samedi 28 décembre 2019

Bienvenue dans une nouvelle décennie















Le passage à une nouvelle décennie suscite toujours une pointe d'émotion et de nostalgie. Comme s'il s'agissait d'un jour plus important que les autres. Comme si notre décompte du temps et des années était absolument "naturel". Pourtant, il ne s'agit que du choix, arbitraire,  d'une numération décimale, c'est à dire en base dix (à partir, probablement, du nombre de nos doigts).




















La numération décimale, elle nous apparaît aujourd'hui tellement évidente qu'elle semble absolument conforme à l'ordre du monde. Pourtant, il y a eu d'autres civilisations qui pratiquaient d'autres systèmes. Par exemple :

- une base sexagésimale (60) pour les anciennes civilisations de Mésopotamie. La Mésopotamie, ça ne nous dit généralement à peu près rien mais il est fascinant de constater qu'on continue largement de compter un peu à leur manière. Cette base 60 concerne en effet encore l'actuelle mesure du temps (en heures, minutes, secondes et même la semaine de 7 jours) ou les offres commerciales par douzaines. Ça a même concerné le système monétaire lui-même jusqu'à une époque très récente (Grande-Bretagne 1971). On se transforme ainsi un peu en Babyloniens quand on commande une douzaine d'huîtres ou 6 œufs, qu'on demande simplement l'heure, ou qu'on part en week-end un samedi. On est vraiment moins modernes qu'on ne le pense.



- une base 20 qui serait en quelque sorte une numération préhistorique. On la retrouve ensuite dans les civilisations maya et aztèque ainsi que les langues basque et celte. De cette base 20, il reste d'ailleurs une trace en français avec les fameux "quatre-vingts" et "quatre-vingt dix" qui déroutent tant les Belges et les Suisses (pourquoi d'ailleurs leur allergie à la base 20, peut-être ont-ils l'impression qu'on leur demande de compter non seulement avec leurs mains mais aussi avec leurs pieds ?). Il existe aussi, à Paris, le célèbre Hôpital des "Quinze-vingts" (soit 300 lits).


Surtout, la généralisation de la numération décimale est assez récente et elle doit beaucoup à la Révolution Française. C'est bien connu, le premier souci des Révolutionnaires a été d'unifier les poids et les mesures avec le mètre et le kilogramme établis sur une base décimale. On a en revanche oublié qu'avec l'introduction du Franc, on a aussi décimalisé la monnaie (les anciens Louis étaient basés sur la douzaine, survivance mésopotamienne, comme ce fut le cas en Grande-Bretagne jusqu'en 1971 où 20 shillings représentaient 12 pence).


Cela semblait plus conforme à la "Raison". Cependant, les Révolutionnaires n'ont pu aller jusqu'au bout de la logique décimale et ils ont échoué à rationaliser complétement la mesure du temps : une semaine de 7 jours, ça n'a pourtant pas de sens (encore une survivance babylonienne liée au nombre de planètes recensées à cette époque); pas plus qu'une journée découpée en 24 heures de soixante minutes (base sexagésimale); ou des mois tantôt de 30 jours, tantôt de 31 voire 28.


C'est aujourd'hui complétement oublié mais on a utilisé, de 1792 à 1806, un calendrier révolutionnaire avec des semaines de 10 jours et 12 mois de 30 jours, complétés de 5 ou 6 jours en fin d'année. On a même introduit (mais seulement de 1792 à 1795) une heure révolutionnaire où la journée était découpée en 10 heures (quand il est aujourd'hui midi, il n'était, alors, que 5 heures) divisées en 10 parties elles-mêmes décomposables en 10.


Je trouve ça assez extraordinaire et presque merveilleux. Quel homme politique aurait aujourd'hui l'audace de proposer une semaine de 10 jours (soit 3 week-ends par mois) au nom de la Raison ? Il est vrai que ça pourrait aussi être adopté pour assurer le redressement économique de la France. Combiné en effet à la suppression des fêtes religieuses et à l'adoption de l'heure républicaine, le système pourrait se révéler diablement efficace: les 35 heures hebdomadaires deviendraient 84 heures assyriennes (à effectuer sur 10 jours toutefois). "Français, encore un effort pour être Républicains" proclamait le divin Marquis.


