samedi 28 octobre 2023

La vie à la campagne

 
Régulièrement (toutes les 6 semaines environ), nous nous réunissons entre collègues financiers de l'ensemble de la France. On est un groupe de 30 environ.

On discutaille alors d'évolution de la réglementation, de problèmes de gestion ou de montages financiers. Ca dure un ou deux jours.

Evidemment, c'est un peu particulier et il y aurait beaucoup à dire sur la petite assemblée que l'on constitue. D'abord, on est tous un peu déguisés, on s'affiche comme des personnes "chics" avec un dress code rigoureux. 

Surtout, il y a une espèce de solidarité absolue entre nous qui se conforte par le carnet d'adresses. On est "du même monde" et il y a ainsi des "spécialistes" qui connaissent par cœur les annuaires des différentes promotions et les parcours de chacun. C'est cet esprit de corps si souvent dénoncé et qui serait "très français". 


Je comprends que, vu de l'extérieur, ça ne peut que susciter la critique acerbe et le ricanement: on serait évidemment des gens complétement hors-sol et forcément odieux. 


Sauf que les choses ne se présentent pas tout à fait comme ça. J'avoue n'avoir jamais rencontré un imbécile parmi mes collègues. Evidemment, la fibre sociale n'est pas leur fort mais est-ce que ça peut être un principe directeur de la gestion d'une entreprise ? On apprend, c'est sûr, à devenir, sinon insensibles, du moins impassibles: l'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers. Et puis chacun joue un rôle, tant les employeurs que les salariés. Personne n'est absolument sincère. Mais ça ne saurait bien sûr justifier la brutalité ou l'arrogance.


C'est vrai aussi que, parmi mes collègues, chacun est absolument satisfait, voire imbu, de lui-même. La modestie n'est pas la première qualité mais il est évident que chacun est aussi absolument passionné par son boulot. Ca semble même être le centre exclusif de leur vie et de leurs intérêts. Impossible d'avoir une conversation en dehors des finances. 


Je veille à ne pas être à ce point monocentrée, à ne pas me laisser entièrement absorber. Parce qu'on s'expose alors à beaucoup de désillusions. Le monde du travail demeure, en effet, impitoyable et, qui que l'on soit, on a vite fait de se faire éjecter. Je dois bien ainsi constater qu'à chaque nouvelle réunion, un ou deux anciens collègues ont disparu, remplacés par un(e) autre, plus jeune, plus dynamique. Bientôt, je vais faire figure d'ancienne.


Mais au total, j'aime quand même bien ces réunions et séminaires. J'y scrute, étudie, les attitudes, le comportement de mes collègues. C'est un lieu privilégié d'observation de la grande "comédie humaine".


Surtout, ces réunions sont organisées dans un lieu à chaque fois différent en France. En règle générale, il s'agit de grandes villes et je me contente de faire l'aller et retour sans rien visiter.


Mais grande innovation, il y a quinze jours. On a organisé le séminaire dans un endroit perdu: un petit village de la Mayenne pour s'y mettre au vert.


La Mayenne ? En quoi cette zone nébuleuse peut-elle bien intéresser des financiers ?


Même en France, à peu près personne ne sait où ça se situe (c'est à environ 250 kms, plein Ouest, de Paris). Quant à en citer les villes principales, (il n'y en a que trois d'un plus 10 000 habitants: Laval, Château-Gontier, Mayenne), on préfère généralement donner sa langue au chat.


Il ne viendrait à l'idée de personne d'aller passer des vacances en Mayenne et il est vrai qu'on n'y trouve aucune ville, aucun monument, aucun site naturel absolument remarquables.  C'est joli, agréable, voire mignon, mais de là à déplacer les foules...


La Mayenne, c'est donc un peu le territoire inconnu, celui du "nulle part", du "nowhere". Mais les quelques "locaux" que j'ai interrogés à ce sujet m'ont tout de suite répondu: "Mais c'est tant mieux qu'on ne nous connaisse pas. Il vaut mieux que ça reste ainsi".


La Mayenne, ça passe, en fait, pour un département absolument paysan, absolument plouc. Et les Mayennais eux-mêmes aiment en rajouter en la matière. Non sans humour, ils précisent ainsi qu'ils sont l'un des départements les moins peuplés de France (307 000 habitants) et qu'il y a presque  deux fois plus de vaches (580 000) et de cochons (463 000) que d'habitants. C'est, paraît-il, une situation absolument unique. 


