samedi 28 juin 2014

Courtisanes



Je dois l'avouer: Madonna, j'aime bien !

Pas pour ses chansons, sa musique. Là, je suis complètement larguée. Je ne sais pas si je suis dépassée ou à côté. Je ne sais pas si c'est kitsch ou génial.


Non ! Madonna, pour moi, c'est la fierté d'être une femme, l'affirmation de sa puissance, sa séduction. L'antithèse de la femme victime. C'est d'ailleurs pour ça qu'elle déplaît beaucoup. Pour moi, tant pis si elle a un parfait mauvais goût, provocatrice, exhibitionniste;  elle n'a pas honte de son corps, de sa féminité, elle est une belle gifle à tous les bigots, bien pensants, pères la pudeur qui nous entourent;


Pas seulement, d'ailleurs, les vieux réacs, les barbus, les curés, les islamistes mais aussi tous les modernes, les "progressistes", les gauchos, tous ceux qui, au nom de l'égalité des sexes, voudraient que les femmes ne soient plus des femmes : plus de corps, plus de séduction, plus de maquillage, le pantalon obligatoire, des chaussures plates, des cheveux au carré. On ne nous impose pas un voile mais, de manière plus insidieuse, un uniforme pour cacher, effacer, notre corps. Parce que c'est bien ça, en fait : dans le nouvel ordre hygiéniste, le corps féminin, on l'a de plus en plus en horreur.  


Madonna, elle est bien différente, par exemple, de la plupart des artistes françaises que je trouve d'un conformisme sinistre. Elles veulent toutes apparaître exemplaires : rien que des pures, des écolos responsables, sentencieuses, pétries de grands idéaux. Deux exceptions notables toutefois : Brigitte Bardot et Béatrice Dalle.


Madonna, elle, elle renoue, me semble-t-il,  avec les figures féminines du début du 20 ème siècle: les courtisanes qui enflammaient l'imagination. La belle Otero, Liane de Pougy, Cléo de Mérode, Emilienne d'Alençon. A cette époque, on ne demandait pas à une femme du monde d'être vertueuse mais de faire rêver. 


La Belle Otero, d'abord, qui raconte qu'elle a voué une espèce de haine envers la gent masculine. Née en Espagne, en Galice, elle aurait été violée à 11 ans, chassée de sa famille à 12. Elle aurait alors gagné Paris où "elle se produit au grand Véfour et au Cirque d'Eté. Un avortement forcé la rend stérile alors qu'elle est prostituée de force par son mari".



Elle devient ensuite immensément célèbre, elle est la belle étrangère des Folies Bergères et la première star du cinéma. Elle triomphe aux Etats-Unis.  Elle va multiplier les amants : des rois, des aristocrates, des financiers, des écrivains, des ministres. Mais elle n'aura aucun attachement sentimental. Les hommes ne l'intéresseront que pour leur argent et leur pouvoir et elle sera toujours impitoyable avec eux.


Elle sera l'amie de Colette puis se retirera après la Première Guerre Mondiale à Nice. Elle mourra à 96 ans ans (en 1965) complètement ruinée après avoir englouti sa fortune dans les casinos. C'est le directeur du casino de Monte-Carlo qui lui versera une petite pension jusqu'à sa mort compte tenu de la renommée qu'elle a apportée à l'établissement. 



La belle Otero était assurément sulfureuse mais aussi, il faut bien le reconnaître, vulgaire. 

Sa grande rivale, beaucoup plus distinguée et cultivée,c'était Liane de Pougy, une fille d'officier issue de l'Ouest profond (La Flèche). Bonne danseuse, ayant un certain talent littéraire, elle se lie d'amitié avec Sarah Bernhardt. Elle mènera un train de vie luxueux et multipliera les amants des deux sexes. Elle se déclarera en effet ouvertement bisexuelle et relatera dans un roman, "Idylle saphique", sa liaison avec l'américaine Natalie Clifford-Barney.  A l'époque, c'était évidemment incroyablement audacieux.


Elle épousera un prince roumain de 15 ans son cadet puis, à la fin de sa vie, entrera comme novice dans les ordres. Elle abjurera sa vie dissolue et se consacrera à la prière jusqu'à sa mort, à Lausanne, en 1950.


Des courtisanes telles que la Belle Otero et Liane de Pougy, il n'en existe malheureusement plus aujourd'hui. Le scandale serait trop grand.

