêmement dangereux. Je crois même qu'on doit s'interdire absolument de diagnostiquer, psychologiser, l'autre.
Parce que résumer l'autre, le figer dans une identité, c'est le meilleur moyen de le déstabiliser. Il ne peut s'empêcher d'y croire et il commence alors à douter de lui-même. Au point qu'il commence à se haïr et à sombrer psychologiquement. Ca va jusqu'à sa mort psychique, une mort que l'on a, en fait, soigneusement programmée. C'est la tactique, décrite par Harold Searles, de "l'effort pour rendre l'autre fou". Cette manipulation perverse à la quelle on se livre trop facilement, en toute bonne conscience, mais qui fait de nous des "criminels innocents".
Et notre propension à psychologiser l'autre, elle s'étend bien sûr à toutes les personnalités politiques. Les bouquins consacrés à "ces malades qui nous gouvernent" rencontrent ainsi un grand succès. Hitler, Staline, ça semble évident mais à peu près personne ne semble en fait y échapper. Tous les chefs d'Etats seraient des dingues et des mégalos.
Là encore, je refuse absolument ce point de vue. Décréter fou quelqu'un, c'est s'interdire de le comprendre, de déchiffrer la grammaire de son comportement.
Hannah Arendt a plutôt développé cette idée de la banalité du Mal. Les Nazis, la population allemande qui les suivait, n'étaient pas fous ou pervers. C'étaient plutôt des gens d'une consternante banalité, épris avant tout d'ordre et de normalité. Des gens à l'esprit bureaucratique comme Eichmann qui, à l'occasion de son procès, s'est même réclamé de l'impératif catégorique de Kant.
Et Hitler lui-même n'était pas fou. C'était un affreux petit bourgeois, ultra névrosé, mais dont les discours avaient une logique et une rationalité, même si elles étaient bien éloignées des nôtres.
Et il en va de même de nos politiciens contemporains. Ce ne sont pas des fous (même Trump, même Poutine). Ce sont, en fait, des gens hyper normaux, hyper adaptés. Simplement mégalos et narcissiques.
C'est plutôt leur banalité, leur excessive normalité qui sont effrayantes. Ne l'oublions pas, Trump et Poutine expriment les convictions de l'Américain et du Russe "moyens". Avec cette volonté bureaucratique de "plier le Réel", de remodeler le monde, de revenir en arrière pour retrouver les "vraies valeurs". Leur démarche est donc, avant tout, celle d'hypocrites "puritains".
Cessons donc de nous ériger, nous-mêmes, en psychiatres ou psychologues. C'est ainsi qu'on devient les agents volontaires et zélés d'une répression générale des Mœurs. Et nos diagnostics en disent d'ailleurs plus sur nous-mêmes que sur la personne que nous visons.
J'en suis convaincue, ce dont on a avant tout besoin en ce bas monde, c'est d'un peu de fantaisie. Parce que ce dont on crève, c'est de banalité, de normalité. Les gens trop normaux, je le répète, sont les plus inquiétants, ceux dont on doit, à tout prix, se méfier. Parce que ce sont eux qui préparent et édifient les sociétés totalitaires.
Images, principalement, de Julia SOBOLEVA, une jeune artiste originaire de Lettonie. Deux images, également, de l'Américain Guy Pêne-du-Bois.
Ce post m'a été inspiré par l'écrivaine canadienne Nancy Huston. Relatant son adaptation parfois difficile à Paris, elle a ainsi mentionné qu'elle avait été particulièrement troublée et même choquée par la manie du "persiflage" dans les milieux autoproclamés "intellectuels". Je me suis reconnue là-dedans, moi qui viens d'un pays nul et ai fait des études nulles..
Je recommande:
- Claude-Henry DU BORD: "Les Rois Fous". Je n'aime pas cette qualification de "Fou" mais, en l'occurrence, il en est fait, ici, un usage pertinent. Ca va de Caligula à Louis II de Bavière. Ce qui est surtout intéressant, en fait, c'est l'étonnante résistance des monarchies à ces folies furieuses.
- Patrick WEIL: "Le Président est-il devenu fou ? Le diplomate, le psychanalyste et le chef d'Etat". Etrangement, Sigmund Freud s'est lui-même essayé à une application de la psychanalyse sur un homme d'Etat. Il s'agit du Président américain Wilson qui a participé à la négociation du Traité de Versailles. Ce livre de Patrick Weil (mars 2022) relate toute l'histoire de l'élaboration du livre cosigné par Sigmund Freud et William Bullit paru seulement fin 1966.
- Et il y a, enfin, toute la littérature issue des salons. Ca a donné lieu à deux "monuments": Saint-Simon, et Marcel Proust. Mais tous les écrivains du 18ème siècle au début du 20ème fréquentaient les salons. Sur ce point, je recommande à nouveau le récent bouquin de Dan Franck: "Le roman des Artistes".
- Et parmi les "salonards", il ne faut pas oublier "les Goncourt" et leur sulfureux Journal. Des personnages entièrement paradoxaux. A la fois odieux et sublimes. Il faut lire à leur sujet: "L'indiscrétion des frères Goncourt" de Roger Kempf et "Les infréquentables frères Goncourt" de Pierre Ménard
22 commentaires:
Bonjour Carmilla
Vous avez de la chance, vous êtes conviée. Personnellement, on ne me convie jamais, lorsqu’on qu’on m’invite, c’est parce que ça va barder et que la soirée risque d’être rude, ou bien, parce qu’on n’a pas pu faire autrement.