Et quand on sillonne les routes en voiture, c'est vrai que c'est un plaisir. Le grand calme, aucun embouteillage, aucune difficulté pour stationner. Rien que des petits villages charmants à traverser. Les paysages, c'est du bocage avec pleins d'arbres, de haies et de forêts. Ultra bucolique !


On n'imagine vraiment pas qu'on soit très actif et dynamique en Mayenne. On croit plutôt qu'on y végète sur un lopin familial. Et pourtant, c'est l'exact contraire ! 

C'est en fait l'un des départements les plus riches et les plus industrieux de France. 


Un véritable "miracle économique" si l'on songe qu'à l'orée des années 80, le territoire était considéré comme plutôt pauvre et condamné au sous-développement. Tous les vents semblaient contraires.


Aujourd'hui, les économistes et les financiers s'intéressent à la Mayenne et essaient de comprendre son "décollage" en toute discrétion. Il y a eu quelques publications à ce sujet qui parlent même d'une "petite Hollande".


C'est vrai d'abord que l'agriculture y est devenue très "pointue" au point de donner naissance au géant mondial de l'industrie agro-alimentaire: Lactalis. Tous les Européens (jusqu'à Moscou, hélas !) consomment, chaque semaine, des produits Lactalis (notamment numéro 1 mondial du lait).


Il s'agit, étonnamment,  d'une entreprise familiale partie de presque zéro aux lendemains de la guerre. Son PDG, Emmanuel Besnier, est bien un Mayennais: on ne sait à peu près rien sur lui, il est à peine connu même en France. Il se targue de vivre modestement déclarant que, de toute manière, on ne trouve aucune marque de luxe à Laval.


Il est quand même la 6ème fortune de France mais il occuperait un rang encore meilleur s'il acceptait que son entreprise soit cotée en Bourse (une "bizarrerie" à ce niveau).


Mais la Mayenne, ça ne se limite pas à une agriculture très technicisée. C'est, en fait, l'industrie qui est le premier secteur pourvoyeur d'emplois (39 %, soit un taux très supérieur à la moyenne nationale) avec une flopée de petites entreprises développées dans chaque village. On connaît bien ainsi à Paris les "Toiles de Mayenne" et on a peut-être remarqué que la plupart de nos bouquins sont imprimés à Mayenne. Ca s'étend même aujourd'hui aux nouvelles technologies et aux recherches sur la réalité virtuelle (middleVR).


Je ne veux pas trop développer là-dessus au risque de vous ennuyer profondément mais la Mayenne se révèle, au total, un petit morceau de France presque idyllique: pas de chômage et un taux d'emploi, notamment féminin, élevé; des possibilités de logement abondantes et à prix modéré; une quasi absence de conflits et problèmes sociaux (la crise des banlieues, on ne connaît guère). Politiquement, on est d'ailleurs très modérés (plutôt centristes) et Mélenchon et Le Pen n'y ont pas bonne presse. En bref, la Mayenne, c'est un havre de paix et de quiétude. 


Au total, on est très loin, en Mayenne, de cette France du bruit, de la fureur et du désespoir que présentent sans cesse les médias. D'où l'interrogation : comment un groupe de ploucs, une sorte de grand village gaulois, a-t-il pu construire tout seul dans son coin, sans rien demander à l'Etat et en dépit d'obstacles majeurs (une absence de grandes écoles), une société paisible et harmonieuse ? Et on sent, effectivement, que les gens semblent assez satisfaits. Dans les cafés, les restaurants, j'écoutais les conversations: je n'entendais personne râler ou se plaindre comme c'est toujours le cas à Paris.

 
Ca m'a fait pas mal réfléchir et ça a ressuscité une question qui, personnellement, me passionne. C'est aussi la question centrale de toute l'économie: comment un pays, une région, un territoire, deviennent-ils riches ?


On a trop tendance à croire, notamment en France, que ça repose largement sur les matières premières, le tourisme et, surtout, l'intervention publique. On est convaincus que l'Etat est principal créateur de richesses et on lui reproche sans cesse de ne pas suffisamment activer la Pompe à Phynances.  


