Les stupéfiants, les drogues, comme à peu près tout le monde, j'en ai un peu tâté quand j'étais une jeune révoltée. Peut-être parce que j'étais fascinée par le mouvement hippie des années 60 et la fameuse "route des Indes". Voyager, c'était encore, alors, une aventure. Pas de GPS, pas de smartphone, on disparaissait complétement, sans contacts avec son pays, sa famille et avec des risques de mauvaises rencontres. Il fallait tout de même un certain courage. Mais cette errance pleine de dangers, c'était une manière de s'éprouver soi-même dans une espèce de quête spirituelle, souvent un mysticisme de pacotille, que facilitaient bien sûr les drogues.
Mais finalement, si j'ai fait une bonne partie de la routes des Indes, je ne suis, en revanche, pas allée bien loin dans le domaine de la défonce. Je suis quelqu'un de trop rationnel, de trop maîtrisé, pour m'accrocher à ça. J'ai trouvé d'autres addictions: le sport, le régime alimentaire. Ce qui comporte, d'ailleurs, d'autres risques.

Les Français savent-ils, par exemple, que ce sont les soldats de Napoléon qui, de retour d'Egypte, ont rapporté haschich, cannabis et opium ? C'est l'un des legs inattendus de la Révolution Française qui voulait exporter l'esprit des Lumières dans l'Empire ottoman. Le 19ème siècle est ainsi devenu, en l'absence complète de prohibition, celui de l'expérimentation des propriétés médicinales et des effets psychologiques des drogues.
Plein de grands écrivains s'y sont intéressés : Baudelaire ("Les paradis artificiels") bien sûr, mais aussi Gérard de Nerval, Théophile Gautier, Alexandre Dumas, Flaubert et le peintre Delacroix. A Paris est toujours mentionné, par une plaque, leur lieu de rendez-vous hebdomadaire, celui du "club des Hachichins" (Hôtel de Lauzun, île de la Cité).
Et dans cette recherche des effets thérapeutiques de la drogue, comment ne pas mentionner, également, Sigmund Freud lui-même qui, pourtant déjà accro aux cigares, s'adonnera, pendant une quinzaine d'années, à la cocaïne ? Il lui consacrera, au tout début de sa carrière (1884), un petit essai ("Über Coca").
Et les Français savent-ils encore qu'ils ont participé (7 000 soldats), aux côtés des Anglais (11 000 soldats), à l'une des guerres les plus scandaleuses et immorales de l'Histoire : la seconde guerre de l'opium (1857) ? Cette guerre, profondément injuste, visait simplement à rééquilibrer la balance commerciale britannique en contraignant les Chinois, par une totale libéralisation, à acheter de la drogue indienne. Un objectif qui apparaît sidérant aujourd'hui !
Autres temps, autres mœurs, dit-on, aujourd'hui. Et puis, dans les pays occidentaux, la tolérance envers les stupéfiants n'a duré qu'un peu plus d'un siècle. Elle a pris fin en 1912 sous l'impulsion des Etats-Unis.
Il est vrai aussi que notre passion pour les drogues résulte d'une contamination. Elle a été importée, assez récemment, du Moyen-Orient: l'Empire ottoman et surtout la Perse. La Perse nous a légué plein de belles choses, notamment les idées du Paradis et d'un Empire à vocation universelle, mais aussi les arts des jardins, des miniatures et des tapis et enfin la couleur Azur et probablement les cerises. Mais il faut aussi ajouter un produit maléfique: l'opium.
La Perse, l'Iran, on peut même dire qu'il y existe une culture pluriséculaire de l'opium. On a tous en mémoire "les Mille et une nuits" et ses rêves enfumés. Et puis on a entendu parler de la fameuse "secte des assassins", des fanatiques qui ont semé la mort et la terreur au XI ème siècle et dont on peut encore visiter le bastion, au sommet d'une impressionnante montagne, tout près de Téhéran. Et on sait, à cette occasion, que le mot "assassin" viendrait du mot arabe, haschaschin, le fumeur de haschich.
Mais c'est aussi, en grande partie, de la légende. La dépendance massive de la population à l'opium en Perse remonterait, en fait, aux temps de la splendeur d'Ispahan au 16ème siècle (règne safavide de Shah Abbas). Ca a été facilité par le Coran qui, s'il proscrit clairement l'alcool, est d'un remarquable silence en ce qui concerne les stupéfiants.