Quel choc de compétitivité. Je vais soumettre ça à Mélenchon et la "France Insoumise" dont les militants sont tous férus de Révolution Française. Et puis, avec l'heure républicaine, on aurait l'impression que le temps passe plus lentement. Une heure républicaine passée avec son amant, c'est tout de même mieux qu'une heure assyrienne. C'est un plaisir multiplié par 2,4.


Tout ça pour dire qu'un changement de décennie, ça n'est finalement pas si important que ça. Ce n'est qu'une découpe, logique mais arbitraire, du temps.

Bonne année à vous. Essayez simplement de  changer votre regard sur le monde, cessez de le considérer de manière négative. Le transformer, ce n'est de toute manière pas vous qui y parviendrez. Essayez d'abord de percevoir sa beauté.

En attendant, le blog de Carmilla vient de rentrer dans sa treizième année. C'est un peu effrayant. C'est un âge crucial, celui d'une bascule de la féminité, de l'enfant à la femme. Alors, que dois-je faire maintenant ?

Images de E.L. Kirchner (1880-1938), Will Barnet (1911-2012),  Louis-Maurice Boutet de Monvel (1850-1913), Julius Olsonn (1864-1942), Arthur Rackham (1867-1939), (John Duncan (1866-1945), Gaston Hoffmann (1883-1977).

J'ai sélectionné quelques images de sirènes en rapport, bien sûr, avec mon goût pour la natation. J'aime bien, en particulier, les 2 premières et la dernière. La différence, c'est que je nage toujours avec un bonnet de bain et des lunettes.

samedi 21 décembre 2019

Iran-Ukraine : Diplomatie munichoise


Un silence assourdissant a suivi les récents événements en Iran.

Seul "le Grand Blond" s'est fendu d'un tweet triomphant.


Pourtant, il y aurait eu plusieurs centaines de morts (entre 400 et 1 000 selon les estimations).
Les Gardiens de la Révolution et les Bassidjis ne se sont pas privés de tirer à balles réelles dans la foule.
C'est leur tactique habituelle et il faut reconnaître qu'elle est très efficace. Il s'agit d'abord de terroriser la population.


C'est le grand bémol qu'il faut mettre à tous les reportages plus ou moins complaisants qui ont pu être diffusés, ces dernières années, sur une évolution positive de l'Iran et de son régime politique. Certes, les choses changent, il y a une occidentalisation certaine de la population (grâce à Internet notamment) et la répression des mœurs est moins féroce. Cela, c'est le regard touristique porté sur des villes à l'architecture splendide, de magnifiques paysages, des gens avenants, un artisanat de grande qualité.


Mais jamais sans doute, le contraste n'a été si grand entre le peuple iranien, sans doute l'un des plus doux du monde, et ses dirigeants, d'une férocité et d'une cruauté sans égales. C'est à bon compte qu'on peut vanter la relative libéralisation du pays ces dernières années parce qu'en réalité la main de fer dans le gant de velours n'a jamais été aussi implacable.


Il faut le souligner, il faut vraiment être très courageux pour se lancer dans la contestation politique en Iran. Dans le meilleur des cas, on s'en tire avec quelques décennies de prison mais, plus souvent, on disparaît ou on est froidement assassinés dans une rue. De quoi vous faire sérieusement réfléchir.


Heureusement, le régime des mollahs s'est tellement disqualifié qu'il est aujourd'hui appelé à s'écrouler dans un avenir plus ou moins proche. Et puis, il y a aujourd'hui un effondrement économique complet du pays, le rial ne vaut plus rien et le salaire moyen est aujourd'hui inférieur à 100 euros. Le pays est, en outre, confronté à une pénurie d'eau dramatique. Pour ne rien arranger, l'"influence" extérieure de l'Iran s'étiole avec un rejet du Hezbollah au Liban et des milices chiites en Irak.  Toute la question est donc aujourd'hui de savoir jusqu'où les religieux sont prêts à aller pour défendre leur peau, combien de morts sont-ils encore prêts à faire pour se maintenir au pouvoir ?