J’aime bien me glisser dans un groupe alors qu’on médis de moi, faut voir les têtes lorsqu’ils s’aperçoivent que je suis en train d’écouter leurs commentaires. Soudain, je ne suis plus le sujet. Changement de propos, on va éreinter quelqu’un d’autre.
Ça commence à se gâter lorsque ça tourne à la politique. Comme par exemple, se demander : Est-ce que Justin Trudeau a été trahi par sa Ministre des finances Chrystia Freeland ? Une crise politique est toujours un grand sujet de discussion.
Ce qui est étonnant, c’est toutes ces crises politiques se produisent en même temps comme si quelqu’un avait organisé l’affaire, c’est toujours la crise politique en France, que dire de l’Allemagne, Olaf Scholz en prend pleine la gueule, surtout que Elon Musk vient d’y mettre le nez soutenant l’extrême droite, et puis faut pas oublier Nigel Farage en Angleterre. Il y a de quoi occuper un souper du temps des fêtes. C’est le cousin Vladimir qui doit être content à Moscou. En gros, tous ces dirigeants sont loin d’être nuls. Je dirais même, qu’ils sont intéressants et dangereux tellement ils sont imprévisibles.
Au pire, j’ignore si on ferait mieux à leur place.
Nous pensons que nous avons évolué depuis l’époque des salons, reste que cela sent encore la vieille cuisine. C’est juste un peu plus désolant.
Qui sait Carmilla ? Il faudra peut-être encore épaissir votre blindage.
Ce qui n’est pas très éloigné de votre texte de la semaine dernière, où j’ai laissé un dernier commentaire.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Je conseille tout de même la lecture de "Trop et jamais assez", le livre de Mary Trump, la nièce de Donald, par ailleurs docteur en psychologie. Elle dresse un portrait frappant de son oncle, issu d'une famille dysfonctionnelle, où le père (Frederick Trump, un grand promoteur immobilier), injuste et tyrannique, est pour beaucoup dans la formation du caractère de Donald Trump.
Dans un mois, ce personnage est à nouveau président.
Je vais repartir à Avioth, et je pense y relire "Impossible ici", d'Upton Sinclair, un roman des années trente, presque prophétique de l'ascension d'un proto-tyran comme Trump.
https://www.babelio.com/livres/Lewis-Impossible-ici/92754
Merci Richard,
Si vous n'êtes pas convié, c'est sans doute parce que vous n'aimez pas rentrer dans le jeu des conversations de salon, de ses hypocrisies, faux-semblants et méchancetés.
J'avoue que je déteste ces soirées au cours des quelles on passe son temps à "casser du sucre" sur le dos de ses proches ou des hommes politiques. On a vite fait d'en tirer un portrait peu flatteur voire de les considérer comme dingues.
Mais qu'est-ce qu'on connaît d'eux en fait ? Pas grand chose, voire rien. Nos méchancetés en apprennent d'ailleurs plus sur nous-mêmes que sur eux.
Je crois qu'on doit avoir pour première règle éthique de ne pas médire des autres, de s'interdire même de les dénigrer. C'est d'ailleurs ainsi qu'on parviendra peut-être à mieux comprendre ceux qui nous entourent.
Bien à vous,
Carmilla.
Merci Nuages,
J'ai feuilleté ce livre de Mary Trump et, en effet, on n'en retire pas une image améliorée de son "tonton".
Mais ce que je trouve terrifiant, c'est que des Donald Trump, il y en a, en fait, des centaines de milliers autour de nous. On en rencontre plein tous les jours. Il n'est ni une exception ni un fou mais un type strictement banal fier d'afficher sa bêtise. C'est son incapacité à avoir un regard critique sur lui-même, son auto-satisfaction, sa conviction d'être un génie qui sont sidérantes.
Certes, il a, peut-être, été élevé dans une famille dysfonctionnelle. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? On a tous eu, en fait, une famille dysfonctionnelle, l'harmonie parfaite, ça n'existe jamais. Ce qui nous différencie, c'est qu'on se soumet ou qu'on se révolte.
Combattre Trump, ça ne va pas être facile. Il faut surtout éviter de l'affronter directement directement. Je trouve, en ce sens, habile la tactique de Zelensky qui fait semblant de rentrer dans son point de vue. Mais je ne suis pas sûre que ça suffise.
Je ne connais pas ce livre d'Upton Sinclair. J'en prends note.
Quant à votre maison communautaire, elle est donc ouverte toute l'année sans aucune exception ?
Joyeuses fêtes,
Carmilla
La maison communautaire est ouverte toute l'année, à part, en général, une fermeture d'une semaine après le 1 janvier. Mais cette année, il y aura en outre une période de fermeture d'un mois, en février, pour des travaux.
Les travaux, j'imagine que ça pose bien des problèmes. Il faut d'abord trouver des artisans ce qui, en France, est souvent le plus difficile..
