samedi 19 juillet 2025

L'abandon de nos vies

 

J'aime bien prendre le métro. J'y trouve plaisir à simplement observer mes voisins. A essayer d'imaginer, à partir de leur habillement et de leur attitude, à quoi ressemble leur vie. J'élabore ainsi, chaque jour, une multitude de romans.

Evidemment, depuis une quinzaine d'années, le spectacle a bien changé. Absolument tout le monde est maintenant rivé à son smartphone et rédige frénétiquement une multitude de messages. On a l'impression de gens suroccupés, débordés, vivant dans l'urgence. Plus personne ne lit évidemment, un livre ou un journal.

C'est le nouveau monde, celui d'Internet et des réseaux sociaux. C'est tout récent, en fait, mais on a l'impression qu'avant, c'était vraiment la préhistoire, les temps primitifs de l'humanité. Revenir en arrière, c'est inconcevable.

Ca me perturbe parce que je crois être encore jeune mais je me sens complétement étrangère à ça. Ce n'est pas que je n'aime pas les nouvelles technologies, c'est que je ne veux pas en être dépendante parce qu'elles ont vite fait de vous infantiliser. J'ai toujours préféré calculer dans ma tête, lire moi-même une carte routière et à peu près tout mémoriser. C'est ma dinguerie propre qui relève sans doute de mon fantasme de toute puissance, voire de mon orgueil extrême. Revers de la médaille, je suis, sans doute, un peu bizarre. 

Peut-être... mais je me rassure en me disant que ma propre dinguerie, elle n'est vraiment rien du tout en regard de celle qui affecte les "dingues" actuels des réseaux sociaux. On a franchi récemment un stade supérieur en  acceptant que toute notre vie soit désormais absorbée par les réseaux sociaux dans une continuelle exhibition de soi-même et de sa petite vie. 

Un chiffre ahurissant en témoigne: les Français consacreraient 14 heures par semaine (en moyenne et hors activité professionnelle) à leur  smartphone. C'est tout de même l'équivalent de 2 journées de travail et, surtout, cette moyenne est largement outrepassée dans les catégories les plus jeunes de la population.

On commence évidemment à se demander si on n'est pas en train de fabriquer des générations de crétins. Mais ça, on ne le saura que lorsque la nouvelle génération accèdera au marché du travail. Et puis la crétinisation n'est peut-être pas le dégât le plus important.

Le smartphone est en train de remodeler complétement le cadre de notre vie sociale. D'abord, le smartphone est devenu un véritable "doudou", un "objet transitionnel", sur lequel on projette toutes nos émotions et affects. Le smartphone est à la fois notre mère et le bébé que l'on était. Il nous ramène aux premières expériences de notre enfance et c'est pourquoi sa perte est vécue comme un drame. On se sent désemparés, comme si on avait perdu un être cher (sa mère ou un compagnon indispensable). 

 Et le smartphone comme "doudou" ne nous ouvre pas au vaste monde. Il nous cantonne plutôt à un univers limité auquel nous renvoient d'ailleurs sans cesse les algorithmes. On se met à vivre davantage dans un groupe, dans une tribu, que dans une famille. Les parents d'un ado ne font plus que secondairement son éducation. Sa meute, sa bande, deviennent bien plus déterminants. Mais la meute et la bande, c'est bien pire que la famille. Ce n'est pas là que l'on apprend à composer, à devenir tolérants.

On ne l'a pas encore bien compris mais on renoue peut-être avec l'esprit "préhistorique". On retrouve aujourd'hui les hordes primitives conduites par un grand mâle dominant décrites par Freud. On ressuscite le temps des Loups qui errent, en petits groupes fortement soudés, aux hasards de la rencontre d'une victime et des renversements du  grand chef ou de la grande Louve.

Ca absorbe entièrement notre existence parce qu'on se met à guetter, tout au long de la journée, un signe, un message, une approbation, de son groupe. On a sans cesse besoin d'éprouver la chaleur et la solidarité de sa meute. Que pensent de moi les autres et surtout le Grand Chef ?