Dans ce contexte, il aurait tout de même été important que l'Europe, et la France en particulier, exprime sa condamnation des tueries perpétuées en Iran. Bien sûr, ça n'aurait guère impressionné Rohani et Khamenei mais ça aurait été perçu très positivement par le peuple iranien qui continue tout de même de percevoir la France comme le pays des Droits de l'Homme. Mais la lâcheté porte aujourd'hui le masque de la non-ingérence : il va aussi bien sûr de soi que l'Union Européenne ne dira surtout jamais rien concernant Hong-Kong.


A force de chercher à ne se fâcher avec personne, on se condamne à l'impuissance et à l'humiliation. Surtout quand on a pour interlocuteurs des chefs d’État qui se moquent bien de la diplomatie courtoise et policée et ne connaissent que le langage de la force.


On en a eu une nouvelle démonstration avec la réunion sous format Normandie, à Paris le 9 décembre,  consacrée au conflit du Donbass. Par une étrange coïncidence, j'étais Place des Ternes quand l'a traversée le monstrueux convoi conduisant Poutine à Élysée.  Une véritable démonstration de force, on comprend tout de suite ! Je me suis néanmoins réjouie que le nouveau Président de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky, n'ait pas cédé en acceptant que soient organisées des élections dans le Donbass sans retrait préalable des forces russes et récupération du contrôle de ses frontières.


Mais j'ai été étonnée des commentaires des médias français qui jugeaient presque que l'Ukraine faisait preuve de mauvaise volonté dans l'application des accords de Minsk tandis que la Russie était presque coopérante. Personne ne s'avise de ce que les conditions dictées à l'Ukraine sont inacceptables et exorbitantes : autant céder tout de suite à la Russie le Donbass.


Ces réunions format Normandie sont absolument surréalistes. On convie d'abord comme "médiateur" et "pacificateur" l'agresseur du Donbass, Vladimir Poutine. On fait comme s'il était un partenaire bienveillant, soucieux d'un accord, et on passe sous silence toutes ses turpitudes récentes (distribution de passeports russes,  non reconnaissance, contre toute évidence, de la responsabilité de la Russie dans la destruction de l'appareil du vol MH 17 de la Malaysia Airlines, et de la présence de troupes russes dans le Donbass, blocage de la mer d'Azov). On lui adjoint deux "idiots utiles", Macron et Merkel choisis par Poutine lui-même, tellement timorés et ayant peur de froisser la Russie, que le Président de l'Ukraine n'a finalement aucun ami au sein de ce groupe.


Il suffirait pourtant que Macron ou Merkel se réveillent un peu et aient le courage de demander que l'on mette fin à cette mascarade, à ce Grand-Guignol; exiger, surtout, que la Russie cesse de mentir et que l'on arrête de négocier sur une fiction et des éléments entièrement falsifiés. La Russie mène une guerre contre l'Ukraine, c'est la seule réalité incontournable mais l'Europe préfère faire semblant de croire à une fable récitée par Poutine. C'est vraiment le retour de l'esprit munichois quand les alliés, par lâcheté, considéraient que Hitler était animé de bonnes intentions.


A quoi sert l'Europe finalement aujourd'hui si elle n'est pas capable d'avoir une politique étrangère commune à ses membres et surtout si elle ne défend pas ses valeurs et les brade, au contraire, au profit d'intérêts commerciaux à court terme ?


Protéger l'Ukraine, c'est pourtant également défendre l'Europe. Mais l'Europe préfère afficher sa faiblesse et sa servilité. C'est de mauvais augure parce qu'en ce moment même est en train de se monter le projet "Eurasie" élaboré par Poutine et associant principalement la Chine et la Russie. La Chine à 2 000 kilomètres de Paris,  je ne suis pas sûre qu'on ait déjà bien intégré ça en France. Ce n'est bien sûr peut-être pas un risque militaire mais c'est surtout un risque démocratique.

Tableaux de Max Ernst (1891-1976), Pablo Picasso (1891-1973), Marc Chagall (1887-1985), Berthold Von Kamptz (artiste contemporain).