Carmilla
Bonjour Carmilla
Il ne faut jamais prendre un adversaire à la légère, même et surtout lorsqu’il joue la comédie, ment, houspille, méprise. Présentement le conservatisme occupe tout le terrain, parce que nous avons déserté nos positions, que nos élites se cachent, que nos institutions sont prêtes à s’agenouiller devant ces nouveaux maîtres. Le Blondinet de Washington occupe toujours le devant de la scène, il fait encore les premières pages, mais ce n’est plus qu’un sinistre bouffon, attendez qu’un type comme Musk éjecte le patron, ou encore qu’un Vence s’en prenne à Musk. Et, c’est partout pareil, même chose en France, Jordan Bardella attend son heure pour éjecter madame Le Pen. Les risques sont grands qu’on se retrouve avec des coalitions de droites autant en Europe qu’en Amérique, c’est déjà fait aux USA, et je ne pense pas que les républicains vont lâcher le morceau. Ce qui est intéressant dans toute cette situation, c’est que Trump veut forer pour plus de pétrole, et que Musk vend des autos électriques. Aucune contradiction ne peut venir à bout de ces genres de bêtes politiques. Ils peuvent tout dire, le vrai et son contraire. Ils n’en n’ont rien à branler. Ils peuvent s’installer au pouvoir pour longtemps pour nous mépriser continuellement sans limite aucune, sauf celle que la démocratie pourrait appliquer, une défaite électorale. Mais, nous en sommes loin. Qui plus est, nous nous en éloignons toujours plus, toujours en évitant de nous poser la grande question : Pourquoi, soudainement ces gens-là ont émergé dans nos systèmes politiques ? Ils ne sont pas arrivés de nulle part. Il y a eu des facteurs qui les ont favorisés. Aux USA, c’est l’économie surtout celle qui touche les bas salariés, je rappelle que ce (riche pays), est l’un des plus inégalitaire au monde, avec le Brésil, l’Inde, la Chine, la Russie, ce que n’a pas manqué de souligner Thomas Piketty dans ses ouvrages. Se sont ces personnes qui ont voté pour Trump qui les a instrumentés, ces gagnes-petits qui peinent à survivre. Et, c’est quand même paradoxal que des pauvres votent pour des riches sauveurs. C’est la façon que Trump se voit présentement, en sauveur de l’Amérique. C’est qui, qui sera le sauveur de l’Europe, s’il y a encore quelque chose à sauver ? Et, plus à l’est, c’est qui, qui sera le messie ? C’est une véritable descente en spirale, et l’on n’en sort pas. Je n’ai jamais vu autant de mauvaises nouvelles en si peu de temps. C’est peut-être pour certain le temps d’oublier en cette période festive en s’étourdissant; c’est étrange, je n’arrive pas à oublier !
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Je partage votre avis, Richard.
Il faut prendre au sérieux les propos de nos dirigeants même s'ils semblent fous ou extravagants. Des gens comme Poutine ou Trump ont fait et vont continuer de faire ce qu'ils ont annoncé. Ce qui, en ce moment, n'est vraiment pas encourageant car il faut se préparer au pire (notamment en France).
Comment en est-on arrivés là ? Je ne crois pas en la thèse de l'accroissement des inégalités (d'autres études disent exactement le contraire de Piketty) et puis tout le monde a bien bénéficié, au cours de ces dernières décennies, d'un accroissement de son niveau de vie.
Les sociétés apparaissent plutôt divisées en 2: une moitié de la population est éduquée et diplômée et bénéficie de conditions économiques satisfaisantes. Il est à noter que cette proportion de gens éduqués était autrefois beaucoup plus restreinte.
Une autre moitié n'est pas éduquée et nourrit une forte rancoeur envers cette grande classe moyenne. On en déteste surtout les idées et le mode de vie. On veut le retour des valeurs traditionnelles.
Voilà comment je vois aujourd'hui les choses mais je ne sais pas si c'est pertinent,
Joyeux Noël à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Rien ne vaut le refuge en soi-même, devant une belle bordée de neige que nous avons reçu la nuit dernière, une bonne lecture et surtout la confiance en soi devant tous ces événements malheureux. Nous pouvons encore nous réfugier en nous-mêmes, afin de cultiver notre lucidité, la protéger pour ne pas la perdre, surtout en cette période refuge qui encercle le solstice d’hiver.
Quoi de mieux qu’un grand silence pour s’offrir une bonne lecture ? L’année 2024, aura été pour moi une année riche en découverte. Voici quelques titres.
Sous la direction de Gloria Origgi, un énorme volume qui porte le titre de Passions sociales. Origgi a réuni une soixantaine de philosophes, de sociologues, anthropologues, d’écrivains, professeurs d’universités, et leur a offert de s’exprimer sur 106 thèmes, qui vont de la honte, la vengeance, la fidélité, l’intérêt, l’identité, la jalousie, l’espoir, et j’en passe. Un grand livre qui va dans toutes les directions, qui plonge dans le passé lointain, pour rebondir dans la réalité d’aujourd’hui. Six cents pages d’une densité peu commune, qui exige attention et détermination. On y retrouve en autre des auteurs connus comme ce : Frédéric gros, Siri Hustvedt. Eva Illouz, Gérald Bronner, mais aussi d’obscurs penseurs inconnus, ce qui en fait une lecture pour lecteur motivé.
Maryanne Wolf : Lecteur, reste avec nous. Qui traite de l’importance de la lecture, de son enseignement, de sa pédagogie, de sa mission de faire des citoyens plus éclairés, plus lucies.
Je ne puis m’empêcher de passer sous silence, ce grand passage de l’œuvre entière d’Amin Maalouf entre la connaissance et la modestie.
Timothy Snyder. La route pour la servitude, à lire et à relire en cette époque bouleversante. Comment ne pas oublier : Terre de Sang ? Une lecture incontournable.
Ne pas oublier : Le temps des loups, l’Allemagne et les Allemands (1945-1955), par Harald Jähner. Comment on se relève après un désastre. Cette lecture fut une découverte pour moi. (Merci Carmilla)
Delphine Horvilleur. Comment. Ça va pas ? Une dense réflexion sur l’après 7 octobre 2023, sur le Moyen-Orient, mais aussi sur nos manières de repenser le monde, au travers de sa superbe écriture, on sent le doute, la crainte, et l’inexplicable, qui ne sont pas dénudés de colère. Une lecture dont a du mal à s’éloigner. C’est une femme très attachante !