Pourtant, on aurait bien besoin de leur retour. Les sinistres, les grenouilles, les corbeaux, on n'en veut plus. Du soufre, de l'audace, de la liberté, c'est ce dont a besoin aujourd'hui le féminisme pour combattre le puritanisme rampant. Ca nous changerait des mièvreries de la théorie des genres. 



Tableaux de Paul BERTHON (1872-1909) et Eugène GRASSET (1845-1917)
Photographie de Liane de Pougy

Ce post m'a été inspiré par le magnifique livre d'Abnousse Shalmani : 'Khomeiny, Sade et moi" que j'ai déjà évoqué mais dont je n'ai peut-être pas suffisamment souligné la puissance subversive pas seulement dans les pays musulmans mais aussi en Europe de l'Ouest.

samedi 21 juin 2014

Fleurs vénéneuses


Comme je m'appelle Carmilla, certains, parmi vous, m'écrivent pour me demander si je suis lesbienne.


Ben non ! Je ne crois pas. Mais ça ne veut pas dire, non plus, que je ne suis pas émue par certaines femmes. Il y a tout de même l'élégance, le raffinement qui peuvent vous chavirer. Et puis, je ne répugne pas à certaines aventures érotiques passagères.

Avec ma copine Daria, par exemple, on a une relation sensuelle non dite; on aime bien s'embrasser, se caresser et même, quelquefois, dormir ensemble. On accorde aussi une attention maniaque à la façon dont l'autre s'habille, se maquille, se parfume et on la réprimande si on juge qu'elle n'est pas à la hauteur. On se critique sans cesse jusqu'à la couleur de notre vernis à ongles. On est peut-être des bisexuelles chics, comme on dit aujourd'hui et comme c'est à la mode, mais on ne pense même pas à ça. C'est, aussi, en partie, culturel parce qu'il est vrai que les filles russes et ukrainiennes sont habituées à une forte intimité. Bref, tous ces petits jeux, ça nous amuse, nous apaise, on y trouve une espèce de bonheur, mais on ne pourrait pas non plus vivre ça dans la routine.


La sensualité de la relation avec une femme, j'aime donc bien pourvu que ça ne s'englue pas. Mais vivre une relation d'amour avec une femme, ça non ! Je pense même que c'est étouffant, enfermant, insupportable de mièvrerie surtout quand c'est vécu en opposition avec le monde viril.


Le problème, c'est qu'on nous enferme dans une alternative: hétérosexuel, homosexuel. On devrait avoir des choix d'objets exclusifs, on devrait aimer les hommes ou les femmes. Mais on sait bien qu'au plus profond de nous, ça ne se passe pas aussi simplement que ça: il y a quand même une plasticité de la vie psychique et puis on évolue ! Freud avait bien distingué la bisexualité comme comportement (j'ai des expériences aussi bien avec des hommes que des femmes) de la bisexualité psychique qui serait le fondement intérieur, inconscient, de tout être humain: tout ce dont je rêve mais ne réalise pas forcément. Il y a ensuite une fluidité de la vie sexuelle avec toutes ses évolutions, régressions, fixations.


En fait, je crois que ce que je n'aime pas du tout, c'est le désir enfermé dans les dimensions aujourd'hui obligatoires de l'amour et du choix d'objet. C'est le triomphe du modèle du couple (hétéro ou homo), censé procurer plénitude et accomplissement. 

On vit maintenant dans un véritable terrorisme vis-à-vis de l'autre. On a des exigences terribles vis-à-vis de lui. Il faudrait qu'il nous aime absolument, sans failles et avec une honnêteté totale. C'est sans doute l'achèvement de la modernité et de l'égalité entre les sexes mais j'avoue que les couples "heureux" me font peur. Sous leur félicité, se cache souvent une impitoyable férocité.

Quelquefois, je me dis que certaines de mes compatriotes ukrainiennes sont pleines de sagesse: pourquoi exiger du type avec qui l'on est qu'il nous aime ? C'est ridicule et presque prétentieux. L'essentiel, c'est qu'il nous permette de survivre économiquement et qu'il nous foute, à peu près, la paix.


Moi, c'est sûr, dans les relations de couple, je ne me sens vraiment pas à la hauteur: trop peu fiable, trop changeante, trop lunatique, je ne peux que décevoir. Et ce qui est vrai, c'est que je suis, surtout, une incorrigible séductrice.