Pourquoi abandonne-t-on ainsi l'essentiel de sa vie aux réseaux sociaux, accepte-t-on qu'elle y soit captée volée, violée ? Leur formidable pouvoir d'attraction, j'ai l'impression qu'il résulte surtout de leur capacité à offrir à chacun et à tout le monde la possibilité de s'exhiber aux yeux de tous et d'y devenir célèbre indépendamment de toute qualité particulière.

Les réseaux sociaux, ils offrent d'abord à chacun son 1/4 d'heure de célébrité en ligne théorisé par Andy Warhol. Mais surtout, ils permettent d'assouvir cette pulsion profonde en chaque homme: le Désir de Désir  qui commande (selon le philosophe Hegel) la dialectique des relations humaines. On a tous viscéralement besoin de se sentir désirés, de capter l'attention des autres. Rien n'est pire que l'indifférence.

Et l'énorme avantage des réseaux sociaux, c'est qu'ils ne réclament aucun talent, aucune action extraordinaire et même aucune beauté, pour que l'on parvienne à être reconnus. Ils consacrent même l'abolition des privilèges: ceux de la naissance, de la fortune, des diplômes, de l'apparence. La bêtise, monstruosité, le côté méchant, repoussant, violent, peut même s'y révéler un atout.

On peut même dire qu'il y a une force disruptive, révolutionnaire, d'Internet et des réseaux sociaux. Ils vont jusqu'à consacrer  le crépuscule de la Beauté et du Talent. Ce qui est en effet mis systématiquement en avant dans les algorithmes, c'est l'excessif et le pulsionnel, "tout ce qui touche les affects profonds de violence, de dégoût, d'attraction sexuelle. Cela joue sur la fascination-répulsion".

Bien sûr, cela fait partie de la Nature humaine, de sa monstruosité propre que l'on se dépêche généralement de dissimuler sous le tapis. Mais ce qui est problématique, c'est qu'avec Internet, on ne voit plus que ce dessous du tapis.

Il subsiste encore quelques idéalistes qui croient que l'Art va sauver la Vie. On peut en douter parce qu'on assiste plutôt aujourd'hui au déploiement de la grande connerie et de la grande méchanceté humaines.


Images de Raoul Dufy, Pawel Kuczynski, Francisco Goya, Daniel Horowitz, Jean-Marie Appriou, Max Ernst, Leonora Carrington, Delacroix, Luis Bunuel, Alénor De Cellès, Charles Le Brun

Je recommande :

- Nathalie HEINICH: "De la visibilité - Excellence et singularité en régime médiatique". Comment la photo, le cinéma, la télévision et maintenant les réseaux sociaux permettent à des gens "sans qualités" d'accéder à la célébrité.

Et de la même Nathalie Heinich, je recommande sont tout récent bouquin : "Penser contre son camp". Elle est vraiment quelqu'un qui n'a pas peur des foudres des bien pensants.

Et il faut signaler enfin le film de Quentin Dupieux: "L'accident de piano". C'est irritant, déplaisant, mais ça montre bien la monstruosité des réseaux sociaux.


13 commentaires:

