samedi 24 avril 2010

La beauté du mal


Michel Onfray vient de publier un gros livre inconscient contre Freud. C’est plein de bêtises et de haine mais ça se vendra sûrement très bien.

Pourquoi pas ? Je n’aime pas exprimer des opinions négatives et ça ne sert d’ailleurs à rien. Simplement, Michel Onfray incarne bien la vulgarité contemporaine, le goût des simplifications outrancières (Kant précurseur d’Eichmann), l’athéisme primaire, l’impératif de jouissance sous la forme d’un « hédonisme solaire ( ?) ».


Michel Onfray déteste et range dans le placard des vieilleries tout ce qui me semble intéressant : le mal, la culpabilité, la mort, l’interdit.

Il y a chez lui, et c’est en cela qu’il est « moderne », le refus de considérer l’essentielle duplicité humaine, la belle façade continuellement rongée par le mal et la pulsion de mort.

On voudrait que les hommes vivent en complète innocence et soient d’un seul tenant, de nature simple. Qu’ils ne soient préoccupés que de leur bonheur, de leur satisfaction et ne soient surtout pas attirés par ce qui est contraire à leurs intérêts, leur conservation. Qu’ils échappent au vertige de la perte !!! « Université populaire » pour philosophie d’épicier.



En ce qui me concerne, Freud est évidemment le penseur que j’admire le plus. Je me suis rendue à plusieurs reprises à Vienne, à Londres et à Pribor presque uniquement pour voir les lieux où il avait vécu. Ce qui m’a fait plaisir, ça a été de découvrir qu’il avait conservé des rudiments et une compréhension de la langue tchèque mais c’est un aspect qui n’a jusqu’alors jamais été étudié.

Freud est en effet le penseur le plus en adéquation avec la culture slave et ce n’est pas un hasard si Dostoïevsky constitue une référence continuelle de son œuvre.



Le bien, l’altruisme, la conservation, on ne sait pas vraiment si ce sont des préoccupations de l’espèce humaine. On ne pardonne sans doute pas à Freud d’avoir mis tout cela en doute.

L’attirance pour le mal et pour le crime associée au sentiment de culpabilité, voilà ce qui signe en fait la condition humaine.



Julya BEKHOVA ЮЛЯ БЕХОВА
Natalia Makovetezkaya Маковецкая
Nina RYZHIKOVA НИНА РЫЖИКОВА


Ces trois artistes représentent la jeune peinture russe

dimanche 18 avril 2010

L’ombre des jeunes filles

Quand on vient de franchir le Bug (Западный Буг, Західний Буг), la rivière qui marque la frontière entre la Pologne, la Biélorussie et l’Ukraine, on a tout de suite la pleine confirmation de ce que l’on pressentait déjà à Varsovie : le monde slave est bien celui de l’exacerbation de la féminité.


Là-bas, les femmes n’ont pas peur de s’exhiber, d’être séduisantes, élégantes, voire sexy et provocatrices. De plus, pas de problème pour se promener avec mini-jupe affolante et high heels, personne ne vous sifflera, ne vous harcèlera.



Je trouve ça une liberté extraordinaire par rapport à la France où, dans la rue, les gardiens de la décence et de la vertu sont innombrables. Les moins méchants objectent qu’on n’a pas de goût et qu’on est vulgaires mais ça me fait bien rigoler et ça n’est pour moi que le masque du puritanisme. Ce qui est vrai, c’est que beaucoup de françaises portent aujourd’hui une burqua, sans le savoir ; celle-ci est constituée par le jean et les baskets obligatoires.

Cependant, tout n’est pas non plus idéal pour les femmes dans les pays slaves. D’abord, ce qui m’étonne toujours quand je viens de Pologne, où il y a une complète égalité des sexes, c’est de constater qu’en Ukraine, la séparation des sexes est très forte. C’est également vrai en Russie, avec des nuances selon les milieux sociaux. On ne se mélange pas. Ainsi, dans la rue, on est d’abord surpris de croiser des groupes, très nombreux, de jeunes filles qui sortent ensemble, pour s’amuser ou simplement échanger. C’est très gai, c’est sympathique, ça me rappelle furieusement le Japon ou l’Iran, mais, personnellement, je déteste ça.