Et la séduction, ça ne colle pas trop avec les exigences du couple moderne. Séduire, ce n'est pas seulement chercher à conquérir un individu, c'est surtout m'engager, moi-même, dans une expérience de déstabilisation propre.


Pour séduire en effet, il faut être prêt à tout. Il faut de l'audace, il faut sortir de soi-même. Séduire, c'est d'abord me remettre en cause moi-même, c'est m'ouvrir au bouleversement. Peu m'importe à vrai dire mon partenaire d'occasion, homme ou femme, beau ou laid. C'est l'aventure dans la quelle m'entraîne une rencontre qui m'intéresse. 


Séduire, c'est être curieux. C'est accepter de perdre provisoirement mon identité, accepter éventuellement ma chute, mon humiliation à défaut de ma victoire. C'est pour çà que j'affectionne tous ces trucs compliqués qu'adorent, paraît-il, beaucoup de nanas: la bisexualité, le mysticisme, le sacré, le péché, le sacrifice, le masochisme. 

Le plaisir de s'éveiller pleine de honte, un matin blême ! C'est ça qui est excitant !



Tableaux de Stefan ZECHOWSKI (1912-1984), peintre polonais.

Il est à peu près tombé dans l'oubli aujourd'hui mais ce qui est intéressant c'est qu'il était, paraît-il, très célèbre en Pologne dans les années 50/60. Son oeuvre était alors en contraste immense avec la rigueur et l'austérité des temps staliniens.

samedi 14 juin 2014

Petites lectures


A lire en vacances :

Pascale HUGUES : "La robe de Hannah - Berlin 1904-2014". Un livre qui enchantera tous les amoureux de l'Allemagne et de Berlin, mais pas seulement. C'est l'histoire d'une rue banale de Berlin ("ma rue" où s'est installée récemment l'Alsacienne Pascale Hugues); l'histoire, surtout, de ses habitants au cours de tout un siècle. Une chronique des gens ordinaires, des misérables et des héros. La vie humaine dans toute sa complexité où la crapule côtoie sans cesse l'idéaliste.


Patrick ROEGIERS : "La traversée des plaisirs". C'est effectivement un plaisir fou que l'on éprouve à lire ce livre, tellement c'est brillant et plein d'anecdotes merveilleuses. Qui peut penser que la littérature est quelque chose d'ennuyeux après avoir lu ce bouquin tellement aérien, écrit par un Belge (ce n'est sans doute pas un hasard) ?


Francis ANCIBURE &Marivi GALAN-ANCIBURE : "La méchanceté ordinaire". Un remarquable bouquin, très freudien, qui tranche complètement avec l'angélisme ambiant qui voudrait qu'on ait tous le coeur pur. Ce qui est terrible, c'est que la vraie méchanceté "s'exprime avec amabilité au nom du bien de l'autre".On refoule sans cesse le mal en nous, c'est comme ça qu'on se constitue. Mais il faut aussi savoir accepter sa part d'ombre et ce n'est pas évident.


















Elena TCHIJOVA : "Le temps des femmes". La Russie totalitaire des années 60, dans la ville de Leningrad. Un livre qui relate le quotidien de femmes russes à cette époque, fait de misère mais aussi de merveilleux. C'est le meilleur livre russe (avec "les Eltychev") que j'ai lu au cours de ces derniers mois.


Abnousse SHALMANI : "Khomeiny, Sade et moi". Téhéran - Paris, le parcours extraordinaire d'une jeune fille née en Iran en 1977, exilée en 1985. Le choc que fut pour elle la découverte de la littérature française, notamment Sade mais aussi Hugo, Colette. Un livre percutant, très beau, très bien écrit, qui est une leçon de liberté, un refus violent de tous les embrigadements.


Bill BRYSON : "Une histoire du monde sans sortir de chez soi". Bill BRYSON est surtout connu pour ses récits de voyage hilarants, d'un humour très british (même s'il est américain). Mais il s'intéresse aussi à plein de choses : l'histoire, la littérature, les sciences. Il a écrit ce dernier livre à l'occasion de son récent emménagement dans un presbytère anglais. Il nous fait découvrir l'histoire de l'architecture, des techniques, des moeurs etc...C'est très singulier, passionnant et...drôle.


