La Hollande, c'est, en France, à peine plus connu que la Belgique. C'est tout juste associé aux excursions d'un week-end à Amsterdam dont on rapporte quelques anecdotes sur les coffee shops, les prostituées exposées dans des vitrines rougeoyantes et les restaurants indonésiens.
Je n'y connais moi-même pas grand chose mais pour moi, les Pays-Bas, c'est aussi le 17ème siècle, ce siècle d'Or qui a vu la Révolution Orange et l'essor de la mondialisation.
Disons que les Pays-Bas ont prolongé et amplifié, au 17ème siècle, le bouleversement social et économique qu'avait initié Anvers au 16ème siècle.
La Hollande a inauguré une ouverture généralisée au vaste monde grâce à de multiples échanges entre l'Est et l'Ouest. C'est elle qui a initié le commerce avec la Chine, ce pays aux richesses fabuleuses, dont on connaît tous évidemment la fameuse porcelaine bleu et blanc. Elle a ensuite étendu ses activités à toute l'Indonésie. Les Néerlandais créèrent, à cette fin, la fameuse V.O.C., la Compagnie des Indes Orientales, l'une des premières et des plus puissantes sociétés par actions.
Au 17ème siècle, on rêvait alors beaucoup en Europe, on rêvait d'un Eldorado qui assurerait la prospérité générale. En France même, Samuel Champlain, en abordant le Canada, espérait surtout trouver une autre voie d'accès vers la Chine et commença à soutirer des fourrures de castor à se alliés hurons. Ca apparaît évidemment insensé aujourd'hui mais, à l'époque, on n'avait pas peur de l'aventure. On apparaît incroyablement frileux, repliés sur nous-mêmes, en comparaison.
Et c'est dans cette République des Provinces-Unies, au 17ème siècle, que l'esprit d'entreprise était le plus fort. Et depuis cette date, les Néerlandais ont toujours fait preuve d'un extraordinaire esprit d'ouverture et d'indépendance. Il est vrai que c'était la condition de survie de ce pays au territoire limité.
Ca s'est d'abord traduit par l'accueil de nombreux penseurs et savants qui craignaient d'être persécutés. Les noms les plus célèbres sont évidemment ceux de Spinoza et de Descartes mais on peut aussi mentionner que des hommes de lettres de toute l'Europe (Hobbes, Corneille, Molière, La Rochefoucauld) faisaient imprimer leurs livres dans la République. Ce n'était peut-être pas la liberté totale mais, du moins, la liberté de conscience était garantie.
Et puis, il y a eu un élan culturel généralisé. La bourgeoisie d'affaires, celle qui s'était enrichie en commerçant avec le monde entier, s'est éprise de culture et s'est mise à financer, pour décorer son intérieur, cette admirable peinture hollandaise que nous connaissons tous aujourd'hui (Vermeer, Rembrandt, Frans Hals, Jean Steen).
Certes, ça s'est traduit, aussi, par la constitution d'un vaste Empire colonial mais ça n'a pas entamé l'esprit profondément libéral du peuple batave. Et ça perdure aujourd'hui.
Dans le domaine des mœurs, le simple spectacle de la rue, aujourd'hui, montre que la Hollande a encore un temps d'avance sur les autres pays d'Europe. Une foule bigarrée, décontractée, "nature", dépourvue d'agressivité, très polyglotte. Quand je voyais tous ces pelotons de grandes filles qui naviguaient nonchalamment sur leurs bicyclettes, je me disais que j'étais presque ringarde en comparaison.
Et puis, un souci de totale transparence. Ca se concrétise très banalement, en ces nuits d'hiver, par l'absence de volets et rideaux aux fenêtres des logements. On expose même, ostensiblement et avec soin, son salon illuminé et on choisit, avec soin, les objets placés sur l'appui intérieur. Comme si on invitait chez soi chaque passant.
