samedi 28 janvier 2017

"Voyages, voyages"


Ce qui m'aide à supporter la pression de ma vie professionnelle, c'est la perspective, plus ou moins proche, d'un voyage. Un temps d'évasion, d'abolition des contraintes, des interdits.


Pourquoi voyage-t-on ? Probablement pas pour se changer, simplement, les idées.

C'est un peu, bien sûr, pour découvrir autre chose, s'ouvrir à l'autre; mais c'est surtout, je pense, pour se découvrir soi-même.


Un voyage, c'est bien différent de vacances. Les vacances, c'est un retour narcissique sur soi-même, une succession de petits plaisirs auto-érotiques: le soleil, la plage, la bouffe, l'alcool, la fête. Les vacances, je m'ennuie très vite, j'ai l'impression de tourner en rond sur moi-même et, finalement, je deviens folle.

Voyager, au contraire, c'est se mettre à nu, se mettre en danger et c'est mourir un peu, abandonner celui/celle que l'on était. C'est, peut-être, un peu grandiloquent de dire ça mais ça explique que certaines personnes détestent voyager.


Voyager, c'est vivre dans la suspension des règles, notamment morales, de notre société. C'est se sentir, tout à coup, porté par une immense liberté.Voyager, c'est effacer son passé et se dépouiller de son identité. 


C'est ça que j'aime dans le voyage: se sentir libre, désinhibé(e). Quand on voyage, on peut changer de peau! Devenir, même, imposteur !


Quand on voyage, on peut, d'abord, trouver le plaisir de disparaître du monde Internet, Facebook, Twitter. On peut, surtout, s'inventer une nouvelle identité. Qui suis-je, c'est mon interrogation personnelle, quotidienne, permanente! 

Quand je voyage, cette question, c'est effacé; je peux  bricoler ce que je veux : riche, je peux me prétendre pauvre et inversement ! Je peux me faire passer pour n'importe qui: Française (c'est le plus cool), Russe (c'est sexy), Polonaise (c'est catho-bigo), Ukrainienne (c'est prostituée et c'est pourtant de cette nationalité que je me sens la plus proche). Mais tout ça n'a aucune importance !.

Voyager, c'est se transfigurer !














Quand je voyage, je refais ma vie ! Tout devient possible, même si c'est un rêve ! Quand je voyage, je me trouve, évidemment, tout de suite, un ou deux  amants. Ça m'apprend plein de choses sur le pays et c'est plus léger, moins engageant.


Tableaux de Paul Delvaux (1887-1994). Il tombe, peu à peu, dans l'oubli. Je ne sais pas s'il est un grand peintre mais j'aime bien les liens, très profonds, qu'il établit entre les trains, l'érotisme, la mort. Moi-même, j'adore les gares, les trains... L'un de mes lieux cultes: la Gare du Nord à Paris.

Sur la question du voyage, je recommande, bien sûr, les livres de Jean-Didier Urbain et surtout: "Secrets de voyage". Le voyage comme fuite ... Les grands voyageurs sont, aussi, des gens torturés. On veut échapper à quelque chose, l'enfer de sa vie quotidienne ou sa vie sexuelle trop normalisée.

"Voyages, voyages", c'est, évidemment, une chanson de "Desireless" qui m'a trotté dans la tête à une époque où je venais d'arriver en France et où j'étais paumée. Je crois que "Desireless" a complètement disparu de la circulation.

samedi 21 janvier 2017

Sodome et Gomorrhe


J'ai relu un peu de Proust ces dernières semaines.

Sur la sexualité humaine, à peu près rien n'a été écrit de plus scandaleux. Le complément timide, raffiné, de Sade. Mais avec Proust, il ne suffit pas de baiser pour être transgressif. "La Recherche", est-ce que ça pourrait être lu, compris, aujourd'hui ?

D'abord presque tout le monde est inverti (ça, aujourd'hui, c'est dans la norme) mais, surtout, l'homosexualité n'est pas dépeinte sous des abords heureux, ceux d'une pleine félicité ou d'un choix indifférent.




Proust parle même d'une malédiction, d'une "race maudite". De quoi faire hurler les mouvements LGBT et tous les "cools" qui aiment "s'éclater" "sans se prendre la tête", tous les adeptes de l'effacement des différences, du "on est tous pareils".

La sexualité n'est pas un choix, elle est un destin, elle a, toujours, une dimension un peu tragique. La sexualité, l'homosexualité, sont criminelles.

Et peut-on être vraiment bi, à la fois hétérosexuel et homosexuel ? Probablement pas !


Des propos pareils, aujourd'hui c'est intolérable.