Toujours dans mes explorations dont mes lectures font partie, le reste du temps j’erre par les routes de gravier et les sentiers forestier. Ma réflexion n’est pas seulement dans mes mots, elle est aussi dans mes pas.
De Jim Harrison, un grand auteur américain, que j’apprécie pour ses observations sur la société américaine, que je ne manque pas de relire, et qui nous offre un panorama sur les inégalités, je recommande deux titres : Dalva, et, La route du retour.
Pascal Quignard : Complément à la théorie sexuelle et sur l’amour. L’inclassable Quignard, hors des entiers battus, tout en ferveur, entre des histoires anciennes, des expériences d’enfance, ses ouvrages se sentent plus qu’ils ne se lisent. Ne pas oublier : Les Ombres errantes, l’un de ses grands livres.
Neil Price : Une histoire des Vikings, les enfants du frêne et de l’orme. À découvrir sur cette civilisation du déplacement, du voyage, du commerce, il a bien creusé son sujet. Il est intarissable. C’est l’ouvrage le plus complet que je n’ai jamais lu sur les Vikings. Très accessible !
Rue Duplessis, ma petite noirceur, de Jean-Philippe Pleau, un québécois qui est partie de loin, issue de parents pauvres, analphabètes, qui parviendra à faire des études supérieures en anthropologie et deviendra animateur et réalisateur à Radio-Canada. Un beau parcours douloureux qui nous enseigne qu’on peut s’extraire de sa condition sociale sans se renier !
Han Kang, tout simplement pour l’atmosphère, mystérieux et envoûtant, souffrant, avec son roman : Impossibles adieux.
Je suis passé par Charles Darwin comme un explorateur avec : Voyage d’un naturaliste autour du monde. Mais surtout à ne pas manquer : Le origines des espèces. Le détour en vaut la peine. Une lecture qui m’a séduit, depuis le temps que je me promettant de traverser Darwin, parce que l’évolution de l’humain m’a toujours fasciné.
Joséphine Bacon avec son recueil de poésie intitulé : Une fois de plus. Une femme d’origine autochtone, (raconteuse, spirituelle, cinéaste, pour l’avoir rencontré à quelques reprises, j’affirme que tu ne t’ennuies pas avec Joséphine. Une écriture minimalisme qui dit beaucoup !
Retour avec Gloria Origgi avec son dernier ouvrage : La vérité est une question politique. Un incontournable cette année, à lire.
« À l’hôtel. Je m’enfonce dans la relecture de Huysmans. Les seuls moments où je ne doute pas de mon existence sont ceux où je lis. La littérature me paraît l’unique domaine où j’ai pied. Les aventures sensorielles Des Esseintes s’adressent à tout ce qui cloche en moi, c’est-à-dire tout. Il y a peu d’ivresses qui valent la lecture d’un roman que l’on croirait écrit pour soi. Contrairement au kensho, cela revient immédiatement quand on s’y replonge. Les voyages sont des espaces privilégiés pour lire. Je l’ai constaté tant de fois. J’aime ne pas avoir d’autre ancrage que le livre. »
Amélie Nothomb
L’impossible retour
Page -107-et-108-
Somptueuse manière d’évoquer ses fondements. Tout nous sépare, pourtant ce paragraphe m’a rudement accroché. Nous ne nous ressemblons en rien, Nothomb et moi. Mais nous partageons un domaine, celui de la lecture, de la connaissance, de la curiosité, du savoir. Je suis venu tardivement à la lecture de Nothomb. Cela ne s’est pas fait sans peine. Puis, au fil de mes lectures, c’est venu lentement, comme une espèce de germination. Un entrelacement dans le brouillard, lorsque que tu erres pour te chercher. L’impossible retour, c’est l’histoire d’un voyage avec une amie de l’auteure au Japon. C’est aussi le retour dans le passé où elle a vécu son enfance dans ce pays qui demeure pour nous, les occidentaux, bien étrange ! Je ne dirais pas que c’est un roman, mais un récit. Ce qui permet des digressions savoureuses de la part de Nothomb, en autre de s’éparpiller entre plusieurs sujets. Cependant, elle demeure pour moi mystérieuse, et je ne pense pas un jour percer ce mystère Nothomb.
La lecture nous mène partout même aux rencontres les plus insolites. La lecture nous habite comme nous habitons la lecture. Si les temps sont durs, ouvrez un livre pour vous enfoncer dans un univers inconnu. Ce qui n’est pas une fuite, parce que lire, au final, c’est émerger d’un silence réparateur.
Merci Carmilla pour vos suggestions de lectures, c’est toujours une joie. C’était quelques-unes de mes lectures de cette année. Des propos, qui, s’ils tombent dans l’œil, d’une lectrice ou d’un lecteur peuvent être utiles.
Richard St-Laurent
Merci Richard,
Vous êtes tout de même un lecteur forcené et peu commun.
Il y a, aussi, c'est vrai, un plaisir à échanger des conseils de lecture. C'est, à chaque fois, un peu de soi-même que l'on livre.
Personnellement, je ne tiens pas tellement compte de l'actualité mais plutôt de mes préoccupations et du lieu où je me trouve (je suis par exemple aujourd'hui sur la Côte normande évidemment associée à Proust, Flaubert, Maupassant et même Marguerite Duras voire Arsène Lupin). Et puis je lis pas mal de bouquins d'économie/finance dont je ne parle pas.
