samedi 24 août 2024

Architecture in RIGA


Qu'aller fiche en vacances en Lettonie ? Il y a tout de même mieux. C'est d'ailleurs à peine si j'ose le mentionner à des interlocuteurs français parce que ça suscite un embarras immédiat: c'est où, y'a quoi ? On n'ose me poser aucune question.
 

Difficile d'expliquer que, là-bas, je retrouve instantanément mes marques, que je décrypte tout immédiatement. Le brassage des langues, les horaires, la cuisine, les règles du comportement social, la végétation, l'architecture, l'histoire, tout cela m'est d'emblée familier. 


C'est un grand retour dans mon passé et c'est d'abord reposant.


Mais rapidement ensuite, ça m'énerve parce que j'en viens à me dire que je ne serai jamais complétement Française, que je serai toujours porteuse d'une duplicité et que je ne comprendrai jamais vraiment le pays dont je parle, formellement, le mieux la langue.


Mais qu'y faire ? On ne fait jamais table rase de son passé, on vit toujours dans une synthèse des trois dimensions du temps. Rien ne s'efface mais on se projette, simultanément, dans l'avenir. C'est ce qui constitue une grande partie de notre vécu.


Mais il faut bien le dire: il n'y a jamais de Paradis perdu. Les Retours sont également rudes. Rien n'est jamais complétement aimable. Il a ainsi fallu que je supporte d'être largement plongée dans la langue russe. Quoi qu'on en dise, elle demeure très largement majoritaire à Riga et Jurmala. Et le problème, ce n'est pas la langue en soi, c'est la violence sociale qui va avec. J'ai toujours envie de gifler ces Russes qui s'interdisent de sourire ou d'être simplement polis.


Heureusement, la Lettonie est l'un des pays qui soutient le plus activement l'Ukraine et une sympathie générale y est largement exprimée.


Et de mon côté, j'ai toujours éprouvé intérêt pour les trois Etats baltes.  Je connais d'abord à leur sujet plein d'histoires étonnantes et mystérieuses.


D'abord la Courlande (la principale région de la Lettonie). Sait-on que son Grand Duché a été, jusqu'à la fin du 18 ème siècle, un Etat colonial (Tobago et la Gambie) ? Que les descendants des chevaliers teutoniques, les barons germano-baltes, y ont vécu, dans d'élégants et nombreux châteaux, jusqu'en 1920 ? Que le Roi français Louis XVIII y a transporté sa Cour après la Révolution et s'y est morfondu pendant de longues années en compagnie notamment de la fille ("Mousseline" puis "Madame Royale") de Louis XVI et Marie-Antoinette ? Que le célèbre peintre Rothko, que tout le monde croit américain, est, en fait, né en Courlande, à Daugavpils, et que cette origine explique largement sa peinture ?


Quant à la capitale Riga, elle est l'une des grandes villes de l'Art Nouveau européen. Son architecte principal en a été Eisenstein, un nom bien connu. Mais il s'agissait du père. Quant au fils, le cinéaste, il détestait absolument son père et vomissait l'esthétique bourgeoise de ses bâtiments: l'expression même d'un monde décadent s'empêtrant dans le maniérisme et la boursoufflure. 


L'Art Nouveau ? On s'est mis, à vrai dire, à le détester dans toute l'Europe au lendemain de la 1ère guerre mondiale. A Paris même, on n'a pas hésité à détruire de nombreuses réalisations d'Hector Guimard. On voulait épurer les formes et l'Art Nouveau était, de ce point de vue, considéré comme l'illustration de la surcharge kitsch et bourgeoise.


On a donc prôné, au début du 20ème siècle, une nouvelle ascèse pour l'Art, un formalisme épuré. Mais on a rarement perçu que cette évolution consacrait aussi l'émergence d'un nouveau puritanisme. L'Art moderne est devenu désincarné, il a peur de l'esthétique des corps, de leur vibration affective. Il ne devrait émouvoir que par la beauté de sa construction formelle, indépendamment de toute sollicitation érotique. 


C'est justement contre ce puritanisme que je continue de chérir l'Art Nouveau et tant pis si je passe pour ringarde (ça m'apparait aussi absurde que ceux qui jugent bourgeoise l'œuvre de Proust).