La modernité, elle s'exprime donc, à chaque instant, en Hollande. Et elle est le fruit de l'esprit cosmopolite et tolérant qu'ont forgé plusieurs siècles d'histoire. C'est important de rappeler cela à un moment où on assiste, au contraire, à un repli général sur soi et à une exaltation des valeurs nationalistes.
Le libre-échange et la mondialisation sont devenus des épouvantails absolus. Et l'argument nationaliste se trouve renforcé par l'argument écologique. Il faudrait maintenant, à tout prix, produire local, passer par des circuits courts.
On hurle ainsi parce que la Hollande est le premier exportateur mondial de fleurs. Il est vrai qu'elle en est aussi le premier importateur mondial. Simplement, elle fait venir chaque jour, par avions-cargos en provenance d'Amérique Latine et d'Afrique, des millions de fleurs qu'elle redispatche, ensuite, dans tous les pays d'Europe. Les roses qui m'ont été offertes, aujourd'hui, à Paris ont été cueillies hier au Kenya et ont fait un petit tour, de bonne heure ce matin, à Amsterdam avant d'arriver chez moi.
Est-ce aberrant ? Personnellement, je ne le pense pas mais je sais que je n'arriverai pas à convaincre grand monde. J'y vois surtout la persistance, à travers les siècles, de cet extraordinaire esprit d'initiative hollandais. Cette capacité à mobiliser des financements importants pour des entreprises aventureuses et risquées. Et cela pour acquérir des objets de luxe ou superflus : autrefois de la porcelaine chinoise, de la soierie, des épices, du thé etc... Aujourd'hui des fleurs et pas seulement...
C'est oublier que le luxe, le superflu et le désir qui s'y attache sont également de puissants moteurs de l'économie.
- Timothy BROOK: "Le chapeau de Vermeer". Un merveilleux livre d'histoire. Il ne fait pas une analyse de la technique picturale de Vermeer mais il montre ce que ses tableaux révèlent de la formidable mutation du 17ème siècle hollandais. De l'ampleur des échanges culturels et commerciaux entre Est et Ouest qui amorcèrent notre mondialisation.
- Simone Van der VLUGT : "Bleu de Delft", "La route des Indes". C'est du roman historique, ça n'est donc pas très littéraire mais on apprend plein de choses.
Il existe, par ailleurs, quelques très bons écrivains néerlandais contemporains. J'aime bien Anna ENQUIST ("Le chef d'œuvre"), Cees NOOTEBOOM ("Le jour des morts"), Herman KOCH ("Le dîner", "Jours de Finlande").
15 commentaires:
Bonjour Carmilla
Fabuleuse Hollande dont le premier fondement aura été un marécage qui semblait ne pas avoir d’avenir, pourtant c’est sur cette boue si fréquemment inondé qu’ils ont édifié leur pays en aménageant l’eau et la terre. Lors de mon premier voyage sur ces terres mystérieuses, c’est ce qui m’a étonné, les prairies, les pâturages, les canaux, l’aménagement du territoire, les ponts, les constructions en pierres, et surtout à ne jamais oublier un tiers de la Hollande est sous le niveau de la mer.
Après avoir relevé le défi de la boue, des marécages, de l’eau, des inondations ; qu’est-ce qui pouvait bien arrêter les hollandais ? Certainement pas les destinations lointaines, les difficultés des voyages, le commerce international, au point de créer les banques, de promouvoir les échanges.