En ces période de fêtes, je vous recommande tout particulièrement d'aller au cinéma. Je vous conseille les films suivants :

- "Une vie cachée" de Terrence Mallick. Long et contemplatif mais une splendeur esthétique.
- "It must be Heaven" de Elia Suleiman. Un film à nul autre pareil par un espèce de M. Hulot Palestinien. Un Paris inattendu et magnifique.
- "Chanson douce" de Lucie Borleteau. Peut-être pas à la hauteur du livre de Leïla Slimani mais intéressant quand même.

samedi 14 décembre 2019

"Assommons les pauvres" - De la compassion


Je dois bien l'avouer : la compassion n'est sans doute pas ma qualité première. Je suis plutôt distante, réservée, sans doute égoïste.

C'est d'abord parce que je déteste l'esprit victimaire; et puis je crois à la capacité que l'on porte en soi d'infléchir son destin. Plutôt que de mettre son malheur sur le compte des autres, de Dieu, du Capitalisme, des méchants, des pervers, n'est-il pas plus réaliste de considérer que notre infortune est aussi le fruit de nos fautes et de nos erreurs ? Assumer la responsabilité de ses revers de fortune, c'est aussi se donner les moyens de les corriger.


Me revient ainsi en mémoire le texte scandaleux de Charles Baudelaire dans Le Spleen de Paris (des poèmes en prose, pendants des "Fleurs du Mal") : "Assommons les pauvres". Le narrateur, désabusé et "revenu des promesses" d'une période optimiste, se met tout à coup à rouer de coups un vieux mendiant au lieu de lui faire l'aumône. Surprise ! "L'antique carcasse" se rebelle et rend alors les coups avec une telle énergie que l'agresseur partage alors volontiers sa bourse. Morale baudelairienne de l'histoire : "Celui-là seul est l'égal d'un autre qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté qui sait la conquérir". Assommer donc les pauvres non pas pour s'en débarrasser mais pour leur rendre leur dignité et les sauver.


Évidemment, à une époque de Pikettysation générale des esprits et d'élucubrations sur la solidarité, ce poème en prose apparaît intolérable. Pourtant Baudelaire se montre en l'occurrence un théoricien précurseur : on a démontré depuis que l'assistance et la charité, ça ne faisait pas une bonne économie et ne réduisait nullement la pauvreté. C'est ce qu'on appelle le mécanisme de "l'aide fatale", appliqué par exemple avec obstination dans les pays en voie de développement (Afrique, Afghanistan, etc...), qui engendre une économie de "rente" avec destruction des productions locales, importation massive de biens de consommation et corruption généralisée.


Le développement économique et les bons sentiments, ça ne va pas toujours de pair. La générosité, ça favorise même souvent les comportements prédateurs et ça entretient, en toute bonne conscience, les "fromages" et les "planques dorées". Pourtant, innombrables sont aujourd'hui les "belles âmes" qui, par médias interposés, nous incitent ou plutôt nous font l'injonction de nous montrer généreux et attentifs aux pauvres, de faire des dons à des associations, d'avoir un engagement humanitaire.


On vit à l'heure de la charité, de la compassion, organisées, spectacularisées. Il faut faire étalage de sa fibre sociale, de son implication dans de "nobles causes". On affiche en exemples plein de gens formidables, des artistes, des sportifs, des hommes d'affaires, qui se proclament tous entièrement désintéressés, prêts à se sacrifier pour les autres et le bien commun.On s'interdit bien sûr d'évaluer le fonctionnement et l'efficacité des merveilleuses associations qu'ils parrainent (le mot "parrain" est d'ailleurs adéquat), elles sont, par nature, insoupçonnables.


Ça me donne souvent le vertige. On en viendrait presque à penser que jamais, dans l'histoire de l'humanité, on a autant fait preuve d'altruisme et de compassion.

Pourtant, on sait bien aussi que c'est exactement le contraire et que la société occidentale est plutôt celle des égoïsmes et du narcissisme généralisés.


Personnellement, au rang des personnes que je fuis en premier lieu, il y a toutes celles qui affichent leur altruisme, qui se prétendent généreuses. Leur manque de discrétion et d'humilité m'apparaît tout de suite suspect. Cette pitié programmée, institutionnalisée, n'est qu'un décor et, comme tout décor, elle a un envers.