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
J’assume ma fierté d’avoir résisté à toutes les modes, à toutes ces tentations éphémères qui ne font que passer. Hors de l’ordinaire, hors norme, souvent au-dessus de ma condition, surtout lorsque je provoque l’étonnement, que je réponds, que je n’ai pas de téléphone portable. Vraiment à part dans mon existence, ce qui me donne tous les loisirs d’observer ces humains collés à leur téléphone. Ils n’ont pas besoin de maître, ni de tyran, car ils sont déjà en train de se noyer dans leur soumission. Ils ne sont même plus les ombres d’eux-mêmes. Ce n’est plus une addiction, c’est carrément de l’esclavage. Nous avons perdu le silence, et ce silence c’est comme un métal précieux, plus il est rare, plus sa valeur augmente. Des fois, il faut savoir se retirer, se refaire avec l’aide du silence dans une nuit noire. Ne rien faire, ne pas avoir d’obligation, se tenir droit devant un grand fleuve, sentir sa vie passer comme une caresse du vent. Passer sa vie au téléphone, ce n’est pas la vie. Entretenir une véritable discussion de qualité, en présentiel, devient rare. Oui, ils parlent au téléphone, pourtant lorsque vous les rencontrez, ils ont du mal à soutenir une discussion intéressante, ils manquent d’esprit, de sentiment et surtout de culture. Ça devient difficile de parler littérature avec ces gens-là. Ils n’éprouvent plus, ils deviennent insensibles avant de devenir indifférents. Ils ont des difficultés d’attention. Ils n’arrivent plus à se concentrer. La vie est devenue une mode trépidante qui gruge leur liberté. Écouter ces genres de conversation devient éreintant, comme lire les commentaires sur certaines plateformes. C’est vraiment insipide. Il faudrait s’étonner que les gens n’aient plus d’idées, parce qu’ils n’ont même plus d’opinion ; ils n’ont que des réactions comme s’ils étaient piqués par des moustiques. Le prisme de leurs observations se rétrécie dangereusement. Les technologies ne sont pas toujours, une bonne chose. Ce n’est pas toujours une avancée. Des fois, je me demande si c’est une régression ? Nous n’arrivons plus à prendre notre temps parce que nous le perdons en futilités tellement que nous sommes sollicités. Ce genre de tiraillement ne mène à rien. Nous désirons la satisfaction, mais, la satisfaction de quoi ? Incapable de la définir, nous fouillions dans un vide sidéral, parce qu’on s’est éloigné de l’essentiel de sentir que nous sommes vivants, véritablement vivants, incapables de faire le tour d’une histoire, d’un fait, d’un souvenir. Pourtant c’est tellement simple. Il suffit d’un canot, de pagaies, de cordage, d’un peu de thé et de gruau, d’un couteau et d’une hache, sans oublier du feu. Ou bien de traverser un lac ou une rivière à la nage, pour se sentir vivants, nous si petits, dans l’immensité du cosmos.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Il existe encore quelques "résistants" comme vous dans le monde occidental.

Mais ils sont de plus en plus rares parce qu'on accroît sans cesse la pression sur eux. Enormément de choses passent maintenant par le smartphone: les paiements, les réservations, les billets de train, d'avion, les spectacles, les musées, etc... Il est même un pays ultra-informatisé auquel on ne pense pas: l'Ukraine où toutes les démarches administratives, tous les documents, se trouvent sur smartphone. Et il faut bien dire qu'en temps de guerre, à une époque où un missile peut détruire brutalement tout vos biens et tous vos documents, c'est un objet très précieux.

Et puis comment résister à l'attrait du GPS et de WhatsApp qui permet de téléphoner gratuitement dans le monde entier ? Et que dire des selfies et du mitraillage photo ?

J'ai l'impression que la pression sera bientôt telle qu'il sera absolument impossible de se passer de smartphone. Ne pas avoir de smartphone, c'est déjà se compliquer la vie.

Et ça va vraiment très vite parce que le mouvement n'a été initié qu'il y a une quinzaine d'années.

Dans un avenir très proche, la bureaucratisation du monde aura définitivement gagné. Mais pas seulement cela car il s'agit d'un bouleversement civilisationnel impliquant l'ensemble des relations humaines, sociales, d'amitié, d'affection. Et il n'est vraiment pas sûr qu'on y gagne en tolérance et respect de l'autre. Et que dire de l'éducation et de la culture quand n'importe qui peut maintenant exhiber son ignorance satisfaite ?

