samedi 31 mai 2014

Les nouvelles guerres


Les guerres, ça ne produit pas seulement des dégâts matériels.

Entre les gens, ça fait voler en éclats beaucoup d'anciennes sympathies, amitiés.


Moi, depuis le début du conflit ukrainien, c'est terrible le nombre de gens, des pro-russes, avec qui je me suis fâchée à mort. Les opinions, c'est bien plus important et ravageur qu'on ne le croit.

Je me rends compte aussi que lorsque je vais aller en Ukraine cet été, je devrai continuellement faire attention à ce que je raconte. Il va falloir vivre dans la schizophrénie. S'afficher trop pro-ukrainienne, pro-européenne, ça peut en effet vous valoir de sérieux ennuis dans certaines zones. Et puis, est-ce que je ne vais pas moi-même être tentée d'aller au coup de feu contre les Russes ? Surtout, j'ai maintenant l'impression que cette guerre, ça va durer très longtemps parce que la Russie est décidée à déstabiliser durablement l'Ukraine et qu'à l'Ouest, on a décidé de fermer les yeux, de rentrer dans la logique du mensonge de la Russie et de cacher tous les problèmes et tous les grands principes sous le tapis.



Enfin, je suis quand même contente que les élections aient été un succès en Ukraine. J'avoue que j'étais plutôt Ioulia Timochenko; Porochenko, je n'aimais pas trop, pas seulement parce qu'il est physiquement caricatural mais surtout parce que son chocolat, le Roshen, avec lequel il a fait fortune, c'est une horreur : c'est un truc à l'allemande, très peu de chocolat, plein de sucre et beaucoup de crème fourrée. Un type qui vend une pareille cochonnerie, j'ai des doutes. Mais bon..., il a l'air d'être un moindre mal. Un oligarque quand même... qui est heureusement assez riche pour ne pas être tenté de chercher à faire fructifier ses propres affaires.


Ce qui est vraiment positif, c'est qu'il y a eu, en Ukraine, un scrutin enthousiaste en faveur de l'Union Européenne qui a balayé dans le même temps les partis d'extrême droite locaux. Ceux-ci n'ont recueilli qu'à peine 2% des suffrages. C'est surtout un cinglant démenti à l'infecte propagande russe, hélas souvent relayée par les médias et certains hommes politiques occidentaux (Mélenchon, Chevénement, le PCF)  qui faisait de la révolution de la place Maïdan un coup d'Etat mené par des néo-nazis, des "Banderistes". Mensonges énormes.


Du coup, en Europe de l'Ouest, on se reprend à souffler. Peut-être qu'on va pouvoir rester tranquilles et cesser d'entendre parler de cette Ukraine dont on n'a que fiche et continuer de faire commerce avec la Russie.

Peut-être... mais je ne suis pas sûre qu'on en ait fini, de si tôt, avec Poutine. Il ne navigue pas simplement à vue mais il a des idées, une idéologie, un grand projet qu'il est absolument déterminé à mettre en oeuvre.


Ses idées, c'est d'abord la voie russe et la slavophilie. C'est ce qu'on appelle simplement l'âme russe, sa spiritualité propre. Ca a notamment été largement développé par Alexandre Soljetnitsyne. Il y aurait un caractère, un génie russes qui permettraient de faire rempart à la décadence occidentale. Ce serait évidemment quasi-inscrit dans les gènes. L'âme slave, c'est évidemment une bêtise ultra-réactionnaire mais il est vrai que presque tous les Slaves, et surtout les Russes, y croient dur comme fer. Moi-même, j'y succombe parfois : on serait moins matérialistes, moins conventionnels, plus déjantés, on aurait davantage le sens du beau, on serait plus romantiques, plus audacieux, plus créatifs... Tout ce fatras, c'est en fait surtout profondément anti-occidental et anti-démocrate mais Poutine a vraiment beau jeu de s'appuyer là-dessus et de l'exalter.


Après, c'est ce grand projet eurasien dont l'acte de naissance vient d'être signé, jeudi dernier, à Astana. Aujourd'hui, évidemment, ça n'associe pas grand monde : outre la Russie, deux autocraties : la Biélorussie et le Kazakhstan. Mais il s'agit bien de refonder un Empire rassemblant "les terres russes" et les anciens pays satellites vont être sommés d'y participer. Cet Empire d'Eurasie sera capable de faire contrepoids à l'Occident atlantiste considéré comme le mal absolu. Il pourra même étendre son influence en Europe de l'Ouest via les mouvements conservateurs (on aime bien la Russie au Front National).