Ce serait vraiment simple si l'humanité pouvait se séparer entre les bons et les méchants. Mais on se rend vite compte qu'on a du mal à faire le tri entre les bons proclamés et les mauvais désignés.  Le monstre intégral, ça n'existe pas plus que le saint, on est tous cauteleux et pas nets. Il y a plutôt une énorme ambiguïté de la psychologie humaine.


On le sait bien: ceux qui affichent leur altruisme sont souvent aussi des manipulateurs, voire des escrocs ou des menteurs. Comprendre autrui, ça permet, en effet, de le séduire, de le déstabiliser, de le torturer psychologiquement.

Et puis notre altruisme, il ne s'adresse qu'à un cercle très limité, celui de notre proche entourage, de tous ceux qui nous ressemblent ou sont un peu comme nous. On affiche son amour du peuple et des pauvres en France mais on se fiche bien des pauvres ailleurs, des étrangers, des migrants, des SDF, et on ne voudrait, à aucun prix, d'un partage des richesses à l'échelle mondiale. Les racistes sont souvent empathiques, ne craint pas d'affirmer Paul Bloom, chercheur américain en psychologie. Ça met aussi en évidence les dangers d'une "politique émotionnelle" qui génère de nouvelles inégalités et discriminations. La compassion, à l'échelle d'une planète toute entière, ce serait le chaos et la discorde généralisés. Un seul rempart : le Droit qui, heureusement, n'a que faire des passions et émotions.


Mais, allez vous me dire, l'amour désintéressé, ça n'existe pas du tout pour toi !

Peut-être que si quand même. La formule la plus absolue de l'amour, c'est, pour moi, le commandement chrétien d'aimer son prochain comme soi-même. Mais on sait bien que ça touche à l'impossible même.


Plus prosaïquement, je me référerai à mon expérience personnelle. On rencontre ainsi parfois dans sa vie sentimentale des gens qui sont foncièrement gentils. Le malheur, c'est que les gentils, ils ne nous séduisent pas trop, on les trouve trop banals, trop ennuyeux, on leur préfère les méchants qui nous en font voir de toutes les couleurs.

Mais on ne se rend pas compte que les gentils sont souvent capables d'aller décrocher la lune pour nous. A cet égard, ils ne sont pas si banals que ça. Ça m'interroge parce que moi, qui suis égoïste comme les autres, je n'irais décrocher la lune pour personne. Il y a donc bien des gens qui ont des capacités plus étendues que les miennes.

Outre 2 tableaux de René Magritte, images d'une jeune photographe (1991) croato-néerlandaise, Sanja MARUSIC. Elle a notamment réalisé une exposition remarquée: "Friends or Enemies".

Dans le prolongement de ce post, je recommande :

-"Against Empathy" de Paul Bloom
- "L'aide fatale" de Dambisa Moyo qui démontre que l'assistance financière a été pour une grande partie du monde, notamment l'Afrique, un désastre économique.

Au cinéma, j'ai beaucoup aimé :

- "Seules les bêtes" de Dominik MOLL. Un rélisateur français trop rare. Il faut revoir: "Harry, un ami qui vous veut du bien".

- "Lillian" de l'autrichien Andreas Horvath avec Patrycja Planik. Un film  hypnotique. Je me suis totalement identifiée à l'héroïne qui parcourt seule, à pied, le Nord des États-Unis jusqu'au détroit de Bering. Magnifique ! A voir dans une salle pourvue d'un bel écran.

samedi 7 décembre 2019

La peur


 J'ai déjà dit que j'appréciais d'aller voir des films d'horreur-épouvante.

Dans mon entourage, surtout féminin, c'est généralement mal compris. "T'es vraiment bizarre", on me dit. "Moi, je peux pas supporter". C'est vrai que ça me retourne aussi et que je dois parfois fermer les yeux. Et puis, c'est souvent des mauvais films.


Mais il paraît que voir des films d'horreur, c'est plutôt conseillé: ça aiderait à mieux maîtriser ses émotions et sa peur.

La peur, c'est vraiment étonnant. De prime abord, c'est très simple. Une émotion brute, quasi animale, liée à l'imminence d'un danger. Un réflexe de survie. On a peur parce qu'on craint pour soi, pour sa vie.