Pareillement, à table, au restaurant ou dans les réunions entre amis, il y a une même séparation : le coin des femmes et les conversations entre hommes. En Ukraine et en Russie, l’homme et la femme apparaissent deux continents isolés, ce qui n’est pas du tout le cas en Pologne et explique peut-être beaucoup de différences culturelles et d’inimitiés.



La séparation des sexes a du moins quelques avantages. Ca permet de ne pas idéaliser l’autre, d’en attendre plus qu’il ne peut donner. Ca évite de se perdre, comme les françaises, dans les rêveries d’un amour-fusion. Ca rend pragmatique. C’est peut-être aussi une force. D’où notre réputation de ne pas avoir froid aux yeux.




Photos de Carmilla Le Golem à Cracovie (Kraków) et à Lvov (Львов, Львів, Lwów)

samedi 10 avril 2010

Du masochisme


Alors oui ! Cette année, j’ai enfin repéré les lieux qu’avait fréquentés Sacher Masoch à Lvov (Львов, Львів, Lwów) : l’immeuble où il vivait, les salons d’un hôtel (où il aurait écrit « la Vénus à la fourrure »), des cafés brillants à proximité de l’Opéra. Tout cela revit aujourd’hui et n’est peut-être pas si différent de l’ambiance de la fin du 19ème siècle. Et puis à proximité de Lvov, des villes d’eaux au pied des montagnes, les Carpates urkrainiennes aussi appelées la Ruthénie subcarpathique.


Masoch était l’un des écrivains célèbres de Lvov. Il écrivait bien sûr en allemand mais il maîtrisait aussi parfaitement la langue ukrainienne. Il portait en lui l’affrontement de la culture autoritaire et paternaliste autrichienne et du monde slave, maternel et plus permissif.



Evidemment, le masochisme c’est incompréhensible et presque inconcevable. Comment peut-on prendre plaisir à souffrir et à avoir mal ?


C’est pourtant une clé de compréhension du désir humain et de la perversion. Toujours le roc incontournable d’une loi et d’une autorité qui constituent soit un appel à la transgression pour le sadique soit un support de manipulation pour le pervers.



Freud a donné une interprétation étonnante du masochisme dans un texte célèbre : «On bat un enfant ». Le masochisme, ce serait de l’homosexualité refoulée. Dans la punition, ce serait toujours l’autorité paternelle qui s’exprimerait. Comme on n’ose désirer directement le père, on le désire indirectement à travers la mère fouetteuse, substitut du père.



Quelle drôle d’idée, sans doute façonnée par l’esprit sado-paternaliste de son temps !!!


Gilles Deleuze, dans sa remarquable préface à « la Vénus à la fourrure », a heureusement donné une interprétation autrement plus convaincante. Il redonne à la mère son rôle premier. Elle n’est pas une simple doublure du père. C’est elle que l’on désire et redoute avant même le père. Le masochisme, ce serait donc l’accomplissement de notre désir le plus primitif, l’inceste avec la mère, mais sans en supporter la culpabilité.


Le plaisir et le crime sans la culpabilité, c’est cela qui est fascinant ! Criminel en toute innocence : un idéal probablement inatteignable mais qui est le ressort du jeu pervers.

Le masochisme serait-il aussi une passion slave ? On le dit souvent. Difficile d’avoir une opinion tranchée mais c’est sûr que les femmes slaves sont plus souvent dominatrices face à des hommes insignifiants.


A voir ! En tous cas, Masoch sort maintenant de l’ombre en Galicie. On vient même d’ouvrir, à Lvov, un café Masoch. C’est un endroit fascinant, ni glauque ni vulgaire, très sympathique même, fréquenté par des lolitas vertigineuses aux tenues affolantes. J'y ai évidemment passé plusieurs après-midi avec des copines. Un lieu proprement renversant, d'exhibition et de séduction féminine à mille lieues de la retenue française.