Annie ERNAUX: "Regarde les lumières mon amour". Un essai de sociologie urbaine : la description de l'hypermarché Auchan à Cergy-Pontoise. Personnellement, c'est le genre d'endroit que je déteste. Il est, d'ailleurs, de bon ton de mépriser, quand on est un peu bobo, les centres commerciaux. Avec ce petit bouquin, j'ai compris que c'étaient aussi les nouveaux lieux de la modernité: des lieux de rencontre, de vie, d'échanges, de sensations.



Vladimir FEDOROVSKI : "Poutine - L'itinéraire secret". Une biographie de Poutine, c'est évidemment difficile parce le bonhomme n'a à peu près aucun intérêt. L'énigme, c'est qu'il ait pu devenir le président et l'autocrate de la Russie. Un type médiocre qui incarne ce que la plupart des Russes ont de détestable: la soumission à la hiérarchie, la peur de l'autorité, l'esprit collectif et moutonnier. Surtout, il y a, chez Poutine, le poids très lourd de la formation KGB. Il a été éduqué à la pratique du mensonge et de la dissimulation. C'est pour ça qu'on ne peut absolument pas dialoguer avec lui. Il vous racontera toujours (avec l'appui de son crétin de ministre des affaires étrangères, Lavrov, pour lequel j'ai une profonde antipathie) qu'un chat noir est blanc et vous serez suffisamment servile pour en être d'accord.

A titre d'antidote, je vous conseille de lire le "Journal de Maïdan" d'Andreï Kourkov que j'ai déjà évoqué.

















Pierre BORGHI: "131 nuits otage des Talibans - Kabul Rock Radio". Je ne sais pas pourquoi mais je lis la plupart des récits des gens qui ont été otages. Pas seulement parce que c'est terrifiant mais parce que je me pose sans cesse cette question de savoir comment je réagirais si ça m'arrivait. Je ne serais peut-être pas très héroïque et je craquerais complètement. Pierre Borghi, on n'en a presque pas parlé. C'est un Français anonyme qui était parti chercher travail et raison de vivre en Afghanistan. Son livre est terrible : il a vécu près de 4 mois dans un minuscule trou en terre, dans la nuit et le froid, avant de parvenir à s'échapper. Mais c'est la personnalité de Pierre Borghi qui fait l'intérêt de son livre: étonnante et très attachante.


Thomas PIKETTY: "Le Capital au XXI ème siècle". Normalement, je ne parle que des livres que j'ai aimés. J'évoque cependant, aujourd'hui, Piketty en raison de l'extraordinaire engouement suscité par son livre, en France et aux Etats-Unis. Et puis, l'économie, la finance, c'est davantage dans mes cordes, bien plus que la littérature que j'ose pourtant évoquer. On dit que c'est l'un des livres d'économie les plus importants de ces dernières décennies et l'on évoque déjà une prochaine attribution du Prix Nobel. Ouh la, la ! Je crois surtout que le succès de ce bouquin illustre surtout l'effrayante inculture économique générale. En tous cas, il conforte toutes les idées reçues et les thèses populistes. Ce n'est pas que le bouquin soit mauvais. Il y a plein d'analyses de l'histoire économique qui sont intéressantes même si les données produites visent à démontrer, à tout prix, que les inégalités n'ont cessé d'augmenter. On peut débattre de ça à l'infini. Le vrai problème, c'est que l'angle d'analyse de ce bouquin est complètement à côté. Il prend même carrément les choses à l'envers. Le capital n'y est envisagé que comme un problème de répartition, redistribution, taxation. Pourtant, ce qui est essentiel, c'est la formation, création du capital. Marx lui-même, dont se réclame abusivement Piketty, avait bien compris ça. C'est ça qui fait la richesse d'un pays. Et de capital, on en manque de plus en plus aujourd'hui. On vit dans des pays capitalistes sans capital, croulant sous les dettes. Le problème de l'Europe, ce n'est pas de taxer le capital, c'est d'en avoir davantage et c'est comme ça, notamment, qu'on parviendra à réduire les inégalités. Du reste, Piketty n'est pas si révolutionnaire que ça! Il a de fervents disciples, notamment avec Mélenchon et ...François Hollande.