Malheureusement, ça ne se passe pas du tout comme ça et la richesse des nations, elle repose, avant tout, sur l'esprit d'entreprise et la productivité du travail. Le tourisme et les matières premières, ça peut, de ce point de vue, se révéler plutôt un handicap qu'un atout.


La Mayenne en est une démonstration et c'est, en cela, que son expérience, m'a beaucoup intéressée: est-ce qu'elle ne pourrait pas inspirer l'Ukraine ?


J'ai donc prolongé, un petit peu, mon séjour et me suis baladée dans la campagne. J'avais heureusement emporté mon appareil photo.


Quand on vient de Paris, c'est évidemment fascinant d'être plongé dans ce grand bain de verdure, ce bocage que l'on a trop longtemps jugé archaïque, contraire aux exigences d'une agriculture productive. Et puis, ces petits villages proprets, soigneusement peints, dont on s'efforce de préserver le caractère local, authentique, le plus possible éloigné des "horreurs" de la modernité... C'est évidemment un peu artificiel, un peu "vieille France", mais c'est aussi apaisant, réconfortant. Et enfin tous ces châteaux perdus qui cherchent souvent preneurs pour une bouchée de pain, ça m'a donné de multiples occasions de rêver de devenir châtelaine.


Mais je me suis quand même aussi posé plein de questions. Est-ce que je ne fais pas le chemin inverse d'une Bécassine, celui d'une Parisienne prise d'admiration subite pour le naturel, la simplicité et l'authenticité de la province ? C'est vraiment condescendant et puis je me vois quand même bien mal vivre en Mayenne. A petites doses et si on a une famille, c'est peut-être parfait. Mais moi ? Je suis sûre que le bruit, la fureur et l'agitation parisienne me manqueraient vite. J'adore aussi les foules, celles des grands boulevards, des cafés bondés et même du métro.


Parce qu'il faut bien dire que l'animation des villages en Mayenne, elle est voisine de zéro. Elle est limitée aux cafés et aux restaurants (excellents au demeurant). Le reste, tous les petits commerces divers des centres-villes, ils ont disparu. Ils se sont déportés dans les grands centres commerciaux avec leur bimbeloterie standardisée et leurs produits alimentaires tous les mêmes et plus ou moins insipides. Si on veut faire des courses, on est donc priés de prendre son véhicule. Si on n'en a pas, je ne sais pas comment on peut survivre. 


Et enfin, je n'ai pas complétement compris la clé du développement économique de la Mayenne. L'esprit d'entreprise, Max Weber (dans son "Ethique protestante et l'esprit du capitalisme") a beaucoup brodé là-dessus. Mais ses thèses ont été largement réfutées. Je n'y crois pas non plus et je ne sais pas ce que ça signifie. En Mayenne, on y a ainsi visiblement l'amour du travail bien fait et on se sentirait déshonoré si le client n'était pas satisfait. Mais on sait aussi que cette "éthique du travail" ne suffit pas. La preuve, les pays dans lesquels on travaille le plus, ce sont les pays pauvres. Pour devenir riche, il faut, en fait, d'abord parvenir à mobiliser de l'épargne et du Capital puis parvenir à s'intégrer à un vaste cercle d'échanges. Mais ça, c'est une autre paire de manches.


La très grande majorité de mes photos a été prise dans deux petites localités mayennaises: Sainte-Suzanne (1 300 habitants) et Lassay-les-Chateaux (2 300 habitants). Deux bleds absolus mais admirables, encore façonnés par le Moyen-Age. J'ai ajouté, à la fin, des images du château de Carrouges, tout proche mais situé dans l'Orne.

Deux artistes célèbres sont originaires de la Mayenne : le peintre, le Douanier Rousseau (dernière image) et l'écrivain Alfred Jarry.

Il faut absolument avoir lu Alfred Jarry, à commencer par "Ubu Roi". C'est d'une acuité politique extraordinaire. Un texte prophétique qu'il serait bon de diffuser, de toute urgence, notamment en Russie.

Et la vie d'Alfred Jarry est, elle-même, terrible, effroyable. Sur ce point, je recommande une remarquable Bande Dessinée (mais oui, j'en lis) :

- RODOLPHE et Daniel CASANAVE: "Merdre- Jarry le père d'Ubu".

samedi 21 octobre 2023

Du populisme et de la chute du Roi des Chats

 

On n'en a guère parlé en France. On y est, semble-t-il, davantage préoccupés par la prolifération des punaises de lit.