Reste que c’est un étrange pays. Dès que j’ai foulé ce sol pour la première fois, je me suis senti bien comme si j’étais né en cette terre. Je suis ainsi, je sais que dès que j’arrive dans un pays que je n’ai jamais visité, que je vais y être bien, et ce fut le cas pour la Hollande. C’est l’avantage d’un bouseux qui rencontrent d’autres bouseux. Il suffit d’un regard pour se comprendre, avec en prime, un petit sourire de reconnaissance en coin. Ce fut les canadiens qui ont libéré la Hollande dans l’hiver -1944-45-, alors que les allemands avaient fait sauter les digues pour retarder l’avance des alliés. Les nôtres se sont bien débrouillés, ils ont fait le travail, mais ce ne fut pas sans peine. En plus de livrer bataille, ils ont aidé les hollandais qui étaient dans une grande misère. Depuis, les Hollandais sont reconnaissants, et à chaque année, ils nous font parvenir des bulbes de tulipes pour décorer la colline parlementaire à Ottawa. Les hollandais n’ont pas oublié, ils se souviennent, c’est émouvant.
Il est rare que quelqu’un en France évoque Samuel de Champlain, qui a été un grand explorateur, un géographe, et qui a fondé la ville de Québec, mais qui a recherché inlassablement, le passage pour déboucher vers la Chine. Je vous recommande : Le rêve de Champlain par David Hackett Fischer, publié chez : Les Éditions du Boréal en français. Sans doute la meilleure biographie de de ce grand humanisme. Si le Québec existe aujourd’hui, nous le devons à cet homme exceptionnel, qui était beaucoup plus qu’un simple marchand de fourrure.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/reve-champlain-3328.html
Voici le lien pour cette biographie
Richard St-Laurent
Les Pays-Bas ne sont pas que ce pays "libéral" et ouvert sur le monde. C'est le cas, sûrement à Amsterdam et dans quelques grandes villes, mais en dehors de ça beaucoup d'électeurs votent pour le PVV (le "parti pour la liberté") de Geert Wilders, quasiment d'extrême droite, et qui est actuellement au gouvernement (en coalition avec des libéraux classiques, des dissidents démocrates-chrétiens et un parti paysan protestataire). C'est donc une société avec des clivages, polarisée, comme dans d'autres pays.
A part ça, je viens de terminer un livre que j'ai trouvé très intéressant, mais dont le titre plutôt racoleur n'est guère approprié, "Le capitalisme de l'apocalypse", de Quinn Slobodian, professeur à l'université de Boston. Un tour du monde des utopies libertariennes, des micro-états dérégulés, des zones franches, des "gated communities".
https://www.seuil.com/ouvrage/le-capitalisme-de-l-apocalypse-quinn-slobodian/9782021451405
Merci Richard,
C'est vrai que rien ne prédisposait les Pays-Bas à devenir une grande puissance. Une géographie hostile s'y opposait d'abord. L'ingéniosité, la créativité et l'esprit de tolérance de ses habitants a permis de compenser ce handicap. Toutes ces qualités subsistent aujourd'hui encore, je crois, dans les mentalités actuelles.
Merci pour cette référence à Champlain. C'est en effet une chose qui m'a toujours étonnée en France: beaucoup de personnages et d'événements, éventuellement glorieux, de son Histoire ont été, en quelque sorte, effacés de la mémoire. Par exemple, la guerre de Crimée, la conquête de Mexico, les guerres de l'opium, la guerre des Boxers etc... Je m'amuse à recenser cela aujourd'hui et je m'interroge pourquoi.
Bien à vous,
Carmilla
Merci Nuages,
Vous avez raison de souligner que la situation est plus complexe qu'il n'apparaît et que le "libéralisme" des Pays-Bas est aujourd'hui largement remis en cause par la montée de l'extrême-droite.
Il n'empêche: les Pays-Bas et la Belgique m'apparaissent, malgré tout, très "modernes" dans leurs mentalités, peut-être plus que la France et certainement plus que l'Europe Centrale ou Méditerranéenne. C'est peut-être l'avantage de vivre dans un petit pays: on est forcément plus ouverts, plus cosmopolites.
Je ne connais pas ce livre, "Le Capitalisme de l'Apocalypse"", mais il m'apparaît effectivement très intéressant.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Dimanche 2 février 2025.