L'Art Nouveau, ça correspond pour moi à un certain vécu émotionnel et à une sensualité vénéneuse: ça me remue concrètement les entrailles. Et puis, je me reconnais dans ses modèles féminins, des femmes sans doute compliquées et déroutantes mais surtout actives et maîtresses de leur destin.


J'ai donc l'impression de me retrouver pleinement dans les grandes villes de l'Art Nouveau: Bruxelles, Prague et Vienne bien sûr mais aussi Helsinki et Riga.


A ces deux dernières villes, s'ajoute d'ailleurs un attrait supplémentaire: celui de la mer Baltique qui les baigne directement. En quelques minutes, on se retrouve au bord d'une plage de sable fin bordée d'une forêt de pins.
 

Ca aussi, ça me convient parfaitement même si ça peut faire ricaner.


D'abord, il ne fait pas aussi froid qu'on l'imagine. Et même la température de la mer est convenable (principalement parce que la déclivité de la plage est très lente, au moins sur une cinquantaine de mètres).

Du reste, presque personne ne vient là pour se baigner ou nager. On esquisse au mieux quelques mouvements de brasse mais jamais de crawl. Et on n'y pratique absolument aucun sport nautique (pas de voile, pas de planche, pas de ski, pas de hors-bords).


L'ambiance est étrange, d'un calme aussi éloigné que possible des plages françaises surpeuplées, malpropres et chaotiques.


A Jurmala, on se contente de contempler sagement l'horizon ou bien d'arpenter le long mail arboré qui structure la ville. De temps en temps, on s'arrête à la terrasse d'un café pour une glace ou un kvas: après s'être soi-même exhibés, on contemple et scrute les passants.


C'est une ambiance très Europe centrale ou à la Tchekhov. On essaie de deviner la vie des passants qui nous tapent dans l'œil. L'objectif, c'est, éventuellement, de parvenir à nouer conversation.


C'est évidemment un peu fatiguant pour moi parce que, malgré tout, on me repère assez vite. Et on s'étonne: qu'est-ce qu'une Parisienne vient fiche en Lettonie ? Alors, j'essaie de m'expliquer tant bien que mal mais je ne sais pas si j'arrive à convaincre grand monde. Je crains qu'on ne me prenne au mieux pour une toquée ou pire pour une trafiquante.


Mais j'en retire quand même, au total, une satisfaction. Dans toutes ces rencontres, j'ai participé à la grande comédie du monde. J'y ai été actrice et spectatrice. J'ai vu et on m'a vue. Savoir que les gens que j'ai croisés, avec qui j'ai échangé, s'interrogent maintenant sur moi, ça me procure une étrange satisfaction. Dans la relation avec les autres, on a besoin de mystère et d'ambiguïté, c'est le ressort de la séduction. Si on vous décrypte, c'est fichu, vous perdez tout pouvoir.























Une sélection de mes photos en Lettonie. J'en ai, évidemment, trop posté.

Je recommande: 

- Jan BROKKEN: "Les âmes baltes". Le grand livre de référence, celui qu'il faut absolument avoir lu, sur la culture et l'imaginaire des Pays Baltes.

- Jean-Paul Kaufman : "Courlande". Un livre remarquable mêlant l'intime (un ancien amour étudiant) à l'histoire d'un pays énigmatique.

- Marguerite Yourcenar : "Le coup de grâce". Un court texte (publié en 1939) qui évoque un triangle amoureux dans les pays baltes, en 1919, alors ravagés par la guerre, la révolution et le désespoir. Gros inconvénient: Marguerite Yourcenar n'a jamais mis les pieds en Lettonie. On peut noter, en revanche, que ce bouquin a fait l'objet d'une adaptation cinématographique convaincante, en 1976, de Völker Schlöndorff.

- Ernst Von SALOMON: "Les réprouvés". Le récit autobiographique d'un soldat qui s'est engagé, dès 1918, dans les corps francs partis combattre dans les Pays Baltes contre la Révolution bolchevique. C'est aussi un panorama de la violence politique qui sévissait en Allemagne au lendemain de la 1ère guerre.

- Sandra KALNIETE: "En escarpins dans les neiges de Sibérie". Pourquoi les Russes sont-ils si nombreux en Lettonie ? Notamment parce que Staline a organisé un transfert massif de populations durant la 2nde guerre mondiale en "expédiant" des milliers de Lettons en Sibérie.

- Chris KRAUS: "La fabrique des salauds". C'est, à mes yeux, l'un des grands livres de la littérature du 21ème siècle. Son cadre principal est Riga durant la seconde guerre mondiale.