On croit donc que ça peut s'expliquer très facilement. La peur n'a rien à voir avec l'angoisse par exemple dont l'objet est mal cerné. La peur, elle, elle identifie bien ses objets et ses monstres, tous liés à un danger. Du reste, il n'y a quasiment pas de littérature ou d'études consacrées à la peur. La psychanalyse, la psychologie, l'évoquent à peine. C'est trop simple, trop animal, on a vite fait le tour du sujet.


Ça se complique quand on se met à recenser les situations qui nous font peur.

Moi, par exemple, j'ai le vertige, j'ai peur du vide. Monter au premier étage de la Tour Eiffel ou dans les tours de Notre-Dame (c'est plus difficile aujourd'hui), c'est une épreuve pour moi. On ne me fera jamais faire d'alpinisme.


De même, je suis plutôt bonne nageuse mais en piscine uniquement. Les lacs, les rivières, la haute mer, je trouve ça inquiétant. Toutes ces eaux troubles, j'ai l'impression qu'elles ne renferment que des horreurs. Les fonds marins, ça ne m'inspire vraiment pas.

J'ai peur aussi de la machine bureaucratique. Que je perde mes papiers d'identité, qu'on ne reconnaisse plus ma nationalité française, qu'on me renvoie en Ukraine. Qu'est-ce que je ferais là-bas ? J'y serais perdue.


Ou bien qu'on ne me soupçonne de malversations financières ou d'avoir fraudé le fisc. Qu'on m'impose alors une amende exorbitante qui me mettra sur la paille.

Et puis comme tout le monde, j'ai peur de la maladie. Je me tripote sans cesse l'aine, les seins, je suis angoissée par mes règles, régulières, irrégulières.


Au delà de ma simple personne, il y a tous les gens qui ont peur de se faire agresser, violenter, voler; tous ceux qui ont peur d'animaux généralement inoffensifs, peur de voyager en voiture, en avion, peur de se perdre complétement dans un pays inconnu dont on ne parle pas la langue, peur d'y être enlevé, jeté dans une prison répugnante.


Et ça s'étend encore. Il y a les grandes peurs de disparaître, d'être oublié de tous, abandonné en un lieu hostile; et la peur de l'autre, de l'étranger (matrice du racisme), de l'autre sexe. Il y a enfin l'énigmatique peur d'échouer bien sûr mais surtout de réussir par refus, inquiétude, de supplanter ses parents.


On se rend ainsi compte que la peur est le plus souvent irrationnelle et qu'elle se tisse largement d'imaginaire. Les dangers sont surtout fantasmés et on n'est donc pas si animaux que ça.

Et puis nos réactions sont disproportionnées: on tremble, on pâlit, on transpire, on s'évanouit, ce qui est contre-productif... Souvent même la peur s'installe à domicile, devient permanente. Il faut bien le reconnaître: on vit aujourd'hui dans un monde de plus en plus frileux, timoré. L'esprit d'aventure, de découverte, d'entreprise, s'efface. Il n'y a plus de héros.


C'est aussi très frustrant parce que je sais bien que si je ne parviens pas à franchir le rideau de la peur, je me prive aussi de la possibilité de découvrir autre chose. La peur est en effet d'abord répulsive mais elle est aussi attirante, séduisante. Elle agit aussi avec son contraire, le désir. Les explorateurs, les conquistadors, savent bien cela mais aussi les grands amoureux: c'est l'attirance pour les têtes brûlées, les gens hors-normes.

Comment comprendre cette peur qui se généralise alors que l'on vit dans un monde de plus en plus protégé et sécurisé ? Un monde où la violence et le crime sont en régression continuelles.


J'ai essayé de savoir quel était l'état d'esprit des gens qui ont traversé de véritables périodes d'épouvante : les terreurs nazie et stalinienne par exemple. Chaque jour, chaque individu était exposé à la mort comme un lapin sur un champ de tir. On n'était jamais sûr de rentrer chez soi le soir. La préoccupation première était bien sûr la survie quotidienne mais la peur n'était pas le principal sentiment. On savait surtout qu'elle pouvait être mauvaise conseillère et signer notre perte. Paradoxalement, c'était l'instinct de vie qui dominait, s'affirmait tout puissant. Et ça explique souvent que ceux qui ont vécu ces instants dramatiques ne les considèrent pas de manière entièrement négative : plutôt avec une pointe de vive émotion et non une irréparable douleur et affliction. Ils se sont sentis plus profondément humains à cette époque.