Donc, à l'Ouest, on n'a pas fini de rigoler si je puis dire. Et c'est d'autant plus inquiétant que comme l'écrit Andreï Kourkov : "Poutine ne rêve pas, il dresse des plans, tout en vérifiant à chaque fois la réaction de la prétendue communauté internationale, il poursuit la réalisation de son plan de manière dynamique, étape par étape".

Et comme il n'y  aucune réaction de la communauté internationale qui se montre d'une écoeurante lâcheté (honte à Hollande qui invite Poutine aux cérémonies du 6 juin et entend bien vendre ses navires de guerre), la voie est libre !


Images de jeunes femmes peintres russes (qui sont tout de même moins bêtes que leurs compatriotes masculins) : Nina Ryzhikova, Alexandra Nedzvetskaya, Agaphya Belaya, Olga Larionova.

Si vous vous intéressez aux événements ukrainiens, il faut absolument lire "Le journal de Maïdan" d'Andreï Kourkov, le grand auteur ukrainien dont je recommande tous les bouquins ("Le pingouin", "Les pingouins n'ont jamais froid", "Laitier de nuit", "Le jardinier d'Otchakov")

dimanche 25 mai 2014

Méchant


Parmi les textes emblématiques de Dostoïevsky, il y a, pour moi, deux petits livres, curieusement peu connus : "L'éternel mari" et " Les carnets du sous-sol".


Ce dernier texte démarre comme ça :

"Je suis un homme malade...Je suis un homme méchant.Je suis un homme déplaisant".

Affirmer la méchanceté essentielle de l'homme, c'est devenu complètement incongru aujourd'hui, à une époque où l'on assiste au triomphe complet de l'Empire du Bien. On est tous vertueux, intègres, écolo-responsables, transparents, pleins de compassion.


Le Mal, ça ne nous concerne pas, ça nous est extérieur.

C'est pour ça, par exemple, que rencontre tant de succès cette figure du pervers narcissique; ou bien de tous ces harceleurs, manipulateurs, violeurs qui nous entoureraient. Ca nous fiche un peu la trouille mais, du moins, ça nous rassure, ça nous permet d'être convaincus de notre propre innocence. Dans un monde de brutes, on ne saurait être que de potentielles victimes.


C'est pour ça aussi qu'on peut ridiculiser, à bon compte, le christianisme et son idée idiote du péché originel qui nous renvoie à notre saloperie essentielle.

Ou bien toutes ces bêtises freudiennes sur la mort, l'interdit, le désir. Heureusement, à rebours de tous ces trucs un peu glauques, un "philosophe solaire du bocage normand" a une vision plus saine, moins tordue, en évoquant la jouissance débarrassée du fardeau de la culpabilité.


L'humanité serait donc, enfin, heureuse,  goûtant un peu de joie et de plaisir dans un monde fraternel. C'est très bien mais, personnellement, je n'y adhère pas du tout.

Moi, je l'avoue avec honte ! Je ne suis pas quelqu'un de bien. La part d'ombre en moi, c'est effrayant ! Je suis méchante.


La nuit, je rêve de crimes, d'incestes. Je couche avec mille types et filles. Je me fais humilier et j'y prends plaisir.


Le jour, je suis affreuse! Je ne supporte pas qu'une fille puisse prétendre être plus belle que moi. J'ai tout de suite envie de la flinguer. Je suis aussi effroyablement orgueilleuse : pas question que quelqu'un puisse me surpasser. Je veux être la seule, l'unique.

Avec les types, c'est épouvantable. Je leur fais sentir, tout de suite, mon pouvoir, ma puissance. 

Je suis très polie, policée mais en réalité, je mens tout le temps.

Je suis quelqu'un de vraiment bizarre : il m'est même arrivé de tomber malade et d'en retirer une sombre satisfaction. 


Finalement, ce qui signe notre humanité, ce n'est pas l'amour du bien et la recherche du plaisir. C'est notre fascination pour le mal et cette étrange aspiration qui nous emporte au-delà de nous-mêmes jusqu'à nous rapprocher de la mort. C'est ce que l'on appelle le désir.