En littérature, je retiens quand même, pour cet automne et pour la France, les livres de Rebecca Lighieri, Philippe Jaenada, Grégoire Bouillet et Mathias Esnard. Quant à la littérature étrangère, c'est Han Kang (La végétarienne), Nicolaj Frobenius (les carnets du Congo) et Gudmundsson (les prodigieuses aventures de Jorundur, Roi de la canicule).
Tous des bouquins dérangeants, irritants peut-être mais qui remettent en cause nos certitudes. Parce que c'est à cela que doit servir la littérature: pas à nous distraire mais à voir la vie et le monde sous une autre perspective.
Quant au livre de Gloria Origgi, je ne l'ai curieusement pas remarqué.
Quant à Amélie Nothomb, son dernier roman sur le Japon apparaît incroyablement superficiel. Ce passage où elle mentionne Huysmans est, en fait, le plus intéressant. Mais elle publie, dans le même temps, un livre très érudit sur ce même Japon. Etonnant !
Joyeuses Fêtes,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Le solstice s’étend sur plusieurs jours pour moi. C’est une époque particulière, un temps neutre, entre une fin et un commencement. La fin est féminine, c’est une conclusion ; le commencement est masculin, qui ne trouve jamais de conclusion. Je rêve devant la rivière blanche en écrivant pendant toute la journée tout en écoutant la musique d’Euro-Radio en cette époque particulière, qui dépasse simplement ce qu’on nomme Noël, une autre invention des humains comme le fondement d’une croyance. Je ne célèbre pas particulièrement Noël, parce que je célèbre tous les jours de l’année. Je me réveille tous les matins en pensant que c’est la journée de toutes les possibilités, de toutes les ferveurs, et de toutes les grandeurs. Naître dans une étable et mourir sur une croix c’est une histoire lugubre. Il me semble qu’il n'y a pas de raison particulière d’avoir implanter cette fête sur un redémarrage immédiat vers une autre année. Les Pères de l’église avaient déplacé à plusieurs occasions cette fête ; mais pratiquement, tous les humains, depuis la nuit des temps fêtaient le solstice d’hiver, ce retour de la lumière. Sur le fond c’était une fête païenne. Comme les premiers chrétiens ne semblaient pas très enthousiasmes au sujet de cette fête, ils l’ont déplacé sur les célébrations de fin d’année, juste après le solstice. On a recollé le tout avec une naissance d’un personnage énigmatique qui naît dans une étable. Ce qui donne le ton à l’esprit de catastrophe qui allait suivre. Ainsi les croyants comme les non-croyants pouvaient célébrer pour une raison ou une autre, ou même sans raison. L’humain, foncièrement, a besoin de se regrouper pour tout simplement fêter, célébrer, resserrer les rangs, toutes les raisons sont bonnes. Il n’y a rien à justifier. Même, en notre époque, où nous ne sommes pas très portés à fêter, nous célébrons toujours. Pourtant, nous devrions célébrer à tous les jours bons ou mauvais, tout simplement la vie, tant que nous sommes vivants. La fête débute par un sentiment personnel comme une étincelle dans la tête, un pincement au cœur, prodigue dans chaque recommencement. Et nous recommençons à l’autre bout du spectre, au solstice d’été comme un espace étendu. Je me demande toujours pourquoi nous ne célébrons pas les équinoxes ? Ce qui constituerait deux fêtes de plus. Je sais, nous célébrons la Pâques à la première pleine lune après le printemps. La résurrection, la promesse d’une continuation vers des récoltes abondantes, ce qui n’est pas toujours le cas. Mais, il est plus facile de croire en des récoltes futures, qu’à la résurrection des corps. Quelle réjouissance d’une dialectique boiteuse ! C’est dans l’esprit de l’éternité, fruit d’un esprit tordu.
Ce qui explique peut-être ce besoin d’allumer les lumières, cette orgie de lumières, lors des grandes Je crois que les lecteurs assidus de La Bible se montrent très critique à ce sujet. Vraiment l’imaginaire humain n’a aucune limite, j’en réfère aux légendes indiennes et à bien d’autres peuples qui ont imaginé des histoires encore plus tordues et déroutantes. Pendant des millénaires les humains ont cru au soleil, à la lune, qui avaient une grande importance chez les indiens qui habitaient le Québec avant que n’arrivent les européens. Ils ont été encore plus étonnés lorsque les missionnaires ont commencé à leur raconter l’histoire du type qui était mort sur une croix pour nous sauver. Ces indiens dans une très grande sagesse leur ont répliqué qu’un mort ne sauvait personne. Eux-mêmes avaient leurs propres grand manitou, qui changeaient d’une tribu à l’autre, mais les indiens ne se battaient pas entre eux pour imposer une croyance, ils ne leur étaient jamais venu à l’esprit de faire des croisades. Ce que les européens d’une certaine époque n’ont pas manqué de faire. Si tu étais incapable de convertir un infidèle, alors il n’y avait qu’une solution, le faire disparaître. Impossible discussion même avec l’amour enrobé du pardon, de la remise des fautes. Avait-on oublié les Saintes Écriture ? C’est vrai, l’humain se laisse emporté par ses idéologies, ce qui allaient donner maints massacres incompréhensibles. Comment peut-on célébrer après cela ? Il appert que nous célébrons la fin des conflits lorsque nous dépassons toutes les bornes. Ce qui ne nous empêche pas de recommencer un peu plus tard avec de nouvelles générations. Fêter, c’est peut-être se souvenir d’événements pernicieux afin de ne pas aller trop loin dans cette direction morbide. La fête est peut-être plus sérieuse que l’on ne le croit. Les larmes ne sont jamais éloignées des rires. Ce qui explique peut-être la nostalgie de la fête. Le regret suit le doute, le vin n’est plus aussi savoureux. Nos grands écrits sacrés devaient nous couvrir de tous les malheurs de l’existence, trouver toutes les réponses, édicter des lois et des règlements, afin de promouvoir l’ordre, pour un jour, de constater qu’ils étaient dépassés, nous rappelant une fois de plus, à nous dépasser. Il fallait bien évacuer de la vapeur afin de protéger la chaudière, alors après l’abstinence, le jeûne, la pénitence, il était possible de se réjouir à la fête, même si dans certaines célébrations tout était permis. Combien de meurtres ont été commis lors de fêtes ? Nous méprisons le mépris, qui n’est pas une faute, ni un défaut, certainement pas une qualité. Zone d’ombre. C’est quoi alors ? Comment expliquer une zone d’ombre ? Une vérité qu’on ne veut surtout pas, ni regarder, ni imaginer. L’ombre ce n’est pas la lumière tamisée, pas plus que la nuit la plus sombre.