Pour ma part, je n'ai heureusement pas de temps à consacrer au réseaux sociaux et aux informations Internet. Mais le smartphone m'est indispensable pour mes mails et le téléphone. Et un peu, aussi, pour le GPS.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
De la vulnérabilité et de la possibilité de choix.
Je reconnais les possibilités immenses de ces nouvelles technologies ; mais, je les trouve vulnérables, fragiles au niveau des pannes, mais il en sera sans doute ainsi avec toutes les inventions humaines. Nous désirons tout faire par téléphone, après nous nous plaignons de nos solitudes, de nos difficultés de faire des rencontres, et lorsqu’on en fait, habituellement se sont des rencontres décevantes. Les histoires ne manquent pas sur divers canaux. Nous pensons que nous avons du choix, plusieurs options, mais se sont habituellement des possibilités médiocres et bien des fois des offres imbuvables, voire franchement mauvaises, lorsque ce n’est pas de l’arnaque. Nous transportons tous nos œufs dans le même panier. Faudrait-il se surprendre qu’il y ait des crises ? Faut-il se surprendre que les publicitaires, de s’emparer de toutes les plateformes pour vendre leurs cochonneries ? Nous avons reproduit dans ces univers techniques, le modèle de nos sociétés, et surtout ses travers, afin de (forcer) comme vous dites, la consommation. Toutes publicités demeurent un (forçage) de la consommation. Le web emprunte le même chemin que la télévision il y a 70 ans. Ce qui me déplaît. Ce que je déteste le plus, c’est qu’on nous force à emprunter un chemin, un cheminement, à penser comme la masse, à suivre comme des moutons et si l’on s’imagine qu’on va me faire plier ainsi avec des méthodes insidieuses, un vieux contestataire comme moi, alors, c’est que les gens me connaissent mal. Je ne me prive pas pour engueuler un publicitaire ou bien un vendeur. Qui plus est, les parties dogmatiques de droites se servent abondamment de ces nouveaux médias. Nous en avons un bon exemple présentement aux USA. Le Traître incapable de débattre en public ne se prive pas, pour insulter et humilier ses adversaires sur les réseaux sociaux. On reconnait ainsi sa lâcheté, que l’on admire sur les réseaux sociaux. Excellente plate-forme pour un lâche ! Ce qui en dit long sur ceux qui appuient le Traître. J’y vois comme un genre d’abdication. J’ai trop lutté dans ma vie pour capituler aujourd’hui, pour cesser de défendre la liberté d’expression, le pouvoir du choix, même celui de se tromper ; mais lorsqu’une masse se trompe cela donne froid dans le dos. Dans cet univers nous avons encore besoin, de plus de liberté lucide, et ce qu’on nous offre, à bien y penser, ce n’est pas la liberté de choix. Comment faire un choix, lorsqu’on n’a pas d’idée ? Comment réfléchir sur ce monde lorsqu’on n’a pas été capable de visiter son propre jardin et d’en faire le ménage ? Je sens que nous avons perdu notre sens critique, que nous ne savons plus où donner de la tête. En ce sens, la liberté n’est pas une pacotille, c’est une expression lourde de sens.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

On peut même ajouter que tout s'organise pour que chacun reste calefeutré chez soi avec la seule compagnie de son ordinateur et de son smartphone.

Il ne faut surtout plus sortir, partir à la rencontre de gens, fréquenter des cafés, affronter les mystères d'une région, d'un pays, d'une ville. On évite ainsi les embarras d'une famille ou des rencontres ou d'amis. Les amis, les amours ? Les interlocuteurs des réseaux sociaux suffisent amplement.

Se nourrir ? On n'a plus besoin de faire de courses puisqu'on peut se faire livrer toute sa nourriture.

Le travail ? On peut tout faire en télétravail. Plus besoin de se confronter à des collègues de bureau.

L'école ? On peut tout apprendre sur Internet.

La réflexion partagée, la lecture, la pensée ? On a l'intelligence artificielle pour ça.

Sortir, voyager, ça n'est vraiment plus nécessaire. On trouve tout sur Internet sans les embarras des rencontres fortuites.

De plus en plus, chacun est incité à rentrer dans sa coquille, dans sa bulle.

On prépare vraiment un drôle de monde avec les réseaux dits "sociaux".