Images du grand affichiste polonais Franciszek STAROWIEJSKY (1930-2009).

Je renvoie par ailleurs au récent et remarquable livre : "La méchanceté ordinaire" de Francis Ancibure et Marivi Galan-Ancibure


samedi 17 mai 2014

"Pour en finir avec le bonheur"


Ce sont bientôt les élections européennes et, à cette occasion, on nous a parlé, à plusieurs reprises, du Danemark, le pays où la plus grande proportion de gens se déclarent heureux.


La Scandinavie, je connais un peu. Je suis allée, à plusieurs reprises faire du tourisme en Suède et au Danemark. C'est vrai que c'est impressionnant. Ce sont d'abord des sociétés de confiance. On peut déposer sans crainte son vélo dans la rue ou même oublier son sac dans un café. Dans les relation sociales,  on est, d'une manière générale, convaincus de la probité des autres. En plus, c'est vrai que ce sont des sociétés très égalitaires, qu'il y a un réel confort de vie et que le système éducatif met moins l'accent sur la compétition que sur la valorisation de l'individu.



Tout ça, c'est sûr, c'est formidable. On se sent d'abord très bien là-bas et puis, petit à petit, on se pose des questions. On commence à s'ennuyer : tout est trop lisse, fade, propret avec l'impression que tout est prévisible et que rien ne peut vous arriver. Le Mal, la souffrance, l'inquiétude ont été complètement éradiqués; même l'amour, la sexualité sont d'une troublante simplicité, perçus sous l'angle du seul l'hygiènisme. Tout est cool, sympa, décontracté, nature, sans mystère ni profondeur. C'est le triomphe de la pensée conforme, sans angoisse ni tourments. 


Je ne veux pas médire des pays scandinaves d'autant que je les aime bien et que c'est un peu plus compliqué que ça : ce sont quand même des sociétés qui ont vu naître Strindberg, Munch, Kierkegaard et Lars Von Trier. Mais c'est sûr aussi que la Scandinavie représente un peu l'idéal de ce bonheur européen auquel il est presque exigé de croire. 


Et c'est vrai que l'Europe, c'est maintenant un peu ça : une société entièrement domestiquée et pacifiée, d'un prosaïsme complet, sans douleur et sans passion, entièrement absorbée dans la satisfaction de ses besoins économiques. Rien qui dépasse l'horizon de nos petites peines et de nos petites joies puisque de toute manière, on est tous résolument athées et laïcs. C'est la société du "Faut pas se prendre la tête" et du "Y'a pas de souci".
.

On n'est finalement soumis qu'à une seule contrainte, ou plutôt une injonction : celle du bonheur obligatoire. Il faut être heureux à tout prix et continuellement. Le chagrin, la tristesse, l'échec sont prohibés. C'est la société de l'accomplissement personnel, la société Facebook et des réseaux sociaux où on est tous des gens formidables, brillants qui passent leur temps à s'éclater.


Tout ça, moi, ça me débecte profondément et l'Europe vue comme ça, ça me consterne. Je ne suis vraiment pas sûre qu'on ait pour aspiration le bonheur, en tous cas pas sous cette forme obligatoire, popote et policée. Et puis, j'ai une expérience de la vie dans différents pays. Je vais peut-être choquer mais j'ai vraiment l'impression que dans des pays comme l'Ukraine et l'Iran, dont la réputation n'est pas brillante en Europe, on est, à bien des égards, plus heureux qu'au Danemark.


Du moins, on s'y ennuie moins. Parce que, c'est bien ça. Qu'est-ce qu'on recherche en fait ? Une béatitude ahurie et chloroformée dans la quelle on se complaît dans la certitude de soi-même ?

Ou bien l'intensité et la douleur de la vie, tout ce qui m'arrache à moi-même, me bouleverse et me dérange. Tout ce qui peut être déplaisant, désagréable, tragique, mais qui, du moins m'apprend quelque chose des autres et du monde. Contre le bonheur, la peur, l'angoisse,  l'incertitude...la vraie vie en fait.


Je recommande par ailleurs le récent livre de Malene RYDAHL : "Heureux comme un Danois"
Le titre de mon post est emprunté à celui du livre d'André GUIGOT (je n'ai pas encore lu).


samedi 10 mai 2014

De la distinction





















J'ai vraiment bien aimé le film "Pas son genre" de Lucas Belvaux, tiré du livre éponyme de Philippe Villain.

