Les grandes discussions des soirées entre amis, surtout entre filles, ça porte largement, aujourd'hui, sur les agresseurs, les pervers narcissiques et puis tous ces manipulateurs qui cherchent à exercer une emprise sur les autres. On enchaîne évidemment avec cette véritable bouteille à l'encre qu'est la notion de consentement.
On se prétend tous généralement des experts en la matière, on sait "lire" les gens, on est de fins psychologues sachant décrypter l'âme humaine.
Peut-être mais je me méfie justement de ces gens pleins d'assurance. Ce serait vraiment trop simple si on pouvait distinguer aussi facilement les agresseurs et les victimes. Et d'ailleurs, est-ce qu'on est soi-même toujours une/un petit saint ? Tuer quelqu'un, on croit que ça relève de la simple violence physique. On oublie généralement qu'on peut tuer avec de simples paroles.
Est-ce qu'on ne s'acharne pas souvent, en toute bonne conscience et sous des dehors aimables, à déstabiliser son interlocuteur, à lui faire perdre confiance en lui-même ? Est-ce qu'on n'est pas soi-même expert en paroles perverses et en manipulation ?
"Rendre l'autre fou est dans le pouvoir de chacun. L'enjeu en est le meurtre psychique de l'autre : qu'il ne puisse pas exister pour son compte, penser, sentir, désirer en se souvenant de lui-même et de ce qui lui revient en propre" (Pierre Fédida).
Ça commence souvent dès les premières années. On s'acharne souvent à répéter à un enfant qu'il ressemble à l'un de ses parents, qu'il est le portrait craché de son père, sa mère, un/une de ses oncles, de ses grands- parents etc... On va souvent jusqu'à lui donner le prénom d'un ascendant ou d'un frère ou une sœur morts prématurément. Ça m'a toujours effrayée. Comment peut-on parvenir à porter un tel poids ? Et moi donc, est-ce que je ne fais qu'héberger le fantôme d'un autre, est-ce que je n'ai pas d'identité propre ?
Et ça se reproduit ensuite à l'âge adulte, dans les relations de couple. "Tu es bien comme ton père, comme ta mère..." dit-on à son partenaire. Pire, on ajoute : "dans ta famille, il y a toujours eu une propension à la dépression mentale ou bien vous êtes tous des avares, des coincés, des égoïstes". C'est une manière déguisée de "raciser" l'autre en faisant dépendre son comportement d'une hérédité génétique. Ca n'est que le prolongement plus subtil des remarques, certes anodines, qu'on me fait, parfois, concernant les Slaves, tous un peu dingues, alcooliques et dissimulés.
Et puis, on sait semer le trouble chez l'autre en entretenant chez lui le doute et l'inquiétude. A cette fin, on se montre d'humeur sans cesse changeante: tantôt charmant et attentionné, tantôt cassant et brutal. Surtout, on insinue que ces revirements d'ambiance sont provoqués par l'attitude de l'autre. Le séducteur se transforme en inquisiteur. La victime se juge alors coupable, défaillante, et elle s'estime dans l'obligation de présenter des excuses: "je vais tâcher d'être davantage à l'écoute".
On franchit une nouvelle étape en dépréciant l'autre. Ça porte d'abord sur son apparence physique. Certes, on commence en évitant de s'exprimer trop directement mais on ne manque pas d'ironiser, sur un mode humoristique, sur les goûts vestimentaires douteux de son partenaire, sur ses quelques kilos en trop ou ses seins trop petits.
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