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
L’abandon de nos vies
Malgré ce que ça décrit, ce titre est beau et mélancolique, j’oserais même affirmer qu’il respire un romantisme suranné, une perte, une larme, un coup au cœur. Forcé de suivre la masse par défaut technique, nous abandonnons la meilleure part de nous-mêmes. Comment ne pas se désoler ? L’abandon ici, devient la capitulation. Ce que je déteste le plus. Plus moyen, d’engueuler un responsable, à qui s’adresser pour critiquer, souligner un défaut, un refus, un dysfonctionnement. À qui s’adresser lorsque l’appel provient de loin, dans un autre pays, dans une autre langue et dans une autre culture ? Nous voilà éloigné de la mondialisation culturelle, largué dans un vide étourdissant, pour être réduit à des moins que rien, à des êtres méprisables. Faut-il se surprendre de ces éruptions politiques qui brouillent nos pistes, de cette médiocrité acharnée, de cette avalanche de slogans, aboyés dans un langage de peu de signification. Ça hurle fort, mais ça n’inspire rien, ça hurle à mort dans une odeur d’explosif comme la cartouche vide que l’on vient de tirer et qu’on éjecte de la culasse. Encore une fois, nous sentons que ça revient, que cela se rapproche de nous, et tétanisé, nous demeurons sur place avec nos inquiétudes et nos déceptions. Le tout se conjugue dans la perte de nos instincts, dans cette incapacité à fuir, et encore moins de se battre pour se défendre. Toutes les armées du monde le comprennent depuis longtemps, on attaque toujours les tours de communications, on coupe les informations pour finalement nous laisser errer dans nos ignorances. Après, on brûle les livres en supprimant les têtes qui dépassent. Une fois l’information sapé, on s’attaque à la culture, afin de tordre les esprits, d’assécher nos sentiments pour nous réduire en poussière. Plus besoin de barbelés, les âmes peuvent errer dans un couronnement de soumission, sans oublier que les humains deviendront inutiles, sauf peut-être pour les transformer en biodiesel. Pourquoi nos histoires tournent-ils aux drames ? Pourquoi se pâmer pour des événements qui croupissent derrière nous ? Vraiment derrière nous ? Franchement, je ne pensais pas que ça reviendrait, sous des formes encore pires. Soudain tout se délite, et si quelqu’un continue de tirer sur le fil, il se pourrait bien qu’on se retrouve nu. Nous comprendrons alors que l’abandon de nos vies s’emparera de nos quotidiens du moins pour ceux qui resteront. Vaut-il mieux mourir pour défendre justement nos vies quotidiennes avec une possibilité de victoire, ou bien, prolonger l’agonie sous le joug de maîtres indésirables ?
Le choix nous appartient encore, mais le temps presse !
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Richard a dit…

: Oui, l’abandon de nos vies, est un beau titre Carmilla. Il est d’une pertinence remarquable. Étrangement j’y trouve même de la poésie, et même une certaine mélancolie.
Merci pour votre texte
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard pour votre appréciation flatteuse,

La grande énigme, c'est pourquoi on accepte, si volontiers aujourd'hui, ce détournement et cette captation (au travers des réseaux sociaux) de notre attention au monde.

On se laisse entièrement absorber par eux au point de ne plus considérer le monde qui nous entoure. C'est notre sensibilité et notre rapport aux autres qui s'en trouvent modifiés.