Mais il y a eu, dimanche dernier, des élections décisives en Pologne, importantes pour toute l'Europe et sa cohésion. 


Et enfin, on a assisté, là-bas, à la défaite du parti réactionnaire et conservateur depuis 8 ans au pouvoir.

Pour beaucoup de Polonais, ça a été une immense joie: être enfin débarrassés de ces dirigeants, totalement imprévisibles, qui leur faisaient honte.


On n'imagine pas en effet l'exacerbation des passions et l'extrême polarisation du pays au cours de ces dernières années. Il fallait veiller soigneusement à la composition de la table de ses invités si l'on voulait que le repas amical ne dégénère  aussitôt en pugilat sanglant.


L'ambiance était, en effet, explosive dans la population sur fond d'un duel, depuis 20 ans, entre le parti Droit et Justice (PIS) de Jaroslaw Kaczynski (prononcer katchegnski en accentuant sur le e), qui a conquis, à la surprise générale, le pouvoir en 2015, et la Plateforme Civique de Donal Tusk (prononcer "tousk" et non pas à l'anglaise comme le font les médias français), ancien président du Conseil européen.


Le PiS (Droit et Justice), c'est un parti que l'on peut considérer au mieux comme conservateur, voire populiste, au pire comme d'extrême droite. Son idéologie est ultra catholique et anti arabe, ultra nationaliste (la Grande Pologne opposée à la Russie et à l'Allemagne) et anti LGBT et droit à l'avortement.


La Plateforme civique et ses alliés incarne, au contraire, un mouvement centriste pro-européen, libéral économiquement et progressiste sur les questions sociales comme le droit à l'avortement ou l'union civile des homosexuels.


Les électorats de ces deux partis se distinguent très clairement. La victoire de la Plateforme, c'est celle de la ville contre la campagne, des laïcs contre les cathos, des jeunes contre les vieux, de la Pologne de l'Ouest contre celle de l'Est. Il y a ainsi eu, dimanche dernier, une énorme mobilisation des jeunes et des femmes qui a permis de renverser la table: seulement 15% des jeunes et 35% des femmes de tous âges confondus auraient voté PiS.


Cet affrontement des Anciens et des Modernes, c'est du classique me direz-vous. Mais, vu d'ici, ce que l'on ne perçoit pas, c'est à quel point ces deux formations politiques opposées et leurs partisans se détestent et même se haïssent. Ca a déchiré de multiples familles et amitiés au point que rencontres et débats n'étaient qu'un festival d'invectives. Une histoire amoureuse entre un(e) PiS et un(e) Plateforme était absolument inconcevable. J'ai aussi entendu des histoires selon lesquelles les enfants cachaient les papiers d'identité de leurs parents pour qu'ils ne puissent pas aller voter.


Cette page sombre semble néanmoins tournée aujourd'hui et on peut penser que la Pologne va maintenant s'engager, définitivement, dans une voie résolument européenne. Cette évolution d'un pays européen important (40 millions d'habitants), très dynamique économiquement (son niveau de vie devrait prochainement rejoindre celui de l'Europe de l'Ouest, ce qui était inimaginable autrefois), est finalement une excellente nouvelle pour tous ceux qui croient au progrès et à l'esprit démocratique.


Mais pourquoi je vous parle de ça ?  Je comprends à vrai dire que vous n'en ayez pas grand chose à fiche de la Pologne compte tenu de l'ignorance savamment entretenue par les médias français sur les pays qui ne sont pas de proches voisins. L'Europe, elle n'est pas encore rentrée dans les têtes en France. On ne la voit qu'à travers les prismes Allemagne, Italie, Espagne et on ne se rend pas compte que son centre de gravité est en train de basculer vers l'Est. 


Mais les cahots de l'évolution de la Pologne sont pourtant susceptibles de nous faire réfléchir parce que, partout en Europe, on est maintenant tentés de céder aux sirènes du populisme. La démocratie, beaucoup ne l'aiment pas tant que ça, en effet, parce qu'elle est mouvement, agitation, perpétuels et surtout génère  une remise en cause permanente de nos convictions et certitudes. On se prend alors à idéaliser le Passé, nos Aïeux, les vraies Valeurs. On voudrait que l'Histoire s'arrête.