Cela c'est Sodome. Et Proust inscrit à l'un des frontispices de "La Recherche": "La femme aura Gomorrhe et l'homme aura Sodome".

Mais que savait Proust et que sait-on de Gomorrhe, du plaisir féminin, du continent noir freudien ?


On a tendance à penser que Gomorrhe, c'est l'exact inverse de Sodome et que parmi les femmes, il y aurait d'un côté, les lesbiennes, hommasses, des garçons déguisé en filles ou des filles qui se rêvent en garçons, et de l'autre les femmes normales, straight, bonnes amantes, convenables en tous points.

C'est plus compliqué que ça. Il y a semble-t-il une différence essentielle. La plupart des femmes s'intéressent aux autres femmes ce qui n'est pas le cas, je crois, des hommes hétérosexuels.


Un homme est incapable d'avoir un jugement sur la beauté d'un autre homme et y est même totalement indifférent. Alain Delon ne fait bander aucun homme hétérosexuel.

Toute femme, en revanche, perçoit immédiatement la beauté d'une autre femme, y est sensible et l'évalue immédiatement. Un strip-tease féminin, ça n'est pas totalement déplaisant mais je ne suis pas sûre qu'un strip-tease masculin plaise à beaucoup d'hommes. On a moins de tabous concernant le corps.

Les femmes aiment s'observer, s'épier; elles sont à l'affût de l'autre, elles vivent dans la rivalité mimétique, elles se jalousent, se provoquent sans cesse.


Si on se fait belles, si on consacre un temps infini à son apparence, c'est bien sûr pour séduire les hommes mais c'est, aussi et surtout, pour défier les autres femmes. Et d'ailleurs on sait bien que seules les femmes peuvent apprécier notre élégance. Si un homme me dit que j'ai une belle robe, je m'en fiche à peu près parce que, de toute manière, il n'y connaît rien. Mais si une copine me dit que je suis habillée comme une plouc ou une pauvresse, alors là ! il me faut deux jours pour m'en remettre.

L'important, ce n'est pas d'être belle, c'est d'être la plus belle et jusqu'où est-on capables d'aller pour ça ?


C'est pour ça qu'on veut tout connaître de l'autre, qu'on traque chacun de ses petits secrets. De ma copine Daria, je connais l'intégralité de sa garde-robe, de ses trucs de beauté. On aime se caresser, s'embrasser, dormir ensemble sans aller jusqu'à la relation physique, ça n'a pas d'importance. On se hait et on s'adore.

Notre manière de nous aimer: partager nos amants. Mes rêves: coucher avec les maris de mes copines; c'est, aussi, une autre manière de les aimer.

Tout ça pour dire que le saphisme, c'est très sensuel, très vaste, très compliqué. Et que l'amour féminin, c'est une réalité profonde mais ça dépasse, largement, la dimension physique.On peut se haïr, s'aimer, sans baiser mais ça n'en est pas moins profond.

Tableaux de Christian SCHAD (1894-1982), Gerhard RICHTER (1962), Pierre MOLINIER (1900-1976), Kees Van DONGEN (1877-1968), Tamara LEMPICKA (1898-1980)..

dimanche 15 janvier 2017

Au pied des Tatras


J'ai traversé, en coup de vent, la Pologne la semaine dernière. Plus précisément Cracovie et ses environs.


Curieusement, dès mon arrivée, un grand coup de froid, un grand coup de neige, tout à fait imprévus, se sont abattus sur le pays. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que c'était à mon intention.


Quel plaisir ! Un peu de neige et de froid : - 15 ° dans la journée et - 25 ° dans la nuit. Surtout des gens transfigurés, souriants, heureux ! On accueille la neige et le froid comme des périodes magiques de grâce et de beauté. Rien à voir avec la France !


Evidemment, il faut s'habiller comme des cosmonautes. Les jupes, les "high heels", il faut, vraiment être courageuses. Moi-même, j'y ai renoncé. Tant pis ! Mais ça permet aussi de se déguiser, plus personne ne vous reconnaît et ça, c'est formidable. On peut se combiner une nouvelle vie.


Sinon, la Pologne, c'est un pays assez étonnant, bizarre. 



Vous reconnaissez bien-sûr, ci-dessus, la magnifique calèche de Carmilla et mes pauvres canassons qui m'attendent désespérément dans le froid et la neige.


Ne pas oublier, d'abord, que c'est devenu un "tigre économique" (c'est pour ça que des centaines de milliers d'Ukrainiens y travaillent et qu'il n'y a plus de chômage en Pologne). Et puis le pays est aujourd'hui politiquement très divisé: entre les républicains, laïcs, les milieux urbains et les partisans (la campagne, l'Est, les gens défavorisés) du parti au pouvoir, le PIS. 