Et le plus inquiétant, c'est que ce rapt de nos identités est récent. La généralisation du smartphone, ça ne remonte qu'à 2010, environ. On n'a donc pas encore idée de ce que ça va donner sur la nouvelle génération qui y a été biberonnée. On peut simplement se rassurer en se disant que le pire n'est pas toujours sûr.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla
L’abandon synonyme de capitulation
Nous pouvons le voir ainsi devant les événements qui se déroulent en notre présence, toujours en revenant à cette interrogation si simple : Pourquoi nos cheminements débouchent fréquemment sur notre évolution tortueuse ? Comment se fait-il qu’on parviennent à des états et des destinations, qui finalement nous bouscule, au point, d’abandonner certaines valeurs que l’on croyait bien ancrées ? J’évoque souvent dans mes propos, la vulnérabilité de l’être humain, qui se traduit par la recherche du regroupement, dans l’acceptation du groupe, de la reconnaissance, et de la sécurité qu’offre la masse. Entre les tribus et les grandes agglomérations, qui s’étalent sur quelques millénaires, souvent pour notre sécurité, les rassemblements s’imposaient. La nature incontournable de la crainte, nous poussait à accepter la force du groupe de vivre entre des murs, qui deviendront des formes de réglementations imposées. Ce qui favorisait l’ambivalence, se soumettre, ou bien, courir les risques que nous offrait la fortune sur les traces de la liberté. Nous oscillions toujours entre ces deux extrêmes. Ce qui donne des résultats mitigés. Chaque creux de vagues à ses élévations, nous devons toujours nous préparer à autre chose. Ce qui s’avère souvent épuisant. Ceux qui abandonnent, capitule. Depuis que je sais marcher, une des grandes activités qui occupait mon temps, s’étalait en longues randonnées, pour aboutir à une maison en ruine, une ferme délabrée, un campement forestier oublié ; activité que l’allais prolonger dans le nord avec la visite de vieux camps d’explorations minières, ou bien, des épaves d’avions, restants d’accidents. J’imaginais les gens qui jadis, habitaient ces maisons, exploitaient ces fermes, coupaient les arbres, fouillaient le sol à la recherche de minerais, et que dire de ceux qui avaient piloté ces vieux appareils. Il ne m’en fallait pas plus pour me raconter des histoires, et à chaque fois que cela se produisait, je me retrouvais devant : la vulnérabilité de l’être humain. Ils ont abandonné leurs activités, leurs endroits, parce qu’ils étaient vulnérables. Ils ont capitulé. Attiré par leurs cheminements qui appartenaient désormais à l’histoire, j’admirais leurs ruines, mais aussi ce courage inutile, cette souffrance quotidienne, cette volonté de faire. Aujourd’hui, nous nous retrouvons non seulement devant la misère physique, mais devant une situation indéfinie qui semble nous rendre encore plus vulnérable, comme illusion d’un groupe en virtuel, qui s’enfonce dans la mollesse brumeuse, pour se perdre dans des brouillards indéfinis, avec leurs vulnérabilités. C’est étrange, je me suis retrouvé à tisser des liens d’attachements, avec les ruines que j’ai explorées et que je n’ai pas abandonnées.
Aucune envie de capituler.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Pourquoi se laisse-t-on ainsi entraîner sur cette pente dangereuse d'une dépossession de nous-mêmes ?

Il n'y a pas de réponse simple et ce n'est pas simplement par facilité, laisser-aller.
Les réseaux sociaux sont tout de même très forts. Ils savent solliciter ce besoin primaire, en nous, d'être reconnus par les autres et de susciter leur attention.

Etre au centre du désir, être une star (même éphémère et sans qualités), être célèbre un quart d'heure, c'est l'un des grands moteurs du psychisme humain. Et peu de gens sont capables de percevoir que ça n'est que du vent. L'homme est emporté par un sentiment constant de déréliction et il cherche sans cesse à y échapper par une exhibition de lui-même.

Sortir du fantasme, se confronter à la dure réalité, avoir une juste appréciation de soi-même, c'est vraiment difficile. Et ça l'est d'autant plus aujourd'hui à une époque de surenchère narcissique où l'on se doit d'exposer tous ses "faits d'armes".

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Bonjour Carmilla

La journée d’hier m’a procuré un vif plaisir. J’ai reçu l’ouvrage de Lionel Naccache : Sujet es-tu là ? que j’avais commandé le 30 avril dernier. On dirait que nous sommes revenus à la marine à voile. Les importations de livres et magazines de la France sont d’une lenteur désespérante.
Dans plusieurs chapitres, Naccache aborde, des questions que nous avons commentées cette semaine, sur l’abandon de nos vies, où il est question du cerveau, mais aussi des nouvelles technologies.

Je vous laisse sur un bout de texte :

« La critique du formatage culturel a connu une version plus saignante.
Un goût pour la liberté qui est pourtant malmené aujourd’hui par l’essor d’une sorte de conditionnement des consommateurs de bien culturels que nous sommes. Un conditionnement qui tient en un slogan : (À bas la prise de tête !) en littérature, au concert et au cinéma, et vive l’accès à des émotions garantis, (sans effort). Et nous voici entre les mains d’ingénieurs ingénieux qui pilotent nos zygomatiques, nos sourcils et notre souffle : (Riez, pleurez, tremblez, suspendez votre respiration, riez, riez, riez…), au pas de l’oie ! Je pense au formatage de l’écriture de certains romans ou essais stéréotypés de nombreuses séries. Un conditionnement culturel soumis à un principe d’(efficacité maximale). Au passage, notre goût de la liberté s’en est pris un sacré coup ! Et voilà que contre toute attente, un livre, une voix, un film parfois parviennent à raviver le feu de la liberté ! »
Lionel Naccache
Sujet, es-tu là ?
Page : -32-et-33-