Ce qui enfin est étonnant, c’est que l’on rencontre, quelques années après la mort de Masoch (1895), dans la même ville de Lvov, le plus magnifique illustrateur de la passion masochiste : Bruno Schulz, immense écrivain et dessinateur. Son influence, non reconnue, sur des artistes comme Klossowski et Balthus, est évidente. Peu importe ! Avec Schulz, je trouve la confirmation que la femme exerce bien, là-bas tout là-bas, un fantastique pouvoir de fascination. C’est ce qui explique que je m’y sente tellement bien, moi Carmilla la vampire.




Dessins de Bruno SCHULZ, photos de Carmilla le Golem

dimanche 4 avril 2010

Contre la barbarie mondialisée, la culture

Evidemment, s’il vous prenait la fantaisie de suivre mes pas et de partir, comme moi, très loin vers l’Est, peut-être me maudiriez-vous ensuite jusqu’à la fin de vos jours. Probablement même, dans ces villes où je ne vois que motifs d’émerveillement, vous ne verriez qu’ensembles lugubres. Même Cracovie ne vous inspirerait peut-être que tristesse alors que j’y trouve mille lieux de culture et de raffinement. Quant à Lvov, Odessa, Kiev…


C’est vrai que l’Est, ça ne correspond pas à ce qu’on attend d’un pays touristique : des couleurs éclatantes, du soleil, une gaité et un farniente obligatoires, des divertissements organisés pour oublier qu’on s’ennuie à mourir.



Chacun ses goûts, c’est vrai ! Mais moi, j’en ai vraiment par-dessus la tête des visions continuellement ressassées en France : les gens de l’Est seraient pauvres et malheureux.
Il faudrait peut-être arriver à corriger certains clichés. De mon récent séjour à l’Est, j’ai ainsi retenu quelques impressions :


- J’ai passé tout un après-midi à l’école Polytechnique de Lvov. Un vaste campus arboré, des locaux magnifiques, des jeune gens splendides, bien habillés, courtois, visiblement épanouis et désireux de réussir. Bref, un contraste inquiétant avec les sordides universités et lycées français.


- Ensuite, j’ai consacré une grande partie de mon séjour à fréquenter des cafés, des pâtisseries, des restaurants incroyablement raffinés. A chaque fois, une véritable galerie d’art renouant avec l’esprit viennois où les artistes exposaient dans les cafés leurs œuvres. Cela dans une ambiance festive émouvante, le plus souvent avec un accompagnement musical de qualité. Je vous surprendrais sûrement en vous disant que la ville où les cafés sont les plus beaux en Europe, c’est indiscutablement Cracovie mais mon Lvov n’est pas mal non plus. Cela témoigne du niveau et du raffinement d’une culture. Rien à voir en tous cas avec la quasi totalité des établissements miteux parisiens avec plastique et formica.



- Et puis, il y a l’extraordinaire vitalité culturelle. Partout des librairies, des théâtres, des opéras aux quels chacun peut avoir accès grâce à des prix très bas. Le goût du spectacle, de la poésie, de la musique…Si les slaves se détestent tous plus ou moins les uns les autres, ce qui est évidemment consternant, ils ont néanmoins un point commun, l’amour de la culture. Cela se perçoit à tous les niveaux. Là bas, on sait très bien ce qu’est l’identité culturelle : ce sont les grands auteurs, les grands musiciens, les grands artistes que même les gens les plus modestes s’estimeraient déshonorés de ne pas connaître. Il n’est pas concevable qu’un Russe, même sans éducation, n’ait pas lu Tolstoï, Dostoïevsky, Pouchkine, ou qu’un Polonais ne soit capable de réciter des passages entiers de Mickiewicz ou Szymborska.



Le monde slave arrivera peut-être donc à résister à la barbarie et à la vulgarité occidentales, au « mainstream », au kitsch, à cette effroyable entreprise d’uniformisation du monde.



Edward Okuń , Stanisław Wyspiański, photos de Carmilla Le Golem en particulier de l’opéra de Lvov (Lviv) étrange copie du palais Garnier.