Brouillard glacé, cristaux de glace, soleil blafard, immobilité totale, par -29 degrés, pensée lente, silence lourd, neige qui crissent sous les semelles des bottes, l’hiver véritable, sans compromis, sans mensonge, que personne ne désire partager. Janvier sous zéro, février dans l’extrême, et cet extrême ne ment jamais, la descente interminable n’aspire à aucune limite. La ténacité embrasse l’exagération. Qui plongera plus profondément ? Nos imaginaires se recroquevillent en bloc de glace, en poudrerie artistique, en ciel incertain, où même l’attente se lasse d’attendre entre les troncs d’arbres qui craquent à l’espérance des espoirs perdus, des rumeurs de fuites éperdues, des gestes injustifiés, des larmes qui gèlent sur les joues, des doigts que l’on ne ressent plus, pour marcher avec des pieds insensibles malgré les épais bas de laine, et les bottes doublées, vers une source de chaleur éphémère. Nous n’imaginons même pas, qu’ailleurs de par le monde, il puisse exister une douceur qui annoncerait la chaleur. Replié sur nous-mêmes au-dessus de nos tasses de café, nous fixons cette vapeur qui s’échappe à la recherche de quelques inspirations mystérieuses parce que nos réalités, figées comme des haches dans la glace nous incite à la prudence pour ne pas casser les manches. Rude froid extrême, où tout se résume à une fragilité de porcelaine. Nos croyances, en notre invulnérabilité s’apparentent à des morceaux d’acier, que si on les cogne, ils se fracasseront. On dit, ici dans le pays, que les rides se forment par grand froid. Marque indélébile de l’affrontement d’un âge qui progresse trop rapidement, où même les paroles ne dégèleront qu’au printemps prochain, bien entendu, si ce printemps parvient jusqu’à nous. Aucun retard pour nous, comment partir dans un univers qui nous fixe sur place ? Ce froid intense entretient un sentiment d’éternité, de longueur de temps lent, connu et vécu par les peuples peu nombreux, des espaces glacés, des déserts de neige, des vents furieux, qui nous rapproche d’un destin incontournable. Le destin se sent dans le froid, que nous pourrions tomber ici, et que personne ne nous cherchera. Ainsi, la neige peut vous recouvrir pendant des millénaires, pour conserver ce qui nous sert de carcasse. Fascination d’un bouseux, né en février, qui ne renie jamais ses origines. Malgré toutes les souffrances et les épreuves, le froid et moi nous entretenons de liens de fidélités et d’endurances et de ténacités.
Bonne fin de journée Carmilla
Fragment de journal
Richard St-Laurent
Merci Richard pour cet extrait de votre Journal qui a d'indéniables qualités littéraires.
J'avoue qu'un pareil froid, je n'ai jamais connu. Même à Moscou, on en est loin aujourd'hui.
Il était autrefois courant, en Europe Centrale, que les fleuves et les rivières gèlent et qu'on les traverse à pied. Ou simplement en Hollande, on faisait, chaque année, du patin à glace sur les canaux.
Tout cela est bien terminé.
J'en profite pour vous rappeler le dernier bouquin de Peter Frankopan: "Les métamorphoses de la terre". L'auteur du best-seller "Les routes de la soie" montre ici comment les variations du climat ont affecté l'histoire humaine.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Vraiment ? Tout cela est bien terminé ?