Depuis cette date, l'opium a exercé des ravages en Perse au point que de nombreux récits de voyageurs font état de véritables populations de zombies. Jusqu'à la découverte des premiers puits de pétrole, l'opium était le premier poste d'exportation de l'Iran et jusqu'à la fin des années 50, on trouvait facilement fumeries et magasins dédiés. L'Empereur Reza Shah (le père de Mohammed) confessait, lui-même, en fumer et, jusqu'au Parlement, il était toléré pour les députés aux quels une salle était réservée. Le drame, en fait, c'est qu'une large fraction de la population la plus éduquée s'y adonnait.
A compter des années 60, une législation répressive a été mise en place par le dernier Shah, allant jusqu'à la peine de mort. Quant à Khomeini, dès qu'il a pris le pouvoir, il est allé encore plus loin: 3 ans de prison pour la détention de moins de 50 g d'opium, peine de mort en cas de récidive ainsi que pour toute activité de trafic. De quoi vous faire réfléchir.
J'ai pu le constater moi-même, il y a, en Iran, une véritable culture de la drogue difficile, voire impossible, à expliquer (la Turquie, par exemple, est beaucoup moins touchée). Elle est à peu près partout, tout le monde en a un petit peu en réserve au mépris des risques encourus. Ils sont pourtant terrifiants, l'Iran étant l'un des pays ou les exécutions (par pendaison) sont les plus nombreuses (dans 4 cas sur 5, elles concernent des trafiquants de drogues).
Mais le cas de l'Iran et l'échec de sa politique ultra-répressive peut aussi donner à réfléchir. Les Iraniens disent eux-mêmes qu'ils vivent dans le pays des "grands hypocrites". C'est le décalage énorme entre vices privés et vertus publiques. C'est aussi l'illustration du vieil adage : "Plus la répression est dure, plus les drogues le sont". La France elle-même, dont la législation sur les stupéfiants est l'une des plus dures au monde, ferait bien de s'interroger. Son extrême sévérité, outre qu'elle encombre les services de police d'affaires mineures, n'a pas produit de résultats significatifs.
Et enfin, il faudrait pouvoir évoquer les liens de la production de drogue avec la guerre. C'est très net en Afghanistan où la victoire des Talibans au milieu des années 90 puis leur retour récent au pouvoir plus de 20 ans après s'explique moins par la piété des Afghans et leur adhésion à la rigueur de la Charia que par la "bienveillance" des Talibans envers la culture du pavot qui leur attire la sympathie d'une population majoritairement rurale et misérable. C'est aussi le cas au Yemen où le seul sujet de consensus national porte sur la consommation libre de Qat.
On peut aussi déplorer que l'Irak, autrefois largement épargné, soit devenu l'un des grands centres de production du Moyen-Orient. S'y associent aujourd'hui la Syrie de Bachar El Assad et ses alliés du Hezbollah libanais "spécialistes" de la production d'amphétamines (le fameux captagon) dont ils inondent tous les pays du Golfe. Des pays du Golfe (Arabie Saoudite, Bahrein, Emirats Arabes Unis, Koweit) qui font preuve d'ambiguïté sur la question: leur législation est extrêmement répressive mais, en même temps, ils ne font guère obstacle à cette nouvelle route de la drogue.
2 commentaires:
Bonjour Carmilla,
Pourquoi j'attendais ce billet depuis pas mal de temps...
Peut-être que l'accident surmédiatisé de Palmade y est pour quelque chose dans sa publication aujourd'hui.
Peu importe, il m'éclaire en plein de choses que j'ignorais royalement.
Merci Carmilla, bien que je ne commente pas régulièrement, j'attends impatiemment chacun de vos posts.
Bien à vous,
Julie
Merci Julie,
Vous savez, je ne suis pas moi-même une grande spécialiste de la question. J'ai simplement vécu en Iran à une époque de ma vie et j'y ai découvert l'ampleur et l'origine du phénomène. Difficile de critiquer les Iraniens néanmoins, nous nous droguons peut-être moins mais nous nous alcoolisons en revanche mille fois plus. Et puis la drogue sous-tend une énorme économie souterraine très lucrative. Et, dans un pays pauvre, comment convaincre des paysans de cultiver du blé alors qu'ils peuvent gagner 10 fois plus d'argent avec du pavot ? C'est le problème majeur d'un pays comme l'Afghanistan.
Je comprends mal également la médiatisation de l'affaire Pierre Palmade. Je crois qu'il a toujours été un être profondément malheureux, incapable de s'accepter tel qu'il était.
Merci d'avoir le courage et la patience de me lire régulièrement. J'aimerais pouvoir écrire de manière plus légère,
Bien à vous,
Carmilla
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