A cet égard, le leader du parti Droit et Justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski, qui a vraiment tiré les ficelles de la politique polonaise au cours de ces dernières années, m'intéresse beaucoup. Il a vraiment incarné une forme de populisme, sans doute plus habile et plus moderne.


Les leaders populistes, il était facile, jusqu'alors de les identifier: de grandes gueules et de grosses brutes dont la préoccupation première est de s'en mettre plein les poches avec leurs copains en entretenant des liens avec les organisations criminelles. C'est évidemment Trump et Poutine mais aussi Viktor Orban en Hongrie, Boïko Borissov en Bulgarie, Robert Fico en Slovaquie, voire même Aleksandar Vucic en Serbie. De grands mâles, de vrais mecs, des chefs de tribus, qui en imposent par leur force et leur brutalité.


Avec Jaroslaw Kaczynski, rien de tout cela. Il s'est appliqué à donner l'image d'un bonhomme ringard et un peu plouc, confit en dévotions. Depuis une dizaine d'années, toute sa démarche politique a consisté, en fait, à venger la mort tragique  de son frère jumeau, Lech, brutalement décédé, en 2010, dans le crash de son avion présidentiel au-dessus de Smolensk. Un frère jumeau avec lequel, fait unique dans l'histoire politique mondiale, il a même partagé un temps le pouvoir (comme 1er ministre et Président). Mais un frère jumeau bien différent de lui, beaucoup plus libéral et moderne. Sans doute pour effacer la culpabilité liée à cette mort, Jaroslaw Kaczynski a développé un culte quasi païen de son frère avec de multiples commémorations et la floraison de théories complotistes.


Chez Jaroslaw Kaczynski, il n'y a vraiment rien qui en impose et il est plutôt un personnage dont presque tout le monde prend plaisir à se moquer. On le surnomme "le canard" (jeu de mots sur son nom, canard se disant "kaczka" ou "kaczor" en polonais). Il a un train de vie très modeste occupant une petite maison, avec un petit jardin, dans la banlieue de Varsovie qu'il a longtemps partagé avec sa maman qu'il vénérait (d'où des rumeurs, jamais étayées, sur sa supposée homosexualité). Il n'est probablement ni riche ni corrompu. Quant aux "pantins" qu'il a placés à la tête du pouvoir (le Président Duda et le 1er ministre Morawiecki), il a su choisir deux grands bêtas qui s'attachent surtout à jouer le rôle de gendres idéaux.


On ne lui connaît que des plaisirs simples: les promenades dans la nature, la cueillette des champignons et la pêche à la ligne. Il a toutefois plusieurs détestations: l'Europe, l'Allemagne et la Russie. Sur ces sujets, il se réveille, sort de sa bonhommie et profère les pires énormités. Attitude probablement surjouée parce qu'il n'est pas, non plus, un imbécile complet.


Il n'affiche, publiquement, qu'une véritable passion: une passion pour les chats mais même pas pour des chats de race, plutôt pour des chats de gouttière laids et moches. Les chats de Kaczynski, notamment un fameux Alik, sont ainsi des célébrités dans toute la Pologne. Kaczynski a même pris plaisir à se laisser photographier en train de lire, au cours d'une séance parlementaire, un livre consacré aux chats. Ca aurait suscité un scandale partout ailleurs mais ça a plutôt été apprécié en Pologne, ça a été jugé sympathique (c'est vrai qu'on imagine mal Poutine ou Trump s'adonnant à la même distraction).


Mais ce personnage déconcertant et rébarbatif a quand même tiré l'essentiel de sa popularité de sa "politique sociale". Il a fait fonctionner à plein la Pompe à Phynances, déversé, à flots, l'argent public. De multiples allocations ont été mises en place, de généreuses primes aux familles et à la natalité ont été versées, l'âge de la retraite a été abaissé, des prêts à taux zéro consentis jeunes. Vive le clientélisme, tant pis pour les factures à venir, après nous le Déluge ! Et à l'occasion des élections, il en promettait encore davantage: la Pologne, futur Paradis des familles. Il fallait vraiment être lucide pour ne pas se laisser séduire par ce miroir aux alouettes.