Je ne parviens pas à me convaincre, que tout cela est terminé. Nous savons aujourd’hui que cette planète a connue des périodes glaciaires, mais aussi des époques torrides. Nous oublions que nous sommes des êtres de métamorphose, tout comme la terre, notre vraie nature c’est le changement, et notre manière de vivre une adaptation perpétuelle. J’aime bien imaginer, que nous venons de loin ; mais se serait pour aller plus loin. Pourtant, nous avons cette tendance comme un être épuisé, après une longue marche dans le froid, de nous laisser choir, de s’étendre sur le sol, et de penser de se laisser couler. Ainsi, les humains s’imaginent qu’ils sont arrivés à destination, qu’ils sont convaincus que ça ne vaut pas la peine d’aller plus loin. Il est vrai, que notre marge de crédit est mince entre mourir et vivre, mais pourquoi s’en faire, il en a toujours été ainsi, entre la vie et la mort. Quelques degrés de plus, ou quelques degrés de moins, et cela confirme toutes les hypothèses de renouvellement ou bien de disparition. Nous nous interrogeons encore aujourd’hui sur nos ancêtres, qui, sur plusieurs générations, ont traversé des périodes glaciaires. Rien de facile, ni de confortable, pourtant nous sommes là. Il se pourrait fort bien qu’un jour l’on patine à nouveau sur les canaux gelés de la Hollande. L’état de la terre, c’est la précarité, ce qui explique peut-être cette soif de sécurité et de confort chez l’humain.
Je ne manquerai pas de lire : Les métamorphoses de la terre, de Peter Frankopan. J’ai hâte de découvrir ses pensées, car il est toujours intéressant de savoir ce que pense un historien à propos de l’avenir. Ça risque d’être intéressant. Merci pour cette suggestion de lecture, et merci aussi pour votre appréciation de mon texte précédent.
Bonne fin de journée
Richard St-Laurent
Merci Richard,
Je ne crois pas non plus que tout soit terminé. Je ne crois pas qu'on approche de la fin du monde et je pense même qu'on saura faire face à l'évolution climatique en cours (s'amorce ainsi, aujourd'hui, une forte régression démographique mondiale qui devrait être bénéfique).
Cependant, à l'échelle d'une vie humaine (et des nôtres en particulier), il est à peu près certain qu'on ne verra pas d'inversion de la tendance actuelle. Il faut donc se préparer à avoir de plus en plus chaud au cours des prochaines décennies.
Ensuite, on ne sait pas. Mais peut-être qu'au 22ème siècle, il y aura une inversion de tendance. Mais je ne serai plus là et je ne patinerai donc jamais, un jour, sur la Seine à Paris.
Bien à vous,
Carmilla
Mardi, 4 février 2024.
Bonjour Carmilla
Au temps du pays des matins calmes sous une neige fine, le monde semble s’être arrêté, parce qu’il n’y a pas seulement la neige qui recouvre l’existence de tout ce qui nous fait, mais une paix enveloppe ce monde immobile, figé par l’hiver. En l’espace de quelques heures, la température est passée de -29 à -9 degrés. Quel confort au levé du jour, lorsque je suis allé démarrer le Jeep pour laisser toute la place au déneigeur. J’en ai profité pour rouler sous et sur la neige, grande satisfaction, plaisir assuré, route blanche, feutrée, moins 9 degrés, c’est très confortable après ce que nous avons traversé. S’il y a un paradis quelque part, je voudrais que se soit ainsi, tout en blancheur vaporeuse, dans le très grand calme de l’absence du vent, comme une ferveur qu’on n’a pas demandé, qu’on n’a même pas espéré. Promesse de l’aube silencieuse qui me réconforte, le café peut attendre, parce qu’une plénitude rare m’habite. Instants de grâce précieux, qui des fois, s’arrête dans nos vies, comme un passant, qu’on ne rencontrera qu’une seule fois dans sa vie, où les regards se croisent dans un parfait silence, ce qui s’exprime seulement par les yeux, le croisement des corps qui se reconnaissent sans aucune gêne, sans compréhension, et surtout sans explication. Gestes lents sans effort, sans rêve, sans destination, rouler pour rouler sur les traces de l’aube parce qu’il doit bien y avoir un secret caché sous la neige, qui émergera nu sur une terre déserte par un matin de mai frisquet, où il sera trop tard pour regretter l’hiver. Qui se souviendra dans peu de temps, de ces sapins, ces épinettes et ces cèdres aux branches chargées de neige éphémère, de cette rivière paralysée par la glace, de ce moment où l’humanité dors encore dans sa très grande inconscience ? Qui se souviendra des gestes inutiles et sans but de tout nos énervements?