C'est l'histoire de la rencontre, dans la ville d'Arras, d'un jeune prof de philo, bobo parisien, et d'une fille simple, une coiffeuse.


Enfin..., de rencontre, il n'y en a pas vraiment parce que les barrières sociales et culturelles y font obstacle. Seule la jeune fille croit à cette possibilité et à celle de l'amour mais le jeune homme, lui, est lucide.

On peut éprouver de la sympathie pour quelqu'un qui n'est pas du même milieu social mais on ne peut pas vraiment échanger, communiquer avec lui. Il y a d'ailleurs toujours une asymétrie dans ce type de relation et une séparation profonde de la personne éduquée et de la personne modeste : comme le soulignait Tolstoï, la personne modeste ne perçoit que peu de différences; l'intellectuel, en revanche, voit un abîme.


C'est terrible, c'est d'un effrayant cynisme mais il faut bien reconnaître que c'est comme ça et pas seulement dans la société française. Moi-même, je reconnais que je n'échappe pas à ça. C'est une question qui me taraude beaucoup mais rien à faire, je ne peux pas en sortir.

Je vis dans un milieu très circonscrit et quand j'en sors, je suis souvent empruntée, larguée, mal à l'aise et je ne sais que dire. A mon travail, je l'avoue, je n'échange rien de personnel avec mes collaborateurs. Je peux concevoir d'avoir une relation érotique avec quelqu'un d'inculte mais certainement pas une relation amoureuse.

















On dit que c'est la version moderne et new-age de la lutte des classes qui aurait maintenant principalement investi le champ symbolique. Tout reposerait désormais sur des stratégies de différenciation/distinction à travers les quelles se joue le pouvoir et la maîtrise des signes.


Sans doute..., c'est une idée qui est devenue à la mode; c'est du Bourdieu et son marxisme à la Jdanov. Bourdieu, ça m'a à vrai dire toujours cassé les pieds et je n'ai jamais trop compris son succès, en France. C'est d'abord écrit avec un style de plomb, presque ridicule.Et puis, ça ressasse à l'infini une seule idée : les relations symboliques reproduisent les rapports de production et modèlent les rapports de domination (je parodie évidemment).



Peut-être, sauf que dans le jeu des signes, il n'y a de toute manière jamais aucune authenticité. Le prolétaire n'est pas plus proche de la "vraie vie" que le bourgeois. Je ne deviendrai pas plus authentique, moins aliénée, quand je me mettrai à rouler en Renault, m'habillerai H&M, lirai Anna Gavalda, verrai les films de Jennifer Aniston et partirai en vacances à La Baule. Rien de plus ennuyeux, de toute manière, que les gens que l'on décrypte instantanément, toutes ces filles dont la profession de foi moderne est d'être "nature", sincères, spontanées.


Vouloir, comme aujourd'hui, abolir à tout prix les distinctions, c'est initier une nouvelle terreur, celle de la transparence et de l'indifférenciation; c'est chercher à éradiquer le désir. La vie est faite, de toute manière, de rivalité, compétition. Derrière la revendication égalitaire, on le sait particulièrement bien en France, on est malgré tout, chacun, convaincus de sa différence et de sa supériorité. On porte tous en soi des fantasmes aristocratiques et on est tous d'une odieuse arrogance, même sous des abords simples et avenants.


L'autre n'est pas mon semblable, il est un importun, un rival à éliminer.

C'est la leçon cruelle de la vie mais c'est ça aussi qui en fait le moteur. C'est la volonté de puissance en chacun de nous : je ne cherche pas seulement à me situer dans une honnête moyenne, à être comme la plupart des autres, je veux être mieux que les autres, sans contestation possible et sans rivaux.


"L'homme n'est pas méchant, il est méprisant" dit Jacques Lacan.

Je ne veux pas être belle, je veux être la plus belle et pour ça, chaque femme est prête à exterminer, comme la comtesse Bathory, toutes ses rivales.


Images de la "Sécession viennoise" que, vous l'avez sans doute remarqué, j'affectionne particulièrement.