- Eduard von Keyserling (1855-1918) : c'est le grand écrivain germano-balte. Consdéré comme le maître de l'impressionnisme allemand par Thomas Mann. A lire pour s'imprégner de la douceur de vivre qu'ont connue ces barons. Je recommande "Eté brûlant" et "Escalier trois". C'est d'une "grâce désespérée" et c'est édité chez "Actes Sud".

4 commentaires:

Julie a dit…

Bonjour Carmilla, soyez la bienvenue à Paris :)
J'aime beaucoup votre récit de voyage, les images donnent envie d'aller voir. L'architecture change de chez nous, et il me semble que c'est plus propre.
J'aime également votre dernier paragraphe : "Dans la relation avec les autres, on a besoin de mystère et d'ambiguïté, c'est le ressort de la séduction. Si on vous décrypte, c'est fichu, vous perdez tout pouvoir"... Tellement vrai !
Passez un bon weekend, reposez-vous bien 😊
Julie

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Julie,

Mais je n'ai, en fait, pas longtemps quitté Paris. Juste 8 jours pleins. Mais je devrais davantage bouger cet automne.

L'architecture des pays du Nord est, en effet, très différente. Quant à la propreté, je trouve exagéré de dire que les grandes villes françaises, notamment Paris, sont sales.

Ca l'est d'abord moins qu'autrefois et surtout les densités de population ne sont pas les mêmes. Les Pays baltes et les pays scandinaves sont peu peuplés. C'est donc facile d'être plus propre que Paris dont le centre-ville est l'un des plus denses du monde.

Je crois enfin que l'on n'a effectivement jamais intérêt à se découvrir et s'exhiber. C'est se mettre en position de faiblesse.

Bien à vous,

Carmilla


Nuages a dit…

Vos photos sont très agréables à regarder. Ça me fait voyager !
Par ailleurs, je pensais que pas mal de touristes ouest-européens visitaient les Pays Baltes, en particulier leurs capitales, Tallinn, Riga et Vilnius.

Quant à moi, lors de mon récent long séjour à Avioth, j'ai découvert Stefan Zweig, que je n'avais jamais lu ; j'ai adoré son autobiographie, "Le monde d'hier".
D'autre part, j'ai lu un roman de Lucia Puenzo, écrivaine et réalisatrice argentine, "Wakolda", qui met en scène le sinistre Dr Mengele dans le sud de l'Argentine au début des années 60 ; l'autrice, qui est donc aussi cinéaste, l'a adapté sous le titre "Médecin de famille". Je vous recommande le livre et le film.

Carmilla Le Golem a dit…

Merci Nuages pour votre appréciation sur mes photos.

Je regrette toutefois de n'avoir posté quasiment que des photos de Riga. La mer, la campagne, j'ai du éliminer.

On ne peut pas dire qu'il y ait des foules de touristes dans les Pays Baltes. On ne s'y bouscule vraiment pas, sans doute parce que l'on est convaincus qu'il y fait très frais. Ca n'est plus tellement vrai. La preuve: il existe un vignoble, le plus septentrional au monde, en Lettonie.

Le voyage le plus courant, ce sont, en effet, les 3 capitales baltes. Ca peut d'ailleurs être complété par Helsinki et Gdansk.

C'est un très beau voyage vraiment facile, confortable et pas tellement onéreux. Je vous le conseille vivement. A mon avis, il n'est vraiment pas nécessaire de recourir à une agence pour l'effectuer. Un seul inconvénient: on ne voit que de grandes villes et c'est peut-être dommage de ne pas découvrir la province.

Stefan Zweig ? Chacun de nous a des trous dans sa culture littéraire mais c'est vrai que Zweig est un géant. En France, on a une image plutôt négative de l'ancienne Autriche-Hongrie: poussiéreux et réactionnaire. Mais Zweig met bien en avant la grande modernité de l'ancien Empire.

Outre Zweig et Schnitzler, je vous conseille vivement aussi Leo Perutz et notamment "Le tour du cadran" et "Où roules tu, petite pomme ?". C'est mon écrivain austro-hongrois préféré.

Je ne connais pas, en revanche, Lucia Puenzo mais je suis très faible en littérature hispanique. Mais le thème abordé, le Dr Mengele, m'intéresse beaucoup.

Bien à vous,

Carmilla