Ce qui explique peut-être ce besoin irrésistible d’allumer la lumière, cette fête, de tout illuminer pour supprimer toutes les zones d’ombre, allumer des grands feux afin de bien se voir. Personnes ne peut fêter sans lumière, il ne doit pas y avoir de doute. L’humain rejette la nuit noire, et même la moindre ombre. Serait-ce un appétit de certitude ? Pourtant le doute est et demeure notre meilleur atout. Faut-il croire les yeux fermés ? Les croyances résistent mal aux analyses. Pourtant nous avons édifié des civilisations sur des croyances construites sur le sable. Croyances qui persistent encore aujourd’hui mêmes dans de fausses nouvelles, des informations branlantes, des énoncés boiteux. Ce qui m’incite souvent à m’éloigner d’une fête pour échapper à sa fausseté. Tous ceux qui célèbrent ne s’aiment pas, le temps de tirer sur un gros cigare en les observant de loin.
Effectivement, je suis un forcené et pas seulement en lecture, je le suis, non seulement dans plusieurs domaines, mais dans toutes ma vie. Si on est vivant, comment ne pas vivre cette vie passionnément comme un forcené ?
Je vous souhaite une bonne époque du solstice, profitez bien des ces jours.
Richard St-Laurent, le forcené.
Merci Richard,
Il me semble que vous êtes situé à peu près à la même latitude que la France et que la durée du jour doit y être à peu près semblable.
A Paris, en ce moment, les jours ne sont pas trop courts: lever du soleil à 8 heures et coucher à 17h15. Rien à voir avec Helsinki ou Saint-Pétersbourg.
Mais personnellement, j'aime évidemment bien la nuit et le soleil, je déteste. Les villes, la nuit, c'est magnifique et plein de mystères. Ce sont tous les loisirs nocturnes, les cafés, les restaurants, les cinémas, les spectacles. Il est plus facile également de faire des connaissances, de nouer conversation, la nuit.
Quant à la lumière, cela m'assomme et m'ennuie. J'aime toutefois ce que l'on appelle le soleil de minuit. La lumière est alors particulièrement belle et étrange.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Dans les histoires de tous les peuples, la lumière joue un grand rôle, et c’était encore très important avant l’invention de l’électricité, lorsque les jours raccourcissaient, on avait moins de lumière pour faire tous les travaux journaliers, ce qui impliquait de diminuer les tâches, ou bien, de se presser. Chez l’humain comme chez tous les êtres vivants la lumière joue un rôle essentiel, ceux qui brisent leur cycle circadien, finissent par en payer la note. Dans mon texte, j’ai touché le côté spirituel, mais dans la réalité la lumière est essentielle, nous pouvons le constater l’automne lorsque la lumière baisse en intensité, les plantes jaunissent, elles n’ont plus la fraîcheur du printemps. Avec la venue de l’éclairage artificiel, nous avons rallongé notre temps de veille, nous dormons généralement en moyenne moins que nos grands-parents, et si on remonte dans le temps, nos lointains ancêtres seraient traités de paresseux. Nonobstant, nos particularités personnelles, chaque individu dort une période plus ou moins longues selon ses propres besoins de repos. Vous et moi, nous en sommes la preuve, d’après vos écrits, il me semble que vous ne dormez pas beaucoup, par contre je dors au moins mes huit heures par nuit. Ce n’est pas une question de paresse, c’est une question physiologique. Je connais des gens qui dorment 4 heures par nuit et qui s’en portent très bien, personnellement, il me faut mes huit heures de sommeil pour fonctionner. Pourtant j’aime la nuit surtout une vraie nuit très noire, sans lune, afin de pouvoir regarder le ciel étoilé. Il ne faut pas s’étonner que nos lointains ancêtres en ont fait un genre de spiritualité. C’est un moment de notre évolution qu’il ne faut pas négliger, et que pour une grande part, nous a construit pour faire ce que nous sommes devenus. Ce qui explique, que je fais une grande différence entre la spiritualité et la religion. Je crois que l’humain est spirituel par nature ce qui est très subtile et que cette spiritualité peut exister sans croyance, sans dogme, elle n’a nul besoin de la religion pour exister. La religion comme la politique requière un cadre pour exister. Tu viens à la spiritualité, ce qui ne s’invente pas ; mais tu vas vers la religion, que tu l’inventes. Exemple l’Église Catholique, c’est une grosse organisation politique et diplomatique, avant d’être une religion. Cette époque de l’année est particulièrement favorable pour penser ces formes de philosophies. Personnellement, c’est très inspirant, et cette époque du solstice d’hiver s’inscrit comme un temps d’arrêt, que j’aime tout particulièrement.