Nous déplorons, et nous ne sommes pas les seuls, voilà ce qui est rassurant, je dirais même réconfortant, que certains penseurs et scientifiques s’intéressent de près à ces questions. Il y a toujours un livre, une voix, une rencontre, qui vient vous stimuler et vous encourager.

Il ne faut pas se décourager, l’espoir fait aussi partie de l’équation.

Bonne fin de journée Carmilla

Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

"Ne pas se prendre la tête", c'est en effet devenu le nouveau mot d'ordre des sociétés occidentales. Il faudrait être simplement naturel et spontané.

Ca va de pair avec une critique de tous ces intellectuels tordus qui coupent les cheveux en quatre.

C'est un peu décourageant, en effet, parce que la beauté du monde tient justement à sa complexité. Rien de plus ennuyeux que la simplicité.

Bien à vous,

Carmilla

Richard a dit…

Merci Camilla
Quel réconfort de lire un tel ouvrage !

Le titre nous interpelle rudement, le sujet, c’est nous avec toutes nos civilisations, nos valeurs, nos langues, nos habitudes.

Naccache, c’est un neurologue, mais c’est aussi un humain, très humain, doté d’une vaste culture générale, capable de faire des liens surprenants entre la neurologie, la psychiatrie, la médecine, la chimie, la physique, la politique, la société ; ce qui relève de l’esprit universelle.
Il s’exprime avec dans superbe écriture qui n’a rien d’ostentatoire, parce que son but premier c’est d’être compréhensible. C’est un style d’écriture que je ne me souviens pas d’avoir lu au cours de ma vie de lecteur.

Il passe du fonctionnement du cerveau, à des maladies comme l’Alzheimer, dont on sait le fonctionnement, mais donc ignore les causes, les prémices, en faisant le pont avec la maladie de Creutzfeldt-Jakob et l’encéphalopathie spongiforme bovine. Ici, nous sentons le chercheur, le scientifique, qui cherche à comprendre, surtout pour apporter des soulagements à ses patients.
Il est aussi question, des puces qu’on désire implanter dans le cerveau des humains, comme si c’était quelque chose qu’on devrait faire ; parce que nous ne sommes pas obligés d’emprunter ce cheminement dangereux. Il ne manque pas au passage d’accrocher Elon Musk.

Il remet les horloges à l’heure avec la fameuse IA, une critique vraiment acerbe. L’IA est capable d’écrire comme Victor Hugo, parce qu’elle est bourrée de connaissances sur Victor Hugo, mais elle est incapable de se projeter dans l’avenir, parce qu’elle est incapable de dépasser le présent, et surtout d’imaginer une littérature à la Hugo, autrement dit, incapable d’imaginer. J’ai apprécié cette petite phrase lourde de sens : « C’est cela qui est parfaitement légitime d’énoncer que ChatGPT, est une technologie tragique. » Je vous laisse y réfléchir. J’ai déjà écrit que le ChatGPT est limité, comme toute intelligence artificielle, parce qu’elle incapable d’improviser.
C’est un ouvrage qui provoque la polémique, pas seulement et uniquement pour le débat, mais pour se donner une possibilité d’avenir.

Lecture que je recommande chaudement.
Bonne fin de journée Carmilla
Richard St-Laurent

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Richard,

Je connais bien sûr un peu Lionel Naccache. Il est toujours pertinent.

Il a bien sûr raison raison de dire que l'IA est incapable d'avoir de l'imagination.

On peut ajouter qu'elle est incapable d'avoir du bon sens. L'IA d'une automobile qui a perdu ses freins foncera indifféremment dans les voitures en stationnement ou... dans une foule.

Merci pour votre conseil de lecture.

Bien à vous,

Carmilla