Notre peur, la peur moderne, est donc bien souvent déconnectée de tout danger imminent. Certes on peut dire que toutes les situations de peur évoquées relèvent de l'angoisse générale de la mort qui signe l'espèce humaine. Mais ça ne nous avance pas beaucoup.

Il semble en fait que tous les sentiments de peur que nous éprouvons aujourd'hui, généralement irrationnels, sont là à la place d'autre chose. On redoute en fait ce qui nous rappelle quelque chose. Derrière la peur, se cache le souvenir d'émotions fortes, insupportables, dont la résurrection effraie. En bref, derrière la peur se cachent souvent d'autres peurs d'origine infantile.


Si on est si peureux aujourd'hui, c'est surtout parce qu'on redevient de plus en plus des enfants. On aime bien reproduire cette situation où on était dépendants de l'autre, où on avait besoin de son entière assistance, où le monde extérieur était inquiétant et plein de dangers, où on redoutait surtout d'être abandonnés.


En se recroquevillant sur son passé, on a l'impression de retrouver une certaine forme de sécurité. Et la société toute entière nous encourage à cette démarche. On vit ainsi aujourd'hui dans des États maternants et surprotecteurs, disposés à nous rassurer et à anticiper nos moindres désirs de manière à les tuer. Une grand État matriarcal couvant ses enfants comme d'inoffensifs poussins, c'est la société contemporaine.


Certes, c'est une situation dont on peut s'accommoder, on s'assure ainsi une vie plus calme, plus tranquille. Pour vivre heureux, vivons dans la pétoche ! Mais les passions infantiles sont parfois effrayantes : le narcissisme, la peur de l'autre, l'exigence de satisfaction immédiate, la cruauté en toute indifférence.

Personnellement, je ne regrette nullement mon enfance. Devenir adulte, c'est aussi s'affranchir des dépendances, c'est conquérir sa liberté sans le secours et les recommandations d'autrui.


Images de  Maria Iakunchikova (1870-1902), Zdzislaw Beksinski (1929-2005), Boris Kustodiev (1878-1927), Mstislav Doboujinsky (1875-1957), Francisco de Goya (1746-1828), Odilon Redon (1840-1916), Edvard Munch (1863-1944), Francis Bacon (1909-1992).


J'avais, en mars 2018, communiqué la liste de mes films d'horreur préférés. Je me permets de la rappeler ci-dessous, légèrement actualisée :

-"Under the skin" (2013) de Jonathan Glazer
- "Audition" (1999) de  Takashi Miike
- "Triangle" (2009) de Christopher Smith
- "Morse" (2008) de Tomas Alfredson
- "Malveillance" (2011) de Jaume Balaguero
-"Grave" (2016) de Julia Ducourneau
- "Dans ma peau" (2002) de Marina de Van
-"The Neon-Demon" (2016) de Nicolas Winding Refn
-"Love Hunters" (2016) de Ben Young
-"Trouble Every Day" (2001) de Claire Denis
-"Ils" (2006) de David Moreau
-"Le locataire" (1976) de Roman Polanski
-"La nuit a dévoré le monde" (2018) de Dominique Rocher
-"The house that Jack built" ( 2018) de Lars Von Trier


Voilà de quoi vous maintenir éveillé durant vos longues nuits d'hiver mais je précise que tous ces films sont parfaitement supportables. S'il est une héroïne à la quelle je me suis identifiée à fond, c'est celle d'"Under the skin", interprétée en l'occurrence par Scarlett Johansson.

Et puis, comme j'ai évoqué l'humiliation la semaine dernière, je vous recommande vivement le film d'Ulrich Seidl : "Import/Export". On le trouve facilement sur Internet gratuitement et en full. Ça se passe en Ukraine et en Autriche. Cette fois-ci, Olga c'est moi ! Donnez m'en des nouvelles.