Je l’ai déjà évoqué, Paris est situé sur le 48ième de latitude, Sherbrooke est juste au nord du 45e ce qui s’apparente à la région de Bordeaux. Par rapport à ma position vous êtes plus au nord que moi. Par contre si je consulte les éphémérides, pour vous le soleil se lève à huit heures et se couche vers 17 heures ; pour nous le soleil se lève à 7 heures et se couche à 16 heures. À une heure près, nous pouvons affirmer que nous nageons dans les mêmes eaux, en ce qui concerne la luminosité. Si on se transporte au solstice d’été, à cause de l’inclinaison de la terre, nous passons de 8 à 16 heures de luminosité. Je reconnais que c’est une période épuisante car la lumière en abondance c’est un très intense stimuli. Je me souviens de ces époques de très longues journées de vol. Il m’arrivait de décoller à trois heures du matin, pour ne rentrer qu’à 21 heures. Les journées étaient interminables, le rythme infernal, il fallait vraiment être résistant pour vivre sous ce régime. Lorsque j’y pense, je me demande comment j’ai pu traverser ses époques de hautes intensités. Vous dites vrai, lorsque vous évoquez la lumière lors des grandes clartés. C’est une luminosité unique d’une somptueuse beauté. La terre est une planète étonnante ! Je me sens toujours privilégié d’avoir vécu ces genres d’expériences. Nous ne pouvons pas être seulement une idée, une croyance, un dogme ; nous sommes beaucoup plus que cela, parce que nous ne pouvons pas nous arrêter dans cette quête incessante de connaissances et de significations. Un pas dans la nuit noire, c’est toujours un pas vers la lumière. C’est peut-être ce que vous recherchez lors de vos rencontres nocturnes. Vous recherche la lumière dans l’autre. Nous les humains, nous sommes attirés vers les mystères. Faudrait-il s’en étonné ? La nuit peut nous allumer sous les stimulations des mystères. Pourquoi, les humains, au cours de leur évolution ont toujours entretenu une certaine crainte face à la noirceur ? En général les bambins ont toujours peur de la nuit et c’est viscéral. L’humain se doit d’apprivoiser la nuit, il n’a jamais besoin d’apprivoiser le jour. N’est-ce pas à la fois, remarquable et étonnant ? Au cours de notre évolution, nous n’avons pas cessé de faire reculer la nuit, le manque de lumière, et cela ne manque pas d’avoir des incidences sur nos manières d’être, et de penser. Ce qui influence autant notre physique que notre psychique. Le meilleur exemple que je puisse donner, un phénomène que tous ceux qui ont vécu sur les fermes, s’ils gardaient des poules, lorsque le soleil se couchait, les poules allaient automatiquement se percher au poulailler. Il ne restait plus qu’à fermer la porte afin de soustraire nos pondeuses des renards
J’aime cette période de l’année, particulièrement parce que je trouve qu’elle est propice à la réflexion, aux idées, aux souvenirs. C’est une époque pour raconter et aussi celle pour écouter, où nous avons le temps de faire le tour de nos poteaux.
J’ai connu plusieurs surnoms dans mon existence, c’est peut-être que je dégage des ondes particulières. Cela a commencé avec ma mère, surtout lorsqu’elle se fâchait après moi. Sur un ton désagréable, elle m’appelait : L’animal. Et, c’est resté toute ma vie, c’est la seule personne qui m’appelait ainsi. Au début, je trouvais ce vocable désagréable, puis soudain après y avoir réfléchir : l’animal, je trouvais que ce n’était pas si mal, enfin j’ai débouché comme si cela avait été un titre de gloire. Cependant, je ne l’ai jamais dit à ma mère, ni expliqué mon processus philosophique de l’affaire. Il m’arrivait même de la provoquer, juste pour entendre ce mot rebondir à mes oreilles : L’animal !
Mon meilleur ennemi à l’école qui avait une peur bleue de moi, m’avait affublé du nom de : Charley. Finalement tout le monde m’avait appelé ainsi. On avait oublié Richard.
Aux Ailes Du Nord à Sept-Îles on m’a appelé le Yéti, sans doute parce que je partais tôt et que je revenais tard, et que je couchais souvent dans le bois, un pilote en autre, me surnommait : Tarass Boulba.
Ce qui s’est transformé plus tard à Schefferville chez les écossais propriétaires de la compagnie aérienne où je travaillais, en Sasquatch, ce qui s’avère être le petit cousin du Yéti. J’étais assez abominable pour devenir l’abominable homme des neiges. La légende courait, que le Père-Noël habitait au pôle nord, que le Sasquatch s’était réfugié dans les Torngats et qu’on avait perdu la trace de la Fée Des Étoiles.
Mais il y a un surnom qui m’a collé à la peau toute ma vie : le Bouseux, et dont je suis le plus fier. Je suis un homme de la terre et j’en suis très fier. Je ne cache pas mes origines, au contraire je les affiche comme mes vieux vêtements. Lorsque je descends en ville personne ne passe de remarque.
Finalement me voilà un forcené. J’avoue que je n’y avais jamais pensée, mais vous avez sans doute trouvé une espèce de vérité Carmilla. Ce qui n’a pas manqué de me faire rire, malgré le sérieux de l’affaire.