On reconnaîtra : Gottlieb KEMPF, Hans KRISTIANSEN, Josef Maria AUCHENTALLER, Josef HOFFMANN, Ludwig HOHLWEIN, Carl Otto CZESCHKA.

samedi 3 mai 2014

Lettres - Modigliani/Akhmatova

Portrait de Jeanne Hébuterne

Je devrais, normalement, parler de l'Ukraine. Ca y est ! La guerre est lancée. Une guerre non dite de la Russie contre l'Ukraine, une guerre dictée par l'esprit de vengeance, pour punir les Ukrainiens de préférer l'indépendance et la démocratie au totalitarisme.Ce qui est effrayant, c'est que la majorité des Russes est à fond derrière Poutine. Les haines sont maintenant immenses et l'éclatement de l'Ukraine semble inéluctable.

Mais attention, la guerre qui commence aujourd'hui, ce n'est peut-être pas la Yougoslavie 1991. Ca peut aussi être Sarajevo 1914. Il serait grand temps que la diplomatie occidentale sorte enfin de sa torpeur et de son inertie. Par une ironie de l'histoire, il va y avoir, dans quelques semaines, des élections européennes. Il ne faudrait pas que la cause ukrainienne devienne le fiasco moral de l'Europe, le symbole de son impuissance, la démonstration qu'elle n'est qu'un espace économique dépourvu de tout idéal éthique.

Mais je m'arrête là. Je risquerais d'être trop véhémente et puis, l'actualité politique, ça n'est pas l'objet de ce blog. Alors, je préfère parler des bouquins que je viens de lire :


* Elisabeth BARILLE : "Un amour à l'aube". L'une de mes écrivains français préférés (il faut absolument lire "Corps de jeune fille", "Heureux parmi les morts", "Une légende russe", "Exaucez-nous"). Son dernier livre est passionnant et bien documenté. Il relate une histoire qui avait été occultée : celle de la rencontre, en 1910, d' Anna Akhmatova, la grande poétesse russe (dénigrée par Jdanov et le pouvoir soviétique  pour "érotisme, mysticisme et indifférence politique") et Amedeo Modigliani . Une fascination et une passion réciproques; un amour probablement inassouvi mais fécond. On peut réévaluer ces deux artistes à la lumière de leur rencontre et de ce que l'un doit à l'autre : les portraits de Modigliani sont hantés par la silhouette d'Akhmatova, la simplicité et la sensualité des poèmes d'Akhmatova évoquent les tableaux de Modigliani. Un roman, un livre d'amour et d'histoire, un voyage dans le temps et dans deux pays : le Montparnasse des débuts du cubisme et les poètes de "la Tour" d'Ivanov à Saint-Pétersbourg.


* Chantal THOMAS : "Un air de liberté - Variations sur l'esprit du XVIII° siècle". Elle est aussi l'un de mes écrivains favoris. On a tendance à se croire absolument modernes et à estimer qu'on n'a jamais été aussi libres de pensée et de moeurs. A voir parce qu'on n'a, en fait, peut-être jamais porté aussi haut qu'au 18 ème siècle l'esprit de rébellion. Publierait-on aujourd'hui tous les écrivains du 18 ème siècle ?   Il y a bien un esprit du 18 ème siècle, rebelle, vagabond, fantaisiste, "une philosophie du plaisir, une intelligence du désir, un génie du moment". Et surtout, un grand style. Une succession de petits essais consacrés à Sade, Laclos, Casanova mais aussi à Mme de Tencin, Mme Roland, Mme de Staël.


* Jean-Jacques SCHUL : "Obsessions".Jean-Jacques Schul, en revanche, je n'avais encore jamais lu. Mais j'ai trouvé ce petit livre très étonnant, élégant et drôle à la manière d'un film de Jarmusch. Tous ces petits récits bizarres s'emboîtent les uns dans les autres. Une question essentielle : le décalage entre le réel et le fantasme. Les désillusions de la réalité.



* Astrid ROSENFELD : "Le legs d'Adam". La littérature allemande, c'est toujours bien. La confrontation en miroir de l'Allemagne contemporaine et de l'époque nazie. La vie sidérante d'un grand oncle Adam qui part à la recherche, en Pologne, de la jeune fille dont il a toujours rêvé, qui échange son identité, travaille pour un dignitaire nazi et pénètre dans le ghetto de Varsovie.


