vendredi 12 septembre 2008

Architecture in Berlin











Je suis au Sony Center de Berlin, sous le chapiteau transparent d’acier et de verre, extraordinairement suspendu, d’Helmut Jahn, sur la Potsdamer Platz, lieu mythique relégué, jusqu’à il y a peu, au rang de terrain vague. Tout près, la Philarmonie, au toit asymétrique de Hans Scharoun, la Nouvelle Galerie Nationale, toute de légèreté, de Mies van der Rohe, enfin les angles aigus de l’aire Daimler de Renzo Piano, ou le cinéma IMAX ou le complexe Debis du même Piano. Tout près, le dôme fabuleux du Reichstag, conçu par Sir Richard Rogers, illuminé par un jeu de miroirs. Un peu plus loin, la chancellerie de Stefan Braunfels. Au nord, la nouvelle gare, Lerhter Bahnhof, verre cylindrique suspendu. Plus loin, l’ambassade de France de Christian de Portzamparc, les Galeries Lafayette de Jean Nouvel.












A Berlin, on se croit généralement obligé de disserter sur « Die Mauer », le Mur. Mais on se rend vite compte que ce n’est plus d’actualité tant le passé est aujourd’hui révolu : pratiquement plus aucune trace de l’ancienne RDA. A la place une ville bouillonnante, en bouleversement complet où des quartiers entiers se métamorphosent d’une année sur l’autre.


Après la chute du Mur, a été fait le pari du renouveau architectural. Autres temps, autre ville et donc autres mœurs tant il est vrai que l’architecture n’est pas seulement le décor de notre vie quotidienne mais modèle, de manière plus essentielle, nos rapports humains, sociaux et même affectifs. Freud lui-même, décrivant l’inconscient, employait des métaphores architecturales. Les dictateurs l’ont également compris sous une forme caricaturale mais la société industrielle dans son ensemble a asservi l’architecture à des impératifs de fonctionnalité, de rapidité des communications, d’efficacité.


Comme dans tous les pays du Nord, l’environnement urbain est une préoccupation majeure en Allemagne. D’où le soin, la maniaquerie, apportés à l’esthétique des bâtiments, au confort des logements. Les villes doivent faire rêver, procurer une espèce d’élan vital : ressusciter les rêves de l’enfance et des contes de fées (Rothenburg, Meissen, Celle, Bamberg) ou nous transporter dans un imaginaire futuriste (Berlin, Francfort).


Michel Tournier a parlé du « bonheur en Allemagne ». C’est sans doute vrai. L’Allemagne, c’est un peu le Japon de l’Europe avec une qualité de vie et une efficacité incomparables. L’aménagement urbain y est pour beaucoup. Revenir en France est déprimant : tout apparaît chaotique, compliqué, déglingué.


Ce n’est pas un hasard si c’est en Allemagne qu’a pris naissance le Bauhaus avec sa tentative de concilier le monde de l’art et celui de l’industrie. Il y avait dans le Bauhaus le souci de célébrer la beauté de la productivité industrielle qui se substituait soudainement au monde de l’artisanat; mais l’esthétique du Bauhaus, ses formes épurées, son design, ont été rapidement détournés par les entrepreneurs qui ont pris prétexte du dépouillement (« Ornement et crime ») pour construire de la camelote et du « cheap ».

Alors, faut-il conclure à l’impossibilité de concilier l’architecture et les impératifs productivistes ? Probablement.

De ce constat témoigne pour moi l’extraordinaire musée juif de Daniel Libeskind : le contour de l’édifice présente un caractère irrationnel avec la forme d’un éclair. Une construction en labyrinthe, des pièces tortueuses à l’ambiance spectrale. Trois axes, des « chemins de la destinée », qui débouchent sur une impasse : la tour de l’holocauste, celui d’une culture à jamais perdue.
















Daniel Libeskind, peu connu en France mais qui a été retenu pour la reconstruction du World Trade Center, plaide pour une conception de l’architecture comme acte artistique. Il recherche un maximum d’autonomie de l’architecture qu’il combine, comme si cela était évident, avec l’histoire, la littérature, la philosophie.

L’autonomie de l’art…voilà son essence même.