Bonne soirée Carmilla
Richard Le Forcené.
Merci Richard,
Je vis en effet un peu plus au Nord que vous mais je n'ai vraiment pas le même hiver. De la vraie neige à Paris, je n'en ai, en fait, jamais connu et il est devenu rare qu'il gèle. Quant à Bordeaux, les étés y sont devenus caniculaires avec de longues périodes à plus de 40°.
Cela à cause de ce satané Gulf Stream. On parle de son inversion possible, ce qui changerait tout mais je ne verrai sans doute jamais ça.
En règle générale, je me lève tôt (aux alentours de 4 heures). Cela pour régler de multiples petites affaires et trouver le temps d'aller à la piscine.
A l'école, on me surnommait "Cosmos", sans doute parce que j'apparaissais plutôt rêveuse et détachée. Mais mon attitude, c'était, en fait, parce que je n'aimais pas l'école (même si j'étais une bonne élève). Achever le lycée, ça a été un soulagement pour moi.
Aujourd'hui, je ne sais pas. Mais il faut être lucide. Dans la vie professionnelle, on n'est jamais universellement aimé, il y a forcément des gens qui vous détestent. C'est une découverte déstabilisante quand on commence à travailler. Il faut apprendre à accepter ça.
Forcené, ça n'a bien sûr pas un sens péjoratif. Ce n'est pas l'ancien sens de fou, mais ça caractérise celui qui en fait beaucoup plus que les autres, au-delà même de ce qui peut apparaître raisonnable.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
La météorologie est une science complexe. Elle se cantonne dans ses variantes, un phénomène en enclenche un autre, tout cela forme un ensemble composé de facteurs disparates, nous n’en avons pas terminé d’en apprendre. Notre planète et son atmosphère sont toujours en évolution. Il y a déjà eu des époques torrides, suivit par des glaciations destructrices. Et, pourtant la vie est toujours présente. La météorologie, c’est une science qui me passionne, parce qu’elle englobe plusieurs sciences. Elle est même affectée par les courants marins. Le Gulf Steam, pourrait bien changer de cap, mais aussi disparaître. Se sont encore des hypothèses. Vous ne verrez sans doute jamais cela, ne vous en faites pas, vous allez être témoins peut-être de phénomènes déstabilisants encore plus étonnants.
Les surnoms sont révélateurs sur celui qui le porte. C’est souvent un trait caractéristique que les autres constatent ou invente, cela peut être cruel, moqueur, mais cela peut-être aussi une adulation, un hommage. À ne pas oublier, méfiez-vous des flatteurs. D’humain, on se métamorphose en personnage, cela peut être très agréable à porter, mais aussi ça peut devenir très lourd. L’expression, forcené, est un mot qu’on n’emploie pas beaucoup, je l’avais compris dans le sens de passionné, acharné, farouche, pugnace, exclu, tenace, toutes des épithètes qui me collent très bien à la peau. Je ne peux pas me cacher, je suis ainsi, et ça ne se limite pas seulement à la lecture.
L’aventure de la vie, s’accentue lorsqu’on commence à travailler. Elle vient avec cette grande constatation, qu’on ne peut pas être aimé par tout le monde. À mon premier emploi, j’ai été congédié après trois mois, par un type qui me détestait, et qui s’était arrangé pour que je me fasse congédier. Sur le coup j’étais très déçu, et surtout furieux. Après que la poussière eut retombé, j’ai compris beaucoup de chose, que le monde n’était pas toujours idéaliste et que j’avais été particulièrement naïf. C’est une expérience riche en apprentissage sur la découverte de la véritable nature humaine. Après ce fut un parcours du combattant, pendant quelques années j’en ai bavé, mais cela aussi fut une révélation, une vaste et intensive expérience humaine. J’avais perdu au niveau monétaire, mais j’avais gagné en maturité. Ce qui s’appelle l’expérience. Ma vision sur le monde s’était élargie. C’est toujours grisant de se dépouiller d’une réputation de minable, pour réussir à la surmonter, et un jour pour te retrouver parmi les meilleurs. C’est l’un des aspects des forcenés.
Merci et bonne fin journée Carmilla.
Richard St-Laurent, toujours le Forcené.
Merci Richard,
Il y a eu, en effet, dans l'histoire humaine, des évolutions climatiques marquées qui ont décidé du sort de civilisations.
L'historien britannique Peter Frankopan (les routes de la soie) vient justement de sortir un livre qui me semble important (mais que je n'ai pas encore lu) :"Les métamorphoses de la Terre: l'humanité et la nature - Une nouvelle histoire du monde".
Il est rare que les surnoms soient bienveillants. C'est donc généralement difficile à porter parce que la victime cherche à tout prix à se défaire de cette image dépréciative imposée. Donner un surnom, ça peut aller jusqu'à détruire psychologiquement quelqu'un parce que c'est une réduction dramatique de son identité. Rien de pire que de dire à quelqu'un qu'il est simplement comme ci ou comme ça.
Au sortir de l'école et de ses études, on est plus ou moins convaincus qu'on est quelqu'un que tout le monde aimera forcément. Mais quand on commence à travailler, on a vite fait de se rendre compte que les choses ne se passent pas du tout comme ça et qu'il y a toujours un nombre plus ou moins important de personnes qui ne vous aiment pas du tout.
Il faut apprendre à composer avec ça. Personnellement, je m'attache d'abord à être la plus neutre possible et à ne pas exprimer d'affectivité. Et surtout, je ne parle pas de moi-même.
Bien à vous,
Carmilla
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