On assimile aujourd'hui, en Europe de l'Ouest, le régime polonais à celui de la Hongrie de Viktor Orban. C'est à nuancer très largement parce que le PIS n'est pas vraiment un parti de droite, extrême-droite. C'est d'abord un parti d'obédience religieuse avec plein d'idéaux sociaux. Le PIS conduit ainsi une politique "généreuse" (retraite, allocations aux mères etc..) que ne désavoueraient pas les militants de gauche français . En bref, ce sont les curés qui sont aujourd'hui au pouvoir en Pologne, ce qui est un peu différent. C'est évidemment exaspérant, on vous fait sans cesse la morale, on prône la vertu mais ce n'est malgré tout pas une dictature (il y a, en particulier, une presse très vaste et très riche en Pologne).


Ce n'est bien sûr pas très drôle mais c'est sûrement provisoire. Je suis, en tous cas personnellement fascinée par le personnage qui détient réellement le pouvoir en Pologne: Jaroslaw Kaczynski, frère jumeau de Lech, ancien Président, décédé, en 2010, dans un accident d'avion à Smolensk. Jaroslaw Kaczynski est dingue mais c'est un ascète absolu, totalement indifférent à la vie matérielle. Il vit seul, très modestement. Sa seule passion: les chats. Le chat de Jaroslaw Kaczynski (notamment Alik aujourd'hui décédé) est, ainsi, un personnage éminent de la République Polonaise et fait l'objet de nombreux articles dans la presse.
















Photos de Carmilla Le Golem à Cracovie et ses environs.

Si vous réfléchissez déjà à vos proches vacances d'été, sachez qu'à compter de la mi-février, tous les Européens pourront se rendre, sans visa, en Biélorussie. 2 conditions toutefois: la durée ne pourra excéder 5 jours et il faudra venir à Minsk par avion. C'est quand même un grand progrès et je conseille absolument le voyage. La Biélorussie, c'est l'un des pays les plus mystérieux d'Europe !

samedi 7 janvier 2017

Lectures pour des temps nouveaux


Je reviens, aujourd'hui, d'un petit voyage (relation à venir), alors je suis fainéante! Je me contente, donc, de vous recenser les bouquins que j'ai aimés ces derniers mois:

Christoph HEIN:  "Le noyau blanc". L'un des grands écrivains allemands contemporains. A vécu en RDA. J'ai adoré ! L'incompréhension et la difficulté à s'adapter à une nouvelle société beaucoup plus compliquée et contraignante qu'on ne l'imaginait, où rien ne peut s'arranger, où tout est encadré par les règles bureaucratiques et l'esprit juridique. Je recommande également, vivement, son précédent bouquin: "Paula T. une femme allemande".


Négar DJAVADI: "Désorientale". Une révélation. Un premier roman, drôle et bouleversant, la saga d'une famille iranienne qui traverse une histoire particulièrement mouvementée. Une réflexion, aussi, sur l'appartenance à deux cultures (iranienne et française). Un livre qui est également musical (je recommande sa bande-son que vous pouvez trouver sur Internet) et cinématographique (c'est la profession de Négar Djavadi).


Andreï IVANOV: "Le voyage de Hanumân". Le récit de l'exil de deux paumés au Danemark et leur vie quotidienne dans un camp de réfugiés. Le sort tragique des immigrants, exilés, réfugiés. C'est aussi une description au vitriol du Danemark, pays censé être celui du bonheur. Qu'est-ce que c'est le bonheur aujourd'hui ? C'est réchauffant, lénifiant, mais c'est aussi écœurant, terrifiant. Andreï Ivanov est né en Estonie mais a choisi d'être apatride et écrit en russe. Un livre féroce, d'une grande actualité.


Benedetta CRAVERI: "Les derniers libertins". Liberté, aristocratie, raison, nouveauté! S'il est un siècle fascinant, c'est bien le 18ème en France où la liberté des mœurs et l'audace de pensée n'ont, sans doute, jamais été aussi grandes. Beaucoup de livres autrefois publiés au 18 ème siècle, pas seulement le Marquis de Sade, seraient aujourd'hui censurés, interdits. Ça interroge sur notre supposée liberté des moeurs actuelle. Un livre merveilleux, très documenté, très érudit, par une Italienne. Le destin de 7 grands libertins (le duc de Lauzun, le vicomte de Ségur, le vicomte de Brissac, le comte de Narbonne, le chevalier de Boufflers, le comte de Vaudreuil, le comte de Ségur) enfants des Lumières et précurseurs de la révolution même s'ils en ont été les victimes;