Bonne fin de journée Carmilla
Fragment de journal
Richard St-Laurent
Merci Richard,
- 29 degrés, j'ai du mal à imaginer. Je suppose que le visage se recouvre vite d'une pellicule de glace. Quant à démarrer une voiture, j'imagine qu'elle n'est pas électrique.
Mais c'est sans doute un paysage d'une féérique beauté. Il faut, en effet, connaître cela dans sa vie.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Pour ceux qui n’ont pas vécu ce genre d’expérience du froid, je comprends que c’est difficile à imaginer. Lorsque je travaillais dans le nord, il nous arrivait de travailler par -40. Nous exercions une attention particulière, surtout à la peau du visage, c’est pour cette raison que nous avions des manteaux avec capuchons dont la face était entourée de fourrure. C’est un bon moyen de se protéger des engelures.
Non le visage ne ce couvre pas d’une couche de glace. Les engelures se manifestent par des cloques comme celles qu’on peut observer chez les gens dont la peau a été brûlée. Cela se produit rapidement, et ça apparaît comme une pastille. Des fois tu ne t’en rends même pas compte, c’est ce qu’il y a d’insidieux avec les froids extrêmes. Il y a certaines personnes qui sont plus sensibles que d’autres aux engelures. Lorsqu’on travaillait à l’extérieur, comme par exemple le chargement des avions, on se surveillait mutuellement. Lorsqu’on voyait ce genre de pastille dans la face d’un type, on lui disait de rentrer à la chaleur. Si non, la partie affectée par le froid peut s’agrandir. Finalement la zone affectée après quelques journées devient nécrosée. Il faut aller voir un médecin pour des traitements. Je me souviens de mon patron à Schefferville qui s’était tapé un raid en motoneige en compagnie de deux comparses. Ils se sont fait prendre par une tempête par très grand froid. Lors de leur retour à la base, ils ont été en convalescence pendant une semaine. La peau des joues devient noire, puis ça tombe naturellement, remplacé par de la peau nouvelle. C’est assez impressionnant. Ils s’étaient égarés dans un blizzard. Même situation pour les excursions à skis de fond, il m’arrivait de sortir des skieurs dans des situations vraiment critiques d’engelures. Par contre, il était rare de voir des indiens souffrir d’engelures. Personnellement, je n’étais pas sujet aux engelures, mais je me surveillais, qui plus est, j’affichais une longue barbe noire, les cheveux longs, des vêtements lourds et surtout mon capuchon entouré d’une couronne de fourrure. Je savais me protéger.
Les opérations d’hiver dans ces conditions de froids extrêmes sont difficiles, onéreuses, et souvent dangereuses. Partir un moteur en hiver demande un certain doigté. On préchauffe les moteurs avec différents systèmes avant les démarrages. Reste toujours le bloc chauffant pour un moteur, au Yukon, j’ai remarqué qu’on ajoutait un élément chauffant sous le carter à l’huile. Il faut toujours se rappeler, qu’une batterie d’automobile, perd la moitié de sa puissance à zéro degré. Et plus le froid est intense, moins la batterie a d’énergie.
Les compagnies minières, lorsque les températures plongeaient, laissaient les moteurs tourner, jour et nuit, 24 heures par jour, sept jours par semaine. Il n’avait pas le choix, la majeure partie de la machinerie lourde était dotée de moteur diesel, très difficile à démarrer par temps froid. Nous n’étions pas très écologiques et en plus nous mangions de la viande ! L’Écologie était loin dans nos échelles des valeurs.
Le froid peut être poétique comme hier matin, mais il peut être aussi mortel dans le grand nord.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent
Merci Richard,
J'ai fait quelques recherches et j'ai appris que, dans ma bonne ville de Lviv, le record de froid enregistré était de - 29,5 °. Mais c'était en janvier 1956...une éternité donc.