Tableaux de Paul-Elie RANSON (1861-1909). Il a évidemment été influencé par Paul Gauguin mais, surtout, il est l'un des fondateurs du mouvement des Nabis aux côtés de Sérusier, Bonnard et Maurice Denis. J'ai l'impression qu'on l'a complètement oublié alors que ce n'est tout de même pas mal.

samedi 7 juin 2014

Déconnexion



















Je suis, à peu près, moderne : chez moi, j'ai trois ordinateurs et deux tablettes (une Androïd et une Windows sous 3 G). Et je ne parle pas du Blackberry et autres joujoux. Si j'en ai autant, c'est par sécurité, pour pallier les défaillances de l'un ou l'autre. Et puis, c'est d'abord pour galoper après ma petite centaine de mails quotidiens.

Les mails, on s'en plaint tous au boulot, tellement on en est submergés. Mais on y peut aussi y trouver, je crois, un certain confort. Il faut avoir compris que ce qui est maintenant requis, dans les entreprises, c'est d'être "proactifs", comme on dit. Celui qui réfléchit, qui néglige le quotidien, qui passe son temps à fignoler des dossiers de fond, il est, aujourd'hui, complètement "out". L'important, c'est de répondre à tous ses mails, le plus vite possible : dans la journée, sans rien zapper. C'est, maintenant, comme ça qu'on passe pour dynamique et performant. 


C'est la nouvelle règle du jeu. Evidemment, c'est un peu stressant, au début, parce qu'il y a toujours une espèce de petite compétition : c'est à qui balancera un mail professionnel à l'heure et à la date les plus incongrues; j'en ai reçu, comme ça, le 25 décembre à minuit. Mais bof ! C'est des enfantillages. Une fois qu'on s'est adaptés, qu'on a produit son petit tombereau quotidien de mails, on est étrangement apaisés : on a, à bon compte, l'impression d'avoir bien travaillé dans sa journée même si on n'a fait que répondre mille choses insignifiantes à mille questions insignifiantes.


Moi, la course aux mails, je suis devenue assez forte pour ça. Je suis une "kalashnikoff", si je puis dire. Je n'adhère, bien sûr, pas à ça mais j'ai compris que c'était la condition de ma survie économique : on nous demande maintenant de nous insérer dans des "flux", un immense réseau collectif, un enchevêtrement infini de messages qui compose ce que l'on appelle la "rumeur du monde".


Pour survivre, il faut accepter de se laisser happer par le grand "STREAM" au sein duquel se croisent désormais tous les humains.


Parce que nous-mêmes, au fond, on n'est plus que des flux et on s'y prête bien volontiers en se noyant, par exemple, avec délices, dans les réseaux sociaux.


Ce qui est étonnant, c'est notre faible résistance à cette déshumanisation complète. Mais la force des réseaux sociaux, c'est qu'ils semblent offrir la possibilité de s'acheter une identité valorisante.


Moi, c'est justement là que je résiste et je suis, personnellement, totalement absente du jeu contraint des réseaux sociaux (hormis le blog, bien sûr, mais l'esprit en est totalement différent). Vous ne me trouverez ni sur Facebook, ni sur Twitter, ni sur Viadeo, ni sur LinkedIn, ce qui peut apparaître bizarre compte tenu de mon boulot. On y passe son temps, j'ai l'impression, à produire des ersatz de soi-même sous les abords les plus valorisants. C'est le support privilégié du nouveau narcissisme: il n'y a que des gens extraordinaires avec des vies formidables sur les réseaux sociaux. Ca me déprime parce que, par rapport à ça, moi, je ne me sens, évidemment, pas à niveau: plutôt nulle et dépourvue de toutes ces qualités humanistes et compassionnelles aujourd'hui si valorisées.


Ca montre surtout avec quelle facilité, docilité, on se plie aux injonctions de la société marchande. On veut tous être absolument conformes, lisses, brillants, dynamiques, sains avec des idées saines. On veut tous croire qu'on communique, qu'on échange, dans les réseaux sociaux, alors qu'on se ment les uns aux autres en exhibant des identités vertueuses. On passe son temps à produire des images idéalisées de soi-même que personne n'a le temps ni l'envie de consulter.

On veut tous vivre dans l'illusion du lien, de la communication. Mais "l'altérité s'est bel et bien dissoute dans le vortex numérique". Le monde n'est plus qu'une juxtaposition de solitudes et "un état de guerre permanent".

C'est sans doute pour ça qu'on a souvent la tentation de décrocher complètement, de se déconnecter.



Tableaux du peintre argentin contemporain : Hugo Urlacher (né en 1958).

La rédaction de ce post m'a été inspirée par le film : "Bird People" de Pascale Ferran, que je recommande absolument.