Kjell WESTO: "Un mirage finlandais". Depuis quelque temps, je m'intéresse à la Finlande. Curieusement, c'est un pays dont presque tout le monde se fiche complètement. On croit que c'est un pays perdu dans les brumes et les glaces (ce qui est faux car le climat est, en fait, assez doux voire relativement chaud en été et même l'hiver, ça n'est pas si terrible). Le poids de l'histoire y est pourtant très fort: qui connaît la guerre civile finlandaise, en 1918, qui continue d'imprégner les mentalités aujourd'hui ? Chaque Finlandais a, aujourd'hui, un rapport complexe avec les Suédois (2ème langue officielle du pays) les Russes et aussi les Allemands. J'ai adoré ce thriller écrit par un Finnois suédophone. Palpitant ! Dépêchez-vous de le lire même si la Finlande ne vous branche pas plus que ça. Vous apprendrez, comme moi, plein de choses.


Timothy SNYDER: "Terre noire. L'holocauste et pourquoi il peut se répéter". Le grand historien américain a bouleversé notre vision de la seconde guerre mondiale. Il faut absolument avoir lu "Terres de sang". Oserais-je le dire ? On ne sait pas, en France ce qu'a été la seconde guerre mondiale: on a, même, été relativement peinards et tant pis si je choque en écrivant ça ! Ce nouveau livre de Timothy SNYDER est ultra-dérangeant: difficile à lire et d'une érudition extrême.Très puissant ! Il retrace toute la genèse de la Shoah et va jusqu'à affirmer, en conclusion, qu'au regard des préoccupations "écologiques" actuelles" un renouvellement des massacres de masse est aujourd'hui possible.


Julia KRISTEVA: "Je me voyage". Kristeva, je trouve ça, dans son ensemble, très pesant. Ça m'assomme et, à vrai dire, je ne comprends pas grand chose à ses essais. Quant à ses quelques romans, c'est, pour moi, une catastrophe! J'ai quand même bien aimé son dernier bouquin où elle parle, un peu, d'elle même et notamment de sa jeunesse en Bulgarie. Ça me l'a rendue plus proche  parce que j'aime bien la Bulgarie. Ce qui m'a sidérée: Sollers n'a jamais foutu les pieds en Bulgarie et ne connaît pas trois mots de la langue !

 

Olivier ROY: "Le djihad et la mort". Et si le but des terroristes était non pas de tuer mais de mourir ? Si le Djihad était pour eux non pas un projet politique mais un prétexte pour se suicider ? Une thèse très iconoclaste, très (violemment) critiquée mais aussi, à mes yeux, très féconde. J'aime bien Olivier Roy, grand orientaliste (d'abord spécialiste de l'Iran et de l'Afghanistan).


Laurence Grenier: "Proust en 500 pages au lieu de 3 000" et Laure Hillerin: "Proust pour rire". "La recherche du temps perdu", il faut des années pour la lire et, quand on a fini, on a oublié le début. Et pourtant "la Recherche" ne peut se comprendre que comme un tout. Il faut, effectivement, avoir lu et relu, dans son entier, "la Recherche" pour la comprendre pleinement mais on n'a pas tous un temps infini devant soi. Voilà 2 bouquins qui ont fait hurler les ayatollahs proustiens mais que je défends absolument! Si vous n'avez jamais lu "La recherche" (ce qui n'a rien d'honteux) ou si vous voulez la relire, vous la remettre en tête, je vous conseille, vraiment, ces deux bouquins. Le premier (que j'ai trouvé très fort), celui de Laurence Grenier, parce qu'il restitue l'intégralité (c'est une très bonne synthèse) de l'esprit et de l'histoire de "La Recherche" (même si le style et ses circonvolutions n'y sont évidemment plus), le second, parce qu'il met bien en évidence que c'est une oeuvre profondément drôle et humoristique. Tant pis si certains considèrent que c'est du "Proust pour les nuls"!


Hélène L'HEUILLET: "Du voisinage - Réflexions sur la coexistence humaine". On croit vivre à une époque de fraternité généralisée! Plus rien ne séparerait, aujourd'hui, les hommes. Nous sommes donc tous voisins. Mais notre voisin est, très rarement, notre ami! Notre voisin (d'immeuble, de palier, de bureau), c'est souvent l'horreur ! Il devient même souvent l'ennemi, il suscite le déchaînement de la plus extrême violence. Comment vivre, alors, et coexister avec son voisin ? Un très bon bouquin de philo original et novateur.


Tableaux de Ida TURSIC et Wilfried MILLE. Ils peignent et travaillent en duo, ce qui est exceptionnel, voire unique. Nés en 1974, elle à Belgrade, lui à Dijon, représentants éminents de la nouvelle école figurative.