En Ukraine, il peut faire - 10°, - 15° mais guère au-delà. Ca demeure donc dans les limites du supportable. Surtout, ça devient de plus en plus rare. La neige, la vraie neige, et les rivières gelées, ça devient un simple souvenir et le déclin est très rapide.
Votre expérience, on ne peut donc la concevoir que dans notre imagination. Mais votre récit est, à cet égard, d'autant plus précieux.
Bien à vous,
Carmilla
Bonjour Carmilla
Je suis heureux d’avoir vécu ces expériences de grands froids. Personnellement ce fut très enrichissant, j’ai acquis beaucoup de connaissances qui me servent encore aujourd’hui. Mon métier ce n’était pas seulement de piloter des avions, mais de se débrouiller dans toutes sortes de circonstances. Je reconnais que le travail à la ferme m’avait préparé à la vie nordique. La vie qu’on y menait pouvait déboucher sur des questions de survie. Il faut que je le dise, dans certaines circonstances j’ai été très chanceux.
Il appert que les situations changent. Nous le vivons présentement avec l’évolution du climat. Il se passe quelque chose que nous n’arrivons pas expliquer complètement. Comme par exemple, comment expliquer et cela depuis quelques années, que certains matins d’hiver et cela s’est encore produit en janvier dernier, qu’il fasse -20 à Schefferville et -25 à Sherbrooke ? Il fait plus chaud à 800 miles au nord. On dirait qu’il y a une nouvelle situation qui est en train de s’installer. Je veux bien qu’on évoque le vortex polaire qui descend au sud, mais je présume que ce n’est pas le seul facteur qui serait en cause. Pour le moment, il y a un facteur de plus que nous n’arrivons à expliquer.
Je n’ai pas de mal à croire qu’en 1956 à Lviv, il a fait -29,5 degrés. On peut en référer à l’histoire de la 2ième Guerre mondiale entre 1941 et 1945, les températures ont été très froides dans l’est de l’Europe, particulièrement en Russie. On n’a qu’à se rappeler la bataille de Stalingrad, où le froid a été un facteur prédominant. Aujourd’hui quand est-ce qu’il fait froid à Stalingrad ? J’ai hâte de lire : Les métamorphoses de la terre de Frankopan, que j’ai commandé hier à ma bibliothécaire.
Je ne suis pas inquiet, parce que je trouve que ces sujets climatiques sont passionnants. Comment peut-on maintenir un équilibre, entre le chaud et le froid, afin d’assurer notre survie ? Je viens de terminer la lecture d’un ouvrage très intéressant : Oiseaux de Nuit, sur les hiboux et les chouettes par Jennifer Ackerman qui est une journaliste scientifique américaine. Elle évoque en autre cette question de survie de ces espèces particulières. Comment arriver à survivre sur un territoire donné ? Elle touche en autre les conditions climatiques, les déplacements, les migrations, les maladies, les reproductions, les apprentissages, etc. Une livre facile à lire, mais qui pose des questions cruciales.
Merci Carmilla et bonne fin de journée
Richard St-Laurent
Merci Richard,
Je pense, en effet, que vous serez très intéressé par le dernier livre de Frankopan. Ses précédents bouquins sur les nouvelles routes de la soie (aujourd'hui en poche) étaient tout à fait remarquables.
J'avais moi-même envisagé d'acquérir le livre de Jennifer Ackerman sur les hiboux et les chouettes. Ca m'intéresse d'autant plus que l'un des problèmes posés par un jardin à Paris, ce sont les souris. Mais faire venir un hibou ou une chouette en plein Paris, c'est tout à fait impossible. A moins d'en recueillir une qui vient de tomber du nid. Mais ça pose ensuite d'autres, immenses, problèmes.
Bien à vous,
Carmilla
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