C'est pour cette raison que je ne peux m'empêcher de comparer la Pologne et la France. Le populisme, il submerge, en effet, progressivement l'Europe (Boris Johnson, Georgia Meloni) et, tout particulièrement, la France. On a réussi à y faire croire, contre toute évidence, que le pays était un Enfer ultra-libéral, générant paupérisation accrue et tiers-mondisation des services public. 


Dans ce contexte, le populisme français est principalement porté par deux leaders, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Leurs programmes économiques sont à peu près semblables avec une prise en charge par l'Etat, à grands coups de transferts sociaux et de subventions ubuesques, de la quasi totalité de la population.


Simplement, les tactiques pour parvenir au pouvoir différent. Mélenchon continue de croire qu'il faut jouer au Grand Mâle, au chef de horde, en éructant et en vociférant. Sa fureur devient dérangeante, anxiogène. Il a, en ce sens, au moins un train de retard.


Marine Le Pen se montre, en revanche, beaucoup plus habile aujourd'hui. Loin des outrances de son père, elle est en train de s'acheter une respectabilité. Elle joue le rôle d'une brave dame, soucieuse des convenances et ayant pour souci premier de materner et protéger les Français. Les bouleversements du monde et des mentalités, c'est ce dont il faudrait se prémunir en premier lieu.


Dans cette nouvelle attitude, je ne peux m'empêcher de penser qu'elle a peut-être pris, justement, des leçons en Pologne où elle a été reçue avec tous les honneurs. Elle a au moins deux traits communs avec Jaroslaw Kaczynski: d'abord un goût affiché pour une vie simple et sans ostentation; et puis surtout, un amour immodéré, et semble-t-il nouveau, des chats. 


Une différence toutefois sur ce second point: alors que Kaczynski ne s'intéresse qu'aux chats de gouttière, Marine Le Pen a des goûts félins plus élitaires: elle posséderait 6 chats "bengal"  une race, importée des Etats-Unis, issue d'un croisement entre un chat domestique et un chat sauvage. La robe du bengal évoque ainsi un petit tigre. C'est peut-être le signe que Marine Le Pen n'a pas éteint toute agressivité en elle.

Ca me fait frémir. Mais la Pologne vient de démontrer que rien n'est figé en politique et que l'attitude la plus coupable, c'est la résignation ou l'indifférence.



Tableaux d'artistes polonais contemporains : Kacper KALINOWSKI, Joanna CHROBAK, Bogdan PRYSTROM, Katarzyna KARPOWICZ, Dorota KUZNIK.

L'avant-dernière image (un canard avec un chat sur son dos) est, bien sûr, une caricature de Kaczynski (surnommé le canard) qui s'enfuit, avec son animal, après la défaite. Il est écrit "préparation à l'évacuation" mais il s'agit, plutôt, aujourd'hui d'une évacuation immédiate.

J'ai déjà évoqué, à plusieurs reprises, la littérature polonaise. Je me contente donc aujourd'hui de recenser quelques nouveautés:

- Olga TOKARCZUK (Prix Nobel 2018): "Jeu de tambours et tambourins". Si vous voulez vous initier à cette grande écrivaine, c'est le bouquin qu'il vous faut. Un recueil de nouvelles toutes plus bizarroïdes les unes que les autres.

- Agata TUSZYNSKA: "Le Jongleur". Un autre grand nom de la littérature polonaise. Il s'agit ici d'une biographie de Romain Gary, un écrivain que l'on redécouvre après un long oubli. Cette biographie apporte énormément d'éléments nouveaux concernant notamment son enfance à Vilnius.

- Mikolaj LOZINSKI: "Stramer". Une ville, Tarnow, durant l'entre deux guerres, où la moitié de la population est juive. Déjà, s'y dessine la grande catastrophe à venir.

- Elise GOLDBERG: "Tout le monde n'a pas la chance d'aimer la carpe farcie". Moi, j'ai la chance d'aimer la carpe farcie. Un livre, français, vraiment délicieux. Toutes les recettes de la cuisine juive bien connues dans toute l'Europe Centrale. Ce qui est étonnant, c'est qu'on est définitivement attachés à la cuisine de son enfance. C'est elle qui manque le plus et elle demeure toujours la meilleure.