4 dessins d'Anna Akhmatova par Modigliani

* Le rapport Pilecki : un livre ahurissant, celui d'un déporté volontaire à Auschwitz. En septembre 1940, un officier polonais s'est fait volontairement arrêter pour être interné dans le camp d'Auschwitz et y constituer un réseau de résistance. Une extraordinaire leçon de courage moral. Pilecki s'est finalement évadé d'Auschwitz au bout de trois ans pour témoigner de l'enfer concentrationnaire. Ce qui est terrible, c'est qu'il a ensuite été condamné à mort et exécuté par les communistes en 1948.


Le "grand nu" que l'on peut rapprocher du dessin, au-dessus, d'Akhmatova

* Marie-Pierre REY : "Un Tsar à Paris". Une période occultée dans la mémoire française. Celle de l'occupation par les Russes de la ville de Paris, pendant 3 mois et il y a très exactement 2 siècles.On croise des Cosaques sur les Champs-Elysées et aux Tuileries, ce qui laissera des traces durables (le mot "bistrot" serait originaire du russe bystro "vite"). L'occupation se serait plutôt bien déroulée ce qui facilitera, ultérieurement, la communication et l'entente entre les deux peuples. Un très bon livre de Marie-Pierre Rey, une excellente historienne, dont on pourra relire, à l'occasion : "L'effroyable tragédie", un ouvrage de référence sur la campagne de Russie.


Photo d'Akhmatova en 1922

* Bryan WARD-PERKINS : "La chute de Rome - Fin d'une civilisation". Je ne suis vraiment pas une spécialiste du monde romain mais la question de l'effondrement des civilisations m'intéresse. Un livre qui bouleverse plein d'idées reçues et qui permet d'apprécier la grandeur de la civilisation romaine, son raffinement, son niveau de vie. Les conquêtes barbares ont entraîné  un brutal et spectaculaire effondrement de l'économie, des techniques, de la culture. Ce n'est qu'au XV ème siècle que l'Occident retrouvera un niveau de vie comparable à celui des Romains. Un livre passionnant, très bien écrit, vivant et même plein d'humour.


Olga Serebriakova

* Gabriel MARTINEZ-GROS : "Brève histoire des empires". Ce petit livre est presque le complément du précédent. Une idée forte : la paix est au centre des sociétés impériales comme de la nôtre. Mais elle a un prix : le désarmement de la presque totalité de la population, la paix et la sécurité étant assurées par une minorité de professionnels. La paix, c'est la confiscation de la violence et la dévirilisation de l'humanité. Et cet Etat pacificateur est aux mains d'une infime et nécessaire minorité violente. La douceur imposée aux masses comme aux élites civiles implique, par contraste, l'extrême brutalité de ceux qui l'imposent. La paix est une tyrannie.

Olga Della-Vos-Kardovskaya

* Boris AKOUNINE - Grigori TCHKHARTICHVILI : "Histoire de cimetières". Boris Akounine est un maître du polar et il est évidemment fasciné par la mort. Un livre idéal pour une vampire comme moi qui visite tous les cimetières des villes où je me rends. Le lecteur est ici emmené dans 6 cimetières : Le Donskoï à Moscou; Highgate à Londres; le Père Lachaise à Paris; le cimetière étranger à Yokohama; Green-Wood à New-York et le cimetière juif du Mont des Oliviers à Jérusalem. Un livre passionnant parce qu'en effet, "le plus intrigant chez les habitants de toutes ces grandes villes, c'est que la majorité d'entre eux sont morts".

Nathan Altman

* Pascal Brückner : tous ces écrivains, en France, qui se mettent à relater leur enfance et adolescence, forcément traumatisantes, ça me gonfle beaucoup. J'aime bien néanmoins Pascal Brückner, tout du moins les essais de sa jeunesse. Son livre m'a intéressée et aussi laissée perplexe tant j'ai trouvé ça étonnant. Enfin..., on se construit toujours dans le conflit.



Modigliani a réalisé une dizaine de dessins d'Anna Akhmatova. J'en poste ici quatre. La première et la dernière image sont des portraits de Jeanne Hébuterne.


Les portraits d'Akhmatova ont été réalisés par Olga Della-Vos-Kardovskaya; Nathan Altman , Olga Serebriakova.

Enfin, si vous allez au cinéma, je recommande absolument : "Pas son genre" de Lucas Belvaux, "The best offer" de Giuseppe Tornatore, "Tom à la ferme" de Xavier Dolan, "My sweet pepper land" de Hiner Saleem.